Contes Merveilleux Tome II - Grimm Jakob et Wilhelm


Jakob et Wilhelm Grimm

La Huppe et le butor

Ou menez-vous de preference pacager votre troupeau? demanda quelqu’un a un vieux vacher.

– Par ici, monsieur, ou l’herbe n’est ni trop grasse, ni trop maigre; autrement, ce n’est pas bon pour elles.

– Et pourquoi pas? s’etonna le monsieur. – Entendez-vous la-bas, dans les humides patures, ce cri comme un mugissement sourd? commenca le berger. C’est le butor, qui etait un berger jadis, tout comme la huppe. Je vais vous raconter l’histoire. Le butor faisait pacager ses vaches dans de vertes et grasses prairies ou les fleurs poussaient en abondance; et ses vaches, par consequent, se firent du sang fort, devinrent independantes et sauvages. La huppe, par contre, menait les siennes sur la montagne haute et seche, ou le vent joue avec le sable; et ses vaches en devinrent maigres et debiles. Le soir, quand les bergers font rentrer leurs troupeaux, le butor n’arrivait plus a rassembler ses betes exuberantes qui sautaient, bondissaient, gambadaient de tous cotes et s’enfuyaient a mesure. Il avait beau les appeler et crier. «Groupez-vous, groupez-vous toutes!», cela ne servait a rien, et elles ne voulaient pas l’entendre. La huppe, de son cote, n’arrivait pas a les mettre debout: ses vaches etaient trop faibles et trop decouragees pour se lever. «Hop! hop 1 hop!», leur criait-elle, «Hop! hop! hop!», pour les faire lever, mais c’etait en vain: les vaches restaient sur le sable et ne se levaient point. Voila ce qu’il arrive quand on ne garde pas la juste mesure. Et meme de nos jours, bien qu’ils ne gardent plus de troupeaux, vous pouvez entendre le butor qui appelle: «Groupez-vous! Groupez-vous toutes!», et la huppe lance toujours son cri. «Hop-hop-hop! Hop-hop-hop! Hop-hop-hop!»

L’Intelligente fille du paysan

Il etait une fois un pauvre paysan qui n’avait pas de terre, seulement une petite chaumiere et une fille, enfant unique, qui lui dit un jour – «Nous devrions bien demander un bout de terre a cultiver, dans ses essarts, a notre seigneur le roi.» Sa Majeste, ayant appris quelle etait leur pauvrete, leur fit don d’un coin de pre plutot que d’une terre de friche, et tous deux, le pere et sa fille, se mirent a labourer cette terre, afin d’y semer un peu de ble et d’autres choses. Ils allaient terminer ce labour, quand ils tomberent sur un superbe mortier d’or pur qui etait enfoui dans la terre.

– Ecoute, dit le pere a sa fille, puisque Sa Majeste le roi, dans sa grace, nous a fait don de ce bout de terre, nous devrions, nous, lui porter le mortier. La fille s’y opposa et lui dit -

– Pere, nous avons le mortier, c’est vrai, mais nous n’avons pas le pilon; et comme on nous reclamera forcement le pilon avec le mortier, nous ferions beaucoup mieux de ne rien dire. Le pere ne voulut rien entendre, prit le mortier et le porta a Sa Majeste le roi, en lui disant qu’il avait trouve cet objet dans son bout de pre en le labourant, et qu’il voulait le lui offrir comme un respectueux temoignage de sa reconnaissance. Le roi prit le mortier, l’examine avec satisfaction, puis demanda au paysan s’il n’avait rien trouve d’autre.

– Non, dit le paysan. Le roi lui dit qu’il lui fallait aussi apporter le pilon. Mais le paysan eut beau affirmer et soutenir qu’il ne l’avait pas trouve, cela ne servit pas plus que s’il eut jete ses paroles au vent; et il fut arrete et jete en prison, ou il devait rester tant que le pilon n’aurait pas ete retrouve. Il etait au pain sec et a l’eau comme le sont les gens qu’on met au cachot, et les serviteurs qui apportaient chaque jour sa nourriture au prisonnier l’entendirent qui repetait sans cesse: «Ah! si j’avais ecoute ma fille! Si seulement j’avais ecoute ma fille!» Ils s’en etonnerent et allerent rapporter au roi que le prisonnier n’arretait pas de se plaindre en disant. «Ah! si j’avais ecoute ma fille!», alors qu’il refusait de manger et meme de boire. Les serviteurs recurent l’ordre d’amener le prisonnier devant le roi, et Sa Majeste lui demanda pourquoi il criait sans cesse: «Ah! si seulement j’avais ecoute ma fille!»

– Ta fille, qu’est-ce qu’elle t’avait dit? voulut savoir le roi. – Eh bien oui, dit le paysan, ma fille me l’avait bien dit. «N’apporte pas le mortier, sinon on va te reclamer le pilon.» – Quelle fille intelligente tu as! Il faut que je la voie une fois, dit le roi.

Elle dut donc comparaitre devant Sa Majeste, qui lui demanda si elle etait aussi intelligente que cela, et qui lui dit qu’il avait une enigme a lui proposer. si elle savait y repondre, il serait pret a l’epouser. Elle repondit aussitot que oui, qu’elle voulait deviner.

– Bien, dit le roi, je t’epouserai si tu peux venir vers moi ni habillee, ni nue, ni a cheval, ni en voiture, ni par la route, ni hors de la route. Elle s’en alla, et une fois chez elle, elle se mit nue comme un ver; ainsi elle n’etait donc pas habillee. Elle prit alors un filet de peche, dans lequel elle se mit et s’enroula; et ainsi elle n’etait pas nue. Elle loua un ane pour un peu d’argent, puis suspendit son filet a 1a queue de l’ane pour se faire tirer ainsi; donc elle n’etait pas a cheval, ni non plus en voiture. Ensuite, elle fit cheminer l’ane dans l’orniere, de telle maniere qu’elle ne touchait le sol que du bout de l’orteil; et ainsi elle n’allait ni par la route, ni hors de la route. Lorsqu’elle fut arrivee de cette maniere, le roi declara qu’elle avait resolu l’enigme et qu’il n’avait qu’une parole. Il libera son pere de la prison et fit d’elle la reine en l’epousant; et il laissa entre ses mains tout le bien du royaume. Des annees plus tard, un jour que le roi allait passer ses troupes en revue, il se trouva que des paysans, en revenant de vendre leur bois, s’arreterent avec leurs chariots et leurs charrettes devant l’entree du chateau, sur la place. Les uns avaient des attelages de b?ufs, les autres de chevaux; et l’un d’eux avait attele trois chevaux, dont une jument qui mit bas a ce moment-la; et le petit poulain, en se debattant, finit par aller tomber sous le ventre de deux b?ufs atteles a la charrette qui stationnait devant. Ce fut l’origine d’une querelle entre les deux paysans lorsqu’ils revinrent a leurs voitures: celui des b?ufs pretendant garder le poulain qui etait sous le ventre de ses betes, et celui des chevaux le reclamant comme mis bas par sa jument. Des cris aux invectives, des invectives aux coups, la dispute s’envenima et fit un tel tapage que le roi dut intervenir et declara qu’ou etait le Poulain, la il devait rester, decidant ainsi que le paysan aux b?ufs aurait a lui ce poulain, qui pourtant n’etait pas a lui. L’autre paysan, celui aux chevaux, s’en alla en pleurant et en se lamentant de la perte de son poulain; et comme il avait entendu dire que la reine avait le c?ur charitable, elle qui etait d’origine paysanne au surplus, il alla la trouver pour lui demander son aide et la prier de faire qu’il put rentrer en possession de son poulain.

– C’est possible, lui dit-elle, a la condition que tu ne ni trahisses point, et je vais te dire comment il faut faire. Demain matin de bonne heure, quand le roi sortira pour aller passe sa garde en revue, tu te tiendras sur son passage, en travers du chemin qu’il doit emprunter, et tu auras un grand filet de peche que tu jetteras et retireras comme si tu pechais dans l’eau faisant comme s’il etait plein de poissons. Elle lui dit egalement ce qu’il lui faudrait repondre aux questions que le roi ne manquerait pas de lui faire poser. Le lendemain donc, quand passa le roi, le paysan etait en train de pecher sur le sec, lancant son filet et le ramassant pour secouer, avec tous les gestes du pecheur heureux. Un rnessager fut depeche vers ce fou pour lui demander, de la part du roi quelle etait son idee.

– Je peche, fut sa reponse. Le messager ne manqua pas de lui demander comment il pouvait pecher, puisqu’il n’y avait pas d’eau.

– Aussi bien que deux b?ufs peuvent avoir un poulain, repondit le paysan, aussi bien peut-on pecher ou il n’y a pas d’eau; et c’est ce que je fais! Le messager rapporta ces paroles au roi, qui fit venir le paysan, lui disant que cette reponse ne venait pas de lui et qu’il voulait savoir de qui il l’avait apprise. Le paysan ne voulut rien reconnaitre et se borna a repeter. «Que Dieu vous garde! La reponse vient de moi.» On le coucha sur une botte de paille et on le batonna si longtemps et si durement qu’il finit par admettre et par reconnaitre que c’etait Sa Majeste la reine qui l’avait conseille. Le roi, des qu’il fut de retour au chateau, alla trouver la reine et lui dit:

– Pourquoi cette conduite, d’une duplicite impardonnable? Je ne veux plus de toi comme epouse; tu as fini ton temps ici et tu vas retourner d’ou tu viens, dans ta chaumiere paysanne. Mais a titre de cadeau d’adieu, il lui permit d’emporter avec elle ce qu’elle choisirait comme la chose la plus precieuse et qu’elle aimait le mieux.

– Tres bien, mon cher mari, lui dit-elle, puisque tels sont tes ordres, j’obeirai et je ferai ce que tu dis. Elle se jeta dans ses bras et l’embrassa, en lui disant qu’avant de partir elle viendrait encore prendre conge de lui. Elle prepara bien vite une boisson fortement narcotique et la lui presenta comme le verre de l’adieu. Le roi en but une bonne dose, cependant qu’elle faisait mine d’y tremper les levres, et quand elle le vit succomber au sommeil, elle appela ses serviteurs et se fit apporter une belle et blanche toile de lin, dans laquelle elle l’enveloppa completement; puis elle leur fit porter ce lourd paquet jusqu’a sa voiture, devant la porte exterieure du palais. Elle emporta le dormeur jusque dans sa chaumiere, ou elle le coucha sur son petit lit de jeune fille, pour l’y laisser dormir jour et nuit aussi longtemps que se prolongea l’effet du narcotique. Lorsqu’il se reveilla, il regarda avec stupefaction autour de lui, ne comprenant ni ou il se trouvait, ni ce qu’il lui arrivait. Il appela ses serviteurs, apres diverses exclamations de surprise, mais personne ne vint et nul ne repondit. Ce fut sa femme, pour finir, qui arriva devant son lit et qui lui dit: – Mon cher seigneur, vous m’avez commande et permis d’emporter du chateau ce que j’aimais le plus et ce que je tenais comme le bien le plus precieux; et comme je n’aime au monde rien plus que vous, comme je n’ai aucun bien qui me soit plus precieux, je vous ai pris avec moi pour vous garder dans ma chaumiere! Le roi en eut les larmes aux yeux. – Ma chere femme, lui dit-il, tu es mienne comme je suis tien! Il la ramena dans le chateau royal pour y celebrer de nouvelles noces avec elle – et sans doute y vivent-ils encore a l’heure qu’il est.

Jean-le-Fidele

Il etait une fois un vieux roi malade qui, sentant la mort approcher fit appeler son plus devoue serviteur. Il lui dit:

«Fidele Jean, je vais bientot quitter cette terre, et je n’emporte qu’un seul regret: laisser derriere moi un fils trop jeune pour savoir se conduire lui-meme et gouverner son royaume. Si tu ne me promets pas de lui enseigner tout ce qu’il doit savoir et de lui servir de guide, je ne saurai mourir en paix.»

Le fidele Jean etait vieux, il repondit pourtant: «Je ne quitterai jamais le prince et je le servirai de toutes mes forces, meme si je dois les epuiser a son service.

– Merci, fidele Jean, dit le roi. Grace a toi je mourrai en paix… Apres ma mort, tu feras visiter a mon fils tout le chateau, depuis le sommet des tours jusqu’aux oubliettes les plus profondes; tu lui montreras ou sont les tresors et les reserves, mais tu ne le laisseras pas penetrer dans la derniere chambre de la tour du nord. La, se trouve le portrait de la princesse du Castel d’Or. S’il le voit, de grands malheurs en decouleront et mieux vaut ignorer l’existence de cette princesse que de chercher a l’approcher.»

Le fidele Jean s’engagea a respecter les volontes du roi mourant et peu apres celui-ci rendit l’ame.

Quand le temps du deuil fut ecoule, le fidele serviteur dit a son nouveau maitre:

«Il est temps pour vous de connaitre votre heritage. Venez avec moi, je vais vous faire visiter le chateau de vos peres.»

Il conduisit le jeune roi a travers les salles et les galeries, les escaliers et les tourelles, lui fit admirer bien des tapisseries et des meubles precieux, ouvrit de nombreux coffres pleins d’or ou de monnaies rares, mais laissa bien close la porte de la tour du nord, ou se trouvait le portrait de la princesse du Castel d’Or.

Ce portrait se trouvait place de telle sorte qu’on le voyait des qu’on entrait dans la piece, et il etait peint de si merveilleuse facon qu’on croyait voir la princesse sourire et respirer, comme si elle se tenait la, vivante.

Le jeune roi, cependant, remarqua que le fidele Jean passait devant cette porte sans l’ouvrir et lui en demanda la raison.

«Parce que, repondit le fidele Jean, il y a dans cette piece quelque chose qui vous ferait peur.

«Je veux le voir», repeta le jeune roi, cherchant a ouvrir la porte, mais Jean le retint.

«Non, dit-il, j’ai promis au roi votre pere que vous ne verriez pas ce que contient cette piece. Si vous y jetiez un seul coup d’?il, les plus grands malheurs pourraient en resulter et pour vous et pour votre royaume.

– Le plus grand malheur, dit le prince, serait plutot que je ne puisse y entrer, car alors, de jour ni de nuit, je ne pourrai trouver le repos. Je ne bougerai pas d’ici tant que tu n’auras pas ouvert cette porte.» Le fidele Jean comprit que le jeune roi ne changerait pas d’avis; alors il prit son trousseau de clefs, en choisit une et, a regret, l’introduisit dans la serrure.

Il penetra le premier dans la piece, esperant avoir le temps de couvrir le tableau, mais il etait deja trop tard: le prince, entre sur ses talons, vit le portrait, son regard rencontra celui de la princesse et il tomba sur le plancher, evanoui.

«Le malheur est arrive. Qu’allons-nous devenir, a present?» se dit le fidele Jean avec angoisse.

Enfin le roi ouvrit les yeux. Ses premieres paroles furent pour demander qui etait cette ravissante princesse, et quand le fidele serviteur eut repondu a sa question, il dit:

«Si toutes les feuilles de tous les arbres etaient des langues parlant nuit et jour, elles ne sauraient assez dire a quel point je l’aime. Ma vie depend d’elle et je pars immediatement a sa recherche. Toi, qui es mon fidele Jean, tu m’accompagneras.»

Le fidele serviteur essaya de raisonner son maitre, mais ce fut bien inutile. Il comprit qu’il fallait lui ceder et, apres avoir longuement reflechi, il mit au point un projet qui devait lui permettre d’arriver aupres de l’inaccessible princesse.

«Tout ce qui entoure le roi et sa fille est en or, dit-il enfin a son maitre, et elle n’aime que ce qui est en or. Dans votre tresor il y a cinq tonnes de ce metal precieux, mettez-les a la disposition de vos orfevres afin qu’ils les transforment en objets de toutes sortes, qu’ils les decorent d’oiseaux et de betes sauvages; je sais que cela lui plaira. Des que tout sera pret, nous embarquerons et tenterons notre chance.»

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