Tout, dans ce monde-la, est extraordinairement grand: une mouche ordinaire, par exemple, est presque aussi grosse qu’un de nos moutons. Les armes usuelles des habitants de la lune sont des raiforts qu’ils man?uvrent comme des javelots, et qui tuent ceux qui en sont atteints. Lorsque la saison des raiforts est passee, ils emploient des tiges d’asperges. Pour boucliers, ils ont de vastes champignons.
Je vis en outre dans ce pays quelques naturels de Sirius venus la pour affaires; ils ont des tetes de bouledogue et les yeux places au bout du nez, ou plutot a la partie inferieure de cet appendice. Ils sont prives de sourcils; mais lorsqu’ils veulent dormir, ils se couvrent les yeux avec leur langue; leur taille moyenne est de vingt pieds; celle des habitants de la lune n’est jamais au-dessous de trente-six pieds. Le nom que portent ces derniers est assez singulier; il peut se traduire par celui d’
Les joies de l’amour sont completement inconnues dans la lune; car, chez les etres cuisants aussi bien que chez les autres animaux, il n’existe qu’un seul et meme sexe. Tout pousse sur des arbres qui different a l’infini les uns des autres, suivant les fruits qu’ils portent. Ceux qui produisent les etres cuisants ou hommes sont beaucoup plus beaux que les autres; ils ont de grandes branches droites et des feuilles couleur de chair; leur fruit consiste en noix a ecorce tres dure, et longues d’au moins six pieds. Lorsqu’elles sont mures, ce qu’on reconnait a leur couleur, on les cueille avec un grand soin, et on les conserve aussi longtemps qu’on le juge convenable. Quand on veut retirer le noyau, on les jette dans une grande chaudiere d’eau bouillante; au bout de quelques heures, l’ecorce tombe, et il en sort une creature vivante.
Avant qu’ils viennent au monde, leur esprit a deja recu une destination determinee par la nature.
D’une ecorce sort un soldat, d’une autre un philosophe, d’une troisieme un theologien; d’une quatrieme un jurisconsulte, d’une cinquieme un fermier, d’une sixieme un paysan, et ainsi de suite, et chacun se met aussitot a pratiquer ce qu’il connait deja theoriquement. La difficulte consiste a juger avec certitude ce que contient l’ecorce; au moment ou je me trouvais dans le pays,un savant lunaire affirmait a grand bruit qu’il possedait ce secret. Mais on ne fit pas attention a lui, et on le tint generalement pour fou.
Lorsque les gens de la lune deviennent vieux, ils ne meurent pas, mais ils se dissolvent dans l’air et s’evanouissent en fumee.
Ils n’eprouvent pas le besoin de boire, n’etant asservis a aucune excretion. Ils n’ont a chaque main qu’un seul doigt avec lequel ils executent tout beaucoup mieux que nous ne le faisons avec notre pouce et ses quatre aides.
Ils portent leur tete sous le bras droit, et, lorsqu’ils vont en voyage ou qu’ils sont a executer quelque travail qui exige beaucoup de mouvement, ils la laissent habituellement a la maison; car ils peuvent lui demander conseil a n’importe quelle distance.
Les hauts personnages de la lune, lorsqu’ils veulent savoir ce que font les gens du peuple, n’ont pas coutume d’aller les trouver; ils restent a la maison, c’est-a-dire que leur Corps reste chez eux, et qu’ils envoient leur tete dans la rue pour voir incognito ce qui s’y passe. Une fois les renseignements recueillis, elle revient des que le maitre la rappelle.
Les pepins de raisin lunaire ressemblent exactement a nos grelons, et je suis fermement convaincu que, lorsqu’une tempete detache les grains de leur tige, les pepins tombent sur notre terre et forment notre grele. Je suis meme porte a croire que cette observation doit etre connue depuis longtemps de plus d’un marchand de vin; du moins j’ai bien souvent bu du vin qui m’a paru fait de grelons, et dont le gout rappelait celui du vin de la lune.
J’allais oublier un detail des plus interessants. Les habitants de la lune se servent de leur ventre comme des gibecieres; ils y fourrent tout ce dont ils ont besoin, l’ouvrent et le ferment a volonte comme leur estomac, car ils ne sont pas embarrasses d’entrailles, ni de c?ur, ni de foie; ils ne portent non plus pas de vetements, l’absence de sexe les dispensant de pudeur.
Ils peuvent a leur gre oter et remettre leurs yeux, et, lorsqu’ils les tiennent a la main, ils voient aussi bien que s’ils les avaient sur la figure. Si, par hasard, ils en perdent ou en cassent un, ils peuvent en louer ou en acheter un nouveau, qui leur fait le meme service que l’autre; aussi rencontre-t-on dans la lune, a chaque coin de rue, des gens qui vendent des yeux; ils en ont les assortiments les plus varies, car la mode change souvent: tantot ce sont les yeux bleus, tantot les yeux noirs, qui sont mieux portes.
Je conviens; messieurs, que tout cela doit vous paraitre etrange; mais je prie ceux qui douteraient de ma sincerite de se rendre eux-memes dans la lune, pour se convaincre que je suis reste plus fidele a la verite qu’aucun autre voyageur.
CHAPITRE XVII Voyage a travers la terre et autres aventures remarquables.
Si je m’en rapporte a vos yeux, je suis sur que je me fatiguerais plus vite a vous raconter les evenements extraordinaires de ma vie que vous a les ecouter. Votre complaisance est trop flatteuse pour que je m’en tienne, ainsi que je me l’etais propose, au recit de mon second voyage dans la lune. Ecoutez donc, s’il vous plait, une histoire dont l’authenticite est aussi incontestable que celle de la precedente, mais qui la surpasse par l’etrangete et le merveilleux dont elle est empreinte.
La lecture du
Un matin de bonne heure, je sortais d’une chaumiere situee au pied de la montagne, fermement resolu a examiner, dut-il m’en couter la vie, l’interieur de ce celebre volcan. Apres trois heures d’une marche des plus penibles, j’atteignis le sommet de la montagne. Depuis trois semaines le volcan grondait sans discontinuer. Je ne doute pas, messieurs, que vous ne connaissiez l’Etna par les nombreuses descriptions qui en ont ete faites: je n’essayerai donc pas de vous redire ce que vous savez aussi bien que moi, et j’epargnerai a moi une peine et a vous une fatigue inutile.
Je fis trois fois le tour du cratere – dont vous pouvez avoir une idee en vous figurant un immense entonnoir -, et, reconnaissant que j’aurais beau tourner, cela ne m’avancerait guere, je pris bravement ma resolution, et je me decidai a sauter dedans. A peine eus-je execute le saut, que je me sentis comme plonge dans un bain de vapeur brulante; les charbons ardents qui jaillissaient sans relache endommagerent et brulerent en tous sens mon pauvre corps.
Vulcain me fit une description tres detaillee de l’Etna. Il m’expliqua comme quoi cette montagne n’etait qu’un amas de cendres sorties de la fournaise; qu’il etait souvent oblige de sevir contre ses ouvriers; qu’alors, dans sa colere, il leur jetait des charbons ardents qu’ils paraient avec une grande adresse en les laissant passer sur la terre, afin de le laisser epuiser ses munitions. «Nos dissensions, ajouta-t-il, durent quelquefois plusieurs mois, et les phenomenes qu’elles produisent a la surface de la terre sont ce que vous appelez, je crois, des eruptions. Le mont Vesuve est egalement une de mes forges: une galerie de trois cent cinquante milles de longueur m’y conduit en passant sous le lit de la mer: la aussi des dissensions semblables amenent sur la terre des accidents analogues.»
Si je me plaisais a la conversation instructive du mari, je goutais encore davantage la societe de la femme, et je n’aurais peut-etre jamais quitte ce palais souterrain, si quelques mauvaises langues n’avaient mis la puce a l’oreille au seigneur Vulcain, et n’avaient allume dans son c?ur le feu de la jalousie. Sans me prevenir le moins du monde, il me saisit un matin au collet, comme j’assistais la belle deesse a sa toilette, et m’emmena dans une chambre que je n’avais pas encore vue: la il me tint suspendu au-dessus d’une espece de puits profond, et me dit: «Ingrat mortel, retourne dans le monde d’ou tu es venu!»
Je regardai tout autour de moi, mais je ne voyais de tous cotes que de l’eau. La temperature etait tout autre que celle a laquelle je m’etais accoutume chez le seigneur Vulcain. Enfin je decouvris a quelque distance un objet qui avait l’apparence d’un enorme rocher, et qui semblait se diriger vers moi: je reconnus bientot que c’etait un glacon flottant. Apres beaucoup de recherches, je trouvai enfin un endroit ou je pus m’accrocher, et je parvins a gravir jusqu’au sommet. A mon grand desespoir, je ne decouvris aucun indice qui m’annoncat le voisinage de la terre. Enfin, avant la tombee de la nuit, j’apercus un navire qui s’avancait de mon cote. Des qu’il fut a portee de la voix, je le helai de toutes mes forces: il me repondit en hollandais. Je me jetai a la mer, et nageai jusqu’au navire ou l’on m’amena a bord. Je demandai ou nous etions. «Dans la mer du Sud», me repondit-on. Ce fait expliquait toute l’enigme. Il etait evident que j’avais traverse le centre du globe et que j’etais tombe par l’Etna dans la mer du Sud: ce qui est beaucoup plus direct que de faire le tour du monde. Personne avant moi n’avait encore tente ce passage, et si je refais jamais le voyage; je me promets bien d’en rapporter des observations du plus haut interet.
Je me fis donner quelques rafraichissements et je me couchai. Quels grossiers personnages, messieurs, que les Hollandais! Le lendemain je racontai mon aventure aux officiers aussi exactement et aussi simplement que je viens de le faire ici, et plusieurs d’entre eux, le capitaine surtout, firent mine de douter de l’authenticite de mes paroles. Cependant comme ils m’avaient donne l’hospitalite a leur bord, et que si je vivais c’etait grace a eux, il me fallut bien empocher l’humiliation sans repliquer.
Je m’enquis ensuite du but de leur voyage. Ils me repondirent qu’ils faisaient une expedition de decouverte et que si ce que je leur avais raconte etait vrai, leur but etait atteint. Nous nous trouvions precisement sur la route qu’avait suivie le capitaine Cook, et nous arrivames le lendemain a Botany Bay, lieu ou le gouvernement anglais devrait envoyer non pas ses mauvais garnements pour les punir, mais des honnetes gens pour les recompenser, tant ce pays est beau et richement dote par la nature.
Nous ne restames que trois jours a Botany Bay. Le quatrieme jour apres notre depart il s’eleva une effroyable tempete qui dechira toutes nos voiles, rompit notre beaupre, abattit notre mat de perroquet, lequel tomba sur la cahute ou etait enfermee notre boussole et la mit en pieces. Quiconque a navigue sait quelles peuvent etre les consequences d’un pareil accident. Nous ne savions plus ou nous etions, ni ou aller. Enfin la tempete s’apaisa, et fut suivie d’une bonne brise continue. Nous naviguions depuis trois mois et nous devions avoir fait enormement de chemin, lorsque tout a coup nous remarquames un changement singulier dans tout ce qui nous entourait. Nous nous sentions tout gais et tout dispos, notre nez s’emplissait des odeurs les plus douces et les plus balsamiques; la mer elle-meme avait change de couleur: elle n’etait plus verte, mais blanche.
Bientot apres nous apercumes la terre, et a quelque distance un port vers lequel nous nous dirigeames et que nous trouvames spacieux et profond. Au lieu d’eau, il etait rempli d’un lait exquis. Nous descendimes a terre et nous vimes que l’ile tout entiere consistait en un immense fromage. Nous ne nous en serions peut-etre pas apercus, si une circonstance particuliere ne nous avait mis sur la trace. Nous avions sur notre navire un matelot qui professait pour le fromage une antipathie naturelle. En posant le pied sur la terre, il tomba evanoui. Quand il revint a lui, il demanda qu’on retirat le fromage de dessous ses pieds; on verifia, et on reconnut qu’il avait parfaitement raison, cette ile n’etait comme je viens de vous le dire, qu’un enorme fromage. La plupart des habitants s’en nourrissaient; les parties mangees pendant le jour etaient remplacees pendant la nuit. Nous vimes dans cette ile une grande quantite de vignes chargees de grosses grappes, lesquelles, lorsqu’on les pressait, ne donnaient que du lait. Les insulaires etaient sveltes et beaux, la plupart avaient neuf pieds de haut; ils avaient trois jambes et un bras, et les adultes portaient sur le front une corne dont ils se servaient avec une adresse remarquable. Ils font des courses sur la surface du lait, et s’y promenent sans y enfoncer avec autant d’assurance que nous sur une pelouse.
Il croissait sur cette ile, ou plutot sur ce fromage, une grande quantite de ble dont les epis, semblables a des champignons, contenaient des pains tout cuits et prets a etre manges. En traversant ce fromage nous rencontrames sept fleuves de lait et deux de vin.
Apres un voyage de seize jours, nous atteignimes le rivage oppose a celui ou nous avions aborde. Nous trouvames dans cette partie de l’ile des plaines entieres de ce fromage bleu a force de vieillesse, dont les amateurs font si grand cas. Mais, au lieu d’y rencontrer des vers, on y voyait croitre de magnifiques arbres fruitiers, tels que cerisiers, abricotiers, pechers, et vingt autres especes que nous ne connaissons point. Ces arbres, qui sont extraordinairement grands et gros, abritaient une immense quantite de nids d’oiseaux. Nous remarquames entre autres un nid d’alcyons, dont la circonference etait cinq fois grande comme la coupole de Saint-Paul a Londres; il etait artistement construit d’arbres gigantesques, et il contenait… – attendez, que je me rappelle bien le chiffre! – il contenait cinq cents ?ufs dont le plus petit etait au moins aussi gros qu’un muid. Nous ne pumes pas voir les jeunes qui etaient dedans, mais nous les entendimes siffler. Ayant ouvert a grand-peine un de ces ?ufs, nous en vimes sortir un petit oiseau sans plumes, gros environ comme vingt de nos vautours. A peine avions-nous fait eclore le jeune oiseau que le vieux alcyon se jeta sur nous, saisit notre capitaine dans une de ses serres, l’enleva a la hauteur d’une bonne lieue, le frappa violemment avec ses ailes et le laissa tomber dans la mer.