Le mariage de Fantômas (Свадьба Фантомаса) - Сувестр Пьер 4 стр.


Les autres se mirent à rire et l’Espagnole se refâcha :

— Je n’ai pas les doigts dans le nez, mais je pourrais bien te les coller sur la figure, Bec-de-Gaz. On ne m’a jamais rien donné à faire. Voilà pourquoi. Y’a qu’à essayer, et on verra.

À ce moment précis, le receveur apparut au haut de l’impériale ; s’adressant aux apaches, il réclama :

— Places, s’iou plaît ?

— Ta gueule, toi ! lui répondit Œil-de-Bœuf, du tac au tac et comme le receveur s’avançait, Œil-de-Bœuf lui envoya une bourrade :

— Non mais des fois, tu t’imagines pas qu’on va raquer pour ta roulante ? Ah, là, là, mince de rigolade, on ne paye pas nous autres. On est du Conseil d’administration.

Le receveur, tranquillement, en homme sûr de son autorité, se contenta de répéter :

— Allez, les places. Trois sous par personne.

Et en même temps, il frappait sur l’épaule de Mort-Subite :

— Dites donc, vous, mon ami, faudrait vous relever et ne pas casser les carreaux.

— Ta gueule ! dit Mort-Subite.

Et Bec-de-Gaz, venant au secours d’Œil-de-Bœuf, insistait brutalement :

— Et puis, un bouchon, hein ? si t’es pas content, fais-nous descendre. On est sans un.

Le receveur voulut ouvrir la bouche, mais Mort-Subite, qui s’était relevé tout de même, l’empoignait par les épaules et le faisait reculer :

— Toi, hurlait-il, tâche voir à voir à ne pas nous embêter ou je te balance.

Le receveur battit en retraite :

— C’est bon, commença-t-il, je m’en vas vous signaler au bureau, on verra bien si les agents…

Et sans achever sa phrase, il descendit le petit escalier, furieux, mais n’osant guère, étant donné le quartier déplorable où roulait le tramway, s’exposer à une rixe dans laquelle il aurait le dessous.

La Recuerda battait des mains :

— Eh ! les aminches ! cria-t-elle, c’est pas des coups à faire ça. Il va faire rappliquer la rousse et nous allons être de la r’vue. Si qu’on se cavalait ?

— C’est ça, on se cavale, on se cavale !

Tandis que le tramway s’éloignait au petit trot le long du boulevard désert, les apaches descendirent sur la plateforme, et sautèrent sur le sol :

— Bien le bonjour, conducteur, mes respects à ta poule.

— Je t’avais bien dit qu’on ne te paierait pas.

Tandis que le pauvre homme haussait les épaules, assez satisfait de les voir disparaître, les apaches, un à un, disparaissaient sur le boulevard. La Recuerda et Bébé demeuraient seuls sur la plate-forme.

— Descends, dit Bébé.

— Passe, répondit la Recuerda.

Mais, en même temps, d’un geste rapide, elle sautait sur le receveur, et avec une prestesse incroyable le dépouilla de sa sacoche en criant :

— À moi la banque.

Elle avait bondi sur la chaussée. Le receveur, soudain enragé, avait attrapé le signal d’arrêt et tirait dessus de toutes ses forces en vociférant :

— Ma sacoche, nom de Dieu, rendez-moi ma sacoche !

Bébé, qui était encore près de lui, lui coupa la parole d’un coup de poing :

— Suffit, la levée est faite.

L’homme s’écroula. Bébé avait sauté à son tour sur le sol et s’éloignait en courant dans la direction de la Recuerda.

Or, à l’intérieur du tramway, ayant assisté à la scène sans mot dire, philosophe comme à son ordinaire, se trouvait, par hasard, Fandor. Le journaliste, occupé à lire La Capitalen’avait guère prêté attention à l’embarras du receveur, mais, au moment même où, avec un cri étouffé, le malheureux employé s’écroulait, atteint par le poing du redoutable Bébé, Fandor, comme mû par un ressort, se dressa :

— Ah, mais non, pas de ça, murmurait-il, ils vont tuer ce bonhomme-là.

En deux enjambées, il avait traversé la voiture :

— Bon Dieu, ma sacoche ! hurlait toujours le receveur.

— Attendez, dit Fandor.

Il venait de dégringoler sur la chaussée, un revolver brillait dans sa main, il courait derrière la Recuerda et Bébé.

— Bon sang, arrêtez-vous, hurlait-il, ou ça va barder.

À ce moment, la Recuerda et Bébé traversaient le boulevard. Fandor fit comme eux.

Courant aussi vite qu’il le pouvait, Fandor poursuivait les deux ombres et gagnait du terrain. Derrière lui, le conducteur s’était relevé. Il l’entendait qui courait aussi, cependant que le cocher de l’omnibus, tiré de son assoupissement professionnel, s’égosillait :

— Au secours ! Au secours !

Marchant à la rencontre de Bébé et de la Recuerda, un homme, un palefrenier sans doute, revenait à pied, conduisant deux chevaux.

— Arrêtez-les ! criait Fandor.

Bébé, sans doute, avait eu peur du palefrenier. Il avait tiré son revolver et lâché un coup en l’air. Les deux chevaux se cabrèrent. L’homme qui les conduisait s’occupait encore à les maîtriser que la Recuerda, tenant toujours la sacoche, arrivait à sa hauteur. Et c’est avec une incomparable souplesse que la fille bondit à califourchon sur le dos d’un des chevaux, piqua des deux, s’éloigna au grand galop, cependant que, poursuivi par le palefrenier, le second cheval détalait.

Fandor courait toujours. Puis, la respiration lui manquant, force fut à l’ami de Juve de s’arrêter.

D’un coup d’œil rapide, il s’était assuré que le boulevard était désert. À peine voyait-on au lointain quelques pierreuses immobiles au coin des rues, guettant un hasardeux client. Le receveur distancé avait dû abandonner la poursuite et regagner son tramway.

— Miséricorde, se disait Fandor, mais qu’est-ce que tout cela veut dire ? Enfin, j’ai bien vu ce que j’ai vu, une femme, une femme jeune, souple, mince, élancée, vivant dans la société des apaches et se révélant écuyère consommée. Ah çà, si véritablement il s’agissait bien d’Œil-de-Bœuf et de Bec-de-Gaz, comme je l’ai cru, est-ce que cette femme ne pourrait être…

L’hypothèse était folle, invraisemblable, fondée sur rien et pourtant Fandor, en cette minute, eût juré qu’il ne se trompait pas.

Hélas, Hélène, depuis quelque temps avait disparu, était en fuite.

— Mon Dieu, mon Dieu, soupirait Fandor, est-ce donc Hélène que je poursuis ?

Il poursuivait en effet toujours la femme qui, si audacieusement avait dérobé la sacoche du receveur. Il demanda deux ou trois fois à des passants si l’on n’avait pas vu l’étrange amazone, et, guidé par les réponses qu’il obtenait, finit par arriver sur les berges de la Seine, supposant bien que la cavalière n’avait pas dû traverser le fleuve. Or, Fandor n’était point depuis quelques instants sur les quais, qu’il tressaillait de surprise. Devant lui, à peu de distance, abandonné, hennissant à la nuit, il aperçut un cheval sellé, bridé : le cheval qu’avait enfourché la fugitive.

— J’arrivé trop tard, souffla Fandor.

Il s’approcha de la bête et, bien qu’elle fût encore fort effrayée, parvint à la saisir.

— À mon tour de l’enfourcher.

Fandor n’était point, à vrai dire, excellent cavalier. Cependant, il sauta sur le cheval, fouilla de longues minutes le quartier de Grenelle, cherchant aussi bien à retrouver la fugitive qu’à découvrir le malheureux palefrenier qui devait assurément se lamenter sur la perte de sa bête.

Vaines recherches.

De guerre lasse, au bout d’une heure d’efforts, Fandor s’en alla au premier poste de police qu’il aperçut :

— Monsieur le brigadier, expliqua le journaliste à l’agent qu’il trouvait fort occupé à jouer aux cartes, voici un cheval que je vous amène, qui vient d’être volé et que j’ai pu heureusement rattraper.

— Et alors, quoi ? lui demanda le brigadier, qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse de votre cheval ? Vous ne vous imaginez pourtant pas que je m’en vais le garder au poste ? À la fourrière !

Et Fandor eut beau parlementer, s’insurger, supplier, courir même à deux autres postes de police, il ne pouvait arriver à se débarrasser du cheval.

De guerre lasse, il finit en effet par mener la bête à la fourrière.

— Décidément, dit-il à l’employé qui lui délivrait un récépissé, si jamais je retrouve un cheval égaré sur la voie publique, comment donc que je m’empresserai de ne pas le recueillir. Ah zut alors ! c’est trop amusant de traîner jusqu’à quatre heures du matin pour arriver à s’en défaire !

Or, tandis que Fandor effectuait ainsi d’abord ses recherches, puis enfin sa promenade mélancolique à travers Paris jusqu’à la fourrière, la bande des apaches se reformait dans un bouge de Grenelle.

L’enthousiasme était à son comble. On applaudissait la Recuerda, on la portait presque en triomphe :

— Bravo la môme, à ta santé !

— Très bien la Recuerda, à ton honneur !

— Fameux, fameux, ah, ce qu’il a dû rigoler le palefrenier !

Et les petits verres succédaient aux petits verres, on buvait joyeusement la sacoche, dans le bouge empesté, aux âcres relents de fumée, à la clientèle inquiétante. D’ailleurs, nul ne se cachait parmi Bec-de-Gaz, Mort-Subite, Œil-de-Bœuf, Bébé, la Recuerda, et tous les autres, d’avoir fait un coup.

Seul, un homme, le visage intelligent et dur, la mine grave, n’avait rien dit, continuait à boire.

Et cet homme-là, qui regardait la Recuerda, murmurait :

— Cette veine bleue qu’elle a au travers du front, ah ça, c’est bizarre. Mais on dirait un véritable signe de famille.

Et cet homme grave, cet homme qui demeurait dans l’ombre et auquel nul n’avait encore prêté attention, portait un nom de terreur et de sang, un nom qui faisait trembler les apaches.

Cet homme, c’était Fantômas !

4 – LE MARCHÉ TERRIBLE

Ce matin-là, comme neuf heures venaient de sonner, Jean, le fidèle domestique de Juve, avait éprouvé une vive surprise, en ouvrant la porte de l’appartement que le policier occupait désormais, au n° 1 ter de la rue Tardieu, appartement qu’il avait en quelque sorte conquis sur Fantômas, le jour où, avec son sang-froid extraordinaire, traversant le miroir, il avait arraché Fandor à une mort qui semblait inévitable.

Jean s’était trouvé tout bonnement face à face avec son maître, avec Juve en personne, un Juve calme, flegmatique et pourtant pressé comme à son ordinaire.

— Seigneur Dieu, s’écriait alors le brave homme en levant le bras au ciel, est-ce bien possible que ce soit monsieur qui revienne ? Je commençais à être inquiet.

Juve avait haussé les épaules, tendu une lourde valise à Jean.

— Porte cela dans mon cabinet. Allez, dépêche, apporte-moi tout le courrier, et je n’y suis pour personne, sauf naturellement pour Fandor.

D’où venait Juve ?

Certes, Jean, qui était habitué depuis de longues années aux manières incompréhensibles de son maître eût été curieux de le savoir, mais il connaissait trop l’horreur qu’éprouvait le policier à l’égard des bavardages inutiles pour se permettre la moindre question.

Jean était fort peu renseigné. Il en eût appris davantage s’il avait pu écouter le monologue furieux auquel se livrait Juve en s’épongeant vigoureusement dans la salle de bains et en se rhabillant en toute hâte :

— Nom d’un chien de nom d’un chien ! grommelait Juve, j’ai fait arrêter quatre fois mon fiacre et quatre fois de suite je suis entré dans des cabarets et dans des brasseries pour téléphoner à Fandor, où diable peut-il être ? J’aurais pourtant eu joliment besoin de le voir et de m’entendre avec lui. Peut-être sait-il quelque chose. Ah, l’animal qu’a-t-il donc pu devenir ?

Juve s’épongeait toujours, sans souci de l’eau qui ruisselait sur le sol, heureusement dallé, de la salle.

En fait, que s’était-il passé depuis la nuit tragique où Juve s’était trouvé à bord du bateau commandé par Fantômas, puis jeté à la mer, et enfin, par miracle, sauvé du naufrage, mais sauvé d’une façon extraordinaire : sauvé en compagnie de trois personnages qu’il ne s’attendait guère à rencontrer en si fâcheuse posture : Jérôme Fandor, lady Beltham et Fantômas ?

Il s’était alors déroulé sur ce rocher que battait la mer en furie un drame rapide, d’intense horreur. Les doigts crispés, roidis par le froid, déchirés aux anfractuosités des roches, lady Beltham avait lâché prise la première sous l’assaut d’une vague monstrueuse. La superbe amoureuse de Fantômas avait roulé à l’abîme sans que Fandor ou Juve, qui voisinaient avec elle, eussent eu le temps de la retenir, de l’arracher au gouffre.

En une seconde, d’ailleurs, une autre chute à l’abîme avait succédé à celle de la grande dame. Fantômas n’avait pas vu disparaître celle qu’il aimait d’amour malgré tout, qu’un rire hideux et sarcastique s’était échappé de sa gorge et que, montrant le poing à Juve et à Fandor, il s’était, lui aussi, laissé rouler au bas des roches, emporté dans le tourbillon, avec l’espoir insensé peut-être de sauver lady Beltham.

Qu’était alors devenu Fantômas ?

Juve et Fandor, meurtris, blessés, battus par les lames qui envahissaient le récif, qui menaçaient de les engloutir, n’avaient plus revu le bandit. Le flot qui l’avait arraché de la roche l’avait sans doute fracassé contre les rochers.

Flottant au gré des flots, des morceaux de cordages, des planches, une mâture enfin, frôlèrent le rocher où s’agrippaient Fandor et Juve. Le fracas de la tempête était ni fort à cet instant que les deux hommes ne pouvaient guère causer, mais un regard leur suffisait pour se comprendre. Juve et Fandor lâchaient l’écueil, s’agrippaient à l’épave, se laissaient emporter, eux aussi. Ils pensaient, les deux amis, se sauver ensemble ou périr ensemble, mais le sort en décidait autrement. Plus haute que les autres, plus brutale et plus monstrueuse, une vague accourait du large vers leur radeau improvisé. Fandor se cramponnait à l’un des bouts du mât, Juve à l’autre, la masse d’eau passa, ils furent submergés. Quand elle fut loin, Fandor et Juve devaient se rendre compte, angoissés, que les planches qui les soutenaient s’étaient disjointes et que le courant les avait séparés, qu’ils flottaient, séparés l’un de l’autre, pris par des courants opposés.

Fandor avait été, après toute une nuit d’angoisse, jeté à la côte. Juve, plus heureux, avait été recueilli par un navire qui, faisant route à la voile vers Gibraltar, l’avait déposé dix jours plus tard à la pointe de l’Espagne.

Juve, naturellement, s’était immédiatement enquis de Fandor, avait su que le journaliste miraculeusement sauvé – car c’était miracle que le courant l’eût porté à la côte –, était rentré à Paris. Juve aussitôt, envoyait une lettre à Fandor pour le rassurer, et entreprenait de poursuivre une enquête discrète et rapide.

Bien entendu, il n’avait pu apprendre ce qu’étaient devenus Fantômas et lady Beltham. Morts ou vivants, ils avaient disparu à nouveau, mais ce n’était pas d’eux que le policier s’était enquis. Juve, profitant de ce qu’il était en Espagne, s’était tout naturellement occupé de retrouver Hélène, la fille de Fantômas, enlevée, il le craignait sans en être certain, par un grand personnage espagnol. Juve, de longs jours, avait fouillé les environs de Madrid, enquêté, interrogé, cherchant à comprendre, à savoir. Ses recherches n’avaient donné aucun résultat. De guerre lasse, la rage au cœur, furieux contre les grands d’Espagne qui, finissait-il par juger, jouissaient véritablement d’une impunité trop grande pour leurs caprices amoureux et criminels, Juve s’était décidé à rentrer à Paris pour s’y concerter avec Fandor, examiner avec lui la situation, chercher d’un commun accord comment on pouvait espérer rencontrer à nouveau Hélène, l’arracher à son ravisseur si besoin en était, et attendre aussi des nouvelles de Fantômas, si Fantômas, comme on pouvait le craindre, avait pu s’échapper et éviter la mort.

Juve dépouilla sans hâte son volumineux courrier. Il trouva des cartes de Fandor, un petit mot dans lequel le journaliste lui apprenait qu’il allait reprendre momentanément son poste au journal La Capitaleet qu’il espérait bien que Juve lui ferait signe dès son retour.

— L’animal, grogna le policier, je ne fais que cela, lui faire signe, mais comme il n’est pas chez lui, c’est exactement comme si je crachais en l’air en chantant Femme Sensible [5].

— Un monsieur qui veut vous parler, dit Jean, qu’on n’entendait jamais marcher.

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