La main coupée (Отрезанная рука) - Сувестр Пьер 25 стр.


Avec une délicatesse infinie, une douceur exquise de gestes et de mouvements, Fantômas avait attiré Isabelle de Guerray, toujours ligotée sur sa chaise dans l’angle du cabinet de toilette. Puis, prenant un foulard de soie il l’enroula soigneusement sur le front et les yeux de la malheureuse.

Fantômas avait pour elle des attentions.

— La vue du sang émeut parfois, dit-il, je veux vous éviter le moindre trouble.

Isabelle de Guerray ne parla plus, ne se plaignit plus, elle n’osa plus supplier.

Un râle persistant et monotone s’échappait par hoquets de sa poitrine, les mots sortaient inintelligibles de ses lèves glacées par la terreur.

Fantômas s’interrompit encore dans ses préparatifs d’autant plus horribles que les accessoires qu’il employait étaient plus délicats et charmants, et il insista :

— Voyons, madame, finissons-en. Le secret ? et vous serez libre.

Isabelle de Guerray fit un effort surhumain pour retrouver ce mot, ce simple mot auquel elle devrait la vie.

Ah, peu lui importait ce que Fantômas en ferait… elle était bien convaincue que ce n’était pas Louis Meynan qui avait envoyé le monstre auprès d’elle, que ce récit primitif n’était qu’une comédie, elle était certaine qu’en possession du secret, du moment qu’il avait aussi la clef des coffres, Fantômas s’empresserait d’aller voler le Casino.

Mais que faisaient à Isabelle de Guerray le Casino et ses richesses. La vie ne valait-elle pas cent fois plus que tous les trésors accumulés dans les caves de la maison de jeu ?

Hélas, impossible de se rappeler le mot :

— Finissons-en, répéta Fantômas.

Sa voix redevint menaçante et dure.

Isabelle de Guerray à demi évanouie éprouva soudain une sensation atroce.

À l’intérieur de son poignet, sur sa peau fine et délicate elle avait froid, mal de froid.

On aurait dit qu’une lame appuyée sur sa peau s’y traînait pendant quelques centimètres traçant une ligne droite du milieu de l’avant-bras jusqu’à la naissance du poignet.

Isabelle de Guerray frémit de tout son corps, une fois encore la respiration lui manquait.

Un instant après, de son poignet, coulait quelque chose de tiède, qui coulait goutte à goutte sur ses genoux : Isabelle de Guerray se rendait compte que Fantômas venait de lui ouvrir une veine du bras.

Le monstre tenait promesse.

Isabelle de Guerray essaya de crier, sa voix s’étrangla dans sa gorge et déjà elle se sentait affaiblie. Et l’idée de ce sang qui coulait toujours dont elle éprouvait désormais la chaude humidité sur toute sa jambe la faisait défaillir.

— Fantômas, grâce, balbutia-t-elle.

Mais le bandit ne répondait plus.

Combien de temps allait durer l’agonie ?

À vrai dire Isabelle de Guerray ne souffrait pas, à peine éprouvait-elle une imperceptible brûlure à l’avant-bras.

Fantômas décidemment était expert en l’art de distiller la mort, il avait promis à Isabelle qu’elle n’aurait pas mal et Isabelle mourait sans douleur.

Elle mourait longuement, elle mourait interminablement.

La malheureuse parvint à briser un de ses liens. À genoux elle se traînait, chancelante.

Isabelle heurta quelque chose de froid et de résistant : la psyché, le miroir à trois faces devant lequel si souvent elle avait admiré sa beauté triomphante.

L’infortunée avait réussi à arracher de ses yeux le foulard qui l’aveuglait, mais elle était plongée dans l’obscurité complète et elle ne pouvait pas voir se refléter dans la glace les traits évidemment affreux de son visage décomposé par la mort imminente.

Isabelle de Guerray sentait perler au bout de ses doigts le sang qui désormais paraissait couler à flots de sa veine ouverte. Alors l’infortunée réunissant ses dernières forces traça sur le miroir, avec son sang, le nom de celui auquel elle devait une fin si affreuse.

Puis, épuisée, Isabelle de Guerray retomba en arrière.

Mais à ce moment, sa tête et ses deux mains touchant le sol plongeaient dans une mare tiède : son sang. Etait-il possible qu’elle en eût tant perdu et qu’elle fut encore en vie ?

Hélas, son existence ne devait plus durer que quelques instants.

Il y avait quelque temps déjà qu’une trompe d’automobile avait retenti, joyeuse, devant le jardin de la villa. Fantômas avait éteint.

Isabelle de Guerray sentit soudain son cœur s’arrêter.

Un ultime hoquet lui monta jusqu’aux lèvres, puis son corps s’abandonna :

Elle était morte.

Quelques instants après, l’automobile, lassée d’appeler en vain, parut vouloir s’éloigner. On s’en rendait compte aux ronflements de plus en plus éloignés du moteur. Lorsqu’il fut certain que le véhicule était parti, quelqu’un rentra dans le cabinet de toilette d’Isabelle de Guerray et fit jaillir la lumière.

21 – IVAN IVANOV…

L’automobile qui s’était arrêtée devant la porte de la villa d’Isabelle de Guerray, puis qui était repartie ensuite, avait laissé sur le trottoir deux personnes. Celles-ci après avoir sonné deux ou trois fois n’avaient obtenu aucune réponse.

C’étaient une femme, élégante semblait-il, toute emmitouflée de fourrures, puis un homme en habit dont le col du pardessus était relevé.

Ils discutaient.

Avec impatience, nerveusement, frappant du pied, la femme grommelait :

— C’est assommant, on ne nous entend pas, et pourtant je suis sûre qu’Isabelle est chez elle.

— Peut-être, objectait l’homme, est-elle sortie, contrairement à ses intentions, et peut-être nous attardons-nous inutilement ?

— Héberlauf, poursuivit la jeune femme, vous êtes assurément un austère pasteur, mais vous manquez de perspicacité. Vous ne connaissez pas Isabelle. Cela se voit, sans quoi vous ne songeriez pas un seul instant qu’elle est sortie du moment que chez elle c’est éclairé.

La jeune femme qui accompagnait le grand et maigre M. Héberlauf n’était autre que Conchita Conchas.

L’Espagnole, de sa main finement gantée, montrait à son amant un léger filet de lumière qui passait par une fenêtre du premier étage :

— Vous voyez, fit-elle, nous pouvons entrer…

Conchita Conchas entrebâillait la grille du jardin. Héberlauf voulut l’en empêcher.

— Nous sommes indiscrets, fit-il. D’ailleurs, qu’allons-nous faire chez Isabelle de Guerray ?

— Sapristi, s’écria l’Espagnole avec une spontanéité naïve et peu galante pour son compagnon, mais… essayer de nous distraire. Isabelle de Guerray a beaucoup d’entrain et puisque nous devons passer la soirée ensemble, vous et moi, jusqu’au moment de partir pour Nice, autant être avec Isabelle que tout seuls. L’auto revient dans un instant. Nous irons au cercle.

— Peut-être aurions-nous mieux fait de rester chez toi. Un tête-à-tête, ma délicieuse Conchita, aurait été bien doux.

L’Espagnole sourit, haussa les épaules, elle grommela :

— Bien doux, c’est à savoir. Pas rigolo, en tout cas.

C’était, en effet, le principe de Conchita Conchas qu’elle appliquait une fois de plus.

La troublante Espagnole, dès qu’elle se trouvait en présence de l’excellent M. Héberlauf, très épris d’elle, sans doute, mais perpétuellement inquiet, sans cesse troublé par les reproches de sa conscience, n’avait qu’une idée lorsqu’elle avait à ses trousses ce triste protecteur, c’était d’organiser des parties, de trouver des amis, d’être enfin avec d’autres personnes susceptibles de mettre de la gaieté dans leur déplaisant tête-à-tête.

Conchita Conchas, au risque de paraître indiscrète, ayant avisé la lumière qui filtrait par la fenêtre de la maison d’Isabelle de Guerray, décidait donc de pénétrer dans la villa, et déjà elle avait franchi les grilles du jardin.

Héberlauf, résigné, allait la suivre, lorsque le couple s’arrêta.

À l’extrémité du boulevard venaient d’apparaître deux lanternes qui se rapprochaient rapidement, cependant que l’on percevait encore le grondement d’un moteur.

— Une autre auto, fit Conchita Conchas, ce sont peut-être des amis qui viennent aussi chez Isabelle ?

L’automobile – un taxi – s’arrêtait en effet à proximité de la villa de la demi-mondaine.

Mais ce n’étaient pas des fêtards qui en descendirent, c’étaient deux hommes aux visages graves et sérieux qui n’étaient autres que Juve et M. Amizou, le commissaire de police.

Que venaient-ils faire à cette heure chez Isabelle de Guerray ?

Juve, dans le milieu des élégants noceurs, passait toujours pour un riche oisif qui s’appelait Duval ou Dubois, on ne savait pas exactement. Quant à M. Amizou, tout le monde le connaissait et nul n’ignorait sa profession.

Les deux nouveaux venus paraissaient d’abord fort dépités de la rencontre inattendue qu’ils faisaient ; mais cette impression n’était que passagère et cependant que Juve saluait discrètement et silencieusement, M. Amizou, d’un air jovial, apostrophait Héberlauf.

Avec un manque de tact, parfait d’ailleurs, il le plaisantait sur sa compagne.

— Ah, déclara-t-il, cher monsieur, je vous y prends en partie fine et j’oserai presque dire en flagrant délit.

Enchanté de sa plaisanterie, M. Amizou poursuivait :

— Tout de même, si j’étais chargé par la digne M meHéberlauf de vous rechercher en ce moment, je crois qu’il me serait possible d’établir le flagrant délit, hein, qu’est-ce que vous répondriez ?

— Je ne répondrais pas, cher monsieur, ou plutôt je répondrais, mais…

Héberlauf s’interrompait pour courir après Conchita Conchas, qui, sans la moindre vergogne et ennuyée d’attendre ainsi dans la nuit fraîche, avait traversé le jardin et entrait dans la maison dont la porte donnant dans le vestibule était ouverte. M. Héberlauf la suivit :

— Monsieur Amizou, observa Juve, voilà des gens qui vont nous gêner. Il va s’agir de les faire partir d’ici peu afin de pouvoir interroger Isabelle de Guerray sur les quelques détails qui nous manquent.

— Et puis, poursuivit le policier, il va falloir la mettre au courant.

— Oui, ça n’est pas le plus drôle, d’ailleurs.

Juve et le commissaire étaient arrivés jusqu’au perron de la villa et ils s’apprêtaient à pénétrer dans la demeure, ne doutant pas qu’ils trouveraient un prétexte quelconque pour justifier leur visite tardive.

La maison semblait endormie. À part le filet de lumière qu’ils avaient aperçu au premier, tout était dans le noir.

Juve et le commissaire avaient rejoint M. Héberlauf dans la véranda, éclairée seulement par un rayon de lune, et ils attendaient que Conchita Conchas, montée au premier, eût avisé Isabelle de Guerray de la présence de visiteurs. La jeune femme, cependant, tardait à descendre, le silence persistait. On n’entendait toujours aucun bruit.

— Isabelle est peut-être couchée, suggéra M. Héberlauf.

Le commissaire en doutait.

— À onze heures, ce serait invraisemblable… dites plutôt qu’elle s’habille pour venir au Casino, si je ne me trompe, la lumière que nous avons aperçue venait du cabinet de toilette.

— Vous m’avez l’air bien renseigné, monsieur le commissaire, observa malicieusement l’ex-pasteur.

— Oh, protesta le commissaire, je connais « professionnellement » les plans de toutes les maisons de la ville, mais « professionnellement » seulement.

Conchita Conchas descendait :

— C’est curieux, fit-elle, très curieux…

Le commissaire de police cherchait au mur un commutateur qu’il finit par découvrir. Quand la lumière eut jailli, Conchita reprit la parole :

— Je viens de voir Isabelle. Elle est dans son cabinet de toilette à moitié habillée. Je l’ai appelée deux ou trois fois. Elle n’a pas répondu. Elle est assise sur une chaise, profondément endormie.

— Il vaudrait peut-être mieux nous en aller… nous sommes terriblement indiscrets, dit Héberlauf.

On entendait précisément une automobile. Héberlauf ajouta :

— C’est notre voiture qui revient.

— Ma foi, suggéra Juve, c’est peut-être ce que nous aurions de mieux à faire. Partez donc devant, nous vous suivons.

le policier n’avait en effet qu’une idée : se débarrasser des gêneurs. Quant au commissaire de police, impatient de savoir pourquoi Isabelle de Guerray ne se réveillait pas et n’éprouvant aucune pudeur à pénétrer dans son cabinet de toilette, il gravissait rapidement l’escalier, tout en appelant :

— Isabelle, Isabelle… comme vous avez le sommeil profond. Réveillez-vous donc, ce sont des amis.

Puis le commissaire se tut, on l’entendait aller et venir un instant à l’étage au-dessus. Puis, lentement, il redescendit.

M. Amizou n’avait plus sa physionomie souriante, il était pâle, ému, il se rapprocha du groupe qui causait près de la véranda :

— Messieurs, fit-il, je crois qu’un malheur vient d’arriver. J’ai vu Isabelle de Guerray. Elle ne dort pas comme le croyait Conchita. Elle a l’air évanouie, peut-être morte.

— Isabelle, morte ? qu’est-ce que vous dites là, s’écria l’Espagnole qui bondit en direction du premier étage.

Juve l’arrêta par le bras.

— Ne retournez pas là-haut, mademoiselle, si Isabelle de Guerray, comme le dit M. Amizou, est évanouie ou morte, il ne faut pas vous donner d’émotions inutiles.

— Monsieur a raison, dit Héberlauf, allons-nous-en.

Mais Conchita insistait :

— Je veux savoir, je ne puis pas laisser une amie comme cela, vous m’épouvantez tous. Il faut que je sache.

Les trois hommes insistèrent auprès de la jolie femme :

— Non, non, disait le commissaire sur le visage duquel se peignait une émotion croissante, vous ne pouvez pas rester ici. Il ne le faut pas. Allez au Casino. Dans cinq minutes nous vous rejoignons. Peut-être qu’Isabelle n’est qu’évanouie.

Le commissaire s’efforçait de reconduire jusqu’à la porte le couple désemparé qui ne savait que faire. Il réussit enfin à décider les deux amants à monter en voiture.

Conchita, au moment où la voiture s’éloignait, recommanda toutefois encore à M. Amizou :

— Ne manquez pas de nous renseigner tout à l’heure, dites-nous bien ce qui lui est arrivé, nous allons au Casino.

— Ouf, fit le commissaire en rebroussant précipitamment chemin alors que l’automobile démarrait, nous voilà débarrassés d’eux.

Puis il songea aussitôt à ce qu’il avait vu, à la silhouette d’Isabelle de Guerray, immobile, inerte, les yeux clos, la figure blême, assise au milieu de son cabinet de toilette tout inondé de lumière.

Il remonta précipitamment, de plus en plus surpris, inquiet, ému par le silence de cette maison vide, où on allait et venait sans rencontrer âme qui vive.

Le commissaire était inquiet. Juve ne l’avait pas attendu pour gagner le premier étage. Lorsque M. Amizou, quelque peu essoufflé, après avoir gravi l’escalier en quelques bonds, eut atteint à nouveau les appartements intimes de la demi-mondaine, se trouva en face de Juve, il demeura interdit, silencieux, en voyant la tête que faisait l’inspecteur.

Juve, qui avait posé son chapeau sur un petit tabouret voisin, inventoriait lentement la pièce, regardant autour de lui, se préoccupant, semblait-il beaucoup plus de l’installation du cabinet de toilette que de la malheureuse femme qui se trouvait au milieu, assise, rigide, inanimée, sur une chaise.

M. Amizou regardait Isabelle.

La demi-mondaine, dans une pose fort naturelle, ne présentait aucun désordre dans sa toilette ni dans sa tenue. Elle était assise la tête renversée en arrière comme quelqu’un qui sommeille. Mais, par exemple, elle ne remuait pas, aucun mouvement de son corps ne trahissait la vie, sa poitrine était rigoureusement immobile.

— C’est incompréhensible, qu’en pensez-vous, monsieur Juve, il me semble, n’est-ce pas, qu’elle est morte ?

Juve enfin, terminait son inspection et sans jeter le moindre coup d’œil sur Isabelle de Guerray, il répondit au commissaire :

— Aucun doute. La question, désormais, est de savoir comme elle est morte et si elle n’a pas été assassinée ?

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