– Leve un peu tes regards! cria-t-il. Je suis ici en haut, installe dans le sac de la sagesse. J'y ai appris quantite de grandes choses en peu de temps. Les universites, avec tout ce qu'on peut y apprendre, ne sont que du vent a cote! Dans un petit moment, j'en aurai fini et je descendrai, sage entre tous les sages, et savant plus que tous les savants du monde. Je connais les etoiles et les signes du ciel, le souffle de tous les vents, les sables dans la mer, la guerison des maladies, les vertus des plantes, le langage des oiseaux et les secrets des pierres. Si tu y entrais une seule fois, tu sentirais et tu eprouverais la magnificence qui se repand hors du sac de la sagesse!
– Benie soit l'heure qui m'a fait te rencontrer! s'exclama l'etudiant, tout emerveille de ce qu'il venait d'entendre. Est-ce que je ne pourrais pas, moi aussi, tater un peu du sac de la sagesse? Rien qu'un tout petit peu… La-haut, l'homme du sac feignit de ne pas y consentir bien volontiers, montra de l'hesitation et finit par dire:
– Pour un petit moment, oui, mais contre recompense et gracieux remerciements. Et puis, il te faudra attendre encore une heure.- il me reste quelques petites choses a recevoir pour completer mon enseignement. Impatient, l'etudiant attendit sans rien dire un court moment, puis, n'y tenant plus, il supplia l'autre de le laisser se mettre dans le sac: sa soif de sagesse le torturait tellement! La-haut, l'homme du sac fit mine de se laisser toucher et convaincre.
– C'est entendu, dit-il, mais pour que je puisse sortir du temple de la connaissance, il faut que tu fasses descendre le sac au bout de sa corde, et alors tu pourras y entrer a ton tour! L'etudiant le fit descendre, denoua le lien du sac et libera le prisonnier.
– A moi, maintenant! cria-t-il aussitot, tout enthousiaste. Vite, hisse-moi la-haut! Deja il etait pret a se fourrer dans le sac, mais l'autre l'arreta: «Halte! Pas comme cela!» Et il l'attrapa par la tete et le fourra tete en bas dans le sac, noua la corde sur ses pieds et hissa, ainsi empaquete, le digne disciple de la sagesse, jusqu'au sommet de l'arbre ou il resta a se balancer, la tete en bas.
– Comment te sens-tu, mon cher confrere? lui cria-t-il d'en bas. Commences-tu a sentir deja l'infusion de la sagesse en toi? Pour mieux apprendre, tiens-toi tranquille et ne parle pas, surtout pas, jusqu'a ce que tu sois devenu pleinement sage! Et sur ces bonnes paroles, il monta le cheval de l'etudiant et s'en alla, mais non sans avoir averti quelqu'un au passage, pour qu'il vienne une heure plus tard le descendre de la.
Blanche Neige
C'etait l'hiver.
Une reine cousait, assise aupres d'une fenetre dont le cadre etait en bois d'ebene, tandis que la neige tombait a gros flocons.
En cousant, la reine se piqua le doigt et quelques gouttes de sang tomberent sur la neige. Le contraste entre le rouge du sang, la couleur de la fenetre et la blancheur de la neige etait si beau, qu'elle se dit:
– Je voudrais avoir une petite fille qui ait la peau blanche comme cette neige, les levres rouges comme ce sang, les yeux et les cheveux noirs comme les montants de cette fenetre.
Peu de temps apres, elle eut une petite fille a la peau blanche comme la neige, aux levres rouges comme le sang, aux yeux et aux cheveux noirs comme l'ebene. On l'appela Blanche neige. Mais la reine mourut le jour de sa naissance.
Un an plus tard le roi se remaria. Sa femme etait tres belle et tres jalouse. Elle possedait un miroir magique, don d'une fee, qui repondait a toutes les questions. Chaque matin, tandis que la reine se coiffait, elle lui demandait:
– Miroir, miroir en bois d'ebene, dis-moi, dis-moi que je suis la plus belle. Et, invariablement, le miroir repondait:
– En cherchant a la ronde, dans tout le vaste monde, on ne trouve pas plus belle que toi.
Cependant, Blanche neige grandissait et devenait de plus en plus gracieuse.
Un jour ou, comme de coutume, la reine interrogeait son miroir, celui-ci repondit:
– Reine, tu etais la plus belle, mais aujourd'hui Blanche neige est une merveille.
A partir de ce moment, la reine se mit a hair Blanche neige. Enfin, n'y tenant plus, elle fit venir un de ses gardes et lui dit:
– Emmene cette enfant dans la foret et tue-la.
Le garde conduisit Blanche neige dans la foret, mais, comme il levait son couteau pour la tuer, il fut si emu par ses larmes et sa beaute qu'il n'acheva pas son geste. En s'eloignant, il pensa qu'elle serait bientot la victime des betes sauvages.
La pauvre Blanche neige demeuree seule dans la foret se mit a courir, trebuchant sur les cailloux. Vers le soir, alors que ses petits pieds ne pouvaient plus la porter, elle arriva aupres d'une jolie maisonnette et entra se reposer.
Elle y trouva une petite table dressee, avec sept petites assiettes et sept petits couverts. Contre le mur, il y avait sept petits lits, aux draps bien tires, blancs comme neige. Blanche neige, qui avait tres faim et tres soif, mangea un peu de la nourriture preparee dans chaque assiette et but une gorgee de vin dans chaque verre. Puis, comme elle etait tres fatiguee, elle se coucha et s'endormit immediatement.
Le soir, les habitants de la maisonnette arriverent. C'etaient sept nains qui cherchaient dans la montagne de l'or et des diamants.
Le premier nain, regardant autour de lui, vit une petite fille qui dormait couchee dans son lit. Il appela ses compagnons qui se precipiterent, elevant leurs lanternes pour mieux la voir.
– Oh, la jolie petite fille! s'ecrierent-ils.
Ils la laisserent dormir, la veillant avec amour.
Dessin de Walter Crane
Quand Blanche neige se reveilla et qu'elle vit les sept nains, elle eut d'abord peur. Mais ils etaient si doux et si souriants qu'elle se rassura bientot. Ils lui demanderent son nom et comment elle etait parvenue dans leur demeure.
La petite fille leur raconta son aventure. Les nains lui proposerent de rester avec eux.
– Tu t'occuperas de la maison, tu feras la cuisine, et tu raccommoderas notre linge…
Blanche neige remercia et accepta, toute heureuse.
Dans la journee, pendant que les nains etaient partis extraire l'or et les pierres precieuses de la montagne, la fillette restait seule. Mais ils lui avaient bien recommande de n'ouvrir a personne.
– Mefie-toi de ta belle-mere. Elle ne tardera pas a apprendre que tu es vivante, et viendra te rechercher jusqu'ici.
La reine croyait etre de nouveau la plus belle femme du monde. Un jour, elle voulut se le faire confirmer par son miroir. Le miroir repondit:
– Reine, tu etais la plus belle, mais Blanche neige au pays des sept nains, au-dela des monts, bien loin, est aujourd'hui une merveille.
La reine savait que son miroir ne mentait pas. Furieuse, elle comprit que le garde l'avait trompee et que Blanche neige vivait encore.
Elle reflechit longtemps au moyen de s'en debarrasser, et decida de se rendre chez les sept nains. Apres s'etre bruni le visage et habillee en marchande, elle frappa a la porte de la maisonnette en criant:
– Belle marchandise a vendre, belle marchandise!
Blanche neige se pencha a la fenetre et demanda:
– Bonjour brave femme. Que vendez-vous?
– Des corsets, des rubans, et toutes sortes de colifichets.
«Je peux bien laisser entrer cette brave femme», pensa Blanche neige, et elle ouvrit la porte pour acheter quelques rubans pour son corselet…
– Comme ils vous vont bien! s'exclama la marchande avec admiration. Mais laissez-moi vous lacer, vous jugerez mieux de l'effet. Blanche neige, qui ne se doutait de rien, la laissa faire. La vieille serra si vite et si fort que la jeune fille tomba a terre comme morte.
– Et maintenant, ricana la reine, je suis de nouveau la plus belle femme au monde. Et elle quitta rapidement la maisonnette.
Le soir, en rentrant, les sept nains furent epouvantes a la vue de Blanche neige gisant a terre, sans vie. Apercevant le corselet tellement serre, ils couperent immediatement les lacets. Blanche neige peu a peu revint a la vie.
Dessin de Arthur Rackham
Elle leur raconta ce qui s'etait passe. Les nains lui dirent alors:
– Cette vieille marchande devait etre ta belle-mere. Fais bien attention desormais et ne laisse entrer absolument personne.
Cependant, la reine, revenue dans son palais, prit son miroir et le consulta. Elle apprit ainsi que Blanche neige etait toujours en vie, et entra dans une violente fureur. «Il faut pourtant qu'elle disparaisse» pensa-t-elle. Elle enduisit un peigne de poison, prit un autre deguisement, partit a travers la montagne et arriva a la maison des sept nains. Elle frappa a la porte et cria:
– Belle marchandise a vendre, belle marchandise!
Blanche neige se pencha a la fenetre, mais ne voulut pas la laisser entrer.
– Vous pouvez toujours regarder, lui dit-elle. Cela ne vous engage a rien. Et elle tendit le peigne empoisonne a la jeune fille. Il etait si beau que Blanche neige ne put resister a la tentation. Elle entrebailla la porte et acheta le peigne.
– Laissez-moi donc vous coiffer joliment, lui dit la marchande. Mais a peine avait-elle passe le peigne dans les cheveux de la jeune fille que le poison commenca a agir et que Blanche neige tomba a terre sans connaissance.
Par bonheur, ce jour-la, les nains revinrent plus tot que de coutume. En voyant Blanche neige etendue a terre, pale comme une morte, ils comprirent que sa belle-mere etait encore venue. Ils decouvrirent le peigne empoisonne, l'arracherent, rendant ainsi la vie a la jeune fille.
Puis ils lui firent promettre de ne plus ouvrir la porte sous aucun pretexte.
La reine, arrivee au palais, demanda a son miroir:
– Miroir, miroir en bois d'ebene, dis-moi que je suis la plus belle. Et le miroir repondit a nouveau que Blanche neige etait une merveille.
Cette reponse fit trembler la reine de rage et de jalousie. Elle jura que Blanche neige mourrait, dut-elle mourir elle-meme. Elle alla dans son cabinet secret et prepara une pomme empoisonnee. Celle-ci etait belle et appetissante. Cependant, il suffisait d'en manger un petit morceau pour mourir. La reine se maquilla, s'habilla en paysanne et partit pour le pays des sept nains. Arrivee a la maisonnette, elle frappa a la porte.
Dessin de Tuvia Kurtz
– Je ne peux laisser entrer personne, on me l'a defendu, dit Blanche neige.
– J'aurais pourtant bien aime ne pas remporter mes pommes, dit la paysanne. Regarde comme elles sont belles. Goutes-en une.
– Non, repondit Blanche neige, je n'ose pas.
– Aurais-tu peur? Tiens, nous allons la partager…
Dessin de Walter Crane
La reine n'avait empoisonne la pomme que d'un seul cote, le cote rouge, le plus appetissant: Elle la coupa en deux et tendit la partie empoisonnee a Blanche neige, tout en mordant dans l'autre. Rassuree, la jeune fille la porta a sa bouche. Elle ne l'eut pas plutot mordue qu'elle tomba comme morte. La reine eut alors un rire diabolique.
– Blanche comme la neige, rouge comme le sang, noire comme l'ebene, tu es bien morte cette fois et les nains ne pourront pas te redonner la vie.
De retour au palais, elle interrogea son miroir qui lui repondit:
– En cherchant a la ronde, dans tout le vaste monde, on ne trouve pas de plus belle que toi.
Et son c?ur jaloux fut apaise.
Quand les sept nains revinrent a leur demeure, ils trouverent Blanche neige etendue sur le sol. Cette fois, elle semblait bien morte. Desesperes, ils la pleurerent sans arret pendant trois jours et trois nuits. Ils voulurent l'enterrer, mais comme ses joues demeuraient roses et ses levres fraiches, ils deciderent de ne pas la mettre sous terre, mais de lui fabriquer un cercueil de cristal et de la garder pres d'eux.
Ils placerent le cercueil sur un rocher, a cote de la maisonnette, et ils monterent la garde a tour de role. Les annees passerent. Blanche neige semblait toujours dormir tranquillement dans son cercueil de cristal, fraiche et rose.
Un jour, un prince jeune et beau traversa la foret et s'arreta chez les sept nains pour y passer la nuit. Quand il vit le cercueil de cristal et la belle jeune fille endormie, il fut pris d'un tel amour pour elle, qu'il dit aux nains:
Dessinateur inconnu
– Faites m'en cadeau! Je ne peux plus vivre sans voir Blanche neige.
Les nains, emus, lui donnerent le cercueil de cristal. Le prince le fit porter a dos d'homme jusqu'a son palais. Chemin faisant, un des porteurs trebucha et la secousse fut telle que le morceau de pomme reste dans la gorge de la jeune fille en sortit. Elle ouvrit les yeux, souleva le couvercle du cercueil, et regardant autour d'elle, dit:
– Ou suis-je?
Tout joyeux, le prince lui repondit:
– Tu es en securite avec moi. Je t'aime plus que tout au monde, viens au palais du roi, mon pere et je t'epouserai.
Blanche neige consentit avec joie. Leurs noces furent celebrees avec une splendeur et une magnificence dignes de leur bonheur.