Contes merveilleux, Tome II - Andersen Hans Christian 10 стр.


«Je reussis cependant a ouvrir la fenetre. Je vis tout ce monde courir et sauter sur la glace. Que de beaux drapeaux il y avait la, qui voltigeaient au souffle du vent! Les jeunes garcons criaient hourrah! Servantes et domestiques dansaient en rond et chantaient. Ils s'amusaient de tout coeur. Mais le nuage blanc avec le point noir… Je criai tant que je pus; personne ne m'entendit, j'etais trop loin d'eux. Bientot la tourmente allait eclater; la glace, soulevee par la mer, se briserait, et tous, tous seraient perdus. Personne ne pourrait les secourir!

«Je criai encore de toutes mes forces. Ma voix ne fut pas plus entendue que la premiere fois. Impossible d'aller a eux. Comment donc les ramener a terre?

«Le bon Dieu m'inspira alors l'idee de mettre le feu a mon lit, et d'incendier ma maison plutot que de laisser perir miserablement tous ces pauvres gens. J'executais aussitot ce dessein. Les flammes rouges commencerent a s'elever. C'etait comme un phare que je leur allumai. Je franchis la porte, mais je restai la par terre. Mes forces etaient epuisees. Le feu sortait par le toit, par les fenetres, par la porte: des langues de flammes venaient jusqu'a moi comme pour me lecher.

«La population qui etait sur la glace apercut la clarte; tous accoururent pour sauver une pauvre creature qui, pensaient-ils, allait etre brulee vivante. Il n'y en eut pas un qui ne se precipitat vers la digue. Puis la maree monta, souleva la glace et la brisa en mille morceaux. Mais il n'y avait plus personne, tout le monde etait accouru vers la digue. Je les avais tous sauves.

«La frayeur, l'effort que je dus faire, le froid glacial qui me saisit, acheverent ma triste existence, et c'est ainsi que me voila arrivee a la porte du ciel.»

La porte du paradis s'ouvrit, et un ange y introduisit la pauvre vieille. Elle laissa tomber un brin de paille, un de ceux qui etaient dans son lit lorsqu'elle y mit le feu. Cette paille se changea en or pur, grandit en un moment, poussa des branches, des feuilles et des fleurs, et fut comme un arbre d'or splendide.

– Tu vois, dit l'ange au raisonneur, ce que la pauvresse a apporte. Et toi, qu'apportes-tu? Rien, je le sais, tu n'as rien produit en toute ta vie. Tu n'as pas meme faconne une brique. Si encore tu pouvais retourner sur terre pour en confectionner une seule, elle serait surement mal faite; mais ce serait du moins une preuve de bonne volonte, et la bonne volonte, c'est quelque chose.

Alors la vieille petite mere de la maison de la digue:

– Je le reconnais, dit-elle, c'est son frere qui m'a donne les briques et les debris de briques avec lesquels j'ai bati ma maisonnette. Quel bienfait ce fut pour moi, la pauvresse! Est-ce que tous ces morceaux de briques ne pourraient pas tenir lieu de la brique qu'il aurait a fournir? Ce serait un acte de grace.

– Tu le vois, reprit l'ange, le plus humble de tes freres, celui que tu estimais moins encore que les autres, et dont l'honnete metier te paraissait si meprisable, c'est lui qui pourra te faire entrer au paradis. Toutefois tu n'entreras pas avant que tu aies quelque chose a faire valoir pour suppleer a ta reelle indigence.

«Tout ce qu'il dit la, pensa en lui-meme le raisonneur, aurait pu etre exprime avec plus d'eloquence.» Mais il garda sa remarque pour lui seul.

La reine des neiges

Premiere Histoire Qui traite d'un miroir et de ses morceaux

Voila! Nous commencons. Lorsque nous serons a la fin de l'histoire, nous en saurons plus que maintenant, car c'etait un bien mechant sorcier, un des plus mauvais, le «diable» en personne.

Un jour il etait de fort bonne humeur: il avait fabrique un miroir dont la particularite etait que le Bien et le Beau en se reflechissant en lui se reduisaient a presque rien, mais que tout ce qui ne valait rien, tout ce qui etait mauvais, apparaissait nettement et empirait encore. Les plus beaux paysages y devenaient des epinards cuits et les plus jolies personnes y semblaient laides a faire peur, ou bien elles se tenaient sur la tete et n'avaient pas de ventre, les visages etaient si deformes qu'ils n'etaient pas reconnaissables, et si l'on avait une tache de rousseur, c'est toute la figure (le nez, la bouche) qui etait criblee de son. Le diable trouvait ca tres amusant.

Lorsqu'une pensee bonne et pieuse passait dans le cerveau d'un homme, la glace ricanait et le sorcier riait de sa prodigieuse invention.

Tous ceux qui allaient a l'ecole des sorciers-car il avait cree une ecole de sorciers-racontaient a la ronde que c'est un miracle qu'il avait accompli la. Pour la premiere fois, disaient-ils, on voyait comment la terre et les etres humains sont reellement. Ils couraient de tous cotes avec leur miroir et bientot il n'y eut pas un pays, pas une personne qui n'eussent ete deformes la-dedans.

Alors, ces apprentis sorciers voulurent voler vers le ciel lui-meme, pour se moquer aussi des anges et de Notre-Seigneur. Plus ils volaient haut avec le miroir, plus ils ricanaient. C'est a peine s'ils pouvaient le tenir et ils volaient de plus en plus haut, de plus en plus pres de Dieu et des anges, alors le miroir se mit a trembler si fort dans leurs mains qu'il leur echappa et tomba dans une chute vertigineuse sur la terre ou il se brisa en mille morceaux, que dis-je, en des millions, des milliards de morceaux, et alors, ce miroir devint encore plus dangereux qu'auparavant. Certains morceaux n'etant pas plus grands qu'un grain de sable voltigeaient a travers le monde et si par malheur quelqu'un les recevait dans l'oeil, le pauvre accidente voyait les choses tout de travers ou bien ne voyait que ce qu'il y avait de mauvais en chaque chose, le plus petit morceau du miroir ayant conserve le meme pouvoir que le miroir tout entier. Quelques personnes eurent meme la malchance qu'un petit eclat leur sautat dans le coeur et, alors, c'etait affreux: leur coeur devenait un bloc de glace. D'autres morceaux etaient, au contraire, si grands qu'on les employait pour faire des vitres, et il n'etait pas bon dans ce cas de regarder ses amis a travers elles. D'autres petits bouts servirent a faire des lunettes, alors tout allait encore plus mal. Si quelqu'un les mettait pour bien voir et juger d'une chose en toute equite, le Malin riait a s'en faire eclater le ventre, ce qui le chatouillait agreablement.

Mais ce n'etait pas fini comme ca. Dans l'air volaient encore quelques parcelles du miroir!

Ecoutez plutot.

Deuxieme histoire Un petit garcon et une petite fille

Dans une grande ville ou il y a tant de maisons et tant de monde qu'il ne reste pas assez de place pour que chaque famille puisse avoir son petit jardin, deux enfants pauvres avaient un petit jardin. Ils n'etaient pas frere et soeur, mais s'aimaient autant que s'ils l'avaient ete. Leurs parents habitaient juste en face les uns des autres, la ou le toit d'une maison touchait presque le toit de l'autre, separes seulement par les gouttieres. Une petite fenetre s'ouvrait dans chaque maison, il suffisait d'enjamber les gouttieres pour passer d'un logement a l'autre. Les familles avaient chacune devant sa fenetre une grande caisse ou poussaient des herbes potageres dont elles se servaient dans la cuisine, et dans chaque caisse poussait aussi un rosier qui se developpait admirablement. Un jour, les parents eurent l'idee de placer les caisses en travers des gouttieres de sorte qu'elles se rejoignaient presque d'une fenetre a l'autre et formaient un jardin miniature. Les tiges de pois pendaient autour des caisses et les branches des rosiers grimpaient autour des fenetres, se penchaient les unes vers les autres, un vrai petit arc de triomphe de verdure et de fleurs. Comme les caisses etaient placees tres haut, les enfants savaient qu'ils n'avaient pas le droit d'y grimper seuls, mais on leur permettait souvent d'aller l'un vers l'autre, de s'asseoir chacun sur leur petit tabouret sous les roses, et ils ne jouaient nulle part mieux que la. L'hiver, ce plaisir-la etait fini. Les vitres etaient couvertes de givre, mais alors chaque enfant faisait chauffer sur le poele une piece de cuivre et la placait un instant sur la vitre gelee. Il se formait un petit trou tout rond a travers lequel epiait a chaque fenetre un petit oeil tres doux, celui du petit garcon d'un cote, celui de la petite fille de l'autre. Lui s'appelait Kay et elle Gerda.

L'ete, ils pouvaient d'un bond venir l'un chez l'autre; l'hiver il fallait d'abord descendre les nombreux etages d'un cote et les remonter ensuite de l'autre. Dehors, la neige tourbillonnait.

– Ce sont les abeilles blanches qui papillonnent, disait la grand-mere.

– Est-ce qu'elles ont aussi une reine? demanda le petit garcon.

– Mais bien sur, dit grand-mere. Elle vole la ou les abeilles sont les plus serrees, c'est la plus grande de toutes et elle ne reste jamais sur la terre, elle remonte dans les nuages noirs.

– Nous avons vu ca bien souvent, dirent les enfants.

Et ainsi ils surent que c'etait vrai.

– Est-ce que la Reine des Neiges peut entrer ici? demanda la petite fille.

– Elle n'a qu'a venir, dit le petit garcon, je la mettrai sur le poele brulant et elle fondra aussitot.

Le soir, le petit Kay, a moitie deshabille, grimpa sur une chaise pres de la fenetre et regarda par le trou d'observation. Quelques flocons de neige tombaient au-dehors et l'un de ceux-ci, le plus grand, atterrit sur le rebord d'une des caisses de fleurs. Ce flocon grandit peu a peu et finit par devenir une dame vetue du plus fin voile blanc fait de millions de flocons en forme d'etoiles. Elle etait belle, si belle, faite de glace aveuglante et scintillante et cependant vivante. Ses yeux etincelaient comme deux etoiles, mais il n'y avait en eux ni calme ni repos. Elle fit vers la fenetre un signe de la tete et de la main. Le petit garcon, tout effraye, sauta a bas de la chaise, il lui sembla alors qu'un grand oiseau, au-dehors, passait en plein vol devant la fenetre.

Le lendemain fut un jour de froid clair, puis vint le degel et le printemps.

Cet ete-la les roses fleurirent magnifiquement. Gerda avait appris un psaume ou l'on parlait des roses, cela lui faisait penser a ses propres roses et elle chanta cet air au petit garcon qui lui-meme chanta avec elle:

Les roses poussent dans les vallees ou l'enfant Jesus vient nous parler.

Les deux enfants se tenaient par la main, ils baisaient les roses, admiraient les clairs rayons du soleil de Dieu et leur parlaient comme si Jesus etait la. Quels beaux jours d'ete ou il etait si agreable d'etre dehors sous les frais rosiers qui semblaient ne vouloir jamais cesser de donner des fleurs!

Kay et Gerda etaient assis a regarder le livre d'images plein de betes et d'oiseaux-l'horloge sonnait cinq heures a la tour de l'eglise-quand brusquement Kay s'ecria:

– Aie, quelque chose m'a pique au coeur et une poussiere m'est entree dans l'oeil. La petite le prit par le cou, il cligna des yeux, non, on ne voyait rien.

– Je crois que c'est parti, dit-il.

Mais ce ne l'etait pas du tout! C'etait un de ces eclats du miroir ensorcele dont nous nous souvenons, cet affreux miroir qui faisait que tout ce qui etait grand et beau, reflechi en lui, devenait petit et laid, tandis que le mal et le vil, le defaut de la moindre chose prenait une importance et une nettete accrues.

Le pauvre Kay avait aussi recu un eclat juste dans le coeur qui serait bientot froid comme un bloc de glace. Il ne sentait aucune douleur, mais le mal etait fait.

– Pourquoi pleures-tu? cria-t-il, tu es laide quand tu pleures, est-ce que je me plains de quelque chose? Oh! cette rose est devoree par un ver et regarde celle-la qui pousse tout de travers, au fond ces roses sont tres laides.

Il donnait des coups de pied dans la caisse et arrachait les roses.

– Kay, qu'est-ce que tu fais? cria la petite.

Et lorsqu'il vit son effroi, il arracha encore une rose et rentra vite par sa fenetre, laissant la la charmante petite Gerda.

Quand par la suite elle apportait le livre d'images, il declarait qu'il etait tout juste bon pour les bebes et si grand-mere gentiment racontait des histoires, il avait toujours a redire, parfois il marchait derriere elle, mettait des lunettes et imitait, a la perfection du reste, sa maniere de parler; les gens en riaient.

Bientot il commenca a parler et a marcher comme tous les gens de sa rue pour se moquer d'eux.

On se mit a dire: «Il est intelligent ce garcon-la!» Mais c'etait la poussiere du miroir qu'il avait recue dans l'oeil, l'eclat qui s'etait fiche dans son coeur qui etaient la cause de sa transformation et de ce qu'il taquinait la petite Gerda, laquelle l'aimait de toute son ame.

Ses jeux changerent completement, ils devinrent beaucoup plus reflechis. Un jour d'hiver, comme la neige tourbillonnait au-dehors, il apporta une grande loupe, etala sa veste bleue et laissa la neige tomber dessus.

– Regarde dans la loupe, Gerda, dit-il.

Chaque flocon devenait immense et ressemblait a une fleur splendide ou a une etoile a dix cotes.

– Comme c'est curieux, bien plus interessant qu'une veritable fleur, ici il n'y a aucun defaut, ce seraient des fleurs parfaites-si elles ne fondaient pas.

Peu apres Kay arriva portant de gros gants, il avait son traineau sur le dos, il cria aux oreilles de Gerda:

– J'ai la permission de faire du traineau sur la grande place ou les autres jouent! Et le voila parti.

Sur la place, les garcons les plus hardis attachaient souvent leur traineau a la voiture d'un paysan et se faisaient ainsi trainer un bon bout de chemin. C'etait tres amusant. Au milieu du jeu ce jour-la arriva un grand traineau peint en blanc dans lequel etait assise une personne enveloppee d'un manteau de fourrure blanc avec un bonnet blanc egalement. Ce traineau fit deux fois le tour de la place et Kay put y accrocher rapidement son petit traineau.

Dans la rue suivante, ils allaient de plus en plus vite. La personne qui conduisait tournait la tete, faisait un signe amical a Kay comme si elle le connaissait. Chaque fois que Kay voulait detacher son petit traineau, cette personne faisait un signe et Kay ne bougeait plus; ils furent bientot aux portes de la ville, les depasserent meme.

Alors la neige se mit a tomber si fort que le petit garcon ne voyait plus rien devant lui, dans cette course folle, il saisit la corde qui l'attachait au grand traineau pour se degager, mais rien n'y fit. Son petit traineau etait solidement fixe et menait un train d'enfer derriere le grand. Alors il se mit a crier tres fort mais personne ne l'entendit, la neige le cinglait, le traineau volait, parfois il faisait un bond comme s'il sautait par-dessus des fosses et des mottes de terre. Kay etait epouvante, il voulait dire sa priere et seule sa table de multiplication lui venait a l'esprit.

Les flocons de neige devenaient de plus en plus grands, a la fin on eut dit de veritables maisons blanches; le grand traineau fit un ecart puis s'arreta et la personne qui le conduisait se leva, son manteau et son bonnet n'etaient faits que de neige et elle etait une dame si grande et si mince, etincelante: la Reine des Neiges.

– Nous en avons fait du chemin, dit-elle, mais tu es glace, viens dans ma peau d'ours.

Elle le prit pres d'elle dans le grand traineau, l'enveloppa du manteau. Il semblait a l'enfant tomber dans des gouffres de neige.

– As-tu encore froid? demanda-t-elle en l'embrassant sur le front.

Son baiser etait plus glace que la glace et lui penetra jusqu'au coeur deja a demi glace. Il crut mourir, un instant seulement, apres il se sentit bien, il ne remarquait plus le froid.

«Mon traineau, n'oublie pas mon traineau.» C'est la derniere chose dont se souvint le petit garcon.

Le traineau fut attache a une poule blanche qui vola derriere eux en le portant sur son dos. La Reine des Neiges posa encore une fois un baiser sur le front de Kay, alors il sombra dans l'oubli total, il avait oublie Gerda, la grand-mere et tout le monde a la maison.

– Tu n'auras pas d'autre baiser, dit-elle, car tu en mourrais.

Kay la regarda. Qu'elle etait belle, il ne pouvait s'imaginer visage plus intelligent, plus charmant, elle ne lui semblait plus du tout de glace comme le jour ou il l'avait apercue de la fenetre et ou elle lui avait fait des signes d'amitie! A ses yeux elle etait aujourd'hui la perfection, il n'avait plus du tout peur, il lui raconta qu'il savait calculer de tete, meme avec des chiffres decimaux, qu'il connaissait la superficie du pays et le nombre de ses habitants. Elle lui souriait… Alors il sembla a l'enfant qu'il ne savait au fond que peu de chose et ses yeux s'eleverent vers l'immensite de l'espace. La reine l'entrainait de plus en plus haut. Ils volerent par-dessus les forets et les oceans, les jardins et les pays. Au-dessous d'eux le vent glace sifflait, les loups hurlaient, la neige etincelait, les corbeaux croassaient, mais tout en haut brillait la lune, si grande et si claire. Au matin, il dormait aux pieds de la Reine des Neiges.

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