La Vallée De La Peur - Doyle Arthur Conan 8 стр.


– Un autre détail maintenant, dit l'inspecteur MacDonald. Vous avez rencontré M. Douglas dans une pension de famille de Londres, n'est-ce pas, et vous vous êtes fiancés dans la capitale. Ce mariage comportait-il un élément secret ou mystérieux? Un élément romanesque?

– Du romanesque? Il y en a eu. Il y a toujours du romanesque. Il n'y a rien eu de mystérieux.

– Avait-il un rival?

– Non. J'étais entièrement libre.

– Vous avez appris, naturellement, l'enlèvement de son alliance. Ce fait vous suggère-t-il un indice quelconque? En supposant que l'un de ses anciens adversaires l'ait pisté jusqu'ici et ait commis le crime, à quel motif aurait-il obéi en lui retirant son alliance?

Pendant un instant, j'aurais juré avoir vu l'ombre d'un sourire flotter autour des lèvres de Mme Douglas.

– Je n'en sais rigoureusement rien, répondit-elle. C'est tout à fait extraordinaire.

– Eh bien! nous ne vous retiendrons pas plus longtemps; et nous regrettons vivement de vous avoir infligé cet ennui à un moment pareil! dit l'inspecteur. Sans doute reste-t-il encore différents points à examiner, mais nous pourrons toujours faire appel à vous le cas échéant.

Elle se leva, et je surpris encore une fois le regard interrogateur qu'elle porta sur notre groupe. «Quelle impression vous a fait ma déposition?» Elle aurait pu aussi bien le demander à haute voix. Puis elle quitta la salle à manger.

– Une belle femme! Une très belle femme! murmura pensivement MacDonald dès la porte refermée. Ce Barker a longtemps vécu ici. C'est un homme qui plaît aux femmes. Il a admis que Douglas était jaloux; peut-être sa jalousie n'était-elle pas dépourvue de fondement. Et puis il y a cette alliance. Nous ne pouvons pas négliger cela. L'homme qui arrache à un cadavre son alliance… Qu'en pensez-vous, monsieur Holmes?

Mon ami était assis, la tête reposant sur ses mains, perdu dans ses pensées. Il se leva et sonna.

– Ames, dit-il quand entra le maître d'hôtel, où est maintenant M. Cecil Barker?

– Je vais voir, monsieur.

Il revint quelques instants plus tard pour annoncer que M. Barker était dans le jardin.

– Pouvez-vous vous rappeler, Ames, comment était chaussé M. Barker la nuit dernière quand vous l'avez retrouvé dans le bureau?

– Oui, monsieur Holmes. Il avait des pantoufles. Je lui ai apporté des souliers quand il est sorti pour aller prévenir la police.

– Où sont ces pantoufles maintenant?

– Elles sont encore sous la chaise du vestibule.

– Très bien, Ames. Il est, vous comprenez, très important pour nous de pouvoir distinguer entre les traces qu'a pu laisser M. Barker et celles de quelqu'un de l'extérieur.

– Oui, monsieur. Je puis vous dire que j'avais remarqué qu'elles étaient tachées de sang; mais les miennes aussi.

– C'est bien normal, étant donné l'état du bureau! Très bien, Ames. Nous sonnerons si nous avons besoin de vous.

Quelques minutes plus tard, nous étions de retour dans le bureau. Holmes avait ramassé les pantoufles dans le vestibule. Comme Ames l'avait déclaré, elles étaient rouges de sang.

– Bizarre! murmura Holmes en se tenant devant la fenêtre pour les examiner attentivement. Très bizarre en vérité!

Il se baissa avec un geste souple de félin et plaça la pantoufle sur la tache de sang de l'appui. Elle correspondait exactement. Il sourit en regardant ses collègues.

L'inspecteur fut bouleversé, surexcité.

– Mon cher, s'écria-t-il, il n'y a aucun doute. Barker a placé lui-même une empreinte sur la fenêtre. Elle est nettement plus large qu'une empreinte ordinaire. Je me rappelle que vous avez dit que c'était un pied plat; voilà l'explication. Mais quel jeu joue-t-il, Monsieur Holmes? Quel jeu joue-t-il?

– Hé! oui. Quel jeu joue-t-il? répéta mon ami en réfléchissant.

White Mason émit un petit rire et se frotta les mains avec une satisfaction toute professionnelle.

– Je vous avais prévenus! s'écria-t-il. Du fil à retordre! Et un drôle de fil, celui-là!

CHAPITRE VI Une lueur naissante

Les trois détectives ayant à vérifier de nombreux points de détail, je décidai de rentrer seul dans nos appartements du village. Mais auparavant je voulus faire le tour du jardin qui flanquait le manoir. Entouré par des ifs vénérables, il contenait une belle pelouse au centre de laquelle était placé un antique cadran solaire; son aspect reposant avait de quoi détendre mes nerfs. Dans cette ambiance profondément paisible, il devenait possible d'oublier (ou de s'en souvenir seulement comme d'un cauchemar fantastique) ce sombre bureau et le cadavre étendu, souillé de sang, sur le plancher. Et pourtant, pendant que j'essayais d'y rafraîchir mon âme, un incident imprévu reporta mes pensées vers la tragédie et m'impressionna fâcheusement.

J'ai dit que des massifs d'ifs cernaient le jardin. Du côté le plus éloigné du manoir ils s'épaississaient pour former une haie continue. Derrière cette haie, dissimulé aux regards des promeneurs venant du manoir, il y avait un banc de pierre. M'en approchant, je perçus le bruit d'une phrase prononcée par la voix grave d'un homme et, en réponse, un petit rire aigu féminin. Un moment plus tard j'avais contourné la haie, et je vis Mme Douglas et Barker. La physionomie de Mme Douglas me stupéfia. Dans la salle à manger, elle s'était montrée grave et réservée. À présent, tout simulacre de chagrin avait disparu. Ses yeux pétillaient de la joie de vivre, et son visage frémissait encore du plaisir amusé qu'avait provoqué la phrase de son compagnon. Lui était assis, penché en avant, les mains jointes et les coudes sur les genoux; un sourire éclairait son fier visage viril. Dès qu'ils me virent, mais un peu tard, ils reprirent un air solennel. Ils se chuchotèrent quelques mots brefs; puis Barker se leva et se dirigea vers moi.

– Excusez-moi, monsieur, dit-il. N'est-ce pas au docteur Watson que j'ai l'honneur de parler?…

Je saluai avec une froideur qui dût devoir lui montrer, je pense, l'impression que j'avais ressentie.

– … Nous pensions que c'était vous, dont l'amitié avec M. Sherlock Holmes est notoire. Auriez-vous l'obligeance de venir par ici? Mme Douglas désirerait vous dire deux mots.

Je le suivis en fronçant le sourcil. J'avais encore en mémoire l'image du mort défiguré sur le plancher. Or, à quelques heures de la tragédie, sa femme et son meilleur ami riaient ensemble derrière un buisson dans le jardin qui lui avait appartenu. Je saluai Mme Douglas avec réserve. J'avais sympathisé avec le chagrin qu'elle avait manifesté dans la salle à manger. À présent j'affrontais son visage implorant d'un œil inexpressif.

– Je crains que vous ne me considériez comme une femme sans cœur? me dit-elle.

Je haussai les épaules.

– Ce n'est pas mon affaire.

– Peut-être me rendrez-vous justice un jour. Si vous compreniez seulement…

– Il n'est pas nécessaire que le docteur Watson comprenne, interrompit Barker. Comme il l'a dit lui-même, ce n'est vraiment pas son affaire.

– Exactement, dis-je. Et voilà pourquoi je vais vous demander permission de reprendre ma promenade.

– Un instant, docteur Watson! s'écria Mme Douglas. Il y a une question à laquelle vous pouvez répondre avec plus d'autorité que n’importe qui au monde, et j'attends beaucoup de cette réponse-là. Vous connaissez M. Holmes et ses relations avec la police mieux que quiconque. En supposant qu'une affaire soit portée confidentiellement à sa connaissance, est-il absolument indispensable qu'il la communique aux détectives officiels?

– Oui, voilà la question! approuva Barker avec une sorte de passion. Travaille-t-il pour lui seul, ou est-il complètement associé avec eux?

– Je ne sais vraiment pas si je suis qualifié pour en discuter.

– Je vous en prie! Je vous assure, docteur Watson, que vous nous aiderez, que vous m'aiderez grandement si vous nous renseignez sur ce point!

Il y avait dans la voix de Mme Douglas un tel accent de sincérité que sur le moment j'oubliai toute sa légèreté et que je ne songeai plus qu'à lui faire plaisir.

– M. Holmes est un enquêteur indépendant, lui dis-je. Il est son propre maître et il agira selon son propre jugement. D'autre part, il ne peut que se montrer loyal envers les détectives officiels qui travaillent sur la même affaire, et il ne leur dissimulerait rien qui serait de nature à les aider à traduire un criminel devant la justice. Cela posé, je ne saurais vous en dire plus, et je vous renverrais à M. Holmes en personne si vous désiriez plus ample information.

Sur ces mots, je soulevai mon chapeau et je repris mon chemin en les laissant assis derrière la haie. Quand j'arrivai au bout des ifs, je me retournai: ils continuaient à discuter entre eux; comme ils me suivaient du regard, ma déclaration faisait certainement l'objet de leur entretien.

– Je ne souhaite nullement leurs confidences, me répondit Holmes quand je lui fis part de ma conversation.

Il avait passé tout l'après-midi au manoir avec ses deux collègues, et il était rentré vers cinq heures avec un appétit dévorant pour le thé que j'avais commandé.

– Pas de confidences, Watson! me répéta-t-il. Elles seraient bien encombrantes si l'on venait à une arrestation pour entente délictueuse et meurtre.

– Vous croyez que nous nous acheminons vers cela?

Il était d'humeur charmante, débonnaire.

– Mon cher Watson, quand j'aurai exterminé ce quatrième œuf, je serai disposé à vous décrire toute la situation. Je ne dis pas que nous avons résolu l'énigme, loin de là! Mais quand nous aurons retrouvé l'haltère manquant…

– L'haltère!

– Mon Dieu, Watson, est-il possible que vous n'ayez pas deviné que toute l'affaire tourne autour de cet haltère absent? Allons, allons! Ne prenez pas une mine de chien battu, car entre nous je ne crois pas que l'inspecteur MacDonald ou l'excellent spécialiste local ait évalué à sa juste valeur l'importance exceptionnelle de ce détail. Un haltère, Watson! Un seul haltère! Considérez un athlète avec un seul haltère. Représentez-vous le développement unilatéral, le risque évident d'une déviation de la colonne vertébrale! C'est choquant, Watson: choquant, voyons!

Il avait la bouche pleine d'une tartine et ses yeux étincelaient de malice. Son appétit était un gage de succès, car je me rappelais certains jours et certaines nuits où il ne songeait ni à manger ni à boire parce que son esprit butait sur un problème. Finalement, il alluma sa pipe et, installé au coin du feu de notre vieille auberge de campagne, il se mit à parler lentement et d'une façon un peu décousue, plutôt comme quelqu'un qui pense à haute voix que comme un détective faisant une déposition bien mûrie.

– Un mensonge, Watson. Un gros mensonge. Un mensonge énorme, flagrant, absolu. Voilà ce qui nous attendait dès l'abord. Voilà notre point de départ. Toute l'histoire de Barker est un mensonge. Mais l'histoire de Barker est corroborée par Mme Douglas. Donc elle ment aussi. Tous deux mentent dans une entente délictueuse. Aussi nous trouvons-nous maintenant en face du problème simple que voici: pourquoi mentent-ils, et quelle est la vérité qu'ils essaient avec tant de soin de nous cacher? Tentons, Watson, vous et moi, de percer ce rideau de mensonges et de reconstituer la vérité.

» Comment sais-je qu'ils mentent? Parce qu'ils ont édifié un échafaudage qui tout bonnement ne tient pas. Réfléchissez! Selon l'histoire qui nous a été contée, l'assassin a disposé de moins d'une minute après le crime pour prendre l'alliance, qui était sous une autre bague, pour replacer l'autre bague (chose qu'il n'aurait jamais faite) et pour déposer ce carton singulier auprès de sa victime. Je dis que c'est impossible! Vous pouvez ergoter et dire par exemple (mais je respecte trop, Watson, votre jugement, pour supposer que vous le ferez) que l'alliance a pu être retirée avant la mort de Douglas. Mais le fait que la bougie n'a pas brûlé longtemps montre que l'entretien a dû être bref. En outre, un homme comme Douglas, dont nous avons entendu vanter le courage intrépide, aurait-il retiré son alliance à la première injonction du meurtrier? Et même pouvons-nous imaginer qu'il s'en serait séparé devant le pire des risques? Non, Watson, l'assassin est resté seul avec le cadavre quelque temps après avoir allumé la lampe. J'en suis sûr. Mais le coup de feu a été apparemment la cause de la mort. Donc le coup de feu a dû être tiré un peu plus tôt qu'on ne nous l'a déclaré. Et dans une affaire pareille, il ne saurait s'agir d'une erreur involontaire! Nous nous trouvons par conséquent en présence d’une véritable entente délictueuse de la part des deux personnes qui ont entendu la détonation: Barker et la femme Douglas. Quand pour comble je suis en mesure d'établir que la tache de sang sur l'appui de la fenêtre a été délibérément disposée là par Barker afin d'induire la police en erreur, vous admettrez que l'affaire prend des proportions inquiétantes pour lui.

» Maintenant nous allons tenter de préciser l'heure réelle à laquelle le crime a été commis. Jusqu'à dix heures et demie, les domestiques ont circulé dans le manoir; donc il n'a pas eu lieu avant dix heures et demie. À onze heures moins le quart, ils étaient tous rentrés chez eux, sauf Ames, qui était à l'office. Après votre départ cet après-midi, je me suis livré à quelques expériences, et j'ai constaté qu'aucun des bruits que faisait MacDonald dans le bureau ne parvenait à l'office quand toutes les portes étaient fermées. Il en est différemment, toutefois, de la pièce où loge la femme de chambre. Elle n'est pas loin du corridor; de chez elle, j'ai pu vaguement entendre un bruit de voix quand on parlait très fort. Le son d'une détonation est jusqu'à un certain point étouffé quand le coup est tiré à bout portant, et ç'a été incontestablement le cas; elle n'a sans doute pas été bien bruyante; tout de même, dans le silence de la nuit, elle aurait dû être perçue dans la chambre de Mme Allen. Elle nous a dit qu'elle était un peu dure d'oreille; n'empêche qu'elle a déposé avoir entendu une porte claquer une demi-heure avant l'alarme. Une demi-heure avant l'alarme, cela fait onze heures moins le quart. Je suis à peu près certain que ce qu'elle a entendu était la détonation, et que c'est à cette heure-là qu'il faut situer le crime. S'il en est ainsi, nous avons à présent à déterminer ce qu'ont fait M. Barker et Mme Douglas, en admettant qu'ils ne soient pas les véritables meurtriers, entre onze heures moins le quart, lorsque le bruit de la détonation les a fait descendre et onze heures et quart, lorsqu'ils ont sonné pour appeler les domestiques. Que faisaient-ils? Pourquoi n'ont-ils pas aussitôt donné l'alarme? Telle est la question qui se pose à nous. Quand nous y aurons répondu, nous aurons réalisé un grand pas pour résoudre le problème.

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