Le Cadavre Géant (Гигантский кадавр) - Сувестр Пьер 2 стр.


EtJuve, se tournant vers la reine, ajoutait :

— QueVotre Majesté oublie notre angoisse ! Votre Majestése doit à son peuple. Qu’elle daigne regagner sesappartements ; Fandor et moi nous lui demandons de ne points’exposer inutilement. La reine de Hollande n’a pas àsavoir qu’il y a guerre et guerre à mort entre nous etle Génie du crime.

Wilhemine,cependant, refusait tout d’abord de s’éloigner. Lareine ne pouvait pas se résoudre à abandonner ainsicelle qui ne l’avait pas abandonnée et qui au périlde sa vie, lui avait gardé son trône.

Malgrétout, cependant, Juve finissait par la convaincre.

Lepolicier trouvait des phrases persuasives.

Àcoup sûr, Fantômas était vaincu. À coupsûr, l’émeute hollandaise était matée.Toutefois, il convenait de ne pas prêter le flanc à cesterribles attaques. Cela ne serait en rien utile à Hélène,et cela simplement compliquerait la situation.

Lareine s’inclina devant la volonté formelle de Juve. Ellequitta le salon orange. Fandor et Juve, restés seuls,échangèrent une étreinte et, sans mot dire,quittèrent la pièce, eux aussi.

— Ilfaut enquêter, disait Juve.

EtFandor approuvait :

— Ilfaut savoir si nul n’a vu sortir Fantômas, si nul n’aremarqué le départ du Grand Éclusier.

Or,à l’instant où Juve et Fandor, prêts àrecommencer la lutte, abandonnaient le salon orange, Hélèneet Fantômas, à quelques mètres d’euxseulement, éprouvaient des sentiments bien divers.

Derrièrela tenture du salon, la femme de Fandor, terrifiée par lesmenaces de Fantômas, par le revolver qu’il braquaitcontinuellement sur Fandor, vivait mille morts.

Elleconnaissait trop celui qui avait passé pour son père,pour oser un geste, pour tenter un cri.

Sielle révélait leur présence, Fantômasn’hésiterait pas…

Certes,s’il s’était agi d’elle, si le revolvers’était braqué sur sa poitrine, Hélènen’aurait pas tardé une seconde à s’élanceren avant. Mais Fantômas l’aimait. Fantômas segardait bien de la menacer, elle, c’était Fandor qu’ilvisait, c’était Fandor qui tomberait sous ses yeux,c’était Fandor qu’elle assassinerait en criant ausecours !

Etc’est pourquoi, libre entièrement, point mêmebâillonnée, Hélène demeurait muette,immobile, prisonnière de la peur, prisonnière deFantômas, prête à suivre docilement ses ordres etses impulsions.

Fantômas,surpris de l’attitude de la jeune femme, quelques minutes plustôt, lorsque Hélène avait osé le braver,se rassurait désormais au contraire.

— Jela tiens, murmurait-il. Tant que j’aurai Fandor à madisposition, Hélène fera ce que je voudrai.

Et àl’instant même, tandis que Juve, la reine et Fandor sedésespéraient dans le salon orange, Fantômas,braquant toujours le canon de son revolver sur le journaliste,combinait un plan infernal.

Certes,ce rapt d’Hélène, qu’il avait décidéen raison sans doute de motifs impérieux que nul nesoupçonnait, ce rapt n’était pas encore achevéet offrait encore de grandes difficultés.

Fantômas,avec sa prisonnière, sa prisonnière enchaînéepar la peur, était en somme au centre même du palais dela reine. Dans les couloirs, les courtisans s’empressaient ;dans la salle du trône, les dignitaires de la couronnes’entassaient, et c’était dans tout le palaisroyal, à l’occasion de la solennité constituéepar l’ouverture du Parlement, un remue-ménage continuel,des allées et venues perpétuelles.

Ilfallait traverser cette foule ; il fallait, en dépit desdifficultés, sortir de ce palais, prendre le large, et en mêmetemps, entraîner Hélène sans que celle-ci pûtfaire un geste, ou prononcer un mot compromettant.

Unautre eût renoncé à un projet si fou. Fantômas,en sa témérité coutumière, n’hésitaitpas, tout au contraire, à décider de l’accomplir.

— Noussortirons ! murmurait-il.

Etcomme Fandor et Juve quittaient le salon orange, brusquement la maindu bandit se posait sur l’épaule d’Hélène.

— Unmot, répétait-il, et Fandor est mort… Songes-y.

CommeHélène, terrifiée, le regardait, Fantômasentraînait la jeune femme hors de l’embrasure de fenêtrequi, si opportunément, venait de leur servir d’abri.

Fantômas,en quelques gestes, se dépouillait du maillot noir qui tout àl’heure moulait son corps. Il portait, en dessous, un costumede cour, bas de soie, culotte de satin, habit à la française.

Fantômastirait de sa poche une perruque qu’il coiffait. Il avait sibien l’art de se maquiller que quelques secondes luisuffisaient à changer son visage.

Alors,le bandit métamorphosé se tournait vers Hélène :

— Jesuis, murmurait-il, méconnaissable, et nous allons enprofiter. Une voiture m’attend dans la cour du château.C’est dans la cour que Juve et Fandor vont aller enquêter.Ils me croient devant eux, parti déjà ; tout aucontraire, nous allons les suivre…

Etcomme Hélène le regardait sans comprendre, Fantômasreprenait :

— C’estFandor, Hélène, qui va nous ouvrir la route. C’estFandor qui me garantira de ta sagesse. Tu sais quel tireur je suis.Or, nous ne le perdrons pas de vue ; j’ai mon revolverdans ma poche : rappelle-toi qu’un mot, un seul motimprudent échappé à tes lèvres, et Fandorest un homme mort…

Fantômasavait parlé d’un ton rude et brusque. D’une voixsoudainement devenue aimable il demandait :

— Tonbras, Hélène ? Nous allons fuir, mais fuirensemble…

Etil fallut bien alors qu’Hélène s’inclinât.La main gantée de blanc de la jeune femme, sa main tremblante,s’appuya sur le bras de Fantômas. Ils quittèrentle salon orange ; ils furent dans le couloir encombré decourtisans, de gentilshommes de la chambre, d’officiers etd’huissiers.

Ilspassèrent au milieu de cette foule. Sur l’ordre deFantômas, Hélène avait jeté sur sesépaules un grand manteau qui traînait sur un meuble oùsans doute le bandit l’avait déposé, et qu’ilavait été prendre mystérieusement. Ce manteau,vaste et lourd, cachait la toilette de la jeune femme. Nul ne pouvaitla reconnaître, et Fantômas, de son côté,grâce à sa perruque, grâce à sonmaquillage, était impossible à identifier.

Lafoule des courtisans s’écartait sur leur passage. On lesprenait sans doute pour quelques hauts personnages de la bourgeoisieinvités par la reine à la cérémonie de lasignature des brefs parlementaires. On s’écartait devanteux, ils passaient…

Hélènedut se composer un visage souriant. Tandis que son cœur battaità se rompre dans sa poitrine, tandis que le désespoirfaisait glacer son sang dans ses veines, elle trouvait la force d’âmede sourire, de s’incliner lorsqu’on la saluait, defeindre de s’appuyer galamment au bras de son cavalier.

Faireun geste ? Oser un mot ? Crier au secours ? Ah !pour rien au monde, en cet instant, Hélène ne l’eûtosé.

Fantômasavait toujours la main dans la poche de son habit. Il feignait d’ychercher quelque chose, un mouchoir, une boîte à poudrede riz, peut-être ; son geste était naturel,ordinaire, mais Hélène, hélas ! ne pouvaits’y tromper. Ce que Fantômas tenait, c’étaitson revolver. Le Maître de l’effroi avait eu raison, elleétait en son pouvoir, elle se tairait… elle ne diraitrien… car Fandor était à cinquante mètresdevant eux, Fandor qui ne se doutait point qu’un revolver lemenaçait, Fandor qu’une imprudence de sa part pouvaitirrévocablement condamner.

EtHélène, crispée par l’effort moral qu’elledevait s’imposer, se disait :

— Jene puis rien tenter. Je ne puis rien essayer… Fantômastirerait, Fandor serait mort, et certainement, à la faveur duscandale, Fantômas s’échapperait.

Lecouple tragique traversa de la sorte les vastes galeries du palaisroyal.

Fandoret Juve, comme l’avait deviné Fantômas, serendaient, en effet, à la cour du château où sansdoute ils voulaient, en interrogeant les factionnaires, essayer deretrouver la piste du bandit, qu’ils supposaient logiquementparti devant eux.

Ladémarche même de Fandor et de Juve servait Fantômas.Le bandit les accompagnant de loin, en effet, parvenait ainsi toutnaturellement dans cette cour du château où, comme ill’avait annoncé à Hélène, unevoiture l’attendait. C’était une superbeautomobile, une limousine puissante, que conduisait un chauffeur aumasque énergique.

— Montez,Hélène.

Fandorétait toujours à quelques mètres. Un dernierregard d’Hélène supplia Fantômas.

Hélas !l’âme de Fantômas était inaccessible àla pitié.

— Montez,répéta le bandit.

EtHélène, une fois encore, dut obéir àl’ordre qu’on lui donnait.

Alorsque Juve et Fandor, alors que son mari était à quelquespas d’elle, alors qu’elle ne pouvait point douter queFandor eût donné jusqu’à la dernièregoutte de son sang pour la sauver, la prisonnière de la peurdut embarquer dans cette voiture qui allait sans doute la conduirevers de tragiques destinées…

Hélène,défaillante, s’installa sur les coussins del’automobile. Fantômas prenait place à côtéd’elle. Le chauffeur démarra…

— Attention,disait alors Fantômas. Voici l’instant capital…N’oubliez pas…

Lavoiture effectuait un grand virage dans la cour du palais, pour sediriger vers la grille, et, de là, gagner les ruesd’Amsterdam. Elle allait frôler Juve et Fandor. Ilsuffisait d’un regard de Fandor ou de Juve, d’un crid’Hélène, pour que Fantômas futirrémédiablement pris.

Fantômas,pourtant, demeurait impassible, suprêmement calme.

— Attention,répétait-il simplement. Il faut que vous vous enfonciezsur cette banquette ; voici un éventail, servez-vous-en,je ne veux pas qu’on vous aperçoive…

Cettedernière cruauté, cette cruauté qui contraignaitHélène à se cacher elle-même, il fallutbien que la jeune femme la subît.

Commel’avait dit Fantômas, Hélène s’éventa.À l’instant où la voiture frôlait Juve etFandor, marchant doucement, tout doucement, et cela pour ne pointattirer l’attention, le policier et le journaliste quiinterrogeaient un homme de garde, se retournaient et, d’unregard anxieux, dévisageaient les occupants de la voiture.

NiJuve, ni Fandor ne purent voir Hélène. Ilsdistinguèrent en revanche, et parfaitement, les traits dugentilhomme qui occupait cette automobile. Mais, pendant les quelquessecondes que durait cette vision, Juve et Fandor ne pouvaient pasmatériellement avoir le temps de reconnaître Fantômasdéguisé, grimé, Fantômas qui n’étaitplus ni lui-même, ni le Grand Éclusier, qui, merveilleuxacteur, s’était savamment composé un visagenouveau.

Juveet Fandor, à peine de donner l’alarme et de provoquer unscandale redoutable pour la reine, ne pouvaient d’autre part,fouiller toutes les voitures qui quittaient le château.

L’automobilequi s’en allait à petite allure n’étaitsuspecte par aucun détail. Ils la laissèrent aller.

Àcet instant, Fantômas, redoutant encore un geste d’Hélène,s’agenouillait sur la banquette. Par la petite lucarne percéedans le dossier de la limousine, Fantômas braquait toujoursFandor. Et Fantômas, lentement, disait à Hélène :

— Lerevolver que je tiens porte avec précision jusqu’àdeux cents mètres environ. Dans quelques instants, vous serezlibre de hurler si bon vous semble.

Maisc’était là, en vérité, une dernièreraillerie, raillerie inutile.

Brusquement,en effet, et sans laisser à la jeune femme le tempsd’esquisser un mouvement de défense, Fantômas sejetait sur elle, et la bâillonnait. Il avait fermé lesrideaux des portières, il n’avait plus rien àcraindre. Après avoir employé la peur, Fantômasavait recours à la force.

Ledrame s’accomplissait.

L’automobilede Fantômas avait stoppé, deux heures plus tard, auxbords extrêmes du quai qui termine le port d’Amsterdam.Une sorte de péniche, une barge hollandaise, étaitamarrée là. Elle était sale, et couverte demorceaux de charbon. Il semblait en apparence que ce fût unepéniche ordinaire, attendant les bons offices d’unremorqueur. Telle était cependant l’habitationmystérieuse que Fantômas s’était choisiedès l’instant où Juve, en sauvant la reine,l’avait contraint d’abandonner la retraite qu’ils’était d’abord ménagée dans lavieille frégate désaffectée que connaissait sibien le vieux M. Eair, ou plus exactement, ÉtienneRambert, puisque M. Eair n’était autre que le pèrede Fandor.

L’automobileavait à peine stoppé, que Fantômas prenait Hélènedans ses bras et la soulevant comme il eût soulevé leplus léger des fardeaux, l’emportait à bord decette péniche.

Fantômasse dirigeait vers l’arrière du bateau. Là setrouvait une sorte de petite cabine, sale en apparence, couverte àl’extérieur de poussière et de charbon écrasé,et qui, à l’intérieur, constituait en réalité,un fort luxueux salon.

Fantômasferma la porte, posa son revolver sur la table, et défitlentement le bâillon d’Hélène.

— Vousavez besoin de calme, dit le bandit. Reposez-vous.

MaisHélène, depuis l’instant où elle avait étébâillonnée, depuis l’instant où elle avaitperdu de vue Fandor, qu’elle s’étaitirrémédiablement sentie aux mains de Fantômas,s’était précisément efforcée aucalme, s’était précisément contrainte àréfléchir.

Hélènetoisa le bandit.

— Jene puis avoir de repos, répondit-elle, tant que je metrouverai sous votre dépendance. Vous prétendez quevous m’aimez, Fantômas ; vous prétendez quevous voulez, malgré tout me considérer toujours commevotre fille, je vous somme de me répondre, et de me direpourquoi vous causez en ce moment, et mon désespoir, et ledésespoir de Fandor ?

Ilfallait en vérité qu’Hélène fûtbien sûre de l’amour de Fantômas, de l’affectionque le bandit lui portait pour oser ainsi interroger, pour osersurtout prononcer devant lui le nom de Fandor.

Enécoutant celle qu’il regardait, en effet, comme safille, Fantômas avait froncé les sourcils. Un plibarrait son front. Il interrompit Hélène.

— Neme parlez point de Fandor, fit-il. Je le hais, comme je hais Juve…Et vous ne saurez jamais ce que j’ai souffert tout àl’heure, quand je le tenais au bout de mon revolver et quandj’ai dû me contraindre à ne point l’abattre !

Àson tour, Hélène interrompit Fantômas.

— Cettehaine, fit-elle, vous n’avez pas le droit d’en parler,Fantômas. Fandor est un honnête homme, et Fandor fait sondevoir en luttant contre vous. Votre haine n’a pas de motifavouable.

— Si,fit rudement Fantômas.

— Lequel ?

Àl’interrogation précise de sa fille, car c’étaittoujours sa fille à ses yeux, Fantômas frissonna. Lesveines de ses tempes se gonflèrent. Un accès de colèrele secoua.

— Jehais Fandor, commença-t-il, parce que…

— Parceque ? demanda Hélène.

— Parceque vous l’aimez !

Maisà cette sombre déclaration, Hélènes’emporta :

— Vousmentez ! murmura-t-elle. Vous mentez, Fantômas !…Vous haïssiez Fandor avant ! D’ailleurs, que vousferait que j’aime Fandor ? Fandor est mon mari…Voudriez-vous donc mon malheur ? Préféreriez-vousque je sois la femme d’un homme que je n’aimerais point ?

Hélènehaletait…

Peut-êtreespérait-elle, connaissant l’affection sincèreque Fantômas avait pour elle, arriver à toucher soncœur. Peut-être se disait-elle que l’âmefarouche de Fantômas, cette âme inaccessible à lapitié, n’avait jamais eu, en somme, qu’une seulefaiblesse, cette affection qu’il lui vouait.

Nepourrait-elle s’en faire une arme ? N’obtiendrait-ellepas sa liberté ?

Lamalheureuse dut abandonner rapidement toute lueur d’espoir.Fantômas de ce ton impérieux qu’il prenaitquelquefois, et qui rendait toute discussion impossible, rétorquaitdéjà :

— Jevous défends, Hélène, de jamais oser prétendredevant moi que vous êtes la femme de Fandor. Vous ne lui êtesrien, et il ne vous est rien, voilà la vérité…

Maisà cette affirmation, Hélène protestait encore :

— Lavérité à vos yeux peut-être, disait-elle.Mais il n’empêche que la loi elle-même…

Lajeune femme se tut.

Fantômasvenait d’éclater d’un rire infernal.

— Laloi est pour moi, déclarait-il, en affectant une pitiéplutôt méprisante à l’endroit de sa fille.La loi est pour moi, et je dois vous rapprendre… Hélène,vous croyez être la femme de Fandor… Vous ne l’êtespas ! Vous ne le serez jamais ! Oh ! sans doute, je neme fais point d’illusion, vous allez me répondre quevous avez épousé Fandor à la maison de santédu docteur Paul Drop.Vousallez me rappeler que Fandor, par je ne sais quel moyen, obtint duprésident de la République lui-même la dispensede publicité que rendait nécessaire votre agonieapparente. Vous allez me rappeler tout cela, vous allez me citercette cérémonie grotesque, au cours de laquelle eninfirmier Claude, je fus votre témoin, tout comme l’étaitVladimir, le comte d’Oberkhampf. Eh bien, tout cela, Hélène,apprenez-le, n’a aucune valeur, ne compte pas, n’existepoint, pas plus à mes yeux qu’aux yeux de la loi !

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