L'assassin de lady Beltham (Убийца леди Бельтам) - Сувестр Пьер 5 стр.


— Que diable fabriquent-ils et qu’est-ce que peut cacher toute cette manigance ? Je donnerais bien ma part de paradis…

Bouzille jubilait :

— Sûr et certain, se disait-il, sûr et certain que je m’en vais voir des choses.

Mais Bouzille, subitement, s’aperçut que Fantômas le fixait des yeux en fronçant les sourcils et ayant l’air de l’attendre.

— Allons voir, pensa le chemineau. Rapidement, il se dirigea vers la voiture en panne :

— Alors, patron ?

— Ne reste pas là, imbécile, tiens-toi tout contre l’autobus.

Fantômas venait de parler d’une voix nerveuse et mauvaise presque. Bouzille eut l’impression que l’instant décisif approchait.

— Bien sûr, murmura le chemineau, bien sûr ça va se gâter, le temps est à l’orage.

Mais Bouzille avait beau regarder de tous côtés, il n’imaginait nullement ce qui se préparait.

Si Fantômas était là en compagnie de ses plus redoutables complices, c’était évidemment pour y accomplir l’un de ces exploits dont il était coutumier, et cependant rien ne permettait de deviner encore ce qu’allait être cet exploit. L’acteur Dick, au même moment, commençait à s’intriguer fort en remarquant la manœuvre des ouvriers plombiers.

— C’est bizarre, faisait-il en les regardant et en prenant à témoin le père Cornélius, que diable peuvent-ils faire avec ce câble ? Ce n’est certainement pas un câble électrique, ils ne le laisseraient pas ainsi à même le sol et ne s’exposeraient pas à ce que les voitures, en passant par-dessus…

Mais Dick n’eut pas le temps d’achever.

Un coup de sifflet strident, prolongé, venait de retentir.

Au coup de sifflet, en une seconde, les deux soi-disant plombiers, c’est-à-dire Tête-de-Lard et La Carafe, avaient brusquement couru aux extrémités du câble. Un nouveau coup de sifflet retentit, les deux hommes se baissèrent, soulevèrent le câble et, par des boucles préparées à l’avance, l’attachèrent, tendu à un mètre du sol à peu près, d’un côté à l’un des gros platanes bordant l’avenue, de l’autre à un bec de gaz.

À l’instant où le coup de sifflet avait été donné, une automobile des Postes, une lourde voiture venant du bureau qui se trouve au bas de l’Hôtel de Ville, dépassait l’autobus. Elle avançait à toute allure sur le quai désert, car le conducteur, retardé place du Châtelet par un encombrement, devait rattraper son retard pour atteindre la gare d’Austerlitz à l’heure réglementaire, quand elle donna à toute vitesse sur le câble tendu.

L’automobile se renversa dans un fracas et, cependant que des cris de terreur et d’angoisse s’élevaient de tous côtés, cependant que, de toutes parts, les passants s’élançaient, un nouveau coup de sifflet déchira l’air.

Dick, l’acteur, avait été l’un des premiers à vouloir bondir au secours du malheureux conducteur de l’automobile postale et, avant d’avoir pu faire dix pas peut-être, il se heurtait à l’un des mécaniciens de l’autobus accouru.

— Les mains en l’air, criait l’homme, ou gare à toi !

Dick n’avait pas le temps de protester qu’un coup de poing le jetait sur le sol.

Alors ce furent des clameurs, des hurlements, une galopade folle d’hommes prenant la fuite.

L’acteur Dick devait être fort énergique cependant. Il se forçait à résister au vertige qui l’anéantissait, il redressait la tête et, toujours étendu sur le sol, ne cherchant plus à se relever, mais voulant voir, il regarda. De l’autobus immobilisé depuis quelques instants et auquel nul n’avait fait attention, la bande des mécaniciens s’était précipitée vers la voiture des postes renversée. Un homme courait, vêtu d’une courte veste de cuir, la tête coiffée de la casquette plate des wattman. Il tenait, comme ses compagnons, une barre de fer. Dick vit qu’il la levait, qu’elle tournoyait dans l’air, qu’elle s’abattait sur le crâne du malheureux postier qui après avoir été projeté sur le trottoir, se relevait péniblement.

Les autres mécaniciens déjà entouraient la voiture de poste renversée. À coups de barres de fer, ils la défonçaient. Ils allaient voler les valeurs.

Toutefois, au même instant, et croyant vivre un cauchemar, Dick se disait :

— Ça n’est pas possible, on va les arrêter, on va les prendre.

Des passants accouraient bien, mais Dick, dans une vision d’épouvante, les apercevait qui s’arrêtaient tous, levant les bras, puis reculant, puis s’enfuyant aussitôt après. Beaucoup tombaient qui ne se relevaient pas. Un vieillard à la longue barbe blanche passa près de l’acteur renversé, hurlant, fou, et laissant derrière lui des traînées de sang. En même temps, l’étrange crépitement augmentait. Dick s’agenouilla titubant. En tournant la tête, il vit que l’autobus s’était ébranlé ; lentement, le pesant véhicule s’approcha de la voiture des postes, autour de laquelle les mécaniciens, ou plutôt les bandits, s’affairaient toujours.

— Je rêve, je rêve ! pensait Dick.

L’autobus était environné de fumée. Debout, à l’intérieur, il apercevait une sorte de chevalet, un véritable pied de longue-vue sur lequel était posé un instrument qui brillait.

Qu’était-ce encore ?

Dick remarquait que l’homme tournait autour du chevalet et que sa main semblait pousser un mécanisme.

Les cris de terreur retentissaient toujours. Dick, brusquement, s’affaissa sur le sol, s’y aplatit, s’y écrasa avec le secret désir de pouvoir s’y engloutir.

— C’est une mitrailleuse ! se disait-il. Ils ont une mitrailleuse.

L’acteur ne se trompait pas.

Debout à l’intérieur de l’autobus, le Bedeau actionnait bien, en effet, le mécanisme d’une mitrailleuse. Il réglait le tir de la terrible machine avec une parfaite tranquillité, une admirable présence d’esprit. Il tournait tout autour du trépied et il envoyait ainsi, guidant lentement l’instrument de mort, de véritables gerbes de balles qui balayaient à distance tous ceux qui auraient pu vouloir arrêter les bandits. Le Bedeau, d’ailleurs, se révélait tireur d’élite. Il dirigeait son feu de façon telle que les balles passaient par-dessus ses sinistres compagnons toujours occupés à défoncer la voiture des Postes. Elles ne les atteignaient pas, elles ne pouvaient pas les atteindre, elles les enfermaient au contraire à l’intérieur d’un cercle rigoureusement infranchissable. L’autobus, cependant, après avoir avancé de quelques mètres, s’était rangé près de la voiture postale renversée.

Fantômas, très calme, continuait à diriger la manœuvre avec un merveilleux sang-froid :

— Dépêchons-nous ! répétait-il de temps en temps. Sortez les sacs ! Bien. Portez-les dans l’autobus, c’est cela !

Les ordres étaient ponctuellement exécutés. La malheureuse voiture, éventrée à coups de barre de fer, fut en quelques minutes vidée de ses sacs de dépêches, de tout ce qu’elle contenait. Les hommes, deux par deux et ne prêtant attention qu’à leur travail, prenaient les ballots, les jetaient à l’intérieur de l’autobus où le Bedeau, impassible et froid, continuait à manœuvrer la mitrailleuse.

Or, à ce moment précis, alors que de toutes parts des hurlements retentissaient, alors que les blessés jonchaient le sol, alors qu’une clameur abominable montait vers le ciel, un homme, tranquillement, quittait l’arrière de l’autobus, qu’il n’avait pas abandonné jusqu’ici.

C’était Bouzille.

Bouzille paraissait stupéfié, émerveillé, intrigué aussi.

— C’est du sacré travail, murmurait-il, c’est un sacré coup.

Bouzille, penchant la tête et se faisant le plus petit possible, car il ne se souciait nullement de recevoir l’un des projectiles que tirait le Bedeau, se glissa jusqu’à la voiture dévalisée.

— Moi, je vais toujours prendre les lanternes, disait-il, le cuivre, c’est de revente.

Mais Bouzille avait mal calculé son affaire. Il arrivait au moment même où les hommes de Fantômas achevaient leur extraordinaire besogne. Le chemineau se heurta à Tête-de-Lard.

— En arrière ! cria l’apache. En arrière !

Bouzille recula.

Au même moment, un nouveau coup de sifflet retentit.

Alors, en moins d’une seconde, Fantômas sauta sur le siège de l’autobus, les bandits grimpèrent dans le véhicule où Bouzille fut lui-même jeté de force, puis la sinistre voiture s’ébranla et s’éloigna lentement, protégée par le tir ininterrompu de la mitrailleuse.

Fantômas avait arraché le volant des mains de Mort-Subite. Le bandit semblait au comble de la joie. Ayant changé de vitesse, accélérant l’allure de sa fuite, il tendait la main vers les cadavres qui jonchaient les trottoirs :

— Un joli coup, disait-il, vingt morts au moins, cinquante blessés peut-être, et, j’espère bien, cinq cent mille francs pour nous.

Mais Mort-Subite ne semblait pas, à beaucoup près, aussi tranquille que son épouvantable maître :

— Vite, vite ! hurlait-il. Dépêche-toi, Fantômas !

Et il tendait le bras vers le pont d’Arcole, montrant une grande voiture automobile, une voiture de course, qui arrivait à une vitesse folle, en faisant de terribles embardées.

— Peuh, répondit simplement Fantômas.

L’autobus suivait toujours les quais. La mitrailleuse se tut.

4 – CHASSE ET FUITE

Tandis qu’avec une effroyable audace, Fantômas, en compagnie de ses redoutables apaches, s’enfuyait au long des quais, laissant derrière lui cadavres et blessés dans le quartier où la tragique mitraillade venait de semer l’épouvante, l’émotion n’était pas prête à se calmer.

Fantômas, à coup sûr, avait opéré avec une extraordinaire rapidité, une inconcevable habileté, et il ne s’était pas écoulé plus de cinq minutes entre le moment où la voiture des postes avait heurté le câble tendu au travers de la rue, et celui où les bandits avaient pris la fuite.

Pourtant, au cours de ces cinq minutes, des milliers de badauds avaient été témoins de l’attentat, de près ou de loin, ce qui faisait qu’à l’instant même, la chasse s’organisait derrière l’autobus qui emmenait les criminels. Sur la trace de la pesante voiture, une nuée de taxi-autos s’élançaient, requis d’autorité par les agents accourus au bruit de la fusillade.

— Mettez les voitures en travers ! hurlaient-ils d’abord.

Et c’étaient une dizaine de fiacres, qui dès lors, à toute allure, virant sur deux roues, montant sur les trottoirs, embardant au travers de la chaussée, tâchaient de rejoindre le sinistre véhicule.

En même temps, quelqu’un, (qui ? on ne pouvait le savoir), brisait un avertisseur d’incendie et appelait les pompiers. En quelques secondes, avec cette extraordinaire rapidité que mettent les nouvelles fatales à se propager dans la foule, on connaissait donc la sinistre aventure qui venait encore une fois de prouver que l’audace de Fantômas n’avait pas de bornes, qu’il était capable de tout oser et aussi de tout réussir.

À la Préfecture de Police, la nouvelle arrivait, apportée par deux agents cyclistes, qui, impuissants, avaient assisté à toute la scène du quai Bourbon et n’avaient pu traverser le pont balayé par la mitrailleuse.

Les deux agents avaient fait force pédales. À peine entrés quai des Orfèvres, dans les locaux de la Sûreté, ils hurlaient plutôt qu’ils ne criaient :

— Au secours, du renfort ! Il y a un attentat aux quais !

Précisément,  stationnant  devant  la  Préfecture  de police, se trouvait la voiture automobile récemment mise à la disposition de Nalorgne et de Pérouzin, voiture avec laquelle les deux agents étaient bien persuadés qu’ils allaient désormais accomplir des prodiges.

Nalorgne et Pérouzin se précipitèrent sur les traces des agents cyclistes, et activement les questionnèrent :

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Où est-ce ?

— Quai de Gesvres, quai de l’Hôtel-de-Ville, un autobus avec une mitrailleuse. Vite. Vite ! C’est Fantômas ! Il va s’enfuir !

Nalorgne et Pérouzin n’en demandèrent pas davantage. Ils échangèrent un regard joyeux et bondirent vers leur voiture,  sautant en même temps sur le siège.

— Mettez-vous en route, Nalorgne !

— Tournez la manivelle, Pérouzin !

Tous deux voulaient commander et aucun d’eux, ne se souciait d’obéir, car leurs expériences des journées précédentes les avaient convaincus que le moteur de leur voiture était capricieux à l’extrême, et fort difficile à mettre en marche.

— Dépêchez-vous donc, Nalorgne.

— Qu’attendez-vous, Pérouzin ?

Ils s’entêtaient d’abord, puis, comprenant que la minute était mal choisie pour discuter des questions semblables, tous deux se jetèrent en bas des marchepieds, coururent à l’avant de la voiture, où ils se bousculèrent pour s’emparer de la manivelle :

— Rangez-vous, nom d’un chien !

— Faites donc attention, idiot !

Par extraordinaire, il arriva qu’au quart de tour de manivelle, Pérouzin fit partir le moteur. Déjà Nalorgne s’était emparé du volant. Il y eut des craquements sinistres dans la boîte du changement de vitesse, Nalorgne se battit de longs instants avec son levier ; puis enfin, comme il lâchait la pédale brutalement, l’embrayage se fit avec une si soudaine brusquerie que la voiture cala net.

La sueur coulait du front de Pérouzin.

— C’est imbécile, hurla-t-il, nous allons les manquer !

Il avait pourtant redégringolé du siège de la voiture.

Il essayait de tourner la manivelle. Hélas, c’était impossible. Il semblait qu’un poids formidable fixait le malheureux moteur, et Pérouzin avait beau raidir ses muscles, il n’arrivait pas à faire faire un demi-tour à la malencontreuse mécanique.

— Nalorgne, venez m’aider !

Nalorgne à son tour, joignit ses efforts à ceux de Pérouzin. Peine perdue. Soudain, Pérouzin, d’un grand coup de poing, se vengea sur Nalorgne :

— Idiot, crétin ! hurla-t-il. Vous avez oublié de débrayer !

Nalorgne, en effet, dans la précipitation qu’il avait mise à descendre de voiture, avait oublié de ramener le levier de changement de vitesse au point mort. Il fit rapidement la manœuvre, la manivelle consentit de nouveau à actionner le moteur, la voiture ronfla :

— C’est moi qui conduirai, déclara Pérouzin.

II saisit le volant, et plus habile que Nalorgne, il fit démarrer.

Pérouzin, d’ailleurs, devait être brave et Nalorgne également, pour oser se risquer dans une automobile rapide, confiée à leurs propres soins. Les deux agents, qui s’étaient donnés comme fort habiles en question mécanique, ignoraient en réalité les principes élémentaires de conduite. Leur voiture zigzaguait de façon effroyable et c’est par miracle qu’elle arriva sans accident jusqu’au pont d’Arcole.

— Vite, vite, hurlait toujours Nalorgne qui, pour calmer ses nerfs, faisait manœuvrer la poire de l’avertisseur.

La Seine franchie, la voiture s’engagea sur les quais, mais n’alla pas loin.

— Tenez donc votre droite, abruti, quand on ne sait pas conduire, on va garder les vaches !

Une manœuvre savante venait précisément d’amener le malheureux Pérouzin à bloquer sa voiture entre une lourde voiture d’épicerie, un taxi-auto et toute une file de fiacres. Pérouzin ne manqua pas de profiter d’une si belle occasion pour caler une fois encore. Il cala même si bien, que la malheureuse voiture demeura immobile, incapable de se remettre en marche, d’avancer d’une ligne.

— Nalorgne, avoua Pérouzin, je crois qu’ils sont trop loin désormais.

Nalorgne, pour toute réponse, haussa les bras d’un air désespéré.

— Cette voiture-là, fit-il, en montrant l’automobile de la Sûreté, je crois qu’elle a des instincts de bandit, elle se fait la complice des criminels. Quand elle marche, nous avons des accidents, et quand elle ne marche pas…

— Elle est arrêtée, conclut gravement son acolyte. Évidemment, elle est arrêtée, et elle est si bien arrêtée qu’il est impossible de la faire repartir.

L’autobus, pourtant, dans lequel fuyaient Fantômas et sa bande, avait pris une certaine avance depuis le début de la poursuite.

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