Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen (illustre) - Burger Gottfried August 2 стр.


J’eus une aventure a peu pres semblable avec une compagnie de perdreaux. J’etais sorti pour essayer un nouveau fusil, et j’avais epuise ma provision de petit plomb, lorsque, contre toute attente, je vis se lever sous mes pieds une compagnie de perdreaux. Le desir d’en voir le soir meme figurer quelques-uns sur ma table m’inspira un moyen que, sur ma parole, messieurs, je vous conseille d’employer en pareille circonstance. Des que j’eus remarque la place ou le gibier s’etait abattu, je chargeai rapidement mon arme et j’y glissai en guise de plomb ma baguette, dont je laissai depasser l’extremite hors du canon. Je me dirigeai vers les perdreaux, je tirai au moment ou ils prenaient leur vol, et, a quelques pas de la ma baguette retomba ornee de sept pieces, qui durent etre fort surprises de se trouver si subitement mises a la broche; ce qui justifie le proverbe qui dit: «Aide-toi, le ciel t’aidera.»

Une autre fois, je rencontrai dans une des grandes forets de la Russie un magnifique renard bleu. C’eut ete grand dommage de trouer cette precieuse fourrure d’une balle ou d’une decharge de plomb. Maitre renard etait tapi derriere un arbre. Je retirai aussitot la balle du canon et la remplacai par un bon clou: je fis feu, et si habilement, que la queue du renard se trouva fichee a l’arbre. Alors je m’avancai tranquillement vers lui, je pris mon couteau de chasse et lui fis sur la face une double entaille en forme de croix; je pris ensuite mon fouet et le chassai si joliment hors de sa peau que c’etait plaisir a voir.

Le hasard et la chance se chargent souvent de reparer nos fautes; en voici un exemple. Un jour, je vois dans une epaisse foret une laie et un marcassin qui courent sur moi. Je tire, et les manque. Mais voila le marcassin qui continue sa route, et la laie qui s’arrete immobile comme fichee au sol. Je m’approche pour chercher la cause de cette immobilite, et je m’apercois que j’avais affaire a une laie aveugle, qui tenait entre ses dents la queue du marcassin, lequel, dans sa piete filiale, lui servait de guide. Ma balle, ayant passe entre les deux betes, avait coupe le fil conducteur, dont la vieille laie conservait encore une extremite: ne se sentant plus tiree par son guide, elle s’etait arretee. Je saisis aussitot ce fragment de queue, et je ramenai chez moi, sans peine et sans resistance, la pauvre bete infirme.

Si dangereux que soit cet animal, le sanglier est encore plus redoutable et plus feroce. J’en rencontrai un jour un dans une foret, dans un moment ou je n’etais prepare ni a la defense ni a l’attaque. J’avais a peine eu le temps de me refugier derriere un arbre, que l’animal se jeta sur moi de tout son elan, pour me donner un coup de cote; mais, au lieu de m’entrer dans le corps, ses defenses penetrerent si profondement dans le tronc, qu’il ne put les retirer pour fondre une seconde fois sur moi.

«Ha, ha! pensai-je, a nous deux maintenant!»

Je pris une pierre, et je cognai de toutes mes forces sur ces defenses, de facon qu’il lui fut absolument impossible de se degager. Il n’avait qu’a attendre que je decidasse de son sort: j’allai chercher des cordes et un chariot au village voisin, et le rapportai fortement garrotte et vivant a la maison.

Vous avez assurement entendu parler, messieurs, de saint Hubert, le patron des chasseurs et des tireurs, ainsi que du cerf qui lui apparut dans une foret, portant la sainte croix entre ses cors. Je n’ai jamais manque de feter chaque annee ce saint en bonne compagnie, et j’ai bien souvent vu son cerf represente en peinture dans les eglises, ainsi que sur la poitrine des chevaliers de l’ordre qui porte son nom; aussi, en mon ame et conscience, sur mon honneur de brave chasseur, je n’oserais pas nier qu’il n’y ait eu autrefois des cerfs coiffes de croix, et meme qu’il n’en existe pas encore aujourd’hui. Mais, sans entrer dans cette discussion, permettez-moi de vous raconter ce que j’ai vu de mes propres yeux. Un jour que je n’avais plus de plomb, je donnai, par un hasard inespere, sur le plus beau cerf du monde. Il s’arreta et me regarda fixement, comme s’il eut su que ma poire a plombs etait vide. Aussitot je mis dans mon fusil une charge de poudre, et j’y insinuai une poignee de noyaux de cerises, que j’avais aussi vite que possible debarrasses de leur chair. Je lui envoyais le tout sur le front, entre les deux cors. Le coup l’etourdit: il chancela, puis il se remit et disparut. Un ou deux ans apres, je repassais dans la meme foret, et voila, o surprise! que j’apercois un magnifique cerf portant entre les cors un superbe cerisier, haut de dix pieds, pour le moins. Je me souvins alors de ma premiere aventure, et, considerant l’animal comme une propriete depuis longtemps mienne, d’une balle je l’etendis a terre, de sorte que je gagnai a la fois le roti et le dessert; car l’arbre etait charge de fruits, les meilleurs et les plus delicats que j’eusse manges de ma vie. Qui peut dire, apres cela, que quelque pieux et passionne chasseur, abbe ou eveque, n’ait pas seme de la meme facon la croix entre les cors du cerf de saint Hubert? Dans les cas extremes, un bon chasseur a recours a n’importe quel expedient plutot que de laisser echapper une belle occasion, et je me suis trouve moi-meme maintes fois oblige de me tirer par ma seule habilete des passes les plus perilleuses.

Que dites-vous, par exemple, du cas suivant?

Je me trouvais, a la tombee de la nuit, a bout de munitions, dans une foret de Pologne. Je m’en retournais a la maison, lorsqu’un ours enorme, furieux, la gueule ouverte, pret a me devorer, me barre le passage. En vain je cherche dans toutes mes poches de la poudre et du plomb. Je ne trouve rien que deux pierres a fusil, que j’ai l’habitude d’emporter par precaution. J’en lance violemment une dans la gueule de l’animal, qui penetre jusqu’au fond de son gosier. Ce traitement n’etant pas du gout du monstre, ma bete fait demi-tour, ce qui me permet de jeter une seconde pierre contre sa porte de derriere. L’expedient reussit admirablement. Non seulement le second silex arriva a son adresse, mais il rencontra le premier: le choc produisit du feu, et l’ours eclata avec une explosion terrible. Je suis sur qu’un argument a priori lance ainsi contre un argument a posteriori ferait, au moral, un effet analogue sur plus d’un savant.

Il etait ecrit que je devais etre attaque par les betes les plus terribles et les plus feroces, precisement dans les moments ou j’etais le moins en etat de leur tenir tete, comme si leur instinct les eut averties de ma faiblesse. C’est ainsi qu’une fois que je venais de devisser la pierre de mon fusil pour la raviver, un monstre d’ours s’elance en hurlant vers moi. Tout ce que je pouvais faire, c’etait de me refugier sur un arbre, afin de me preparer a la defense. Malheureusement, en grimpant, je laissai tomber mon couteau, et je n’avais plus rien que mes doigts, ce qui etait insuffisant, pour visser ma pierre. L’ours se dressait au pied de l’arbre, et je m’attendais a etre devore d’un moment a l’autre.

J’aurais pu allumer mon amorce en tirant du feu de mes yeux, comme je l’avais fait dans une circonstance precedente; mais cet expedient ne me tentait que mediocrement: il m’avait occasionne un mal d’yeux dont je n’etais pas encore complete

ment gueri. Je regardai desesperement mon couteau pique dans la neige; mais tout mon desespoir n’avancait pas les choses d’un cran. Enfin il me vint une idee aussi heureuse que singuliere. Vous savez tous par experience que le vrai chasseur porte toujours, comme le philosophe, tout son bien avec lui: quant a moi, ma gibeciere est un veritable arsenal qui me fournit des ressources contre toutes les eventualites. J’y fouillai et en tirai d’abord une pelote de ficelle, puis un morceau de fer recourbe, puis une boite pleine de poix: la poix etant durcie par le froid, je la placai contre ma poitrine pour la ramollir. J’attachai ensuite a la corde le morceau de fer que j’enduisis abondamment de poix, et le laissai rapidement tomber a terre. Le morceau de fer enduit de poix se fixa au manche du couteau d’autant plus solidement que la poix, se refroidissant a l’air, formait comme un ciment; je parvins de la sorte, en man?uvrant avec precaution, a remonter le couteau. A peine avais-je revisse ma pierre, que maitre Martin se mit en devoir d’escalader l’arbre.

«Parbleu, pensai-je, il faut etre ours pour choisir si bien son moment!»

Et je l’accueillis avec une si belle decharge, qu’il perdit du coup l’envie de plus jamais monter aux arbres.

Une autre fois je fus serre de si pres par un loup que je n’eus, pour me defendre, d’autre ressource que de lui plonger mon poing dans la gueule. Pousse par l’instinct de ma conservation, je l’enfoncai toujours de plus en plus profondement, de facon que mon bras se trouvat engage jusqu’a l’epaule. Mais que faire apres cela? Pensez un peu a ma situation: nez a nez avec un loup! Je vous assure que nous ne nous faisions pas les yeux doux: si je retirais mon bras, la bete me sautait dessus infailliblement; je lisais clairement son intention dans son regard flamboyant. Bref, je lui empoignai les entrailles, les tirai a moi, retournai mon loup comme un gant, et le laissai mort sur la neige.

Je n’aurais assurement pas employe ce procede a l’egard d’un chien enrage qui me poursuivit un jour dans une ruelle de Saint-Petersbourg.

«Cette fois, me dis-je, tu n’as qu’a prendre tes jambes a ton coup!»

Pour mieux courir, je jetai mon manteau et me refugiai au plus vite chez moi. J’envoyai ensuite mon domestique chercher mon manteau, qu’il replaca dans l’armoire avec mes autres habits. Le lendemain, j’entendis un grand tapage dans la maison, et Jean qui venait vers moi en s’ecriant:

«Au nom du ciel, monsieur le baron, votre manteau est enrage!»

Je m’elance aussitot, et je vois tous mes vetements dechires et mis en pieces. Le drole avait dit vrai, mon manteau etait enrage: j’arrivai juste au moment ou le furibond se ruait sur un bel habit de gala tout neuf, et le secouait, et le depecait de la facon la plus impitoyable.

CHAPITRE III Des chiens et des chevaux du Baron de Munchhausen.

Dans toutes ces circonstances difficiles d’ou je me tirai toujours heureusement, quoique souvent au peril de mes jours, ce furent le courage et la presence d’esprit qui me permirent de surmonter tant d’obstacles. Ces deux qualites font, comme chacun sait, l’heureux chasseur, l’heureux soldat et l’heureux marin. Cependant celui-la serait un chasseur, un amiral ou un general imprudent et blamable, qui s’en remettrait en tout etat de cause a sa presence d’esprit ou a son courage, sans avoir recours ni aux ruses, ni aux instruments, ni aux auxiliaires qui peuvent assurer la reussite de son entreprise. Pour ce qui est de moi, je suis a l’abri de ce reproche, car je puis me vanter d’avoir toujours ete cite tant pour l’excellence de mes chevaux, de mes chiens et de mes armes, que pour l’habilete remarquable que je mets a les utiliser. Je ne voudrais pas vous entretenir des details de mes ecuries, de mes chenils ni de mes salles d’armes, comme ont coutume de le faire les palefreniers et les piqueurs, mais je ne peux pas ne pas vous parler de deux chiens qui se sont si particulierement distingues a mon service, que je ne les oublierai jamais.

L’un etait un chien couchant, si infatigable, si intelligent, si prudent, qu’on ne pouvait le voir sans me l’envier. Jour et nuit, il etait bon; la nuit je lui attachais une lanterne a la queue, et, en cet equipage, il chassait tout aussi bien, peut-etre mieux qu’en plein jour.

Peu de temps apres mon mariage, ma femme manifesta le desir de faire une partie de chasse. Je pris les devants pour faire lever quelque chose, et je ne tardai pas a voir mon chien arrete devant une compagnie de quelques centaines de perdreaux. J’attendis ma femme, qui venait derriere moi, avec mon lieutenant et un domestique: j’attendis longtemps, personne n’arrivait; enfin, assez inquiet, je retournai sur mes pas, et, quand je fus a moitie chemin, j’entendis des gemissements lamentables: ils semblaient etre tout pres, et cependant je n’apercevais nulle part trace d’etre vivant.

Je descendis de cheval, j’appliquai mon oreille contre le sol, et non seulement je compris que les gemissements venaient de dessous terre, mais encore je reconnus les voix de ma femme, de mon lieutenant et de mon domestique. Je remarquai en meme temps que non loin de l’endroit ou j’etais s’ouvrait un puits de mine de houille, et je ne doutai plus que ma femme et ses malheureux compagnons n’y eussent ete engloutis. Je courus ventre a terre au prochain village chercher les mineurs, qui, apres de grands efforts, parvinrent a retirer les infortunes de ce puits qui mesurait pour le moins quatre-vingt-dix pieds de profondeur.

Ils amenerent d’abord le domestique, son cheval, ensuite le lieutenant, puis son cheval; enfin ma femme, et apres elle son petit barbe. Le plus curieux de l’affaire, c’est que malgre cette chute effroyable, personne, ni gens ni bete, n’avait ete blesse, a l’exception de quelques contusions insignifiantes; mais ils etaient en proie a une extreme terreur. Comme vous pouvez l’imaginer, il n’y avait plus a penser a reprendre la chasse, et si, ainsi que je le suppose, vous avez oublie mon chien pendant ce recit, vous m’excuserez de l’avoir egalement oublie apres ce terrible evenement.

Le lendemain meme de ce jour, je dus partir pour affaire de service, et je fus retenu quinze jours hors de chez moi. Aussitot de retour, je demandai ma Diane. Personne ne s’en etait inquiete; mes gens croyaient qu’elle m’avait suivi; il fallait donc desesperer de la revoir jamais. A la fin une idee lumineuse me traversa l’esprit:

«Elle est peut-etre restee, me dis-je, en arret devant la compagnie de perdreaux!»

Je m’elance aussitot, plein d’espoir et de joie, et qu’est-ce que je trouve! ma chienne immobile a la place meme ou je l’avais laissee quinze jours auparavant. «Pille!» lui criai-je; en meme temps elle rompit l’arret, fit lever les perdreaux, et j’en abattis vingt-cinq d’un seul coup. Mais la pauvre bete eut a peine la force de revenir aupres de moi, tant elle etait extenuee et affamee. Je fus oblige, pour la ramener a la maison, de la prendre avec moi sur mon cheval: vous pensez du reste avec quelle joie je me pliai a cette incommodite. Quelques jours de repos et de bons soins la rendirent aussi fraiche et aussi vive qu’auparavant, et ce ne fut que plusieurs semaines plus tard que je me trouvai a meme de resoudre une enigme qui, sans ma chienne, me fut sans doute restee eternellement incomprehensible.

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