L'Anneau d'Atlantide - Жюльетта Бенцони 2 стр.


Aldo qui, tout en s’activant, avait relaté sa soirée chez Maître Massaria et le meurtre brutal auquel il venait d’être mêlé, se décida enfin à extirper de sa poche le petit sachet pris dans la chaussette du mort : il adorait jouer avec la curiosité toujours en éveil de son ancien précepteur, sans compter la sienne.

— Voyons ce qu’il m’a confié ! fit-il en renversant le sachet sur la table.

Une bague en sortit. Un simple anneau façonné d’un métal plus clair que l’or dans lequel des formes géométriques composées de turquoises taillées étaient serties. Un instant, tous deux le contemplèrent, perplexes, car il ne ressemblait à rien de connu, puis Guy le prit du bout d’un index un peu tremblant :

— Incroyable ! s’exclama-t-il. Savez-vous ce qu’est ce métal ?

— Ne l’ayant jamais rencontré, j’avoue mon ignorance. Cela ressemble à de l’or.

— C’est de l’orichalque, mon ami ! Et c’est infiniment précieux ! Ce qui signifie que cet anneau nous arrive de la nuit des temps ! De l’Atlantide !

— L’Atlantide ? Le continent englouti ? Il aurait réellement existé ?

Les sourcils se froncèrent au-dessus des vifs yeux bruns éclairant le fin visage presque sans rides sous les épais cheveux blanc, Guy observa :

— Au temps où je vous enseignais, je croyais pourtant vous avoir parlé de Platon et du  Critias. Je n’ai pas l’impression de vous avoir beaucoup marqué !

— Vous n’y avez pas manqué, mais c’était selon moi à ranger parmi les légendes… et vous m’avez appris tellement de choses passionnantes sur d’étincelantes réalités ! Comment pouvez-vous être certain de la provenance… quasi miraculeuse, de cet anneau ? Vous n’avez pas hésité une minute sur l’origine de ce métal qui m’est totalement inconnu ?

— À l’époque de ma jeunesse, j’ai vu au British Museum de Londres un objet de cette matière. Une croix ansée égyptienne…

— Et l’étiquette collée dessous citait l’Atlantide ?

— Disons que, fidèles à leur prudence habituelle, les Anglais annonçaient « possibilité atlante » pour cette croix trouvée aux abords de la deuxième cataracte du Nil et datant d’environ sept mille ans avant notre ère… J’avoue qu’au fil des ans, j’en étais venu à l’oublier.

— La deuxième cataracte ? fit Aldo, songeur. Le mourant a fait allusion à Assouan qui est proche de la première. Mais, enfin, le fameux continent englouti n’a jamais rien eu à voir avec l’Égypte ?

— D’après certaines traditions et quelques rares auteurs, l’Égypte des pharaons aurait été colonisée par ces gens dont la civilisation était extrêmement développée et d’où elle aurait tiré les bases de son énorme potentiel scientifique. Vous avez d’ailleurs un interlocuteur de choix en la personne de votre ami Vidal-Pellicorne.

— Vous plaisantez ? Il va me rire au nez ! Surtout si je mentionne la « Reine Inconnue » ? Il va me renvoyer à Antinea, l’héroïne du bouquin de Pierre Benoit qui a eu tant de succès après la guerre… et m’assener d’un ton cassant qu’on ne badine pas avec l’Égypte antique !

— Si j’étais vous, j’essaierais quand même… et je vous rappelle qu’à deux pas d’ici un homme est mort ! conclut-il, un rien sévère.

— C’est vrai, admit Aldo. J’avoue que je l’oubliais. Quant à Adalbert, Dieu seul sait où il se trouve ! En Égypte sans doute, mais c’est vaste, l’Égypte, et comme il ne donne jamais de ses nouvelles…

— Téléphonez à Paris ! Son valet Théobald vous renseignera peut-être ?

Aldo regarda son ancien précepteur avec curiosité :

— Ma parole, elle vous tracasse, cette histoire ?

— Je l’avoue, et je pense qu’elle vous tracasserait également si, au lieu d’être un simple anneau orné de turquoises, il s’agissait d’un somptueux rubis ou de mystérieuses émeraudes, mais…

— Je n’ai pas la passion des bijoux égyptiens qui manquent d’éclat, à l’exception des perles. Selon moi, les placards d’or de Tout-Ank-Amon ne sont rien en comparaison du Régent ou du Koh-I-Noor. Ce qui ne veut pas dire cependant que l’affaire de cette nuit ne m’intéresse pas. J’espère en apprendre un peu plus en fin de matinée. Salviati m’attend à onze heures pour signer ma déposition.

Il allait se resservir du café, mais Guy l’en empêcha :

— Tâchez donc de dormir une heure ou deux ! Cela serait plus raisonnable !

— Comme toujours, vous avez raison.

Il partit se coucher mais ne dormit pas pour autant. Cette mort étrange, le visage douloureux de la victime le hantaient, surtout lorsque lui revenait à l’esprit le bizarre sentiment de frustration qu’il avait éprouvé en parcourant les rues nocturnes de sa chère ville. La relativement modeste bague d’orichalque et de turquoises appartiendrait-elle à la redoutable confrérie des joyaux « rouges » ? Ceux qui traînent derrière eux le sang de leurs victimes ? En ce cas, ce pourrait être la réponse du destin à un désir informulé… et il était préférable que Lisa ne fût pas dans les parages. Elle aurait tôt fait de le convaincre de remettre l’inquiétant objet entre les mains du commissaire. Parce que les aventures, elle commençait à les détester franchement !

Mais Lisa était à des kilomètres et, en replaçant l’anneau dans sa poche après avoir eu avec lui un long tête-à-tête, Aldo se trouva tout à coup beaucoup plus serein. Après tout, c’était à lui que l’homme s’était confié en prononçant le mot « Gardez ! ». C’était… oui, c’était une question d’honneur ! Et quand il en fut à ce stade, il se releva, enfila sa robe de chambre et ses pantoufles avant de descendre dans son cabinet de travail où trônait un imposant – et assez rare ! – coffre médiéval, scellé dans les dalles pour pallier toute tentative d’enlèvement et nanti à l’intérieur d’un système perfectionné qui en faisait le plus inviolable des gardiens. Il y enferma le petit sachet noir puis s’en retourna dans son lit en sifflotant une ariette de Mozart.

— Nous n’avons pas eu à chercher loin pour en savoir davantage sur notre inconnu, dit le commissaire en serrant la main de son visiteur. Il était descendu au Danieli…

— Comment avez-vous eu l’idée d’aller les questionner ?

— Le linge qu’on lui avait laissé était de belle qualité. En outre, c’était visiblement un homme soigné. Ils n’ont fait aucune difficulté quand nous leur avons présenté sa photo.

— Et il s’appelait ?

— Gamal El-Kouari, diplomate venant de Londres et se rendant au Caire où nous avons son adresse. Vous savez que les hôtels sont tenus de conserver les papiers d’identité de leurs clients de passage jusqu’à leur départ.

— Je sais. C’est même l’un des « charmes » de notre pays…

— Remarquez, cela ne dérange guère les truands. Ils ont généralement deux ou trois passeports à leur disposition. Mais je ne crois pas que celui-là appartienne à la corporation. Son passeport indique qu’il voyageait beaucoup. Peut-être un de ces attachés d’ambassade plus ou moins itinérants qui ressemblent comme des frères à des agents secrets.

— Cela ne nous apprend pas ce qu’il faisait la nuit dernière dans les ruelles près du Campo San Polo ?

Le sourire en coin étirant d’un côté les lèvres minces de Salviati fit regretter à Aldo ce qu’il venait de dire. En particulier lorsqu’il entendit :

— Pourquoi pas ce que vous y faisiez vous-même : rentrer de dîner chez des amis ?

Aldo sortit son étui à cigarettes de sa poche, en prit une qu’il tapota sur la brillante surface d’or gravée à ses armes, se donna le temps de l’allumer avant de faire observer :

— Moi, j’étais à deux pas de chez moi, ce qui n’était pas son cas et, pour regagner le Danieli depuis San Polo, une embarcation empruntant les canaux secondaires eût été plus confortable… et plus sûre. À fortiori pour un homme qui n’était plus de la première jeunesse.

— Sans doute mais chacun voit midi à sa porte. Il ne vous a vraiment rien dit avant de mourir ?

« Est-ce que par hasard les méthodes du  Fascio commenceraient à déteindre sur ce bon Salviati ? » pensa Aldo. Après s’être accordé quelques secondes de réflexion supplémentaires, il fit la moue :

— N… on ! Vraiment non ! J’admets qu’il a essayé. J’ai perçu un souffle et deux ou trois sons incompréhensibles… de l’arabe peut-être, mais c’est tout. Son assassin ne l’avait pas raté. Surtout qu’après l’avoir poignardé, on l’a déshabillé… sans ménagements.

— C’est ce que je ne comprends pas. On peut dépouiller un corps rapidement sans le dénuder.

— Sauf si ce que l’on cherche est de taille réduite, cousu dans une doublure par exemple.

— Vous pensez à quoi ?

— Je ne sais pas… une pellicule de film ?

À ce moment, un coup bref fut frappé à la porte et un policier entra, portant un paquet de vêtements noirs qu’il déposa sur une chaise :

— On vient de trouver ces frusques dans une gondole devant le palais Foscari, annonça-t-il. Elles pourraient bien appartenir au mort de cette nuit ?

— Elles ne peuvent même appartenir qu’à lui, fit Salviati en déployant un élégant pardessus de vigogne noire. Et vous avez raison, prince, ajouta-t-il aussitôt, les doublures sont décousues et les ourlets aussi. Le pauvre type ne sera guère élégant pour son dernier voyage !

— Vous dénicherez peut-être une bonne âme pour arranger ça. Vous comptez le renvoyer dans ses foyers ?

— Si c’est réellement un diplomate, le gouvernement prendra contact avec la chancellerie du roi Fouad et il sera rapatrié. On n’a déjà pas trop de place pour nos morts à nous ! conclut-il, se référant au cimetière San Michele.

Morosini prit congé là-dessus et rentra chez lui.

Comme il s’y attendait, Guy Buteau se tenait dans la bibliothèque, assis sur l’un des escabeaux coulissants, à mi-chemin du plafond, un livre ouvert sur les genoux et deux ou trois autres sur les degrés voisins :

— Je parie pour Platon ! lui lança-t-il.

— Justement, non ! Je le connais suffisamment mais je me suis souvenu que nous avions là l’ouvrage du Pr Léo Frobenius – un Allemand ! – et du Français Paul Lecour qui apportent leur contribution à la thèse soutenant que l’Égypte fut sans doute colonisée par les Atlantes et que les traces rémanentes y sont profondes. Ne fût-ce que la momification des défunts. Un rite particulier que l’on retrouve de l’autre côté de l’océan Atlantique dans les nécropoles du Nouveau Monde : Mexique ou Amérique centrale…

— Voilà mon précepteur revenu ! constata Aldo en riant. Je ne demande pas mieux que de vous croire, mon cher Guy, mais je préférerais savoir ce que cet étrange anneau faisait dans la chaussette de ce malheureux diplomate. À ce propos, on sait qui il est et où il allait. Vraisemblablement, il regagnait Le Caire venant de Londres. Ce qu’il faudrait connaître, c’est si un paquebot pour l’Égypte part prochainement d’ici, ajouta-t-il en décrochant le téléphone pour appeler le port du Lido.

Il y en avait un, en effet, partant le surlendemain pour Port-Saïd, et M. El-Kouari avait retenu sa place avant que la police ne l’annule.

— Voilà au moins une certitude ! se réjouit Morosini. Reste la question à laquelle personne n’a de réponse : d’où venait-il quand il s’est fait assassiner derrière chez nous en pleine nuit ?

— Nous ne le saurons sans doute jamais ! soupira Guy en descendant de son perchoir. En revanche, j’aimerais bien revoir l’anneau.

— Rien de plus facile.

On se rendit dans le bureau d’Aldo où, toutes portes closes, celui-ci enclencha le mécanisme compliqué de son coffre, sortit le sachet de daim et en fit glisser le contenu sur le dessus de cuir de son bureau, puis alluma la puissante lampe sous les feux de laquelle il examinait les joyaux qu’on lui apportait. Le métal couleur d’or pâle venu du fond des âges prit des reflets soyeux, comme s’il était recouvert d’une mousseline, faisant ressortir la teinte parfaite des turquoises. Penchés au-dessus, ils contemplèrent l’anneau sans y toucher pendant de longues minutes, comme s’il exerçait sur eux une fascination – et c’était le cas. Quelle signification donner à ces formes géométriques – baguettes droites ou triangles – serties dans l’orichalque ? Guy tendit la main vers le bijou, hésita et la retira :

— Il vous fait peur ? demanda Aldo.

— Oui et non… je ne sais pas trop ! J’éprouve une curieuse impression. Il m’attire et cependant…

— Vous pensez au sang qui a coulé cette nuit pour sa possession… et qui ne doit pas être le premier !

— Pourtant je ne ressens pas devant lui la sensation de répulsion que me donnaient les pierres du Pectoral. Surtout le rubis de Jeanne la Folle.

— Avouez qu’il y avait de quoi ! Peu de pierres ont suscité autant de drames et nous avions dû violer une tombe pour le retrouver.

— Ce n’est pas le cas en ce qui concerne cet anneau. Il a quelque chose… de rassurant.

— Alors pourquoi avez-vous hésité à le prendre ? reprocha Aldo en s’emparant de la bague et en la mirant sous la lampe avant de la passer tour à tour à son annulaire droit, trop mince, au majeur,  idem, et enfin au pouce, approuvé par Guy.

— Ce qui nous démontre que c’est une bague sacrée. Un ornement de Grand Prêtre ou quelque chose d’approchant.

Aldo ne répondit pas, attentif à l’étrange impression qui montait en lui. Pas désagréable, au contraire. Une sensation de force et de plénitude l’envahissait, merveilleusement vivifiante. Il eut soudain la certitude que tout lui devenait possible et qu’aucun obstacle ne saurait l’arrêter sur le chemin choisi.

— Eh bien ? demanda Buteau.

Non sans difficulté, Aldo ôta l’anneau et le tendit à son vieil ami :

— Essayez vous-même !

Ce qui fut fait et, sous les yeux d’Aldo, l’affable visage du vieux monsieur s’illumina :

— Incroyable ! On dirait qu’il décuple les forces… Que l’on pourrait déplacer les montagnes ! En ce cas, pourquoi l’homme qui le détenait a-t-il été assassiné ?

— Sans doute parce qu’un peu de soie noire tendue par un fixe-chaussettes n’est pas le lieu idoine pour développer les manifestations transcendantales ! Et s’il était poursuivi, comme les faits le laissent à penser, il avait choisi la plus sûre cachette. Une chose est certaine : cet anneau n’est pas maléfique – ce qui est déjà énorme ! – mais il ne protège pas contre une agression.

— Qu’allez-vous en faire ?

— Je ne sais pas. J’hésite !

— Entre quoi et quoi ? En mourant, ne vous a-t-il pas demandé de le garder ?

— En effet, mais il y a ses ultimes paroles : Assouan… la Reine Inconnue et Ibrahim.

Il s’interrompit en entendant dans le vestibule la voix de son secrétaire, Angelo Pisani, qui discutait avec Zaccharia, et se hâta de ranger sachet et bague dans le coffre puis de le refermer en déclarant :

— Si quelqu’un peut éclairer notre lanterne là-dessus, c’est bien Adalbert. Je vais téléphoner à son appartement de Paris. Théobald me dira où il est au juste !

— Sage décision !

Peut-être pas si facile à réaliser qu’il n’y paraissait !

Quand, après trois longues heures d’attente, la voix distinguée de Théobald, le fidèle serviteur de Vidal-Pellicorne, se fit entendre, agréablement modulée comme d’habitude, elle se déclara ravie d’avoir des nouvelles de Monsieur le prince mais désolée de ne pouvoir lui passer son maître :

— En cette saison, Votre Excellence devrait se douter qu’il n’est pas à Paris.

— Je suppose qu’il est en Égypte ?

— Monsieur le prince suppose à merveille !

— Oui mais où, en Égypte ? C’est grand…

— Et c’est ce que je ne sais pas. Il faut comprendre, Monsieur fouille !

— Belle nouvelle ! Que fait-il d’autre quand il est là-bas ? Il est égyptologue, que diable !

— Certes, certes, mais les choses sont légèrement différentes cette fois. Monsieur aurait fait une découverte… importante peut-être et, tant qu’il n’a pas acquis de certitude, il ne veut pas en parler. Monsieur le prince sait combien, dans la profession, les confrères des autres pays sont aux aguets.

— Soit… mais au cas où vous auriez à le joindre en urgence ?

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