Aventures Et Mesaventures Du Baron De Munchhausen (illustre) - Burger Gottfried August 6 стр.


«Bonne chance! bonne chance, chasseur! lui criai-je; mais sur quoi tires-tu? Je ne vois rien que le bleu du ciel.

– Oh! repondit-il, j’essaye cette carabine qui me vient de chez Kuchenreicher, de Ratisbonne. Il y avait la-bas, sur la fleche de Strasbourg, un moineau que je viens d’abattre.»

Ceux qui connaissent ma passion pour les nobles plaisirs de la chasse ne s’etonneront pas si je leur dis que je sautai au cou de cet excellent tireur. Je n’epargnai rien pour le prendre a mon service: cela va de soi.

Nous poursuivimes notre voyage et nous atteignimes enfin le mont Liban. La nous trouvames, devant une grande foret de cedres, un homme court et trapu, attele a une corde qui enveloppait toute la foret.

«Qu’est-ce que tu tires la, mon ami? demandai-je a ce drole.

– J’etais venu pour couper du bois de construction, et, comme j’ai oublie ma hache a la maison, je tache de me tirer du mieux que je puis.»

En disant cela, il abattit d’un seul coup toute la foret, qui mesurait bien un mille carre, comme si c’eut ete un bouquet de roseaux. Vous devinez facilement ce que je fis. J’eusse sacrifie mon traitement d’ambassadeur, plutot que de laisser echapper ce gaillard-la.

Au moment ou nous mimes le pied sur le territoire egyptien, il s’eleva un ouragan si formidable que j’eus un instant peur d’etre renverse avec mes equipages, mes gens et mes chevaux, et d’etre emporte dans les airs. A gauche de la route il y avait une file de sept moulins dont les ailes tournaient aussi vite que le rouet de la plus active fileuse. Non loin de la se trouvait un personnage d’une corpulence digne de John Falstaff, et qui tenait son index appuye sur sa narine droite. Des qu’il eut apercu notre detresse et vu comme nous nous debarrions miserablement dans l’ouragan, il se tourna vers nous, et tira respectueusement son chapeau avec le geste d’un mousquetaire qui se decouvre devant son colonel. Le vent etait tombe comme par enchantement, et les sept moulins restaient immobiles. Fort surpris de cette circonstance qui ne me semblait pas naturelle, je criai a l’homme:

«He! drole! qu’est-ce la? As-tu le diable au corps, ou es-tu le diable en personne?

– Pardonnez-moi, Excellence, repondit-il; je fais un peu de vent pour mon maitre le meunier; de peur de faire tourner ses moulins trop fort, je m’etais bouche une narine.»

«Parbleu, me dis-je a moi-meme, voila un precieux sujet: ce gaillard-la te servira merveilleusement, lorsque, de retour chez toi, l’haleine te manquera pour raconter les aventures extraordinaires qui te seront arrivees dans tes voyages.»

Nous eumes bientot conclu notre marche. Le souffleur quitta ses moulins et me suivit.

Il etait temps que nous arrivassions au Caire. Des que j’y eus accompli ma mission selon mes desirs, je resolus de me defaire de ma suite, maintenant inutile, a l’exception de mes nouvelles acquisitions, et de m’en retourner seul avec ces derniers, en simple particulier. Comme le temps etait magnifique et le Nil plus admirable qu’on ne peut le dire, j’eus la fantaisie de louer une barque et de remonter jusqu’a Alexandrie. Tout alla pour le mieux jusqu’au milieu du troisieme jour.

Vous avez sans doute entendu parler, messieurs, des inondations annuelles du Nil. Le troisieme jour, comme je viens de vous le dire, le Nil commenca a monter avec une extreme rapidite, et le lendemain toute la campagne etait inondee sur plusieurs milles de chaque cote. Le cinquieme jour, apres le coucher su soleil, ma barque s’embarrassa dans quelque chose que je pris pour des roseaux. Mais le lendemain matin, quand il fit jour, nous nous trouvames entoures d’amandiers charges de fruits parfaitement murs et excellents a manger. La sonde nous indiqua soixante pieds au-dessus du fond: il n’y avait moyen ni de reculer, ni d’avancer. Vers huit ou neuf heures, autant que j’en pus juger d’apres la hauteur du soleil, il survint une rafale qui coucha notre bateau sur le cote: il embarqua une masse d’eau et coula presque immediatement.

Heureusement nous reussimes a nous sauver tous – nous etions huit hommes et deux enfants -, en nous accrochant aux arbres dont les branches, assez fortes pour nous soutenir, ne l’etaient pas assez pour supporter notre barque. Nous restames trois jours dans cette position, vivant exclusivement d’amandes; je n’ai pas besoin de vous dire que nous avions en abondance de quoi apaiser notre soif. Vingt-trois jours apres notre accident, l’eau commenca a baisser avec autant de rapidite qu’elle avait monte, et le vingt-sixieme jour nous pumes mettre pied a terre. Le premier objet qui frappa nos yeux fut notre barque. Elle gisait environ a deux cents toises de l’endroit ou elle avait coule bas. Apres avoir fait secher au soleil nos affaires qui en avaient grand besoin, nous primes dans les provisions de la barque ce qui nous etait necessaire, et nous nous remimes en marche pour retrouver notre route. D’apres les calculs les plus exacts, je comptai que nous avions ete entraines dans les terres a plus de cinquante milles hors de notre chemin. Au bout de sept jours nous atteignimes le fleuve qui etait rentre dans son lit, et racontames notre aventure a un bey. Il pourvut a tous nos besoins avec une extreme courtoisie, et mit sa propre barque a notre disposition. Six journees de voyage nous amenerent a Alexandrie, ou nous nous embarquames pour Constantinople. Je fus recu avec une distinction particulierement gracieuse par le Grand Seigneur, et j’eus j’honneur de voir le harem ou sa Hautesse me conduisit elle-meme et me permit de choisir autant de dames que je voudrais, sans en excepter ses favorites. N’ayant pas coutume de me vanter de mes aventures galantes, je termine ici ma narration, en vous souhaitant a tous une bonne nuit.

CHAPITRE XI Sixieme aventure de mer.

Ayant termine le recit de son voyage en Egypte, le baron se disposa a aller se coucher, juste au moment ou l’attention legerement fatiguee de son auditoire se reveillait a ce mot de

Depuis mon retour d’Egypte, je faisais la pluie et le beau temps chez le Grand Seigneur. Sa Hautesse ne pouvait vivre sans moi, et me priai tous les jours a souper et a diner chez lui. Je dois avouer, messieurs, que l’empereur des Turcs est de tous les potentats du monde celui qui fait la meilleure chere, quant au manger du moins; car, pour ce qui est de la boisson, vous savez que Mahomet interdit le vin a ses fideles. Il ne faut donc pas songer a boire un bon verre de ce liquide quand on dine chez un Turc. Mais pour ne pas se pratiquer ouvertement, la chose n’en a pas moins lieu frequemment en secret; et en depit du Coran, plus d’un Turc s’entend aussi bien qu’aucun prelat allemand a vider une bouteille. C’etait le cas de Sa Hautesse.

A ces diners auxquels assistait habituellement le surintendant general, c’est-a-dire le mufti

– Munchhausen, je crois que vous extravaguez.

– Je n’extravague point: dans une heure je vous apporte une bouteille de tokay prise dans la cave des empereurs d’Autriche, et d’un tout autre numero que cette piquette-la.

– Munchhausen! Munchhausen! vous voulez vous moquer de moi, cela ne me plait point. Je vous ai toujours connu pour un homme raisonnable et veridique, mais vraiment je suis tente de croire que vous battez la campagne.

– Eh bien! que Votre Hautesse accepte le pari. Si je ne remplis mon engagement – et vous savez que je suis ennemi jure des hableries -, Votre Hautesse sera libre de me faire couper la tete: et ma tete n’est pas une citrouille! Voila mon enjeu, quel est le votre?

– Tope! j’accepte, dit l’empereur. Si au coup de quatre heures la bouteille n’est pas la, je vous ferai couper la tete sans misericorde: car je n’ai pas l’habitude de me laisser jouer, meme par mes meilleurs amis. Par contre, si vous accomplissez votre promesse, vous pourrez prendre dans mon tresor autant d’or, d’argent, de perles et de pierres precieuses que l’homme le plus fort en pourra porter.

– Voila qui est parler», repondis-je.

Je demandai une plume et de l’encre, et j’ecrivis a l’imperatrice-reine Marie-Therese le billet suivant:

«Votre Majeste a sans doute, en sa qualite d’heritiere universelle de l’empire, herite de la cave de son illustre pere. Oserai-je la supplier de remettre au porteur une bouteille de ce tokay dont j’ai bu si souvent avec feu son pere? Mais du meilleur, car il s’agit d’un pari! Je saisis cette occasion pour assurer Votre Majeste du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’etre, etc., etc.»

«BARON DE MUNCHHAUSEN.»

Comme il etait deja trois heures et cinq minutes, je remis ce billet sans le cacheter a mon coureur, qui detacha ses poids et se mit immediatement en route pour Vienne.

Cela fait, nous bumes, le Grand Seigneur et moi, le reste de la bouteille, en attendant celle de Marie-Therese. Trois heures un quart sonnerent, trois heures et demie, quatre heures moins un quart, et le coureur ne revenait pas. J’avoue que je commencais a etre assez mal a mon aise, d’autant plus que je voyais Sa Hautesse diriger de temps en temps les yeux sur le cordon de la sonnette, pour appeler le bourreau. Il m’accorda cependant la permission de descendre dans le jardin pour prendre un peu l’air, escorte toutefois de deux muets qui ne me perdaient pas de vue. L’aiguille marquait la cinquante-cinquieme minute apres trois heures: j’etais dans une angoisse mortelle – c’etait le cas de le dire. J’envoyai chercher immediatement mon ecouteur et mon tireur. Ils arriverent aussitot; mon ecouteur se coucha a terre pour entendre si mon coureur ne venait pas: a mon grand desespoir, il m’annonca que le drole se trouvait fort loin de la profondement endormi et ronflant de tous ses poumons. A peine mon brave tireur eut-il appris cela, qu’il courut sur une terrasse elevee, et, se dressant sur ses pointes pour mieux voir, s’ecria: «Sur mon ame! je le vois, le paresseux: il est couche au pied d’un chene, aux environs de Belgrade, avec la bouteille a cote de lui. Attendez, je vais le chatouiller un peu.» En meme temps il ajusta sa carabine, et envoya la charge en plein dans le feuillage de l’arbre. Une grele de glands, de branches et de feuilles s’abattit sur le dormeur; craignant d’avoir repose trop longtemps, il reprit sa course avec une telle rapidite qu’il arriva au cabinet de sultan avec la bouteille de tokay et un billet autographe de Marie-Therese, a trois heures cinquante-neuf minutes et demi.

Saisissant aussitot la bouteille, le noble gourmet se mit a la deguster avec une indicible volupte.

«Munchhausen, me dit-il, vous ne trouverez point mauvais que je garde ce flacon pour moi tout seul. Vous avez a Vienne plus de credit que moi, et vous etes plus a meme d’en obtenir un second.»

La-dessus, il enferma la bouteille dans son armoire, mit la clef dans la poche de son pantalon, et sonna son tresorier. Quel ravissant tintement!

«Il faut maintenant que je paye ma gageure, reprit-il. Ecoute, dit-il au tresorier, tu laisseras mon ami Munchhausen prendre dans mon tresor autant d’or, de perles et de pierres precieuses que l’homme le plus fort en pourra porter? Va!»

Le tresorier s’inclina le nez jusqu’a terre devant son maitre, qui me serra cordialement la main et nous congedia tous deux.

Vous pensez bien que je ne tardai pas une seconde a faire executer l’ordre que le sultan avait donne en ma faveur; j’envoyai chercher mon homme fort qui apporta sa grosse corde de chanvre, et me rendis au tresor. Je vous assure que lorsque j’en sortis avec mon serviteur, il n’y restait plus grand-chose. Je courus incontinent avec mon butin au port, ou j’affretai le plus grand batiment que je pus trouver, et je fis lever l’ancre afin de mettre mon tresor en surete avant qu’il ne me survint quelque desagrement.

Ce que je craignais ne manqua pas d’arriver. Le tresorier, laissant ouverte la porte du tresor – il etait assez superflu de la refermer -, s’etait rendu en toute hate chez le Grand Seigneur, et lui avait annonce de quelle facon j’avais profite de sa liberalite. Sa Hautesse en etait restee tout abasourdie, et s’etait prise a se repentir de sa precipitation. Elle avait ordonne au grand amiral de me poursuivre avec toute sa flotte, et de me faire comprendre qu’elle n’avait point entendu la gageure de cette facon. Je n’avais que deux milles d’avance, et lorsque je vis la flotte de guerre turque courir sur moi toutes voiles dehors, j’avoue que ma tete, qui commencait a se raffermir sur mes epaules, se remit a branler plus fort que jamais. Mais mon souffleur etait la.

Назад Дальше