L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Сувестр Пьер 10 стр.


— Monsieur, il est absolument inutile de m’énumérer les conséquences tragiques de ce vol. Demain, après-demain au plus tard, les deux clefs volées seront entre vos mains.

— Les deux clefs volées ?

— Oui, monsieur, je vous en donne ma parole.

— Mais puisque c’est Fantômas ?

— Raison de plus. Fantômas, depuis quelques jours, multiplie les crimes audacieux, j’ai une belle revanche à prendre contre lui, vous me l’offrez.

— Mais, comment ferez-vous ?

— C’est un peu mon secret.

— Vous êtes certain de réussir ?

— Oui, à une condition.

— Laquelle ?

— Vous me confierez, monsieur le gouverneur, la troisième clef que vous possédez. D’abord, je ne serai pas tranquille de la savoir entre vos mains, car Fantômas trouverait moyen de vous la prendre, ensuite, j’en ai besoin.

— Vous voulez la troisième clef des caves ? Si vous l’avez, vous vous engagez à retrouver les deux autres clés volées ?

— Parfaitement.

Il n’y avait pas à hésiter, et M. Châtel-Gérard n’hésita pas. Il tira d’une poche de son gilet une petite clef brillante. Puis, il répéta :

— Monsieur, je vais vous confier cette clef, mais vraiment…

— Excusez-moi, interrompit Juve, qui avait pris son chapeau, je n’ai pas une minute à perdre.

Le policier salua et se retira.

Or, Juve avait à peine disparu du cabinet de travail, on venait tout juste d’entendre se refermer la porte de l’escalier que M. Tissot bondit vers le gouverneur :

— Mon cher, hurlait le censeur, j’ai peur, j’ai effroyablement peur.

— Oui, moi aussi. Est-ce bien Juve ? Ai-je eu raison de lui confier la clef ?

— Si c’est Juve, dit M. Tissot, il tiendra parole. Les trois clefs nous seront rendues.

— Si ce n’est pas Juve, si je me suis laissé berner, hurla M. Châtel-Gérard, je n’aurai qu’à me faire sauter la cervelle.

Cinq heures sonnaient.

7 – LA CLEF OFFERTE

Juve marchait toujours très vite en réfléchissant :

— Pourtant, se disait-il, je ne peux pas m’y tromper. Fantômas seul peut avoir médité de piller la Banque de France.

Il en revenait toujours là, car, ainsi qu’à l’ordinaire, le seul nom du bandit suffisait à lui faire redouter les pires catastrophes, à croire même à l’invraisemblable.

— Bah, conclut Juve, on verra bien. Je vais encore lui jouer un tour de ma façon.

Juve venait d’arriver sur la place du Théâtre-Français, il avisait un taxi-auto qui passait, l’arrêta d’un geste.

— Menez-moi rue Tardieu, 1 ter.

Une heure plus tard Juve était tranquillement installé dans l’appartement qu’il occupait près du square Saint-Pierre. Il lui fallait d’ailleurs une belle audace pour continuer d’habiter ainsi dans le logement qu’il avait conquis sur Fantômas, mais Juve n’en était pas à s’étonner pour si peu de chose.

***

Juve était déshabillé à présent, il avait revêtu une grande robe de chambre marron qu’il affectionnait pour travailler, il fumait un cigare et son front était rasséréné.

— Jean, appela le policier.

Le domestique qui, depuis des années, servait avec un dévouement grondeur le roi des policiers, accourut.

— Monsieur me demande ?

— Parfaitement. Faites venir mon invité.

— Quel invité, monsieur ?

— L’individu qui est dans le cabinet noir.

Jean, à cet ordre, ouvrit des yeux noirs effarés.

— Il y a un individu dans le cabinet noir, c’est donc pour cela… ?

— Oui, coupa Juve, c’est pour cela, Jean, que je vous ai interdit ce matin d’entrer dans la penderie.

Jean était trop accoutumé à apprendre les plus fantastiques nouvelles, pour se permettre une observation.

— Bien, monsieur, répondait le domestique, je vais conduire son invité à monsieur.

Quelques instants plus tard, la porte du cabinet de travail s’ouvrait et Jean poussait devant lui un individu qui n’était autre que Tête-de-Lard.

— Entrez, disait-il, M. Juve vous demande.

Mais comment diable Tête-de-Lard se trouvait-il chez Juve ?

Lorsque le policier, au péril presque de sa vie, avait réussi à tirer l’apache des flots de la Seine, il avait été un instant dupe de Tête-de-Lard. Juve n’avait point tout d’abord soupçonné l’apache d’avoir été complice de Fantômas.

Mais bien vite, Juve s’était ressaisi. Bien vite, il en était venu à penser qu’assurément Tête-de-Lard était un personnage qu’il importait de « cuisiner ».

Juve, en confiant le rescapé aux bons soins des agents plongeurs, avait invité Tête-de-Lard à venir le voir et quoique, après réflexion, l’inspecteur de la Sûreté avait été persuadé que l’apache manquerait au rendez-vous. Mais non ! Tête-de-Lard qui sans doute avait une idée derrière la tête pour agir ainsi, était venu sonner au domicile de Juve le soir même.

Le policier l’avait accueilli avec son plus aimable sourire.

— Tête-de-Lard, avait dit Juve, je tombe de sommeil. Si nous remettions toute causerie à demain matin, qu’en dites-vous ? J’ai précisément un lit de sangle inoccupé. Je vous l’offre. Dormez chez moi, nous causerons demain.

Et, sans laisser le temps à Tête-de-Lard de réfléchir, Juve avait poussé l’apache dans le cabinet noir d’où Jean venait de le faire sortir.

Juve, toutefois, la veille au soir, avait pris une précaution nullement superflue.

À peine Tête-de-Lard était-il entré dans l’alcôve obscure où Juve prétendait lui faire passer la nuit que le policier, d’un tour de main discret, avait poussé le verrou et bouclé son hôte.

— Dors, mon bonhomme, avait alors murmuré Juve, dors en paix, nous verrons plus tard, demain dans l’après-midi sans doute, à tirer de toi ce qu’il convient d’en tirer.

Or, depuis ce moment, c’est-à-dire depuis la veille, Juve n’avait pas revu l’apache.

Celui-ci bien entendu s’était réveillé, avait essayé de sortir de sa prison, puis, était demeuré immobile, retenant son souffle et faisant les pires suppositions.

— Je suis fait ! se répétait Tête-de-Lard. Je suis tout ce qu’il y a de plus fait.

Juve, à vrai dire aurait certainement interrogé Tête-de-Lard dans la matinée si, dans les couloirs de la Sûreté, il n’avait fait la rencontre de M. Châtel-Gérard. Les événements s’étaient alors précipités. Il venait tout juste de rentrer lorsqu’il fit demander l’apache.

Juve à l’apparition de Tête-de-Lard prit un air des plus aimables :

— Alors mon vieux, commença-t-il familièrement, la nuit a été bonne ? Pas de cauchemars ? Vous ne vous êtes pas trop embêté ?

— Mais, monsieur Juve, faisait-il, tournant machinalement entre ses doigts sa casquette crasseuse, et pleurant de ses deux yeux éternellement noyés dans la graisse de sa figure, je ne sais pas ce que cela veut dire. Oui, j’ai bien dormi, seulement…

— Et comme ça, interrompait Juve, vous avez été faire un tour cet après-midi ?

— Un tour, monsieur Juve ?

La face de Tête-de-Lard continuait à exprimer un ahurissement quasi complet.

Ah çà, Juve se moquait-il de lui ?

Il lui demandait s’il avait été faire un tour, alors que tout juste, il venait d’être rendu à la liberté ?

— Je n’ai pas été faire un tour, répondait Tête-de-Lard avec un soupir, puisque vous m’aviez bouclé.

Mais, à ce mot, Juve donnait des signes de stupéfaction :

— Bouclé, mon vieux ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?

— J’étais enfermé dans le cabinet noir, monsieur Juve.

— Enfermé ? Qu’est-ce que vous me chantez, Tête-de-Lard ?

— Dame ! monsieur Juve, protestait-il encore, quand j’ai voulu me lever, ce matin, je me suis aperçu que la porte était verrouillée.

Or, à cet instant, Juve éclata de rire :

— C’est pourtant vrai. Je me rappelle que ce matin, quand je suis sorti, j’ai machinalement tiré le verrou oubliant que vous étiez là. C’est rigolo. Mais vous ne m’en voulez pas hein, Tête-de-Lard ? Bougre, vous avez dû croire que je vous avais flanqué en taule. Mais, ça ne fait rien. Mettez votre main dans la mienne, Tête-de-Lard. Entre copains comme nous, il n’y a pas de rancune qui tienne. Nous allons nous caler les joues d’une manière un peu soignée, et, si vous m’en croyez, devant une bonne bouteille de vin.

Juve secouait avec une grande amitié la main molle et moite que lui abandonnait Tête-de-Lard. Il poussa l’apache dans la direction de la salle à manger d’une petite tape amicale sur l’épaule.

— Venez bouffer, Tête-de-Lard. Venez, mon vieux !

Tête-de-Lard commençait à se rasséréner. La cordialité de Juve était si parfaite, qu’il eût fallu à Tête-de-Lard beaucoup plus d’intelligence qu’il n’en avait réellement pour comprendre que le policier se moquait de lui.

D’ailleurs, Tête-de-Lard était gourmand ; ce gros homme qui avait passé dix ans de sa vie à respirer l’odeur fade et chaude du boudin et de la saucisse, appréciait les bons soupers, les copieux gueuletons qui entretenaient son embonpoint. Or, Juve le conduisait dans sa salle à manger où un pâté croustillant flanqué d’un poulet entouré d’un régiment de bouteilles meublait de la plus agréable façon la table servie. Comment être morose ou inquiet en présence d’un pareil festin ?

— À table, répéta Juve, et d’abord un bon coup pour se creuser l’estomac.

Un vin d’Anjou pétillant moussa dans les verres. Tête-de-Lard fut joyeux en une seconde.

— À table, monsieur Juve.

Et, comme il avait des usages, Tête-de-Lard reprit :

— C’est bien de l’honneur pour moi tout de même et je vous remercie.

Une demi-heure plus tard, Juve et Tête-de-Lard étaient les meilleurs amis du monde.

Tête-de-Lard mangeait avec une surprenante voracité et vidait sans discontinuer le grand verre que Juve emplissait avec une régularité d’horloge. On avait déjà parlé de toutes sortes de sujets, de la qualité des andouilles de Vire, des mérites du camembert bien fait, du vin de Suresnes, de l’aramon que l’on boit aux Halles [9] et même on avait fait une incursion dans le domaine de la politique. Tête-de-Lard s’était écrié, sincère et franc :

— Le gouvernement qui me plaît le mieux à moi, c’est celui qui donne le plus de banquets.

Que voulait donc Juve ?

Pourquoi se montrait-il si affable, si hospitalier à l’égard de Tête-de-Lard ? Pourquoi évitait-il avec un soin extrême d’aborder les événements de la veille ?

— Tête-de-Lard, mon vieux, à votre santé !

— À la vôtre, monsieur Juve !

Et les verres succédaient aux verres, le vin blanc au vin rouge, avec une telle rapidité, que bientôt Juve se mit à chantonner :

— La vie, disait le policier, la vie a vraiment du bon quand on se verse sur la pente du gosier du vin qui a goût de pierre à fusil.

Tête-de-Lard, lui, après être devenu loquace, était subitement passé à un mutisme parfait. Il ne s’occupait plus guère de Juve. Il ne répondait que par grognements, mais en revanche, il buvait comme une éponge.

Et c’était à cet instant psychologique, où l’ivresse commençait à bercer les rêves de Tête-de-Lard, que Juve soudain jeta son verre sur le parquet où il se brisa, tapa un coup de poing formidable sur la table, tout en s’écriant :

— Et puis, en voilà assez ! Tête-de-Lard, tu n’es qu’un cochon !

Tête-de-Lard était naturellement si loin de s’attendre à une pareille exclamation, qu’il s’arrêta net d’enfourner les victuailles dans sa gargantuesque bouche.

— Je suis un cochon, demanda-t-il, et pourquoi ?

— Oui, tu es un cochon, répétait Juve, parce que tu es un faux frère.

— Un faux frère ? bégaya l’apache.

— Parfaitement, et tu t’es foutu de moi depuis hier soir.

Tête-de-Lard d’abord ne répondit rien. Machinalement, cependant, il avait pris sur la table une bouteille de vin et, dans l’excès de son émotion, oubliant de se servir d’un verre, il avait renversé la tête en arrière et il buvait à même le goulot.

— Oui, tu t’es foutu de moi, continuait Juve, tu ne m’avais pas dit que tu étais avec Fantômas dans l’autobus, or, maintenant je le sais !

— Mais nom de Dieu, non, monsieur Juve !

D’une voix empâtée et essayant de se lever péniblement, l’apache tâchait de se défendre :

— Vous ne savez rien, monsieur Juve, dit-il, vous vous trompez.

— Ah je me trompe, vraiment ? Et qu’est-ce qui me prouve que tu n’étais pas avec Fantômas, hein, Tête-de-Lard ?

Devant l’apache, Juve était maintenant debout, croisant les bras, l’air furieux :

— Qu’est-ce qui me prouve que je me trompe ? répéta-t-il.

— Si j’avais été avec Fantômas, si j’étais un des poteaux qui ont fait le coup de l’autobus, bien sûr monsieur Juve, que je ne serais pas venu de moi-même vous rendre visite.

— Mais, bougre d’imbécile, tu ne sais donc pas que lorsque les agents plongeurs t’ont eu réchauffé au poste et qu’ils t’ont remis en liberté, deux agents de la Sûreté, prévenus par moi, t’ont filé ? Ah, mon salaud !

Tête-de-Lard but encore un grand coup de vin. Il était maintenant parfaitement ivre, et pourtant une lucidité particulière s’éveillait dans son esprit. C’était vrai. Il se rappelait que depuis sa sortie du poste, jusqu’à sa venue à la rue Tardieu, il avait été suivi, ou il avait cru être suivi par deux messieurs à la démarche bizarre. Mais alors, il était tombé dans un piège ?

Juve interrompit ses réflexions.

— Et puis, en voilà assez, déclara-t-il, en voilà de trop. Ah, tu étais avec Fantômas comme tu viens de me le dire !

— Mais je n’ai rien dit.

— Si, tu viens de l’avouer.

Tête-de-Lard crut presque ce que disait le policier.

— Tu viens de l’avouer, continuait Juve, et maintenant voilà que tu refuses de me dire où est cette canaille et de te mettre à table. Eh bien, ton compte est bon.

Juve fit mine de boire à la bouteille, la reposa devant Tête-de-Lard qui, d’un geste automatique la saisit à son tour et la vida d’un seul trait.

— Oui, j’en ai assez ! continuait Juve. D’ailleurs, je sais ce qu’il prépare, Fantômas, et son compte est bon à lui aussi. Il sera fait ce soir. Parfaitement, on me l’a donné, Fantômas, c’est tant pis pour toi. Crétin, va ! Tiens, veux-tu savoir ? Eh bien Fantômas, il a organisé le vol d’une clef, cette clef-là que j’ai dans ma poche. Oui, mais j’ai été prévenu. Ah, il peut la chercher, la clef, Fantômas ! Vingt mille andouilles ! Je le jure bien qu’il ne l’aura pas ! Fantômas, tiens, il donnerait je ne sais quoi pour l’avoir cette clef, mais je t’en fiche, c’est moi, Juve, qui la garde et il n’est pas près de me la voler.

Juve versa une nouvelle rasade à Tête-de-Lard puis, comme l’apache prenait son verre à deux mains, car l’ivresse le faisait trembler au point qu’il n’avait plus les gestes assurés, Juve se jeta sur lui :

— Tu m’entends bien, répéta-t-il, je m’en fous, moi, de Fantômas, parce que j’ai la clef et qu’il ne l’aura pas ; quant à toi, dans cinq minutes, tu seras au Dépôt.

Et Juve, tout en parlant, renversait sur le sol le malheureux Tête-de-Lard, lui ligotait les jambes avec sa serviette, lui ficelait les mains avec une tirette de rideau, et le bourrait de coups de pied.

— Tu m’entends, hein Tête-de-Lard, lui dit-il d’un air triomphant, je vais chercher les flics pour te faire coffrer.

Et avec un grand geste de menace, laissant Tête-de-Lard tomber sur le plancher, Juve sortit de la salle à manger, claquant la porte derrière lui.

À peine Juve était-il dans l’antichambre, qu’il appelait d’une voix très calme :

— Jean.

— Monsieur.

Le domestique venait d’accourir.

— Jean, reprenait Juve, vous allez me faire le plaisir de monter illico au sixième, je sors.

— Bien, monsieur, mais…

— Mais quoi, Jean ?

— L’invité de monsieur, est-ce qu’il couche ici ?

Juve partait d’un grand éclat de rire.

— C’est peu probable, disait-il, et en tout cas, cela ne te regarde pas. Allez, grouille, fiche le camp !

Le domestique partit sans mot dire. Jean en avait bien vu d’autres depuis qu’il était au service du policier.

Juve descendait l’escalier, il avisa la concierge qui flânait sur le pas de la porte.

Depuis que Juve était le locataire de la maison, la brave femme avait appris à l’estimer. Elle professait pour lui le plus grand respect.

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