Quand Pinocchio se rendit compte que le carabinier barrait la rue, il tenta de le tromper en lui passant entre les jambes mais sa tentative echoua.
Sans bouger d’un pouce, le policier l’attrapa carrement par le nez (c’etait un nez tellement demesure qu’il paraissait n’exister que pour etre attrape par les carabiniers) et le rendit a Geppetto qui, en punition, decida de lui tirer les oreilles. Mais imaginez sa tete quand, cherchant les oreilles, il ne les trouva pas. Et savez-vous pourquoi? Parce que, dans sa precipitation, il avait tout simplement oublie de les faire.
Il le saisit donc par la nuque et, tout en le ramenant a la maison, lui secouait la tete et le menacait:
– On rentre. Et quand on sera rentres, on reglera nos comptes!
A ces mots, Pinocchio se jeta par terre et ne voulut plus marcher.
Immediatement, curieux et badauds se rapprocherent et commencerent a former un cercle autour d’eux.
Chacun donnait son avis. Certains disaient:
– Pauvre marionnette, elle a raison de ne pas vouloir rentrer. Qui sait si elle ne serait pas battue par ce diable de Geppetto!
Et les autres, malicieusement, en rajoutaient:
– Ce Geppetto semble un brave homme! Mais, en verite, c’est un vrai tyran avec les enfants! Si on lui laisse cette marionnette, il est capable de la mettre en pieces!
Ils firent et dirent tant et si bien que le carabinier libera Pinocchio et conduisit en prison le pauvre Geppetto. Incapable de trouver les mots pour se defendre, il pleurait comme un veau et, tout au long du chemin, murmurait en sanglotant:
– Sale gamin! Et dire que je me suis donne toute cette peine pour fabriquer une marionnette bien comme il faut! Tout reste a faire! J’aurais du y penser plus tot!
Ce qui arriva ensuite est une incroyable histoire. C’est cette histoire que je vais vous raconter maintenant.
Chapitre 4
L’histoire de Pinocchio et du Grillon-qui-parle. Ou l’on voit que les mechants garcons ne supportent pas d’etre contraries par qui en sait plus qu’eux.
Voila donc la suite, les enfants. Alors que le pauvre Geppetto etait conduit sans raison en prison, ce polisson de Pinocchio, sorti des griffes du carabinier, descendit a toutes jambes a travers champs pour rentrer plus vite a la maison. Dans sa course folle, il gravissait les plus hauts talus, sautait par dessus des haies de ronces et franchissait des fosses pleins d’eau, exactement comme un chevreau ou un jeune lievre poursuivi par des chasseurs. Arrive devant la maison, il trouva la porte fermee. Il lui donna une bourrade, entra, tira tous les verrous et s’affala par terre en poussant un grand soupir de satisfaction.
Mais la satisfaction dura peu car il entendit, quelque part dans la piece, quelqu’un qui faisait:
– Cri-cri-cri!
– Qui donc m’appelle? – demanda Pinocchio, apeure.
– C’est moi!
Il se retourna et vit un enorme Grillon qui grimpait lentement sur le mur.
– Dis-moi, Grillon, qui es-tu?
– Je suis le Grillon-qui-parle, et je vis dans cette piece depuis plus de cent ans.
– Ouais, mais maintenant c’est ma maison a moi – dit la marionnette – et si tu veux vraiment me faire plaisir, va-t-en tout de suite et ne reviens pas.
– Je ne partirai d’ici – repondit le Grillon – qu’apres t’avoir dit une verite essentielle.
– Bon, alors grouille-toi de me la dire.
– Malheur aux enfants qui se revoltent contre leurs parents et abandonnent par caprice la maison paternelle! Jamais ils ne trouveront le bien en ce monde et, tot ou tard, ils s’en repentiront amerement.
– Cause toujours, mon Grillon, tant qu’il te plaira: moi je sais que demain, a l’aube, je partirai d’ici car si je reste, il m’arrivera ce qui arrive a tous les enfants. C’est a dire qu’ils m’enverront a l’ecole et, que cela me plaise ou non, on m’obligera a etudier. Or moi, je te le dis en confidence, etudier ne me va pas du tout. Cela m’amuse beaucoup plus de courir derriere les papillons et de grimper dans les arbres pour denicher les oiseaux.
– Pauvre petit sot! Tu ne sais donc pas qu’en agissant ainsi tu deviendras le plus beau des anes et que tout le monde se paiera ta tete?
– Oh! La barbe Grillon de malheur! – cria Pinocchio.
Mais le Grillon, qui etait patient et philosophe, au lieu de prendre mal cette impertinence, continua sur le meme ton:
– S’il ne te plait pas d’aller a l’ecole, tu pourrais au moins apprendre un metier, de facon a pouvoir gagner ta vie honnetement.
– Tu veux que je te dise? – repliqua Pinocchio, qui commencait a s’enerver – Parmi tous les metiers du monde, un seul me conviendrait parfaitement.
– Et ce metier serait?…
– Celui qui consiste a manger, boire, dormir, m’amuser et me balader du matin au soir.
– Pour ta gouverne – lui repondit le Grillon-qui-parle avec son calme habituel – je te signale que ceux qui pratiquerent un tel metier ont tous fini leurs jours a l’hospice ou en prison.
– Cela suffit, Grillon de malheur!… Si la colere me prend, gare a toi!
– Pauvre Pinocchio! Tu me fais pitie!…
– Et pourquoi, Grillon?
– Parce que tu es une marionnette et, ce qui est terrible, que tu as donc la tete dure comme du bois.
Rendu absolument furieux par ces dernieres paroles, Pinocchio se leva d’un bond, s’empara d’un marteau sur l’etabli et le lanca a toute volee vers le Grillon-qui-parle. Peut-etre crut-il qu’il ne le toucherait meme pas.
Malheureusement, il le frappa en plein sur la tete, si bien que le pauvre Grillon, apres avoir fait une derniere fois cri-cri-cri, resta colle au mur, raide mort.
Chapitre 5
Pinocchio a faim et cherche un ?uf pour faire une omelette. Mais au moment de la manger, l’omelette s’envole par la fenetre.
La nuit commencait a tomber. Pinocchio ressentit un petit creux a l’estomac et se rappela qu’il n’avait rien mange.
Ce petit creux, chez les enfants, grandit rapidement. En peu de minutes, il se transforme en veritable faim et cette faim, subrepticement, devient faim de loup, une faim colossale.
Le pauvre Pinocchio commenca par se ruer vers la cheminee ou fumait une casserole et voulut enlever le couvercle pour voir ce qui cuisait. Mais cette casserole n’etant qu’une peinture murale, imaginez sa stupeur! Son nez, deja long, s’allongea encore plus, d’au moins quatre doigts.
Alors il se mit a courir comme un fou dans toute la piece, fouillant dans toutes les boites, inspectant les placards a la recherche d’un peu de pain sec, d’un crouton quelconque, d’un os pour chien, d’un restant de polenta moisie, d’une arete de poisson ou d’un noyau de cerise, bref de n’importe quoi a se mettre sous la dent, mais il ne trouva rien, absolument rien, rien de rien.
Or la faim grandissait et grandissait toujours. Cette faim provoquait en lui l’envie de bailler et ces baillements etaient si consequents que sa bouche s’etirait jusqu’aux oreilles. Il baillait, crachotait et sentait que son estomac lui descendait sur les talons.
Desespere, il se mit a pleurer:
– Le Grillon-qui-parle avait raison. Je n’aurais pas du me revolter contre mon papa ni me sauver de la maison. Si papa etait la, je n’en serais pas reduit a bailler a en mourir! Oh! Quelle sale maladie que d’avoir faim!
Mais voila qu’il lui sembla voir, dans un tas de poussiere, quelque chose de rond et blanc, comme un ?uf de poule. Il se jeta dessus d’un seul bond. C’etait bien un ?uf.
La joie de la marionnette fut indescriptible. Croyant rever, il tournait et retournait cet ?uf dans ses mains, le caressait et l’embrassait tout en disant:
– Et maintenant, comment vais-je le cuire? En omelette? A la coque? Sur le plat, ce ne serait pas plus savoureux? Oui, et c’est encore le moyen le plus rapide, j’ai trop envie de le manger.
Sitot dit, sitot fait: il mit un poelon sur un brasero aux cendres chaudes et versa, faute d’huile ou de beurre, un peu d’eau. Quand l’eau commenca a bouillir, tac!… elle fit eclater la coquille qui laissa s’echapper ce qu’il y avait a l’interieur.
Or, au lieu du blanc et du jaune de l’?uf, sortit un petit poussin tout content et tres poli qui, apres une belle reverence, dit:
– Merci mille fois, Monsieur Pinocchio, de m’avoir epargne la fatigue de rompre moi-meme ma coquille. Portez-vous bien et bonjour chez vous!
Puis il etendit ses ailes et, passant par la fenetre restee ouverte, s’envola dans le ciel et disparut a l’horizon.
La pauvre marionnette en resta paralysee, les yeux fixes, la bouche ouverte, la coquille cassee dans la main. Le choc passe, il se mit a pleurer, a crier, a taper des pieds par terre de desespoir et, tout en pleurant, s’exclama:
– Le Grillon-qui-parle avait donc raison! Si je ne m’etais pas sauve de la maison et si mon papa etait encore ici, je n’en serais pas reduit a mourir de faim! Oh! Quelle sale maladie que la faim!
Et, parce que son corps rouspetait plus que jamais et qu’il ne savait quoi faire pour le contenter, il songea a sortir pour une viree dans le voisinage, histoire de trouver quelque personne charitable qui lui ferait l’aumone d’un peu de pain.
Chapitre 6
Pinocchio s’endort les pieds poses sur le brasero et le lendemain matin ils sont entierement calcines.
Dehors, c’etait proprement infernal. Un terrible orage tonnait avec fracas et la nuit s’eclairait comme si le ciel avait pris feu, un vent glacial tournoyait, sifflant mechamment, soulevant un immense nuage de poussiere et faisant gemir tous les arbres de la campagne. Pinocchio avait tres peur du tonnerre et des eclairs, mais la faim etait encore plus forte que la peur. Alors il poussa la porte et, filant a toute allure, arriva dans le village une petite centaine de bonds plus loin, la langue pendante et le souffle court, comme un chien de chasse.
Tout etait dans l’obscurite. Les boutiques etaient fermees, closes les portes et les fenetres des maisons. Dans la rue, pas un chat. On aurait dit un village de morts.
Accable par le desespoir et la faim, Pinocchio se pendit a la sonnette d’une maison et carillonna, carillonna tout en se disant:
– Quelqu’un finira bien par se mettre a la fenetre.
Effectivement, un petit vieux apparut, son bonnet de nuit sur la tete et tres enerve:
– Qu’est-ce que vous voulez a cette heure-ci?
– Peut-etre serez-vous assez aimable de me donner un morceau de pain?
– D’accord, ne bouge pas, je reviens tout de suite – repondit le vieil homme qui croyait avoir a faire a l’un de ces vauriens capables de tout et qui, la nuit, s’amusent a tirer les sonnettes pour le seul plaisir de deranger les gens dormant tranquillement.
Trente secondes plus tard, la fenetre s’ouvrit de nouveau et le petit vieux cria a Pinocchio:
– Mets-toi bien dessous et tends ton chapeau.
Pinocchio enleva immediatement son couvre-chef, mais au moment ou il le tendait, il recut une bassine entiere d’eau qui l’arrosa de la tete au pied comme s’il etait un geranium desseche.
Revenu a la maison trempe jusqu’aux os, au comble de la fatigue et de la faim, n’ayant meme plus force de rester debout, il s’affala sur une chaise et posa ses pieds humides sur le brasero aux braises rouges.
Il s’endormit ainsi et, pendant qu’il dormait, ses pieds, qui etaient en bois, brulerent petit a petit jusqu’a etre reduits en cendre.
Malgre tout, Pinocchio continuait a dormir et a ronfler comme si ses pieds etaient ceux d’un autre. Il ne se reveilla qu’a l’aube parce que quelqu’un avait frappe a la porte.
– Qui est-ce? – questionna-t-il en baillant et en se frottant les yeux.
– C’est moi – repondit une voix.
Cette voix etait celle de Geppetto.