La fille de Fantômas (Дочь Фантомаса) - Сувестр Пьер 23 стр.


— Mon cher collègue, vous devez accepter notre invitation. Vous trouverez chez nous tous les désinfectants. Vous pourrez vous débarrasser de vos blouses et de votre masque, puis boire une coupe de champagne et vous restaurer à notre modeste table.

Juve se décida soudain :

— Docteur, j’accepte de grand cœur. D’ailleurs, je vous avoue qu’en effet, j’ai hâte de quitter ces vêtements.

— Cela se conçoit !

Le docteur Hardrock était brave.

Tandis que ses internes, son état-major, se tenait de plus en plus à prudente distance de Juve, lui, le saisissait familièrement par le bras, l’amenait vers sa voiture.

— Dans trois minutes, dit-il, nous serons à l’hôpital…

Et, repris par ses soucis professionnels, le docteur Hardrock se hâtait d’ajouter :

— D’ailleurs vous ne vous embêterez pas, mon cher confrère… après déjeuner, vous verrez, je vous ferai visiter la maison ; j’ai deux ou trois cas tout à fait intéressants… Un cancéreux, tenez…

— Pourvu, pensait le policier, de plus en plus inquiet des suites de son aventure, pourvu qu’on ne me pose pas des colles de médecine. C’est que je suis absolument ignare, moi, en pareille matière ! C’est que j’ignore complètement comment on traite les cancers et toutes les autres maladies ! D’ailleurs…

Avec une courbe savante, la voiture où Juve avait pris place en compagnie du docteur Hardrock pénétrait dans la cour de l’hôpital, se rangeait devant le perron :

— Je vous conduis ? proposa le professeur, je vous conduis tout de suite dans une salle où vous pourrez vous désinfecter ? Que voulez-vous ? Avez-vous une théorie spéciale sur la peste ?

— Hum, hum, toussa Juve, pour se donner le temps de réfléchir… J’ai peur que mes idées ne vous surprennent mon cher collègue…

— Pourquoi donc ? pourquoi donc ?

Juve dans son esprit venait d’arrêter un plan de conduite absolument incohérent, et qui devait, pensait-il, lui permettre de se tirer de sa dangereuse situation…

— C’est, répondit-il enfin, c’est que j’ai étudié très sérieusement la peste pendant longtemps et que je suis arrivé à des conclusions tout à fait nouvelles…

— Vraiment ?

— Oui, c’est comme cela. Ainsi, docteur, qu’emploieriez-vous, vous, pour désinfecter ?

Le professeur n’hésitait pas :

— Je ne connais qu’un antiseptique puissant : le sublimé. Je me laverais au sublimé, je m’aspergerais au sublimé. Je me raserais avec du savon au sublimé.

— Parfaitement, dit Juve, heureux du renseignement qu’il venait d’obtenir, je vais en effet commencer à me désinfecter de cette façon… Mais, mon cher confrère, savez-vous ce que je ferai lorsque je me serai passé au sublimé ?

— Non, ma foi ?…

— Eh bien, je m’inonderai d’eau de Cologne.

— D’eau de Cologne ? répéta le professeur, qu’est-ce que cela veut dire ? Quelles vertus attribuez-vous donc à l’eau de Cologne ?… Çà, j’avoue qu’en effet, vous me surprenez.

— Mon cher confrère, je vous expliquerai cela un de ces jours… L’eau de Cologne pour les cas de peste, c’est souverain.

Le professeur Hardrock n’osa contredire.

Peut-être ce médecin qui venait de se risquer à visiter le British Queenétait-il un spécialiste de la peste, peut-être avait-il découvert un spécifique nouveau ?

En tout cas, il importait de lui donner satisfaction.

Laissant donc Juve retirer son masque, se dépouiller de ses vêtements – le professeur Hardrock lui offrit du linge et des habits intacts. L’excellent praticien quitta le laboratoire où il avait fait entrer le policier-docteur, pour aller donner les ordres nécessaires et faire préparer à Juve, afin qu’il fût satisfait, un bain soigneusement additionné d’eau de Cologne…

Juve demeuré seul se hâta :

— Après tout, pensait-il, il m’a dit que le meilleur désinfectant c’était du sublimé… Usons du sublimé. L’eau de Cologne que je m’appliquerai ensuite ne me fera pas de mal, j’imagine.

***

Une heure plus tard, Juve sortait frais et dispos de sa baignoire.

Mais soudain, l’hôpital était vide. On ne s’occupait plus de Juve.

— Ah, auraient-ils éventé la mèche ? se demandait le policier. Brr…

— Docteur ? mon cher confrère ?…

En se retournant le policier aperçut le directeur de l’hôpital, le professeur Hardrock lui-même…

L’excellent homme était maintenant revêtu de sa blouse d’hôpital, son chef s’ornait d’une petite calotte noire à glands, signe distinctif qui marquait son autorité sur les internes coiffés eux d’une calotte noire, sans gland.

— Mon cher hôte ? répondit Juve souriant, pendant qu’il se disait en lui-même :

— Une ! deux ! trois ! va-t-il crier à l’imposteur ?…

Mais le professeur Hardrock ne marquait aucune surprise.

— Docteur, disait-il, excusez-moi de ne plus m’être occupé de vous, depuis quelques instants… Figurez-vous que l’on vient d’apporter à l’hôpital un blessé, un blessé extraordinaire et réclamant tous nos soins. Venez donc nous aider. Je suis persuadé que vos excellents conseils…

— Boum ! songea Juve, je n’en sortirai pas. Je vais encore dire des bourdes, tout à l’heure, devant ce pauvre diable. J’aurais dû feindre de ne savoir parler que chinois.

Pourtant comme il fallait répondre, Juve répondait :

— Un blessé, docteur ? C’est que je ne suis pas chirurgien.

— Oh ! c’est un cas qui relève plus de la médecine que de la chirurgie, mon cher confrère. Il s’agit d’un jeune officier que l’on vient d’apporter, empoisonné, délirant à moitié et entièrement violet…

Juve se sentit peu rassuré :

— Bigre de bigre, songeait-il toujours ; c’est que les empoisonnements, ça se traite par les contrepoisons. Or, je n’y connais rien.

Et le policier s’informa :

— Mais par quoi cet officier a-t-il été empoisonné ?

— Allez savoir. Il délire et sa compagne raconte des choses incompréhensibles. Elle affirme qu’il a été mordu, vous m’entendez, par un crâne.

— Par un crâne ?

— Oui, par une tête de mort, et que c’est à la suite de cette morsure qu’il serait devenu violet. C’est une histoire incroyable.

Sans mot dire cette fois Juve hocha la tête. C’est qu’à son oreille de policier, immédiatement, les faits avaient pris une importance exceptionnelle. Un homme mordu, mordu par un crâne et qui en devenait violet. Qu’est-ce que cela signifiait ?

Et malgré lui, encore que ce fût évidemment improbable, au plus haut degré, Juve songeait :

— Fantômas était ici, libre, il y a bien peu de temps. À coup sûr, ce sont des événements mystérieux, des secrets tragiques qui l’ont attiré dans cette région… Voici qu’à peine débarqué, j’entends parler d’un accident, d’un crime, peut-être mystérieux et tragique. N’y aurait-il pas une corrélation à établir ?

Juve pourtant pénétra à la suite du professeur Hardrock dans l’une des grandes salles basses de l’hôpital où, sur un lit, on venait d’étendre le malheureux Wilson Drag qui délirait et auprès duquel les internes s’affairaient…

Juve, une seconde, examina le visage de ceux qui l’entouraient…

Était-ce l’un des jeunes docteurs qui allait dévoiler son imposture ?

Mais non.

Par bonheur, les internes étaient tous trop occupés pour faire attention à quoi que ce fût.

Le professeur Hardrock s’était précipité vers le lit du blessé et il appelait Juve :

— Pour moi, disait-il, pour moi, nous sommes en présence d’un toxique inconnu, inédit, si j’ose m’exprimer ainsi. Les symptômes sont extraordinaires. J’ai bien envie d’administrer un vomitif. Qu’en pensez-vous ?

Juve n’en pensait rien, et ne voulait prendre aucune responsabilité.

Il toussa encore et demanda :

— N’y a-t-il aucun témoin qui puisse nous renseigner ?

— Si. Vous avez raison. Tâchez de tirer quelques éclaircissements de la jeune femme qui accompagnait ce malade. Allez la trouver…

***

Juve, quelques instants après, dans le jardin, questionnait la malheureuse Winie, qui, affolée, perdant la tête lui répondait d’abord à tort et à travers mais finissait par lui apprendre des détails intéressants…

Et Juve écoutant l’incohérente histoire que lui racontait Winie, l’histoire de Wilson Drag innocent, pris pour un voleur, de Wilson Drag persécuté par un jeune homme du nom de Teddy, de Wilson Drag mordu par un crâne qui se trouvait encore chez ce Teddy, de Wilson Drag victime semblait-il, de machinations incompréhensibles, Juve entendant tout cela ne pouvait s’empêcher par moments de murmurer tout bas pour lui-même :

— Fantômas, c’est Fantômas qui doit diriger toutes ces intrigues. Ah je crois que je suis, encore une fois, sur la piste de bien effarants mystères.

Juve allait continuer son interrogatoire. Il en était empêché par l’arrivée d’un interne envoyé par le professeur Hardrock.

— Le blessé va mieux, annonçait le jeune médecin, il demande à vous voir, madame ?…

Juve se levait, offrait son bras à Winie :

— Allons.

Et telle était la curiosité de Juve que, maintenant, il ne songeait plus du tout au risque d’être démasqué.

21 – PRISONNIER DES MACHINES

La tête de mort avait disparu.

Depuis longtemps déjà, un homme au visage dissimulé dans le collet relevé d’un grand manteau drapé à l’espagnole, suivait Winifred et Wilson Drag.

Étouffant le bruit de ses pas, il était parvenu derrière eux jusqu’à la ferme de la vieille Laetitia.

Au moment le plus favorable, alors que Teddy conduisait Winie auprès de Wilson Drag étendu sur le char à bœufs, l’inconnu s’était introduit dans la pièce du rez-de-chaussée, et sans même jeter un coup d’œil sur la morte immobile dans son grand lit tout blanc, il s’était précipité sur la tête de mort, roulée à terre après avoir blessé le lieutenant Wilson Drag.

L’inconnu s’était alors emparé de cet étrange butin, et le dissimulant sous son manteau, il avait disparu.

C’est alors que Teddy était revenu dans la pièce et n’avait plus retrouvé le précieux objet aux allures sinistres, auquel il tenait tant.

Cet homme n’était autre que Hans Elders, le chercheur de diamants.

***

— Très bien… parfait… de mieux en mieux… Voilà qui va me permettre de pousser plus avant mon enquête… d’ailleurs, en ai-je grand besoin ?… il me semble que je suis édifié.

Perdu dans les dédales de Diamond City, Jérôme Fandor monologuait ainsi.

C’était un dimanche après-midi et l’usine était déserte. Depuis la veille au soir jusqu’au lendemain matin, la grosse ruche bourdonnante pendant toute la semaine observait un silence absolu.

Jérôme Fandor, poussé par ses instincts fureteurs et perpétuellement curieux de savoir le pourquoi des choses, avait décidé de retourner sur les lieux de son travail et de se livrer à sa petite enquête personnelle au sujet de cet être éminemment suspect : Hans Elders.

Jérôme Fandor avait donc sauté le mur et s’était introduit dans la place.

Il était environ une heure de l’après-midi, mais Jérôme Fandor ne s’apercevait pas, bien qu’il fut arrivé à l’aube, du temps qui s’écoulait.

La chercherie et la fabrique avec leurs montagnes de terres, leurs immenses ateliers, leurs innombrables machines, constituaient une véritable ville que l’on mettait plusieurs heures à parcourir même en simple visiteur. Or l’étude à laquelle se livrait Fandor était délicate, compliquée et minutieuse.

Le journaliste toutefois, alors qu’il se trouvait dans l’un des derniers ateliers de la taillerie, s’arrêta et s’asseyant sur un escabeau, la tête entre les mains, il réfléchit à haute voix :

— Cette fois-ci ma religion est éclairée, dit le jeune Français. Elders est non seulement un personnage mystérieux, mais encore une sinistre crapule, un redoutable bandit. Par exemple, il est loin d’être bête et sa trouvaille me paraît des plus ingénieuses.

Jérôme Fandor, en effet, avait découvert ceci :

La terre que l’on passe au crible quotidiennement pour s’efforcer d’y découvrir le minerai précieux, contenait une quantité insolite de diamants.

Sans être expert en la matière, Fandor se rendait compte que ces diamants extraits d’un sol superficiel ou prélevés dans les rivières voisines, ne ressemblaient nullement aux diamants bruts, tels qu’on les arrache à la nature. Ces pierres à peine recouvertes d’une gaine de glaise étaient des pierres taillées.

On avait l’impression que ce pays bizarre rendait des diamants perdus plutôt qu’elle ne produisait des diamants vierges.

Il n’avait fallu qu’un coup d’œil au journaliste pour constater que le matériel de la taillerie ne pouvait être utilisé :

— Ces mécaniques-là, pensait-il, sont là pour la frime et dans cette taillerie modèle installée, dit-on, sur le modèle de celle d’Anvers, on ne taille évidemment rien du tout… Mais pourquoi cette mise en scène ?

Fandor se souvint que le Natal n’était pas considéré comme étant un pays producteur de diamants. On y trouvait de l’or, du platine, de l’argent, mais pas de pierres précieuses. Comment se faisait-il donc que soudain, à quelques lieues de Durban, on avait découvert un trésor inestimable et que jusqu’alors nul n’avait soupçonné ?

— Tout cela, monologuait Fandor, sent sa ficelle d’une lieue et la supercherie n’est pas douteuse.

Le journaliste, en proie à une agitation extrême, allait et venait dans la grande salle de l’usine, au milieu des machines.

— Parbleu, s’écria-t-il, j’ai trouvé… le procédé est fort ingénieux.

Et Fandor se disait ceci :

« Les voleurs de diamants, lorsqu’ils sont en possession d’un certain nombre de bijoux précieux, réussissent assez difficilement à s’en débarrasser. On spécule sur le danger qu’ils courent, et le peu de publicité qu’ils peuvent faire pour écouler les marchandises aussi irrégulièrement acquises. Les receleurs qui les achètent les paient à un tarif dérisoire.

« Je suppose, poursuivait Fandor, qui pour préciser sa pensée s’exprimait à haute voix, je suppose que quelqu’un, Hans Elders, par exemple, a l’idée de faire croire à un gisement de diamants… Il y fait apporter par ses complices des diamants volés, il les jette dans la terre et les fait découvrir par des ouvriers… Il en envoie à l’usine où ils sont taillés… Dès lors ces diamants volés ont une histoire inédite, une nouvelle virginité, et rien n’est plus simple que de les remettre dans le commerce comme s’ils sortaient réellement de la chercherie et de la taillerie installées à Durban.

Fandor se frotta les mains, heureux de sa découverte.

Décidément sa visite à Diamond City n’avait pas été inutile. Soudain la lumière s’était faite dans son esprit et il comprenait l’organisation formidable de ce grand bandit qu’était Hans Elders.

De là à croire que le personnage était à la tête d’une bande dont probablement le plus bel ornement n’était autre que le courtier Ribonard, qui présentait une singulière ressemblance avec un certain Riboneau, jadis condamné aux travaux forcés par la Cour de Versailles, il n’y avait qu’un pas.

Fandor tressaillit.

Une conception aussi machiavélique était assurément digne de Fantômas.

Hans Elders était-il donc Fantômas ?

Non… Mais Hans Elders pouvait être un complice de l’insaisissable bandit.

Celui-ci, lors de son apparition en France, n’avait-il pas avoué qu’il arrivait du Transvaal ? Le Transvaal n’était-il pas limitrophe de la colonie du Natal ?…

Et puis, Fantômas n’avait-il pas expédié Fandor, quelques semaines auparavant de Londres dans l’Afrique du Sud où sans doute il avait mystérieusement accompagné le journaliste ?

Et que fallait-il penser de la mystérieuse histoire de la tête de mort dont la possession constituait assurément un avantage et qui, en outre, contenait un secret que Hans Elders semblait avoir le plus vif intérêt à disputer au jeune Teddy ?

Fandor n’eut pas le temps d’envisager longuement cette dernière hypothèse.

Il entendait du bruit, et pour n’être point surpris au milieu de cet atelier dans lequel il n’aurait pas su justifier sa présence, il fallait se dissimuler.

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