le collier sacré de Montézuma - Жюльетта Бенцони 7 стр.


— Peut-être mais la réciproque me plairait assez ! Ils ne sont même pas polis !

— Dans ce genre de situation, c’est presque naturel : ils doivent se sentir tellement humiliés !

— Ils n’en avaient pas vraiment l’air ! glissa Adalbert. Quelle morgue !

Mais Marie-Angéline tenait à son idée :

— Un rideau de fumée ! Un paravent pour cacher la honte ! La vieille dame et l’oncle s’en sont fait une cuirasse… seulement je peux vous assurer que j’ai vu de la douleur dans le regard de ce charmant Don Miguel !

Ayant dit, au lieu de sonner Cyprien pour qu’il enlève les tasses, elle s’empara du plateau et disparut en direction de la cuisine, suivie du regard effaré des trois autres.

— Ce… charmant ? répéta Vidal-Pellicorne.

Aldo lui ne dit rien, mais Mme de Sommières soupira :

— Eh bien ! Il ne nous manquait plus que cela !…

Le dîner fut anormalement silencieux. Sensible à la tension apportée par le surprenant plaidoyer de Marie-Angéline, Adalbert avait regagné les eaux paisibles de son domicile où Théobald, son valet de chambre-cuisinier-maître d’hôtel et homme à tout faire, s’entendait à entretenir le calme, l’ordre et la sérénité nécessaires au développement harmonieux des grandes idées, sans dédaigner pour autant les coups tordus. Bien qu’Adalbert fît pratiquement partie de la famille, il avait jugé plus convenable de laisser celle-ci traiter sans lui des états d’âme de la chère vieille fille.

En fait, on ne traita de rien. Avant de passer à table, Aldo s’était rendu chez Jules, le « portier » de la marquise, afin de demander qu’on lui appelle Venise au téléphone. Cet engin, en effet, n’avait pas droit de cité dans les appartements de Tante Amélie, toujours hostile à une sonnerie d’appel qui lui donnait l’impression d’être une domestique dans sa propre demeure. Le délai d’attente étant d’environ trois heures, il avait largement le temps de dîner.

S’il avait été moins soucieux, il se fût amusé sans doute de la mine lointaine arborée par Plan-Crépin. Entre le potage et le vol-au-vent, elle laissa son regard s’évader dans les ruines de Rome, peintes par Hubert Robert, qui décoraient en face d’elle le mur de la salle à manger, suspendues au-dessus de la tête d’Aldo, s’y tint fermement accrochée jusqu’à ce que Cyprien apporte le chef-d’œuvre de pâte feuilletée renfermant des ris de veau, des truffes et toutes sortes de choses délicieuses qu’elle aimait particulièrement. Sa mélancolie n’y résista pas et elle concentra son attention sur son assiette, accepta un léger supplément qu’elle absorba avec le même appétit, reposa son couvert selon l’angle réglementaire, essuya ses lèvres, vida son verre de chablis et rejoignit les ruines de Rome et le XVIIIe siècle. Elle en revint pour apprécier à leur valeur quelques feuilles de laitue accompagnant un brie de Meaux juste à point que – Dieu sait pourquoi ? – elle assaisonna de deux soupirs.

Elle allait retourner dans ses nuages quand, dans ce silence quasi religieux, la voix de la marquise s’éleva :

— Si tu veux allumer une cigarette, Aldo, je t’accorde volontiers la permission ! Tu n’as presque rien mangé et ça calme les nerfs ! Pendant que tu y es, tu devrais m’en donner une !

Un tel manquement au savoir-vivre saisit Plan-Crépin en plein vol. Avec un hoquet d’horreur, elle se tourna vers la marquise :

— Nous voulons… fumer ? Et à table ?… J’ai dû mal entendre ?

Elle fut obligée de se rendre à la réalité : « nous » étions bel et bien en train d’allumer le mince rouleau de tabac à la flamme surgie au poing d’Aldo. Mme de Sommières tira une voluptueuse bouffée, plissa les yeux :

— Je ne pensais pas que vous puissiez saisir quoi que ce soit de nos bruits terrestres. Depuis le début du repas, vous me faites penser à Jeanne d’Arc sous son chêne – au fait était-ce bien un chêne ? Je dois confondre avec saint Louis mais peu importe ! Il n’y manquait que les moutons !

Prise au dépourvu, Marie-Angéline ouvrit la bouche pour dire quelque chose et la referma : Aldo se levait, jetait sa serviette avec un « Excusez-moi » ! » et sortait en courant. Il venait d’entendre la sonnerie lointaine du téléphone et se précipitait chez le concierge. La communication avec Venise était établie et Lisa était au bout du fil. Entendre sa voix rasséréna son époux :

— On dirait que tu vas mieux !

— Oui. Licci m’a fait avaler je ne sais quelle mixture de sa composition qui m’a ressuscitée. Si ce n’était pas si loin, j’aurais pu venir te rejoindre pour la soirée du mariage. Ça se passe bien ?

— Pas vraiment. Il n’y a pas eu de mariage. Gilles a disparu avant la cérémonie religieuse.

La voix venue de Venise se chargea de stupeur :

— Tu plaisantes ?

— Je t’assure que je n’en ai pas la moindre envie !

Et il raconta ce qui s’était passé depuis son arrivée à Paris, sans oublier l’entrevue avec Langlois que Lisa connaissait. Récit ponctué de brèves onomatopées émises par la jeune femme mais qui tourna court. Au moment où elle allait donner son sentiment, la communication fut coupée sans espoir de retour. Cela arrivait souvent pour les communications longue distance.

Aldo raccrocha, souhaita une bonne nuit à Jules et regagna la salle à manger où Mme de Sommières achevait sa cigarette au-dessus d’une mousse au chocolat à laquelle elle n’avait pas touché. C’était elle à présent qui jouait les « princesses lointaines », tandis que Marie-Angéline finissait sa seconde part.

— Alors ? demanda-t-elle.

— Lisa est guérie et je lui ai raconté notre journée mais j’ignore ce qu’elle en pense : on nous a coupés et comme il n’y a guère de chances de pouvoir reprendre la conversation ce soir…

— Tu ne veux pas de dessert ?

— Merci. Avec votre permission, je sors me dégourdir les jambes…

— Il fait un temps à ne pas mettre un chien dehors.

— Aucune importance ! J’irai boire un verre chez Adalbert.

Elle lui tapota la joue quand il se pencha pour l’embrasser :

— Je ne peux pas te donner tort. Il y a des moments où une conversation trop brillante et trop animée, comme la nôtre ce soir, devient insoutenable ! On ressent le besoin d’un peu d’air ! Mais pense tout de même à dormir !

— Je ne crois pas que j’y arriverai.

— Essaie Nietzsche ! C’est souverain pour les insomnies !

Le jour qui se leva était légèrement moins froid mais aussi gris et déprimant que la veille. Pourtant, l’hôtel de Sommières semblait avoir retrouvé son climat normal. C’est du moins ce qui ressortit du rapport de Cyprien quand, vers la demie de huit heures, il apporta son petit déjeuner à Aldo. Selon lui, Mlle du Plan-Crépin semblait redevenue tout à fait elle-même :

— La messe de six heures à Saint-Augustin a toujours eu sur elle un pouvoir réconfortant. Ce matin, elle m’a dit bonjour avec une sorte de… comment dirais-je ?… d’enjouement, et quand j’ai porté le plateau de Mme la marquise, elles causaient comme d’habitude !

— Allons ! Tant mieux !

En fait, les états d’âme de Marie-Angéline importaient peu à Aldo. Qu’elle fût tombée amoureuse, sur un seul regard, d’un garçon appartenant à une famille antipathique avec laquelle il y avait gros à parier que l’on n’aurait guère de relations ne présentait pas plus d’intérêt que si elle s’était éprise d’une vedette de cinéma comme la vieille gamine qu’elle était restée. Même à un certain âge, une fille a besoin d’accrocher ses rêves à un objet le plus souvent inaccessible et c’est ce qui en fait le charme. Avec une star, la fréquentation assidue des salles obscures procure des moments d’extase. Avec le jeune Miguel Olmedo de Quiroga, Plan-Crépin, possédant un joli coup de crayon et de pinceau et dont la mémoire enregistrait les visages plus sûrement que celle d’un physionomiste, s’en tirerait en faisant le portrait de son héros auquel, dans le silence de sa chambre, elle pourrait rendre tous les cultes qu’il lui plairait. Et là-dessus, Aldo estima que la question était entendue et qu’il avait d’autres chats à fouetter…

La disparition de Vauxbrun était trop angoissante pour ne pas réclamer toute son attention. Ils en avaient parlé la moitié de la nuit avec Adalbert, sans parvenir à trouver la moindre piste pour orienter leurs recherches. C’était bien la première fois que cela leur arrivait : se retrouver au point mort au pied d’un mur ne présentant aucune prise pour s’accrocher.

— On sait qu’il a été enlevé, avait dit Adalbert en allumant son troisième cigare, et de cela on peut remercier Langlois qui a eu la bonne idée de faire surveiller ce foutu mariage. Autrement, on serait dans le bleu le plus complet. Reste à savoir qui sont les ravisseurs et le pourquoi de la chose.

— Je ne peux pas m’empêcher de penser – quitte à encourir les foudres de Marie-Angéline ! – que ces Mexicains dont on ne sait rien ou si peu y trempent jusqu’au cou ! À l’évidence, ils nous détestent et méprisent Vauxbrun ! C’était écrit en toutes lettres sur les figures de la douairière et de son neveu. Quant à la sublime Isabel, la disparition de son fiancé n’a pas l’air de la troubler énormément. Alors question : pourquoi ont-ils accepté ce mariage ?

— Je ne vois qu’une réponse possible : l’argent ! Quand on a l’allure qu’il faut – et ils n’en manquent pas, je te l’accorde –, arborer toilettes et bijoux, descendre au Ritz ne présente pas d’obstacles insurmontables…

— Tu peux retrancher l’hôtel : c’est Gilles qui a dû s’en charger. Les vêtements sortaient de grandes maisons et je peux t’assurer que les bijoux portés par ces dames sont vrais. Ce qui ne change rien au fait que l’on ne sait pas d’où ils viennent…

— Ben… du Mexique !

— C’est là le

— Ça me paraît bien solennel, commenta Tante Amélie. Moi, je dirais que c’est une convocation.

— Sans doute, mais l’important est que Langlois ait du nouveau. Je ne le ferai pas attendre.

À l’heure dite, on l’introduisait dans le bureau du policier alors occupé à signer les documents qu’on lui présentait. Il leva la tête à l’entrée de son visiteur et, sans sourire, lui désigna l’une des deux chaises placées en face de lui. Sensible aux atmosphères, Morosini retint une grimace. Celle qui régnait dans cette pièce était sinistre, en dépit de l’attendrissant bouquet d’anémones qui s’épanouissait dans un ravissant petit vase de chez Lalique posé sur le bureau. En raison du jour gris, une grosse lampe éclairait les mains soignées du commissaire mais son abat-jour d’opaline vert pomme ne déversait qu’une lumière froide. L’attente fut brève. Une ou deux minutes, avant que le secrétaire ne remporte le parapheur, avaient suffi pour que Morosini constate que le visage de Langlois était en accord parfait avec le climat ambiant. Aussi prit-il l’initiative de demander, dès que les yeux gris se relevèrent sur lui :

— Auriez-vous des nouvelles, commissaire ?

— Oui… et je doute qu’elles vous plairont !

Une boule se noua dans la gorge d’Aldo qui se sentit pâlir :

— Vous n’essayez pas de me dire que…

Il fut incapable d’aller plus loin.

— Non, à cette heure on ne sait toujours pas où a pu passer M. Vauxbrun. Peut-être est-il déjà loin, si ce que j’ai appris se confirme.

— Et qu’avez-vous appris ?

— Cela tient en peu de mots. Don Pedro Olmedo porte plainte contre Gilles Vauxbrun. Pour vol !

Déjà Morosini était debout :

— J’ai mal entendu ?

— Non. Vous avez fort bien entendu. Il est accusé de s’être emparé d’un joyau inestimable qui est dans la famille Vargas y Villahermosa depuis des siècles.

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