Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса) - Сувестр Пьер 2 стр.


— Non, merci, fit sèchement Delphine Fargeaux.

— Voyons, faites-moi ce plaisir. Vous savez bien que depuis longtemps je ne cherche qu’à vous être agréable et qu’il vous suffirait d’être un peu gentille avec moi pour me rendre le plus heureux des hommes.

Coquard se rapprocha de Delphine, lui passa le bras autour de la taille, se pencha sur sa nuque, effleura celle-ci d’un baiser.

Mais violemment la jeune femme le repoussa.

— Finissez, dit-elle, vous m’assommez.

— Oh, ça va bien, fit Coquard, tout à l’heure vous étiez plus aimable.

— C’est possible, grommela Delphine, et ça me regarde.

Cependant que le courtier demeurait interloqué par ce brusque changement d’humeur, que rien ne motivait à ses yeux, Delphine, avec une curiosité bien féminine, était allée ouvrir le paquet qu’on venait de lui apporter. Elle poussa un cri de surprise et de joie.

— Ah, par exemple, ça, c’est gentil ! dit-elle.

Et elle contempla, les yeux brillants de bonheur, les superbes jarretelles roses, auxquelles était épinglée une carte de visite.

Delphine lut : Dupont de l’Aube, sénateur, directeur de « La Capitale ».

— Mâtin ! proféra Coquard qui, indiscrètement, lisait par-dessus son épaule, ça n’est pas, comme on dit dans le métier, « de la petite bière ».

Puis il ajouta, goguenard :

— En voilà un que je guigne aussi, un personnage ce Dupont de l’Aube, à qui on fera un bel enterrement.

Delphine haussa les épaules.

— Vous êtes complètement idiot, mon cher Coquard, fit-elle, et vos plaisanteries sont d’un goût détestable.

— Pardon, murmura le courtier qui, d’un air humble, ajouta :

« Je n’ai pas beaucoup d’esprit, mais je suis un brave homme, et si j’imagine toutes sortes de bêtises, c’est histoire de vous faire rire. Dame, évidemment, ça n’est pas drôle, mon métier, ni le vôtre non plus, ne parler que de cercueils, de cadavres.

— Elles sont jolies, n’est-ce pas ? répondit Delphine en regardant les jarretelles.

Et Coquard, un instant assombri, retrouvait sa gaieté pour déclarer :

— Savez-vous ce que vous feriez si vous étiez gentille ?

— Non, et je ne veux même pas le savoir.

— Je vais vous le dire tout de même. Eh bien, vous me permettriez de vous les essayer.

— Insolent, imbécile ! s’écria Delphine en se dégageant.

 Puis, tous deux s’arrêtèrent net, embarrassés. Quelqu’un venait d’entrer dans le vaste hall, un jeune homme d’une extrême distinction, au visage pâle, au crâne poli comme une boule d’ivoire, à la moustache blonde et tombante, un jeune homme dont les mains maigres et longues étaient surchargées de bagues.

— Zut, v’là le patron ! souffla Coquard.

C’était, en effet, le marquis Ange de Villars, directeur de l’entreprise des Pompes Funèbres, qui venait d’entrer dans le hall des cercueils pour donner des instructions à son personnel.

***

À six heures du soir, les ateliers de la rue Croix-Nivert se vidaient et, dans la rue, se répandait une foule de trois cent cinquante ouvriers et ouvrières qui s’éparpillaient rapidement dans le quartier.

Delphine Fargeaux monta en hâte à l’appartement qu’elle occupait dans une rue voisine, changea son uniforme de deuil contre une toilette tapageuse, puis redescendit, sauta dans un fiacre auquel elle donna pour adresse :

— Place d’Anvers.

Lorsqu’elle arriva dans le quartier mouvementé de Montmartre, quiconque aurait vu cette pimpante et jolie personne ne se serait vraiment pas douté de la profession qu’elle remplissait dans la journée. Elle ne faisait point tache dans ce quartier de plaisirs et de fêtes.

Delphine Fargeaux régla sa voiture, puis, amusée à l’idée qu’elle allait au rendez-vous de quelqu’un qu’elle ne connaissait pas, elle s’avança lentement dans le square d’Anvers. Le soir tombait et déjà le crépuscule jetait une ombre grise sur le jardin que les mères et leurs enfants quittaient.

Delphine Fargeaux demeura seule quelques instants, lorsqu’elle eut un soubresaut. Quelqu’un l’interpella, d’une voix grasse, éraillée :

— Alors, ça va toujours, mam’zelle Delphine ?

— Ah, par exemple, fit-elle, c’est vous, Barnabé ?

Devant elle se trouvait un individu aux allures communes, à la face terreuse, aux habits malpropres. Il avait une haleine avinée et des yeux injectés. Delphine Fargeaux le connaissait bien : c’était Barnabé, l’un des fossoyeurs de l’administration avec lequel elle avait souvent à s’entendre pour des détails de métier.

— Ah non, par exemple, vous en avez un culot, vous ! Si vous croyez que c’est rigolo de vous rencontrer, surtout dans l’état où vous êtes !

— De quoi ? grogna le fossoyeur. Il n’y a pas de déshonneur et c’est bien malheureux que vous fassiez la fière, car vous êtes une jolie fille et ça ne vous coûterait pas cher.

— Voyou ! s’écria Delphine, laissez-moi tranquille.

Et cependant que Barnabé, titubant sur ses jambes, cherchait surtout à assurer son équilibre, Delphine Fargeaux, rebroussant chemin, s’écarta, redoutant d’être vue en conversation avec cet homme par l’inconnu qu’elle attendait.

Comme elle traversait le square, Delphine Fargeaux se heurta soudain à un jeune homme. Celui-ci sourit en la regardant, puis, la saluant poliment, il demanda :

— M me Delphine Fargeaux ?

— Oui, c’est moi, fit la jeune femme qui rougit.

Le jeune homme avait tiré de sa poche le petit calepin noir :

— Ceci vous appartient n’est-ce pas, madame ?

— En effet, je vous remercie bien, monsieur.

Mais Fandor, car c’était lui, ne rendait point le carnet.

— Un instant, dit-il, je voudrais, au préalable, vous poser, madame, une petite question. N’y voyez pas une curiosité malsaine, mais simplement l’intérêt que je vous porte. Je suis Jérôme Fandor et mon nom vous dit peut-être quelque chose, s’il est exact que vous êtes M me Delphine Fargeaux ?

La jeune femme répondit affirmativement : les deux interlocuteurs s’assirent sur un banc.

Ils y passèrent près d’une heure.

Fandor et son interlocutrice pouvaient avoir, en effet, bien des choses à se dire, et si Delphine Fargeaux avait voulu parler, elle aurait pu mettre Fandor au courant de quantité d’aventures et d’incidents qui auraient singulièrement intéressé le jeune homme qui, depuis qu’il s’était échappé miraculeusement des ruines du phare de l’Adour, ne savait en réalité que fort peu de choses sur les dramatiques aventures qui avaient rendu Delphine Fargeaux veuve, l’avaient forcée à quitter les Landes pour venir à Paris.

Peut-être, un jour, Delphine Fargeaux parlerait-elle, lorsqu’elle connaîtrait mieux Fandor ; cela était dans les choses possibles ; peut-être même Delphine aurait-elle dit tout ce qu’elle savait au journaliste si, le matin de ce même jour, le courtier Coquard n’était venu lui annoncer le décès de la nièce de l’infant d’Espagne, la mort d’une certaine Mercédès de Gandia, dont Delphine ne soupçonnait même pas l’existence.

Delphine savait encore autre chose. Elle savait, pour l’avoir entendu dire à Juve, quelques semaines auparavant, que Fandor était épris d’une jeune fille nommée Hélène, laquelle n’était autre que la fille de Fantômas. Or, Delphine avait vu, de ses yeux vu, les hommes de l’infant d’Espagne enlever Hélène pour la conduire de force à leur maître.

— Si jamais, pensait Delphine Fargeaux, Fandor se doutait de ce que je crains pour lui, s’il apprenait que peut-être, à l’heure actuelle, la soi-disant nièce de l’infant d’Espagne n’est autre que son Hélène ?… le malheureux !

La nuit était tombée tout à fait que Jérôme Fandor et Delphine Fargeaux s’entretenaient encore, et si Delphine n’avait pas communiqué ses appréhensions à Fandor, elle lui avait néanmoins raconté par le menu son existence depuis le jour où la mort de son mari l’avait rendue libre, mais ruinée aussi, ce qui l’obligeait à venir à Paris, à y gagner sa vie, à accepter le poste qu’on lui proposait aux pompes funèbres, et à mener cette existence qu’elle tâchait d’oublier chaque soir, en menant joyeuse vie à Montmartre.

2 – L’ENTERREMENT DE MERCÉDÈS

La rue Erlanger était déserte. Au beau temps de la veille avait succédé une pluie diluvienne, une de ces pluies du printemps, qui chargent le ciel d’encre et font ruisseler des flots d’eau brune dans le caniveau.

Les fenêtres de l’hôtel de don Eugenio étaient jalousement fermées. On avait tiré les volets. À l’intérieur c’était aussi le silence, à peine troublé par quelques chuchotements discrets. La nouvelle s’était vite répandue, en effet, dans le quartier, que la nièce de l’infant d’Espagne, doña Mercédès de Gandia, était décédée après une courte maladie. On connaissait peu cette jeune fille que la rumeur publique, cependant, disait être admirablement belle ; beaucoup ignoraient même son existence ; la plupart des voisins s’imaginaient que l’infant d’Espagne, célibataire, vivait seul dans son hôtel de la rue Erlanger. Quelques-uns, cependant, avaient noté que ces temps derniers, l’infant, après une longue absence, était revenu à Paris accompagné d’une dame, mais tandis que don Eugenio s’en allait au Bois, déjeunait en ville, ou se montrait au théâtre, jamais, ou très rarement, il ne se faisait accompagner de cette personne que l’on savait désormais être sa nièce.

L’infant d’Espagne, s’était retiré dans un grand salon dont on avait fait une sorte de cabinet de travail, et, en cette pièce plongée dans l’obscurité bien qu’il fît encore jour, l’infant d’Espagne était occupé à dépouiller de nombreux papiers en présence d’un homme aux apparences modestes. L’infant était assis, l’homme se tenait debout à côté de lui et lui signalait, au passage, des documents que l’Altesse royale feuilletait d’un air distrait.

— Voici, disait l’homme, encore un titre de propriété de la princesse votre nièce.

Puis, il ajoutait sur un ton de naïve et respectueuse admiration :

— L’héritage de doña Mercédès de Gandia est encore plus considérable que mon patron ne se l’imaginait.

— Votre patron, mon notaire, sait cependant exactement l’état de nos fortunes à tous.

— C’est exact, mais l’ouverture des meubles appartenant à doña Mercédès a fait découvrir des titres de rente dont on ne soupçonnait pas l’existence.

Le clerc de notaire poursuivit :

— Le décès de votre nièce, qui meurt sans enfants et sans ascendants directs, fait de vous, Monseigneur, son seul et unique héritier. Vous êtes désormais à la tête d’une immense fortune.

— À quel prix, dit l’infant.

Enfin l’employé du notaire se retira. Il venait à peine de quitter la pièce qu’un coup discret était frappé à la porte.

— Entrez.

C’était un vieux domestique qui, s’inclinant devant son maître, lui annonça :

— Monseigneur, c’est quelqu’un qui demande à parler à Votre Altesse.

— Je ne reçois personne.

— Monseigneur, c’est encore ce monsieur qui est déjà venu hier matin, M. Coquard, l’homme des Pompes funèbres.

— Il fallait me le dire plus tôt. Qu’il entre.

Quelques instants plus tard, le courtier de la maison de Villars était en présence de Son Altesse royale.

Le gros homme jovial, après s’être confondu en salutations et avoir balbutié quelques maladroites paroles de condoléance, interrogeait son auguste client sur les mesures qu’il daignerait prendre au sujet des obsèques :

— J’ai fait préparer les lettres de deuil et les ai laissées dans le vestibule, Monseigneur. Maintenant, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, on fera la mise en bière demain matin de bonne heure. Étant donné l’importance de la cérémonie, il ne faudra pas trop de toute la matinée pour dresser les tentures, mettre les écussons, préparer la salle de couronnes.

— En ce qui concerne la mise en bière, c’est une affaire entendue, mais je vous répète, monsieur, que je ne veux pas d’obsèques tapageuses. Faites le nécessaire et pas plus.

— Cependant, expliqua le courtier d’un air désolé, il s’agit d’une troisième classe, et l’on prévoit pour de semblables cérémonies un certain déploiement de luxe.

— Je n’en veux pas. Doña Mercédès de Gandia doit avoir des obsèques conformes à ses volontés, c’est-à-dire aussi modestes que possible.

L’excellent Coquard était navré. Machinalement, il ôta, puis remit dans sa poche, les catalogues qu’il avait apportés pour faire choisir à son Altesse royale des décorations funèbres compliquées.

Mais don Eugenio avait dicté ses volontés, précisé qu’il exigeait la simplicité. Puis, d’un geste digne et hautain, il signifiait à Coquard que l’entretien était terminé. Le courtier, lentement, se retira. Comme il descendait l’escalier, avisant un domestique, qui se tenait dans le vestibule, il demanda timidement :

— Voulez-vous me permettre de jeter un coup d’œil sur la défunte, histoire de bien me rendre compte que les dimensions données sont bien exactes, c’est rapport au cercueil ?

Mais le domestique foudroya du regard l’employé des Pompes funèbres :

— Monseigneur, déclara-t-il, a formellement interdit que qui que ce soit s’approche de la chambre mortuaire, pas plus vous que les autres ne serez autorisé à y pénétrer.

— C’est bon, c’est bon, inutile de vous fâcher.

Retroussant son pantalon, ouvrant son large parapluie, Coquard s’en alla, déçu, sous la pluie battante, qui transformait la rue Erlanger en véritable lac.

— Sale temps, grommela-t-il, et sale métier.

***

Par les volets entrebâillés, don Eugenio s’assurait que l’employé des Pompes funèbres s’était bien éloigné. Dès lors, il quitta son poste d’observation, et traversant son bureau somptueux, il ouvrit une petite porte dissimulée dans la boiserie. L’infant suivit un couloir étroit, puis, soulevant une portière, il pénétra dans une pièce élégamment meublée où se trouvait une jeune fille étendue sur une chaise longue. À l’arrivée de don Eugenio, elle se leva, inclina légèrement la tête.

L’infant lui répondit par un profond salut :

— Mademoiselle, fit-il, excusez-moi de vous déranger, mais voici l’heure qui s’avance, et j’avais besoin de vous parler.

— Je suis à votre entière disposition, Monseigneur.

— Et vous êtes toujours décidée ?

— Oui, répliqua la jeune fille, ce que je vous ai promis, je le tiendrai. De même que vous avez respecté la parole donnée, Monseigneur, de même je tiendrai en tous points, la promesse que je vous ai faite.

— Ah ! s’écria l’infant qui dans un geste spontané prenait dans les siennes les mains de la jeune fille et les étreignait chaleureusement, jamais je ne pourrai assez vous remercier, jamais vous ne saurez le service immense que vous rendez à ma famille, à la dynastie, à l’Espagne tout entière.

— Je vous en prie, monseigneur, n’exagérons rien, je vous saurai toujours gré de l’attitude généreuse que vous avez eue vis-à-vis de moi, je suis sincèrement heureuse de pouvoir vous rendre le service que vous m’avez demandé.

— Ainsi donc, fit l’infant, puisque tout est décidé, nous n’avons plus rien à nous dire pour le moment ?

— Plus rien, monseigneur.

L’infant se retira. Arrivé sur le pas de la porte, il se retourna et reprit :

— Il est quatre heures de l’après-midi ; vers sept heures, mademoiselle, je vous demanderai de vouloir bien être prête. Les domestiques seront éconduits, nous pourrons quitter l’hôtel.

La mystérieuse personne s’inclina. Quelques instants après, elle était seule, elle reprit sa place sur la chaise longue et se remit à lire.

***

— Casimir ! Casimir !

— Voilà, patron.

— Vite, Casimir, prépare le cabinet du premier étage, deux couverts, c’est des amoureux !

Dans le petit restaurant du Rond-Point d’Auteuil, le patron et son unique domestique s’empressaient. Ils avaient vu entrer un monsieur et une dame. Cette dernière portait une épaisse voilette, et ils avaient compris ce dont il s’agissait. Il était sept heures et demie. Deux amoureux, deux amants, vraisemblablement, venaient dîner et, à coup sûr, désiraient rester seuls. Sans les consulter au préalable, et négligeant de leur proposer une place dans la salle commune, Casimir, sur l’instigation de son patron, les invitait à monter un escalier conduisant à l’entresol et les faisait pénétrer dans un petit salon orné de glaces, meublé d’une table, de quelques chaises et d’un divan.

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