La collection Kledermann - Жюльетта Бенцони 6 стр.


— L’ennui, c’est que, par la suite, la rouge a repris du poil de la bête et s’est installée définitivement.

— Mais après un sérieux laps de temps ! Allez en commander !

Dans l’après-midi on récupéra les fleurs que Marie-Angéline avait fait livrer à la réception et un taxi – qui se trouva être le même que celui du matin ! – emmena les deux femmes à la maison de santé, mais cette fois franchit la grille et les déposa devant l’entrée où veillait un portier galonné comme dans un palace… Non sans satisfaction, Marie-Angéline avait noté qu’aucune Bugatti rouge n’était rangée dans l’espace réservé au stationnement.

Tante Amélie marcha d’un pas décidé à la réception :

— Je désire voir la princesse Morosini, dit-elle. Quelle chambre occupe-t-elle ?

La préposée à l’accueil des visiteurs était en train de remplir une fiche et sans bouger répondit :

— La princesse ne reçoit pas. Les visites sont interdites !

— Elle est si mal en point ? Pourtant, ce matin elle a reçu M. Gaspard Grindel, son cousin ! Et moi je suis sa tante, la marquise de Sommières, et je vous prie de me conduire à elle !

La femme consentit enfin à lever les yeux, considéra cette dame de si grande allure dans un manteau et une toque de zibeline, rougit et se précipita :

— Veuillez me pardonner, madame la marquise ! Je vous conduis. Si vous voulez bien me suivre ! ajouta-t-elle en débarrassant Marie-Angéline des fleurs qu’elle remit à une autre infirmière. Elle les mena dans un large couloir garni de quelques sièges. Plan-Crépin s’installa sur l’un d’eux pour attendre.

Dans une chambre aussi blanche qu’un igloo sur lequel les roses pourpres de Gaspard avaient l’air de taches de sang, Lisa reposait les paupières closes, les bras abandonnés le long du corps, si semblable à un gisant de cathédrale que Mme de Sommières fronça le sourcil : elle était l’image même de la sévérité.

— Lisa ! appela-t-elle.

La jeune femme tressaillit, tourna la tête, la regarda mais ne sourit pas :

— Tante Amélie ? J’avais pourtant spécifié que je ne voulais voir personne…

— Sauf votre cousin Gaspard ? rétorqua celle-ci en désignant les fleurs d’un mouvement de tête. Je vous ai connue plus courtoise, ma chère. Une femme de mon âge qui vient d’effectuer un voyage fatigant mérite au moins qu’on lui dise bonjour, non ?

— Si. Pardonnez-moi !… Et bonjour Tante Amélie… mais je préfère vous avertir tout de suite que vous perdez votre temps et que vous auriez pu vous épargner ce « voyage fatigant ». Il n’est pas difficile de deviner quelle cause vous venez tenter de plaider. Aldo est mort pour moi !

— Pas tout à fait heureusement, sinon je ne serais pas là, mais cela peut se produire à chaque instant. On ne réchappe pas aisément d’une balle dans la tête !

— Une balle dans… Et vous êtes ici ?

Lisa s’était redressée et, appuyée sur un coude, fixait sur sa visiteuse de grands yeux effarés.

Impavide, la vieille dame reprit :

— Je préférerais de beaucoup être à l’hôpital de Tours auprès de lui. Sa seule chance de vivre sans devenir idiot est dans les mains quasi miraculeuses du docteur Lhermitte, le chirurgien qui l’a opéré. Alors j’ai pensé que même si vous le détestiez, il serait préférable que je vienne vous l’apprendre moi-même. D’autant que vous venez de subir une nouvelle épreuve…

La porte s’ouvrit, livrant passage à l’infirmière apportant un vase plein de roses immaculées qu’elle vint déposer auprès des autres…

— Vous m’avez apporté des fleurs ?

— C’est normal, je crois, quand quelqu’un est hospitalisé ? Et je sais que vous les aimez blanches… tout au moins jusqu’à présent !

— Merci ! Qu’avez-vous fait de Marie-Angéline ? Vous auriez pu l’envoyer au lieu…

— … d’imposer cette fatigue à ma vieille carcasse ? Cela tient à sa façon un rien trop brutale de porter les nouvelles. Mais rassurez-vous elle n’est pas loin : tout juste à côté dans le couloir où elle doit être en train de se ronger les ongles.

— J’avoue que j’ai peine à vous croire…

— Voilà qui est franc au moins ! Vous avez peine à croire que nous soyons ici toutes les deux, laissant dans la solitude votre époux en danger de mort ? Il n’est pas seul : Adalbert ne le quitte pas… et le commissaire principal Langlois non plus. À ce propos, s’il ne vous a pas priée de revenir répondre à ses questions, c’est en raison de votre état. Il se peut d’ailleurs qu’il vienne ici !

— M’interroger ? Pourquoi ? Parce je n’ai pas jugé utile de rester plus longtemps dans cet affreux château où j’ai failli mourir ?

— Certes il aurait souhaité vous entendre mais il ne s’agit pas de cela !

— De quoi alors ?

— Mais… de la voiture qui vous attendait et de celui qui la conduisait. Comment avait-il pu arriver jusque-là alors que, par définition, les livreurs de rançon mettent en péril la vie des otages s’ils se font suivre par un tiers ?

— J’ignorais que mon cousin Gaspard avait réussi à suivre mes ravisseurs après qu’un de ses employés se fut rendu à la gare pour convoyer l’argent. Mais si sa présence a été pour moi la plus heureuse des surprises, je n’en ai pas été autrement étonnée. Non seulement Gaspard est le plus habile conducteur que je connaisse mais sa vue exceptionnelle lui permet de rouler la nuit sans allumer ses phares. Si c’est de cela que le commissaire Langlois souhaite m’entretenir, il est inutile qu’il se dérange : vous pourrez lui répéter ce que je viens de vous dire !

— Je ne pense pas que cela lui suffise. Certes, l’espèce de miracle qui l’a dirigé vers la Croix-Haute l’intéressera, mais celui qu’il veut avoir c’est le tireur.

— Le tireur ? Celui qui a blessé…

— Mortellement peut-être votre époux !

Devenue soudain rouge brique, la jeune femme se laissa retomber dans ses oreillers :

— Vous n’allez tout de même pas l’accuser de meurtre… un meurtre commis sous mes yeux ?

— Non. Même si vous en êtes venue à exécrer votre époux, je ne crois pas que vous l’auriez laissé agir. Ou alors je me suis trompée sur vous du tout au tout… Non, le sentiment de Langlois est que l’homme arrivé avec M. Grindel soit plus ou moins à sa solde…

— Mais c’est insensé ! Je…

— Laissez-moi continuer ! Il se trouve que la balle est partie d’un endroit trop proche de la voiture pour que vous n’ayez pas remarqué le tireur.

— Dès que j’ai rejoint Gaspard nous avons démarré et sans doute le bruit du moteur nous a empêchés d’entendre !

Mme de Sommières eut un petit rire sans gaieté :

— Pour couvrir la détonation d’un coup de feu, il aurait fallu que le moteur soit celui d’un camion de cinq tonnes… et encore ! Enfin vous voilà prévenue.

— C’est pour me dire cela que vous avez parcouru tout ce chemin ?

— Pas seulement ! Je vous apporte aussi une lettre.

— La plaidoirie d’Aldo ? Vous avez pris une peine inutile. Je ne la lirai pas !

— Réfléchissez un peu, que diable ! Aldo ne peut même pas ouvrir les yeux. Alors écrire…

Puis, tirant la longue enveloppe bleue de son manchon elle la garda entre ses doigts :

— Non. C’est Pauline Belmont qui, avant de retourner dans son pays, m’a priée de vous la remettre… en main propre !

— Posez-la sur la table, s’il vous plaît. Je devine de quoi il est question : elle tient à payer sa part de la rançon !

— Non, c’est son frère qui s’en charge. Et je vous demande instamment de la lire maintenant ! J’ai pris connaissance de ce qu’elle contient et elle ne peut vous faire que du bien !

— Vous croyez ? En ce qui me concerne, j’en doute. Elle a tout détruit !

— Non. Elle n’a rien détruit et c’est ce qu’elle tente de vous expliquer. Elle y confesse l’amour profond qu’elle porte à votre mari mais reconnaît honnêtement sa défaite. Allons, Lisa ! Lisez cette lettre… à moins que vous ne préfériez que je m’en charge ?

— Non. Vous la liriez trop bien ! Vous seriez capable de me faire pleurer d’attendrissement !… Donnez-la-moi !

Mme de Sommières la lui tendit après avoir fendu l’enveloppe puis se mit à l’observer. Mais elle ne put rien saisir sur le visage exsangue de la jeune femme, si mobile d’habitude. Enfin, sa lecture achevée, Lisa replia la lettre, la remit dans son enveloppe… et la glissa sous son oreiller. Ce qui ne laissa pas de surprendre Tante Amélie mais elle se garda de tout commentaire. Ce fut Lisa qui reprit :

— Voilà ! Vous avez rempli votre mission…

Le mot déplut à la vieille dame :

— Je ne suis pas l’envoyée de Mrs. Belmont. Disons que j’ai accepté de porter ce message. De toute façon, je serais venue prendre de vos nouvelles. Et plus je vous regarde, plus je m’inquiète. Perdre un enfant avant terme est toujours une rude épreuve. J’en ai fait l’expérience jadis mais je me suis remise assez vite et…

— … et vous êtes surprise que je sois encore à la clinique ?

— Je n’aurais pas osé l’exprimer ainsi.

— Cela tient à ce que je ne pourrai plus avoir d’enfants.

— Croyez que j’en suis désolée mais vous en avez déjà trois : c’est une jolie famille ?

— J’aurais voulu en avoir une ribambelle ! J’adore les enfants…

Son visage s’était soudain illuminé à cette idée jusqu’à en être extatique. La marquise fit une grimace :

— Si leur père est à l’article de la mort, ne croyez-vous pas que trois orphelins est un nombre suffisant ? À moins que vous ne songiez à vous remarier à peine le cercueil refermé ? assena-t-elle impitoyable.

Le résultat fut un peu ce qu’elle en attendait : Lisa éclata en sanglots et se retourna dans ses oreillers. Sa visiteuse la laissa pleurer tout son soûl en espérant que ces larmes emporteraient une part de cette rancœur qui empoisonnait la jeune femme. Quand enfin elle s’apaisa, Mme de Sommières se pencha sur elle pour glisser un bras autour de ses épaules :

— Ne croyez pas, surtout, que je sois devenue votre ennemie. Je vous comprends et je vous garde la même affection. Avant de repartir je voudrais que vous répondiez à une seule question : aimez-vous encore Aldo ?

Après un silence qui parut durer une éternité, elle entendit une sorte de soupir :

— Je ne sais pas… Je ne sais plus !… Mais c’est à lui qu’il faudrait poser la question.

— S’il survit je n’y manquerai pas… mais je connais la réponse ! D’ailleurs elle vous a été donnée par la lettre de Mrs. Belmont. Pour qu’une telle femme s’humilie ainsi devant vous c’est qu’elle sait parfaitement que vous êtes la plus forte et le serez toujours. Entre enflammer les sens d’un homme et conquérir son cœur il existe une longue distance que Mrs. Belmont ne franchira jamais !

— Qu’en savez-vous ? Qu’en sait-elle elle-même ? Vous oubliez que j’ai connu Aldo avant qu’il ne tisse avec vous des relations privilégiées. Avant qu’il ne s’éprenne de moi, j’ai été le témoin muet de ses passions et autres coups de cœur pour des femmes qui ne valaient pas cette Américaine. Celle-là est plus redoutable que toutes les autres réunies…

— Vous ne répondez pas à ma question : l’aimez-vous toujours ?

Il était écrit qu’elle n’en saurait rien. La porte de la chambre s’ouvrit sous la main d’un homme grand, roux – encore que légèrement grisonnant ! – et solidement bâti, suisse de toute évidence qui entra sans avoir pris la peine de frapper : le cousin Gaspard, sans aucun doute !

Son regard bleu, visiblement irrité, croisa celui de la marquise mais il ne prononça pas le moindre mot. Il s’empara du vase aux roses blanches, l’emporta et disparut avant qu’aucune des deux femmes n’ait pu intervenir.

La porte se rouvrit alors mais cette fois ce fut sous la main de Plan-Crépin.

Tout aussi déterminée elle s’empara des roses rouges qu’elle prit à pleins bras :

— Désolée, Lisa ! fit-elle avec une grimace qui pouvait passer pour un sourire, mais on ne se débarrasse pas de nous comme ça ! Je vais les déposer de votre part dans la première chapelle que nous rencontrerons ! Car il est évident que notre visite a assez duré ! Il va revenir !

D’abord médusée, Mme de Sommières se leva :

— Elle a raison. Je crois vous avoir dit tout ce que je souhaitais vous faire entendre et l’avenir vous appartient. Un mot encore cependant : si votre époux survit, il passera sa convalescence chez moi… où vous serez accueillie comme l’enfant de la maison que vous n’avez jamais cessé d’être…

Une voix indignée lui coupa la parole : celle du cousin qui, en rentrant, se retrouvait nez à nez avec Plan-Crépin :

— Ce sont « mes » roses ! Qui vous permet ?…

— Vous avez bien pris les nôtres ? Alors ne venez pas vous plaindre ! C’est de bonne guerre ! Il me semble !

— J’en apporterai de nouvelles !

— C’est votre affaire ! Pour l’instant laissez-moi passer !

Le ton était si autoritaire qu’il s’exécuta machinalement, ouvrant même la porte devant elle. Cependant, Mme de Sommières se penchait pour embrasser Lisa mais celle-ci détourna la tête :

— Non !… Je vous en prie. J’aurais trop l’impression que ce baiser vient d’un autre !…

Un éclat de colère traversa les prunelles vertes de la marquise :

— C’est là votre réaction alors qu’à l’heure qu’il est il a peut-être cessé de vivre ? Je vous plains…

Sans se retourner, elle se dirigea vers la porte que Grindel ouvrit devant elle avec un large sourire :

— Cela devait arriver un jour, jubila-t-il. À force de tirer sur la corde elle se casse et ce bellâtre lui en a trop fait voir !

— Ne chantez pas victoire si vite ! Il est difficile à oublier, le « bellâtre » ! Je n’en dirai pas autant de vous !

Derrière elle Lisa, dans son lit, avait repris sa pose immobile, les bras le long du corps et le regard fixé au plafond.

3

Les surprises du voyage à Zurich

Dans le taxi qui les ramenait à leur hôtel, les deux femmes commencèrent par garder le silence. Prudent en ce qui concernait Marie-Angéline qui, son action d’éclat passée, se demandait si elle n’allait pas lui occasionner une verte mercuriale mais Mme de Sommières en était à cent lieues. Elle songeait à cette Lisa inconnue qu’elle venait de découvrir. Une Lisa que la nouvelle d’Aldo à deux doigts de la mort et peut-être déjà mort n’avait pas semblé émouvoir le moins du monde. Seule comptait la trahison…

— Ce n’est pas possible, conclut-elle enfin comme si elle se parlait à elle-même. On nous l’a changée. Que son époux soit mourant ne l’intéresse pas. En noircissant le tableau j’espérais susciter un mouvement spontané, un cri peut-être… mais non ! Elle avait plutôt l’air de considérer sa fin prochaine comme un châtiment mérité.

— Elle a lu la lettre de Mrs. Belmont ?

— Oui. J’ai au moins obtenu cela.

— Et qu’en a-t-elle dit ?

— Pas grand-chose ! Sinon qu’elle n’est absolument pas convaincue.

— Elle a pleuré pourtant ? J’ai entendu à travers la porte !

— Oui, mais il s’agissait de sa fausse couche… et surtout parce que cet accident l’a privée de tout espoir de fabriquer d’autres enfants…

— Trois ce n’est déjà pas si mal !

— C’est ce que je lui ai dit. Et puis le cousin Gaspard est arrivé… et vous savez la suite !

— Euh… oui ! J’espère seulement que mon geste… vengeur ne nous a pas trop contrariée ?

— Pas du tout ! Je dirai même au contraire que j’approuve puisque c’est lui qui a commencé…

— Il y a une chose à laquelle nous n’avons pas pris garde. J’ai trouvé bizarre cette clinique où l’on n’entend aucun bruit, surtout si elle est gynécologique. Pas de vagissements, pas de cris de bébés, pas de chariots qui roulent, pas d’allées et venues ! Dans la chambre de Lisa, en dehors de sa blancheur absolue, aucun signe médical ! Même pas de feuille de température ! Curieux, non ?

— En effet ! J’avoue ne pas y avoir prêté attention !

— Moi si puisque je n’avais rien d’autre à faire dans mon couloir…

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