Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 - Жюльетта Бенцони 5 стр.


— Vous devriez m'offrir à boire, fit-elle en s'asseyant sans façon sur le pied du lit. Je meurs de soif et ce qu'il y a là-dedans semble si frais...

— C'est du vin de Meursault.

— Alors, donnez-moi du vin de Meursault, fit-elle avec un irrésistible sourire.

Il se hâta de s'exécuter, mit presque genou à terre pour lui offrir le gobelet plein qu'elle but à petits coups sans le quitter des yeux. Il paraissait tout à fait remis de sa surprise, mais son air émerveillé fit comprendre à la jeune femme qu'il n'arrivait pas à croire à sa chance.

— Pourquoi me regardez-vous comme cela ?

— Je n'arrive pas à réaliser que je ne rêve pas... que c'est bien vous qui êtes là, près de moi... chez moi.

Pourquoi n'y serais-je pas ? Nous sommes si bons amis, vous et moi !...

Mmmm... votre vin est délicieux ! Un peu traître, peut-être. Voilà que ma tête tourne légèrement ! Il vaut mieux que je ne reste pas ici...

Elle se leva, mais à peine debout, poussa un petit cri en portant la main à son front, vacilla sur ses jambes.

— Mais... que m'arrive-t-il ? Mon Dieu... Je me sens toute drôle...

Elle menaçait de tomber, mais Jacques, relevé d'un coup de rein, l'avait saisie à pleins bras, l'obligeait à se rasseoir sans pour cela la lâcher.

— Ce n'est rien, fit-il d'un ton rassurant. La chaleur... et aussi ce vin ! Il est très frais, le froid vous a surprise. Vous l'avez bu peut-être un peu vite...

— C'est que... j'avais tellement soif. Oh ! c'est affreux, j'étouffe...

Catherine portait maintenant ses mains tremblantes à son corsage comme si la mince carapace de soie verte, déjà largement décolletée, la serrait trop.

Elle fut tout de suite comprise. Jacques, n'écoutant que son désir de lui venir en aide, se mit à dénouer les lacets qui fermaient la robe, tandis que Catherine, comme si elle perdait connaissance, se renversait en arrière parmi les couvertures entassées. Ce mouvement fit jaillir hors de leur nid couleur de mer et presque sous le nez du jeune homme éperdu d'adorables rondeurs dont le parfum monta encore plus vite que le vin de Meursault à la tête de Jacques. Le malheureux garçon perdit à cette vue le peu de raison qui lui restait. Oubliant que le malaise de Catherine l'inquiétait fort, il étreignit vigoureusement la jeune femme et se mit à couvrir de baisers sa gorge découverte en murmurant des paroles incohérentes.

Les yeux apparemment clos, Catherine l'observait à travers ses cils et le laissa se griser d'elle quelques instants. Mais il fallait couper court à l'expérience avant qu'elle-même ne perdît la tête. Ce qui pouvait bien ne pas tarder à arriver car, après tout, Jacques était jeune, agréable sans être vraiment beau, et vigoureux comme un jeune chêne. Elle poussa un profond soupir et repoussa le jeune homme avec une vigueur qu'il eût sans doute trouvée étrange, chez une femme en faiblesse, s'il avait été de sang-froid.

Mais de sang-froid, il n'était plus question. Jacques en était au délire !

Quand Catherine se redressa, il voulut la reprendre dans ses bras, mais elle l'écarta doucement, jouant artistement la confusion devant le désordre de sa toilette.

— Que m'est-il arrivé ?... Mon Dieu... je me souviens, j'ai perdu connaissance. Cette chaleur... et puis ce vin ! Pardonnez-moi, mon ami (elle appuya perfidement sur le mot ami), je me suis conduite d'une façon lamentable. Je n'ai point coutume de m'évanouir ainsi

Mais il n'entendait rien. A genoux devant elle, il pétrissait sa main libre dans les siennes, l'implorant du regard.

— Ne partez pas encore. Restez... Reposez-vous un moment. Si vous saviez ce que votre présence est pour moi...

Elle dégageait malgré tout sa main, le repoussait doucement, se levait et s'avançait de quelques pas dans la chambre...

— Je sais, mon ami, je sais, fit-elle d'une voix mourante. Vous êtes le meilleur des amis. Je gage que, durant ce malaise, vous m'avez soignée avec toute l'habileté dont vous êtes capable. Car je me sens déjà mieux...

Il était toujours à genoux auprès du lit, mais incapable de supporter l'idée qu'elle allait s'éloigner, lui échapper alors qu'il avait été si près de réaliser un rêve bien doux et déjà ancien, il se leva, vint vers elle les mains tendues.

— Vous n'allez pas partir tout de suite, fit-il avec un sourire. Vous êtes encore faible... et il fait si chaud.

Catherine secoua la tête.

— Ne me tentez pas. Il faut que je rentre. Je ne sais même pas quelle heure il est.

— Il n'est pas tard. Buvez encore un peu de vin, proposa perfidement Jacques, cela vous remettra tout à fait. Et puis, vous ne m'avez pas encore dit ce qui me valait une si délicieuse visite.

Catherine, qui se dirigeait vers la porte, se retourna.

— Je n'ai plus soif. Et puis votre vin est dangereux, mon cher Jacques.

Quant à ce que j'avais à vous dire...

Elle prit un temps, lui adressa un sourire moqueur, puis, quittant le ton languissant qu'elle employait depuis un moment, retrouva sa voix normale, toute chargée d'ironie pour ajouter avec la plus traîtresse douceur :

— Je voulais simplement vous fournir quelque chose à raconter à Monseigneur Philippe sur la dame de Brazey. Je pense que, maintenant, vous avez de quoi écrire une longue et belle lettre au duc sur la manière dont vous entendez à la fois l'amitié... et les secours à porter aux dames évanouies. À votre place, je rappellerais le père Augustin. Ou bien préférez-vous que je l'écrive moi-même, votre lettre ? J'écris fort bien, vous savez ?

Mon oncle Mathieu prétend que j'en remontrerais à un bénédictin.

Après quoi, contente du tour qu'elle lui avait joué, elle s'enfuit vers l'escalier en éclatant d'un rire moqueur et dégringola les degrés au risque de se rompre le cou, poursuivie par les « Catherine ! Catherine ! » affolés du jeune capitaine. Mais elle ne s'arrêta pour reprendre haleine qu'une fois dans le jardin du palais.

Dans les jours qui suivirent, la Bourgogne eut besoin des forces, si chancelantes, de sa duchesse- douairière. Tandis que Philippe était occupé en Flandres, les troupes du roi Charles étendirent la guerre le long des frontières nord du duché. Les Armagnacs du bâtard de La Baume tenaient la campagne de l'Auxerrois et d'une partie de l'Avallonnais. Mais, désireux d'ouvrir au roi la route de Champagne, le connétable John Stuart de Buchant et le maréchal de Séverac mirent le siège devant Cravant. Il fallait faire face au danger.

Marguerite rassembla son courage, dépêcha les troupes dont elle disposait sous les ordres du maréchal de Toulongeon et adressa une lettre à son gendre Bedford pour lui demander de l'aide.

Le départ de la lettre de la duchesse pour Paris donna lieu à une scène tragique entre Marguerite et Ermengarde, scène dont Catherine fut le témoin désolé. Comme Ermengarde reprochait, avec douleur, à la malade de faire appel à l'Anglais, celle-ci tourna vers elle son visage creusé par la souffrance, se redressa sur ses oreillers avec l'aide de Catherine et tendit la main vers sa vieille amie :

— C'est la Bourgogne qui est attaquée, Ermengarde... La Bourgogne que mon fils, le duc régnant, m'a confiée... Pour la sauvegarder, pour la tenir intacte, et vivante, et sans souffrances, je serais capable de vendre mon âme au Diable et de l'appeler au secours. Si l'Anglais écarte le péril, l'Anglais qui est l'époux de ma fille, je rendrai grâce à l'Anglais.

Puis, à bout de force, Marguerite s'était laissée retomber sur son lit.

Ermengarde n'avait rien répondu. Mais pour la première fois, depuis qu'elle la connaissait, Catherine avait vu pleurer cette femme de fer, cette vivante image de la loyauté et du devoir qu'était la Grande Maîtresse.

Le 30 juillet, la bataille de Cravant eut lieu, désastreuse pour le roi de France grâce à l'aide des troupes envoyées par Bedford et que commandait Suffolk. Catherine, désespérée, avait appris le bilan de la bataille dont Nicolas Rolin, instigateur de l'appel à Bedford, vint rendre à la duchesse un compte minutieux : le connétable de Buchant avait eu un œil crevé, de nombreux morts jonchaient le champ de bataille et des prisonniers de choix avaient été faits. C'est ainsi que Catherine sut que Xaintrailles et Arnaud étaient prisonniers.

Elle n'aimait pas Nicolas Rolin, mais de cette minute elle le détesta pour la joie orgueilleuse qu'il étala, pour la louange qu'il fit, ostensible et impudente, de l'aide anglaise. Ermengarde dut quitter la chambre pour ne pas sauter à la gorge du chancelier. Quant à Catherine, la colère qu'elle en éprouva allait changer certaines choses dans son comportement et déterminer toute sa conduite des mois suivants. En outre, Nicolas Rolin fut, dès lors, rangé par elle au nombre de ses ennemis personnels.

Catherine, le matin, se rendait volontiers à la messe à Notre-Dame en souvenir de ses habitudes de jeune fille. Cela lui permettait aussi, après l'office, d'aller embrasser sa mère et son oncle. Elle aimait trotter par la ville, aux heures fraîches du matin, quand la grosse chaleur d'août ne pèse pas encore sur les rues. Vêtue d'une robe de toile fine, un voile léger sur la tête, un missel à la main et une servante sur ses talons, Catherine gagnait sa place dans l'église sombre et assistait à la messe avec autant de ferveur qu'elle y mettait jadis de distraction. La puissance infinie de Dieu lui semblait le seul recours pour débrouiller l'imbroglio de son cœur et, jour après jour, elle implorait du ciel l'aide dont elle avait tant besoin.

Depuis la défection de Sara, elle avait élevé au rang de première femme de chambre l'une des servantes chargées de sa toilette. Perrine était une fille de dix-huit ans, fraîche, aimable et entièrement dévouée à sa maîtresse pour laquelle elle se fût jetée dans le feu sans hésitation. Elle était simple et paisible, ne posait pas de questions et Catherine appréciait ses qualités.

Or, un matin où toutes deux occupaient leur place habituelle, non loin de la chapelle de la Vierge Noire, un moine vint s'agenouiller auprès de Catherine. Il portait un froc brun, ceint d'une grosse corde, poussiéreux, dont le capuchon, rabattu sur sa tête, cachait une partie de son visage. Le peu que l'on pouvait voir de ce visage était d'ailleurs sympathique. Tout y était rond, le nez, la bouche et même les joues bien remplies. Mais quand il releva la tête pour dévisager sa voisine, Catherine vit que le regard était étrangement vif. Il se pencha, chuchota :

— Pardonnez mon indiscrétion, mais vous êtes bien dame Catherine de Brazey ?

— C'est moi, en effet, mais...

Le moine, rapidement, porta un doigt à ses lèvres :

— Chut !... Parlez bas ! Vous êtes celle que je cherchais. Madame de Champdivers m'envoie à vous. Je viens de Saint-Jean-de-Losne et je me serais présenté à votre hôtel si je n'avais craint la curiosité de vos serviteurs... ou même de n'être point reçu. Alors, je me suis renseigné.

Catherine lui jeta un coup d'œil rapide.

— Avec la caution de mon amie Odette, vous n'aviez point à craindre de n'être pas reçu, mon père. Que puis-je pour vous ?

— M'accorder quelques instants d'entretien... privé.

— Vous n'aurez qu'à me suivre après l'office. D'ailleurs la messe se termine. Nulle part nous ne serons mieux que chez moi.

— C'est que... Dame Odette m'a bien recommandé d'éviter messire de Brazey.

— Mon époux est absent, vous ne le rencontrerez pas.

La messe, en effet, tirait à sa fin. A l'autel, le prêtre se tournait vers les fidèles pour la dernière bénédiction. Quand il se fut retiré dans l'ombre du maître-autel, Catherine se leva, fit une profonde génuflexion et gagna la sortie, escortée de Perrine et du moine. Ils se retrouvèrent bientôt tous trois au grand soleil de la rue. Renonçant, pour une fois, à se rendre rue du Griffon, Catherine rentra chez elle en hâte. Elle était curieuse de savoir pour quelle raison Odette lui adressait cet étrange messager et ce qu'il pouvait avoir à lui dire.

Rentrée à l'hôtel de Brazey, elle congédia Perrine et fit venir le moine dans sa chambre.

— Voilà, fit-elle en lui désignant un siège. Nous sommes seuls, nul ne nous écoute. Vous pouvez parler en toute sécurité. Que puis-je pour vous ?

— Nous aider. Mais d'abord il me faut vous dire qui je suis. Je me nomme Étienne Chariot et, comme vous pouvez en juger à mon costume, j'appartiens à l'ordre des Frères Mineurs fondé par François d'Assise. Je viens du mont Beuvray où je vis ordinairement avec quelques autres frères.

Il raconta comment, appelé auprès du malheureux roi Charles VI sur la réputation que lui avait faite sa connaissance des simples et des plantes médicinales, il était devenu l'ami d'Odette de Champdivers, si attachée à soigner le roi fou. La « petite reine » avait apprécié le solide bon sens bourguignon de ce moine à la fois doux et énergique. Les tisanes qu'il composait avaient adouci bien souvent le sommeil du roi. A la mort du souverain, il avait regagné son Mont Beuvray, tandis qu'Odette revenait vers sa Bourgogne natale. Mais Catherine ne tarda pas à comprendre que, ce faisant, tous deux avaient un but secret : servir le roi Charles VII avec autant de dévouement qu'ils avaient servi et aimé son père.

— Nous avons pensé, l'un comme l'autre, conclut le moine, que nous serions plus utiles à notre maître chez son ennemi plutôt que dans le domaine royal à prier pour le succès de ses armes. Nous eussions, dame Odette et moi-même, trouvé aisément accueil auprès de Monseigneur Charles, mais nous avons choisi de revenir. La situation géographique du Mont Beuvray, dans l'enclave de Château-Chinon, est, en effet, exceptionnelle. C'est une mince pièce de terre, relevant du duc Jean de Bourbon, encastrée dans les terres bourguignonnes, exactement entre le duché de Bourgogne et le comté de Ne vers...

— Je vois, fit Catherine avec un sourire : un poste d'espionnage remarquable !

— Dites : un poste d'observation, corrigea frère Étienne. Surtout un point de passage excellent !

Catherine examinait attentivement son visiteur. Vu ainsi, dans la pleine lumière d'un rayon de soleil, il était moins jeune qu'elle n'avait cru, tout à l'heure, dans l'église obscure. Son teint était frais, son visage rond et rose avec une peau bien tendue, mais les pattes-d'oie se marquaient aux yeux et la couronne de cheveux grisonnait. En tant qu'homme, il n'était pas beau, trop en courbes, mais l'intelligence que reflétait son visage plut à la jeune femme autant que la bonté de son regard. Elle interrompit avec un sourire le cours de géographie politique d'Étienne Charlot.

— Je comprends parfaitement tout ceci. Mais je ne vois pas bien quel rôle je puis jouer.

Frère Etienne leva vers elle son regard soudain grave.

— Nous aider, je vous l'ai dit. Dame Odette prétend que vos sympathies vont au roi Charles VII... et vous êtes introduite largement à la Cour de Bourgogne. Vous pourriez être pour nous une source infiniment riche d'informations... Non, ne froncez pas les sourcils, je devine ce que vous pensez et ce que vous allez me dire. Vous n'êtes pas une espionne, c'est bien cela ?

— C'est un plaisir de vous entendre exprimer les choses aussi clairement.

— Pourtant, je vous prie de considérer ceci : la cause du roi Charles VII est légitime et juste parce qu'elle est celle de la France, alors que le duc Philippe ne craint pas de tendre sa main à l'envahisseur, dans le seul but d'accroître son pouvoir et l'étendue de ses terres.

Ces mots-là, Catherine les connaissait bien. Si souvent Ermengarde avait exprimé une opinion semblable ! Et puis, à peu de chose près, ils étaient la copie fidèle de ceux qu'Arnaud avait jetés au visage de Philippe, à Amiens.

Mais frère Étienne continuait :

— Pour une cause juste, il n'est rien d'avilissant. Celle du roi est noble entre toutes et sacrée. Il est l'oint du Seigneur. Qui le sert oblige Dieu lui-

même ! Et, à l'heure du triomphe, il saura récompenser ses serviteurs fidèles... bien que, ajouta-t-il avec un bon sourire, vous ne paraissiez pas être de ceux qui attendent quelque paiement de leurs actions.

— On dit pourtant le roi Charles léger, oublieux, tout occupé de fêtes et de femmes...

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