L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Сувестр Пьер 2 стр.


La cage grillagée qui assurait la protection de la caisse s’effondrait avec un bruit sourd, cependant que les tiroirs contenant la monnaie se répandaient sur le sol et que les pièces d’argent, les louis d’or, roulaient dans tous les sens. Le sang coulait.

La devanture des bureaux constitués par de grandes glaces était défoncée. L’avant énorme de l’autobus penché sur le côté bouchait la moitié de la banque, une roue enfoncée dans le parquet.

La chose était facile à comprendre. Par suite d’une fausse manœuvre, le lourd véhicule, en effet, était monté sur le trottoir, puis avait donné de tout son poids contre la façade du Comptoir National, puis avait pénétré dans les bureaux.

Le directeur, M. Calard, venait de faire ouvrir la porte donnant sur la cour :

— Faites évacuer par là ! avait-il commandé à ses employés.

Le feu commençait à prendre à l’autobus, car l’essence avait coulé et s’enflammait.

Le terrible accident allait-il avoir pour conséquence d’incendier l’immeuble ?

Heureusement M. Calard était fort bien secondé par son personnel et quelques-uns des employés de la banque s’emparaient d’extincteurs qu’ils firent fonctionner. Une fumée noire, épaisse et suffocante, succédait alors aux lueurs sinistres qui avaient un instant jailli. Toutefois, l’affolement dans l’intérieur des bureaux renaissait toujours plus. Des voyageurs qui se trouvaient encore dans l’autobus se précipitaient par les fenêtres dont les vitres étaient brisées, puis, complètement affolés, suivaient les indications des employés, gagnaient la sortie.

Non sans peine, on avait retiré de dessous l’autobus le malheureux client auquel, quelques instants auparavant, le caissier remettait une assez forte somme d’argent. Il respirait encore. Deux hommes lui prodiguaient des soins, un grand diable à la face patibulaire et un gros au visage sournois :

— Va tout de même falloir se débiner, murmura le grand diable, ça pourrait tourner au vinaigre tout à l’heure !

— Oui, je crois aussi, mon vieux Œil-de-Bœuf, que maintenant le pante [4] est vidé. On a le pèze. Décampons.

Les deux apaches – car c’étaient bien Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz – affectant un air tranquille, gagnèrent la cour et sortirent de la banque.

Un brigadier des gardiens de la paix, qui maintenait la foule à distance devant l’établissement de crédit finit par pénétrer dans la banque. Tout le monde à ce moment recherchait le mécanicien maladroit qui avait déterminé cet accident. Qu’était-il devenu ?

— Où sont les gens de la Compagnie ?

Pas de réponse. Le mécanicien et le conducteur demeuraient introuvables.

Après une heure de patients efforts, et lorsque des renforts d’agents furent arrivés, on parvint enfin à faire évacuer l’intérieur de la banque. Le commissaire de police constata les dégâts :

— Heureusement, déclara-t-il, que les accidents de personnes sont insignifiants. Mais ce que je ne comprends pas, c’est qu’il soit impossible de retrouver les gaillards qui conduisaient cet autobus.

— Ce malheureux mécanicien a du être affolé de ce qui s’est passé, dit le directeur, et il s’est enfui, sans se rendre compte de ce qu’il faisait. On le retrouvera naturellement sans la moindre difficulté, la Compagnie le connaît.

— J’ai fait prévenir cette dernière, interrompit le commissaire de police, et j’attends d’un moment à l’autre un des chefs du personnel. Leurs bureaux, rue Pierre-Harel, sont voisins.

Le commissaire ajouta :

— Ce qui m’étonne, c’est le petit nombre de plaintes que nous avons reçues. D’ordinaire, le public est toujours empressé à réclamer des dommages et intérêts. Or, c’est à peine si trois ou quatre personnes accidentées dans l’autobus ont laissé leur nom et leur adresse.

— C’est vrai, et cependant, si j’en crois les renseignements recueillis, cette voiture était au complet lorsqu’elle est venue se jeter dans notre devanture.

Le directeur se retourna : un de ses employés venait interrompre la conversation qu’il avait avec le commissaire de police.

M. Calard le regarda stupéfait. Ce subordonné avait une physionomie bouleversée.

— Que se passe-t-il, monsieur Henriot ? demanda le directeur. Vous avez l’air souffrant, avez-vous été blessé tout à l’heure ?

L’interpellé rétorqua :

— Non, monsieur. C’est bien plus grave ! Figurez-vous, monsieur, que…

Et l’employé battait l’air de ses bras, suffoquait, semblait prêt de s’évanouir. M. Calard et le commissaire de police se précipitèrent, l’encouragèrent :

— Remettez-vous, mon ami !

Enfin, M. Henriot déclara :

— Nous sommes volés, monsieur le directeur, abominablement volés !

D’un air impatienté, M. Calard l’interrompait :

— Je sais, fit-il, évidemment, il y a quelques louis de perdus dans la bagarre. On les retrouvera peut-être, ils ont dû rouler sous les décombres, cela n’a rien d’étonnant, le local de la caisse ayant été démoli…

— C’est bien pis, monsieur le directeur ! L’employé de la Caisse avait à peine vingt-cinq mille francs et cela n’aurait pas grande importance, surtout si les choses s’étaient passées comme vous croyez, mais il y a pis… Le gros coffre-fort, vous savez le gros coffre-fort qui se trouvait à l’entrée de votre bureau, derrière la caisse…

— Eh bien ?

— Eh bien, il a été éventré, démoli, et vidé !

— Mon Dieu ! s’écria le directeur de la Banque, il y avait dedans près de huit cent mille francs de titres et de billets de banque !

— Huit cent trente-sept mille francs exactement.

— Mon Dieu, mais alors ? L’aventure de cet autobus n’est pas un accident ? Ou du moins, c’est un accident volontaire ?

Le commissaire, lui aussi, était devenu tout pâle, il serra les poings, fronça les sourcils :

— D’après ce que j’apprends, monsieur, fit-il, un semblable accident volontaire ne peut être qualifié que de crime par la loi.

2 – BANDITS ET POLICIERS

Rue de Clichy, c’était la débandade. Les gens s’enfuyaient, affolés, un homme courait la main ensanglantée. Un agent s’approcha de lui, lui signala le sang qui coulait le long de sa manche, et déclara :

— Vous êtes blessé, monsieur, allez vous faire panser dans la pharmacie. Il y a déjà du monde.

Et le sergent de ville, du geste, désignait à son interlocuteur une boutique située à peu près en face du Comptoir National et devant laquelle stationnait une foule aussi compacte que celle qui contemplait, de l’autre côté de la rue, le désastre causé par l’irruption de l’autobus dans la devanture de l’établissement de Crédit. Cependant, l’individu qui avait été interpellé par l’agent de police, après avoir fait mine de se diriger vers la pharmacie, tournait brusquement les talons et remontait du côté de la place Clichy :

— Plus souvent, grommela-t-il, que j’irai me confier à ce potard à la manque. On voit qu’il ne me connaît pas, sans quoi ce flic ne me proposerait pas une combine de ce genre !

Comme il le disait, en effet, dans son langage pittoresque, l’individu qui monologuait ainsi ne devait pas être connu du sergent de ville, et si celui-ci avait su à quel personnage il venait de s’adresser, il n’aurait certes pas manqué de lui mettre la main au collet et de le conduire immédiatement au poste.

L’agent, en effet, avait interpellé l’un des apaches les plus redoutables qui fût à Paris. On le désignait dans la pègre sous le nom de « Bébé », sobriquet qu’il avait dû, jadis, à sa jeunesse, mais qui surprenait à présent. Comment Bébé se trouvait-il là et par suite de quel hasard avait-il reçu une blessure dans la bagarre qui avait succédé à l’entrée de l’autobus 412 dans les bureaux du Comptoir National ?

Quiconque aurait connu en détail la clientèle qui précisément ce jour-là occupait l’autobus, n’aurait pas hésité à faire un rapprochement, d’ailleurs très significatif, entre la présence dans le véhicule de personnages aussi mal cotés que Bec-de-Gaz, Œil-de-Bœuf, Beaumôme, et la présence de Bébé place Clichy au moment de l’accident. Il y avait évidemment là un guet-apens ourdi par les apaches. Toutefois, ceux-ci n’étaient que le bras agissant. Quel devait donc être le maître qui les dirigeait ?

Au moment où Bébé remontait vers la place Clichy, enveloppant dans un mouchoir son poignet teinté de rouge, un homme qui s’enfuyait l’aborda et, d’une voix haletante, lui murmura à l’oreille :

— Faudrait voir à te débiner rapidement et surtout à te nettoyer !

Bébé regarda son interlocuteur, celui-ci n’était autre que le mécanicien qui, quelques instants auparavant, avait conduit l’autobus 412, volontairement ou non, devant la devanture de l’établissement de crédit.

Celui-ci cependant poursuivait :

— Tu es tout à fait dégoûtant Bébé, tes vêtements sont couverts de saletés et tes cheveux remplis de cambouis !

L’apache, en apercevant le mécanicien qui lui parlait sur un ton de commandement, avait pris une attitude respectueuse pour lui répondre :

— Cela va bien, je m’en vais aller me nettoyer.

Le mécanicien s’éloigna. Il revint au bout d’une seconde et recommanda :

— Je ne veux pas que tu puisses jaspiner de toute la soirée, et pour t’empêcher de le faire, je t’ordonne d’aller prendre un bain dans le premier établissement que tu rencontreras.

— Entendu, fit Bébé, mais quand j’aurai fini, patron, qu’est-ce qu’il faudra faire ?

Les deux hommes avaient continué à marcher, s’éloignant rapidement de la place Clichy ; ils suivaient maintenant le boulevard des Batignolles, et, tout en causant, ils regardaient derrière eux pour s’assurer qu’ils n’étaient point suivis.

Le mystérieux mécanicien de l’autobus reprit :

— Quand tu seras sorti de ton bain, tu iras en prendre un autre, et quand le second sera fini, eh bien, mon cher Bébé, il faudra aller en prendre un troisième et ainsi de suite, jusqu’à la fermeture des boutiques, après quoi tu iras te coucher tout seul !

Bébé interloqué haussa les épaules imperceptiblement et se dit :

— Sûr, le patron est piqué ! Enfin, il faut faire ce qu’il veut, sans quoi la désobéissance avec lui fait toujours du vilain.

Cependant le mystérieux mécanicien de l’autobus que Bébé avait qualifié de « patron » s’éclipsait par une rue transversale, et Bébé, obéissant, se mit à chercher un établissement de bains conformément aux ordres qu’il avait reçus.

***

Quelques heures s’étaient écoulées et l’activité commençait à régner dans les bars interlopes ou les bouges innommables du quartier de la Chapelle. Dans l’assommoir dirigé rue de la Charbonnière par le père Korn [5], les apaches, à leur habitude, étaient nombreux et dégustaient à grand bruit les absinthes gommées et des mêlé-cass [6]. Ils étaient entourés de pierreuses au visage fardé qui, dans l’intervalle de leurs occupations professionnelles, venaient absorber des apéritifs avec leurs amis.

Soudain, la porte s’ouvrit, et ce fut dans l’établissement une clameur générale, des bravos, des approbations :

— Tiens, cria-t-on, voilà des revenants.

Deux personnages venaient en effet d’entrer dans l’assommoir et ils distribuèrent autour d’eux quelques cordiales poignées de main. C’était des apaches fort connus dans le quartier : Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf.

Il y avait déjà quelques années, deux ou trois ans peut-être, qu’ils ne s’étaient pas montrés dans le cabaret du père Korn qui possédait toujours sa fameuse et terrifiante réputation et dans lequel la police faisait de si fréquentes incursions.

Bec-de-Gaz et Œil-de-Bœuf s’étaient rapprochés du comptoir et, comme s’ils l’avaient vu la veille, serraient cordialement la main au tenancier du bouge. Tandis qu’ils commandaient leurs absinthes, ils félicitaient le père Korn sur l’affluence toujours considérable de son établissement.

— N’empêche, ajouta Bec-de-Gaz, mon vieux père Korn, que tu commences à être déjeté, t’as plus de cheveux sur la tête et tu prends du ventre. C’est pas comme moi, toujours sec comme un coup de trique et mince comme un bâton de chaise.

Œil-de-Bœuf approuvait en souriant.

— Et puis, ajoutait-il, on est toujours là nous autres, avec du pèze plein les profondes.

Et, comme pour justifier cette affirmation, que le père Korn, d’un haussement d’épaules semblait mettre en doute, Œil-de-Bœuf fit tinter l’argent qui gonflait les poches de ses vêtements.

Les deux amis, après avoir vidé un premier verre sur le comptoir allaient s’installer au fond du bouge à une petite table et commandèrent de nouvelles consommations au garçon.

— Dis donc, recommanda Bec-de-Gaz, faudrait voir à nous servir vivement une assiette de cervelas et un saladier de rouge.

Œil-de-Bœuf rassura le garçon sur l’avenir réservé à cette commande somptueuse, en ajoutant :

— On a la dent ce soir, et il faut se caler les joues ! On est plein aux as et on raquera d’avance si tu veux.

Cette déclaration ne manquait pas de faire sensation dans le bouge. De nombreux consommateurs, qui avaient relevé la tête, considérèrent avec sympathie et admiration ces clients qui annonçaient somptueusement qu’ils étaient décidés à payer dès qu’on le leur demanderait, et des murmures flatteurs coururent dans l’assistance. Quelqu’un suggéra à mi-voix :

— Sûr que c’est des aminches qui viennent de faire un bon coup.

Bec-de-Gaz avait entendu, il lança un coup de pied dans les tibias de son compagnon :

— Espèce de tourte, fit-il, t’as pas besoin de raconter comme ça au monde, que nous avons de la galette ! Ça donne des soupçons et si jamais le patron le savait, qu’est-ce qu’il te casserait !

Œil-de-Bœuf, malgré sa belle assurance, rougit jusqu’à la racine des cheveux.

Évidemment, ce que venait de lui dire Bec-de-Gaz l’impressionnait. Il suffisait donc d’évoquer auprès de ces deux apaches la mémoire du mystérieux patron pour qu’aussitôt l’on prît peur ?

Quel pouvait donc bien être cet homme ?

Cependant la déclaration d’Œil-de-Bœuf avait produit son effet, des pierreuses qui erraient dans le bar se rapprochaient des consommateurs, leur adressant des œillades prometteuses. L’une d’elles, plus hardie que les autres, vint s’installer sur la banquette à côté de Bec-de-Gaz :

— Tu paies quelque chose ? interrogea-t-elle.

Mais l’apache la repoussa durement.

***

Bébé, était au bain conformément aux instructions reçues, tandis qu’Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz, quittant précipitamment la place Clichy, étaient venus boire à l’assommoir de la rue de la Charbonnière.

Un autre de ceux qui s’étaient trouvés dans l’autobus au moment de l’accident, avait pris une troisième direction.

C’était Beaumôme, personnage équivoque et suspect, lui aussi, mais qui avait meilleure apparence, par sa tenue extérieure, que ses acolytes.

Beaumôme, en grand seigneur, avait avisé, place Clichy, un taxi-automobile dans lequel il était monté quelques instants après l’accident de l’autobus. Il s’était fait conduire avenue Malakoff, au Skating.

Beaumôme paya son entrée, loua des patins. À peine était-il sur la piste de bois, commençant à y évoluer, qu’une jeune femme, fort élégante, se rapprochait de lui.

— Ah, par exemple, lui fit celle-ci, je ne te croyais pas à Paris !

Beaumôme ne répondit rien. Il se contenta de serrer dans la sienne la main que lui tendait la jeune femme, et lui dit :

— Bonjour Adèle, je t’emmène dîner ce soir, si cela peut te faire plaisir.

Il faut croire que la demi-mondaine n’était pas habituée à une telle amabilité de la part de son interlocuteur, car après avoir ouvert des yeux tout ronds, elle déclara en riant :

— Cela, par exemple, c’est plus fort que de jouer au bouchon ! T’as donc fait un héritage, Beaumôme, pour être aimable avec les femmes ?

Énigmatique, l’individu haussait les épaules, puis mettant un doigt sur ses lèvres, il recommanda :

— T’occupe pas de cela Adèle, ne t’inquiète pas de savoir d’où vient l’argent. Il faut prendre la vie comme elle se présente, et du moment que je suis riche, savoir en profiter.

***

Quant au mystérieux mécanicien qui semblait avoir été l’organisateur en chef, après avoir quitté l’apache Bébé boulevard des Batignolles, en lui recommandant d’aller prendre une succession de bains, puis de rentrer se coucher, il était simplement descendu dans le métro.

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