La main coupée (Отрезанная рука) - Сувестр Пьер 28 стр.


— Oui, monsieur le directeur.

— C’est bien, attendez.

Avec un petit soupir de résignation et de fatigue, M. de Vaugreland se décida :

Il prit sur son bureau un coupe papier d’argent, il le glissa dans l’enveloppe, il ouvrit celle-ci :

— Qui diable peut m’écrire ? murmura-t-il.

M. de Vaugreland du bout de ses doigts tira de l’enveloppe une feuille de papier à lettre.

— Lui, bégaya le directeur du Casino, blême soudain, ce n’est pas possible. Je suis victime d’une plaisanterie. Ah, ce serait épouvantable.

— Faut-il faire entrer ce monsieur ?

— Non, non, grands dieux non.

— Alors, il faut le flanquer à la porte ?

— Vous êtes fou ? Ne faites surtout pas ça.

— Mais s’il ne faut ni le recevoir, ni le flanquer à la porte, monsieur le directeur, qu’est-ce qu’il faut faire ?

— Mais…

— Permettez, monsieur le directeur, recommença l’huissier, c’est peut-être qu’il faudrait envoyer ce monsieur au secrétariat ?

— Au secré…

M. de Vaugreland n’acheva pas.

Tout le temps qu’avait duré cette courte scène, l’huissier était demeuré sur le pas de la porte, prêt à aller chercher le visiteur. Or, la porte venait de s’ouvrir dans son dos. Et pendant que l’huissier, heurté par le battant, trébuchait, un homme entrait, qui, le chapeau à la main, s’inclinait fort correctement.

— Monsieur le directeur, disait-il, je suis au regret de forcer l’accès de votre cabinet mais il me semble que vous deviez hésiter à me recevoir ? Et, je vous l’assure, la visite que je vous fais est de la plus haute importance. Je viens vous rendre un grand service.

L’inconnu, tout en parlant, avec l’aisance parfaite de l’homme du monde, s’était approché du bureau. Il jeta d’un geste aisé son chapeau et ses gants sur un fauteuil, puis releva les pans de sa jaquette, se renversa sur un pouf et du ton le plus naturel demanda :

— Voulez-vous que nous causions, Vaugreland ? Oui ? alors faites-moi donc le plaisir d’ordonner à votre huissier de se retirer. Les choses que nous avons à traiter ne regardent que vous et moi.

L’inconnu parlait avec une telle autorité qu’il semblait plutôt donner des ordres qu’en solliciter.

Ne comprenant rien à se qui se passait, l’huissier s’effaça. On entendit retomber sur lui, avec un claquement sourd, les portes rembourrées.

— Causons. Une première question. Vous êtes bien persuadé, n’est-il pas vrai de mon identité ? Vous saviez sans doute que j’étais dans la Principauté ? Vous attendiez ma visite ? Répondez-moi donc, cher monsieur ? Vous faites une mine, à la vérité, bien peu engageante. On dirait presque que je vous fais peur ?

— Mais !… mais !… vous ?… vous !… ah !… par pitié ?… ne me tuez pas !… que désirez-vous ?

— Là, calmez-vous donc. Que diable, suis-je si terrible à voir ? Je me suis pourtant, jusqu’à présent, je vous assure, fort bien conduit à votre égard… Et si je suis ici, c’est pour vous rendre un service, je le répète.

— Un service ?

— Oui, un service important.

— Je ne comprends pas.

— Évidemment que vous ne me comprenez pas. Le moyen de vous en vouloir, d’ailleurs ? Je me rends parfaitement compte qu’il peut vous sembler bizarre au premier abord de recevoir ma visite, de vous dire que vous êtes en présence de Fantômas et que Fantômas vient vous rendre un service. Et pourtant, cela est.

— Mais vous êtes donc bien Fantômas ?

— Parfaitement.

— Mais que voulez-vous ?

— Pas si vite. Avant de vous dire, cher monsieur, ce que je veux de vous, il faut que je vous dise ce que je viens de faire pour vous. Donnant donnant. J’ai un tout petit service à vous demander en échange de quoi vous allez me devoir des actions de grâce. Tenez, reconnaissez-vous ceci ?

Fantômas qui avait repris son ton calme et parlait du bout des lèvres, ayant l’air de plaisanter, tira du gousset de son gilet une petite clef qu’il jeta sur le buvard, devant M. de Vaugreland.

— Reconnaissez-vous ceci ?… Oui ?… C’est la clef des caves du Casino, n’est-ce pas ? C’est la clef qui a été volée à votre malheureux caissier : Louis Meynan ? Allons, restez tranquille, ne faites pas de sottises. N’essayez pas de sonner, je suis ici avec les meilleures intentions du monde, mais si vous m’occasionniez quelques désagréments, je n’hésiterais pas à vous réduire au silence. C’est compris ? oui ? Alors causons encore.

M. de Vaugreland subjugué, répondit simplement au gentleman d’une quarantaine d’années, fort élégant, d’une parfaite distinction :

— Causons.

— Donc je vous rapporte cette petite clef. Demandez-vous pourquoi. Écoutez. Il y a quinze jours, horrible assassinat de Norbert du Rand. Télégramme à Paris. Arrivée ici de Juve et de Fandor. Là, parole de bandit, vous avez frôlé la mort, monsieur le directeur.

— Mon Dieu, mon Dieu…

— Bah, je me rends compte que vous n’aviez pas réfléchi, Vaugreland, je vous pardonne. Malheureusement, depuis, pour tout ce qui est arrivé, Juve et Fandor ont conclu que c’était moi le coupable. C’est énervant à la fin.

— Mais…

— Ne m’interrompez pas, mon nom de Fantômas, bien sûr, évoque aventures, mais, enfin, comme tout le monde, on a besoin d’un peu de calme de temps en temps. J’étais venu me reposer à Monaco, voilà que Juve et Fandor viennent m’y relancer.

— Mais…

— Laissez-moi parler, à la fin. J’en viens à notre marché, monsieur le directeur. Donnant donnant. Je vous restitue la clef sans laquelle vous seriez bien empêché d’ouvrir le Casino ce soir, – c’est un service considérable – et vous, de votre côté, vous décidez Juve et Fandor à quitter la Principauté. Qu’ils partent pour Paris, au diable, où vous voudrez. Mais qu’ils me laissent en paix ici. Car, je vous le répète, je suis « en vacances ». Sommes-nous d’accord ?

— Je… je… je ne sais que vous répondre.

— Pourtant ?

— Vont-ils vouloir partir ? S’ils partent, le scandale va continuer ? Il faut que l’assassin…

Le gentleman avait éclaté de rire :

— Rassurez-vous, monsieur le Directeur. Pour votre tranquillité, l’assassin doit être arrêté. Il le faut pour la Société des Bainsde Mer… Voyons, ce n’est pas le départ de Fandor et de Juve qui peut empêcher l’heureuse issue de cette affaire ? Voyons, cher monsieur de Vaugreland, voulez-vous faire ce que je vous dis ? Voulez-vous suivre mes conseils ? Je me propose de rendre la tranquillité à Monaco. Je vous assure que je me propose de le faire sans appeler à l’aide ou Juve ou Fandor. Êtes-vous disposé à écouter mes avis ?

— Sans doute, mais…

— Bon. Combien, d’après vous le Casino donnerait-il pour être entièrement délivré du personnage inconnu qui le met à feu et à sang ?

M. de Vaugreland n’hésita pas une seconde :

— Oh, le casino donnerait une fortune pour rétablir le calme. Je mets bien volontiers cinq cent mille francs à la disposition de qui arrêtera le coupable.

— Ne vous emballez pas.

Fantômas se leva, Il se promena de long en large puis il revint auprès de M. de Vaugreland, s’appuya au bureau et, le regardant dans le blanc des yeux :

— Voyons, nous avons assez perdu de temps. En conclusion : Secret absolu sous peine de mort. Ensuite vous allez immédiatement commencer à persuader à Juve et à Fandor de retourner à Paris. Je vous accorde cinq jours pour les y décider. Enfin, puisque vous êtes disposé à payer cinq cent mille francs afin d’obtenir la tranquillité dans Monaco vous allez, immédiatement, et de votre plus belle écriture, donner l’ordre à l’un de vos caissiers de mettre sous enveloppe une liasse de cinq cents billets de mille francs. Cette liasse vous la ferez porter, sans aucune explication, à l’officier russe commandant le Skobeleff, à Ivan Ivanovitch.

— À Ivan Ivanovitch, mais que voulez-vous dire ?

— Rien, monsieur le directeur, rien. Ne cherchez pas à comprendre. Faites ce que je vous dis et, croyez-moi… tout ira désormais le mieux du monde.

— Mais enfin…

— Non, pas un mot.

Puis, comme M. de Vaugreland demeurait muet de stupéfaction, Fantômas se hâtait d’ajouter :

— N’imaginez rien, même, n’essayez point de comprendre. Faites remettre cet argent à Ivan Ivanovitch et vous verrez que cet officier, misérable et miséreux, s’empressera de lever l’ancre et de repartir vers son pays, vous verrez. Et ne vous effrayez plus, cher monsieur, si quelque jour je vous fais passer ma carte. Ce serait tout bonnement que j’aurais une communication intéressante à vous faire et non point, croyez-le bien, que je redeviendrais le bandit que l’on a connu.

Dans un éclat de rire diabolique, Fantômas ajouta :

— Parbleu, monsieur de Vaugreland, si vous n’étiez pas si timide, vous marqueriez d’une croix blanche cette journée où Fantômas devient un peu votre associé.

24 – MALHEURS DE BOUZILLE

À peine Denise s’était-elle enfuie, disparaissant au tournant de la route, que Fandor, comme un homme qui se réveille d’un rêve, décidait d’agir coûte que coûte.

— Il faut que nous sortions de toutes ces aventures, songeait l’énergique jeune homme. Il faut que Fantômas paie sa dette. Il faut que Denise soit enfin délivrée de la menace terrible que son père constitue pour elle.

Le journaliste, à grands pas, remontait vers la villa d’Isabelle de Guerray.

— Juve doit être là, songeait-il, que diable, il faudra bien qu’il m’aide, il faudra bien qu’une bonne fois il abandonne ses soupçons et qu’il vienne enquêter avec moi.

Malheureusement, Fandor ignorait complètement ce qu’avait fait Juve depuis qu’il s’était séparé de lui.

Il eut une violente émotion en apercevant le policier au moment même où celui-ci quittait la maison d’Isabelle de Guerray.

— Juve, commença Fandor d’une voix qui tremblait un peu, j’ai à vous parler.

— Parle, Fandor, mais d’abord, es-tu au courant de ce qui s’est passé ?

— Non, quoi encore ?

— Un terrible assassinat vient d’avoir lieu, Fandor.

— Mon Dieu.

— Isabelle de Guerray est morte.

— Isabelle de Guerray ?

— Oui, et sais-tu qui l’a tuée ?

— Qui ?

Très froidement et regardant bien Fandor en face, Juve annonçait en scandant les syllabes :

— Je ne te ferai pas languir, Fandor : l’homme qui a tué Isabelle de Guerray, c’est sans doute Fantômas. Mais Fantômas, sais-tu qui c’est ?

— Qui ?

— C’est Ivan Ivanovitch.

À peine Juve avait-il prononcé ces paroles dont il escomptait tant d’effet : « Le coupable, c’est Ivan Ivanovitch », que Fandor tout simplement éclatait de rire, d’un grand rire naturel, d’un rire de franche gaieté.

— Ah çà, gronda Juve, que trouves-tu de si plaisant ?

— Excusez-moi, Juve, cet éclat de rire est absolument idiot, c’est un fou rire nerveux. Vraiment, vous croyez qu’Ivan Ivanovitch est coupable ? Pourquoi ?

— Pourquoi Ivan est le coupable ? mais, Fandor, parce que tout le prouve, oui, tout.

Fandor cependant ne se démontait pas…

— Vraiment ? vous avez tant de preuves que cela, Juve ? mes félicitations. Au moins on ne vous reprochera pas d’hésiter. Mais enfin, voulez-vous me permettre cependant de remarquer qu’il serait plus intéressant d’avoir une seule preuve bien certaine.

— Tais-toi, Fandor, je ne veux plus t’entendre défendre cet homme, ce misérable, Fantômas.

— Mais, Juve…

— Tais-toi. Tu me demandes une preuve certaine, je l’ai. C’est la morte qui a parlé. C’est Isabelle de Guerray elle-même qui a écrit sur une glace le nom de son meurtrier, c’est elle qui a dénoncé son assassin.

Et Juve expliqua à Fandor le résultat de l’enquête qu’il venait de faire autour du cadavre de la demi-mondaine.

Juve, quelques instants après, concluait :

— Tu le vois, il n’y a plus à s’y tromper, le doute n’est plus possible, c’est bien Ivan Ivanovitch le coupable.

Fandor qui avait déjà ri, rien qu’en entendant accuser Ivan Ivanovitch, riait encore.

— Très joli tout ça, Juve, mais, excusez-moi de vous affirmer que c’est radicalement faux. Si vous avez une preuve qu’Ivan Ivanovitch est le coupable, j’ai la preuve irréfutable de son innocence.

Et Fandor parlait avec une telle assurance que Juve, une seconde, se demanda si par hasard le journaliste ne disait pas la vérité, si Ivan Ivanovitch n’était pas réellement innocent du meurtre d’Isabelle de Guerray…

Fandor mentait. Impossible.

— Donne-moi cette preuve qu’Ivan Ivanovitch n’a pas tué Isabelle de Guerray ?

— Depuis hier soir, dit Fandor, je sais où est Ivan Ivanovitch. Depuis le moment où Isabelle de Guerray a été vue, vivante, au Casino, jusqu’au moment où on l’a retrouvée morte, chez elle, je puis justifier de l’emploi du temps d’Ivan Ivanovitch, que je n’ai pas quitté d’une semelle.

Il conta alors à Juve, comment, lui, Fandor, aidé de Bouzille, avait appréhendé l’officier, comment le commandant du Skobeleffavait été conduit de force dans la demeure de Bouzille, comment il s’y trouvait encore.

— Je ne sais plus où j’en suis. Il me semble que je deviens fou. Si tu dis la vérité, Fandor, Ivan Ivanovitch ne peut être le coupable. Mais je me prends à douter ?… oui, à douter…

— À douter de moi ? Vous doutez de moi, Juve ? vous ne pouvez me croire ? vous supposez que j’invente une histoire à plaisir ? Soit. Les minutes sont trop graves pour que je m’offense de vos suppositions. Venez. Allons voir ensemble Ivan Ivanovitch, prisonnier chez Bouzille.

— Allons-y.

— Fandor, demanda le policier, sais-tu que j’ai retrouvé tes traces dans la maison d’Isabelle de Guerray ? Qu’étais-tu venu faire chez cette femme ?

— J’étais venu… commença Fandor.

Mais le journaliste s’interrompit.

Répondre à Juve, c’était lui avouer qu’il avait vu la fille de Fantômas, et qu’il avait favorisé sa fuite.

— Juve, je ne puis vous renseigner à ce sujet. Supposez ce que vous voudrez. Vous êtes libre. Si j’étais chez Isabelle de Guerray, c’est que j’avais le droit d’y être, mais je ne puis vous expliquer ma conduite. D’ailleurs, Juve, tout ce malentendu, je vous en donne ma parole, finira quand vous aurez reconnu qu’Ivan Ivanovitch n’est pour rien, n’a jamais été pour rien dans les scandales dont vous cherchez les coupables. Cela, vous allez le savoir dans quelques minutes… Juve, dépêchez-vous d’aller retrouver Ivan Ivanovitch chez Bouzille. Vous n’avez pas besoin de moi ? moi, je vais aller chez Isabelle de Guerray faire mon enquête pour trouver le véritable assassin.

— Oui, Fandor, j’irai seul chez Bouzille.

***

Vingt minutes plus tard, Juve était assis sur une caisse renversée, dans la demeure de Bouzille et causait avec le chemineau :

— Enfin, Bouzille, vous me comprenez bien, j’imagine ? je parle clairement, je pense ? Fandor m’a dit : « Moi et Bouzille, nous avons arrêté et attaché Ivan Ivanovitch. Ivan Ivanovitch est donc prisonnier chez Bouzille, allez-y, Juve, vous l’y trouverez. » Or, je ne vois pas d’Ivan Ivanovitch ici, pourquoi ?

— Ah, M. Fandor vous a dit cela ? Eh bien, monsieur Juve, si Ivan Ivanovitch était ici, sûr et probable que vous le verriez.

— Il ne s’agit pas de ça, Bouzille. Je vois bien qu’Ivan Ivanovitch n’est pas là, mais y a-t-il été ? en d’autres termes, Fandor m’a-t-il menti ?

— C’est pas gentil, monsieur Juve, de dire ça de votre ami.

— Bouzille, répondez-moi, nom d’un chien : Ivan Ivanovitch s’est-il enfui ? est-il parti d’ici ? oui ou non ?

Et Bouzille songeait :

« Si M. Juve sait que, pour trois louis, j’ai rendu l’officier à la liberté, sûr et certain qu’il va se fâcher.

— Monsieur Juve, vrai de vrai, je ne comprends rien à ce que vous me racontez. Vous êtes là à vous tourmenter. Pourquoi donc ? bien sûr que non, jamais Ivan Ivanovitch n’a été prisonnier ici. Tout ça c’est des histoires.

— Ah ! nom de Dieu de nom de Dieu ! (c’était Juve qui se mettait en colère).

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