L'agent secret (Секретный агент) - Сувестр Пьер 6 стр.


— Laquelle, Fandor ?

— Une conclusion, Juve, qui ne met aucunement en cause Fantômas.

— Quelle conclusion, Fandor ?

— Juve, cet officier appartenait au Deuxième Bureau de l’État-Major…

— Oui, après ?

— Juve, quand un officier du Deuxième Bureau disparaît dans des conditions aussi tragiques, savez-vous ce qu’il faut oser comprendre ?

— Non…

— Juve, je vous affirme que si le capitaine Brocq est mort, c’est qu’il y a un espion à la solde d’une puissance étrangère qui, surveillé, peut-être sur le point d’être arrêté, a voulu la mort de ce capitaine pour se sauver lui-même…

— Fandor, tu oublies qu’un document a été volé ?…

— Eh non ! Juve, je ne l’oublie pas ! et c’est précisément ce qui fait que je ne puis croire à une intervention de Fantômas… Vous le dites vous-même, le vol d’un document, motif du crime, peut-être, permet d’écarter l’intervention de Fantômas puisqu’il permet de conclure qu’il s’agit d’espionnage… Vous ne me croyez pas, Juve ?

— Non, dit-il, je ne te crois pas… D’abord, Fantômas est capable de tout, du vol d’un document qu’une puissance étrangère lui paierait peut-être fort cher, comme du vol de n’importe quoi… Et puis enfin, petit, un espion, un traître, l’employé d’une puissance n’oserait pas tenter le crime qui nous préoccupe. Pour risquer cela, il ne peut y avoir que Fantômas !…

— C’est votre marotte qui vous inspire toujours… Certes, Juve, je suis bien le premier à croire à l’audace de Fantômas… et si je ne savais tous les secrets de terreur qui peuvent se cacher dans ce mot « espionnage », je serais assez prêt à me laisser convaincre… Mais voyez-vous, je le connais, le milieu des espions, je l’ai étudié, je sais ce qu’on y peut tenter, ce qu’on y peut vouloir… et ce n’est pas à la légère que je vous dis que l’assassinat de Brocq est un crime politique.

Fandor s’interrompit. Juve, soudain, venait de se renverser en arrière sur son fauteuil ; le policier riait à petits éclats, d’un rire ironique, continuel, sans fin, le rire qu’il avait à l’égard des interlocuteurs qui lui semblaient conter des stupidités…

— Mon petit Fandor, dit-il, tu es un excellent garçon et, tu n’en doutes pas, j’ai pour toi la plus vive admiration en même temps que la plus sincère amitié. Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous nous connaissons et nos relations ne sont pas près de finir… Tout cela m’autorise à te répondre franchement… tu ne m’en voudras pas ?

— Allez donc, Juve ! vous savez bien que non…

— Eh bien, je vais te dire ce que tu m’as dit, j’ai une marotte quand je parle de Fantômas, soit, eh bien, toi, Fandor, tu vois dans l’assassinat du capitaine Brocq une affaire d’espionnage, parce que tu as, depuis quelque temps, toi aussi, ta marotte… la marotte de l’espionnage…

Et comme Fandor souriait, Juve poursuivit :

— Voyons, réponds-moi avec sincérité, est-il vrai qu’il y a six mois… tiens, juste après l’assassinat de Dollon tu as publié dans La Capitaletoute une série de papiers relatifs aux affaires de trahison ?…

— En effet, mais…

— Laisse-moi achever !… Est-il vrai que ces articles ont été jugés très remarquables et qu’ils ont fait quelque bruit ?…

— Oui, mais…

— Laisse donc ! Est-il exact que tu as appris à ce moment ce que c’était au juste que le Deuxième Bureau, le monde des espions, et que tu en as été infiniment frappé, infiniment surpris ?

— C’est exact ! Mais encore une fois, Juve, c’est précisément parce que j’ai eu ces renseignements, parce que j’ai pu me rendre compte des secrets terribles qui existent dans ces milieux, que je crois pouvoir, aujourd’hui, rattacher l’affaire Brocq à un crime d’espionnage…

— Marotte ! Fandor, dis-toi bien une chose : l’assassinat du capitaine s’est passé dans de si tragiques circonstances qu’il ne peut être imputé qu’à Fantômas. Inutile de se fermer les yeux pour ne point voir. Inutile de se boucher les oreilles pour ne pas entendre. Inutile d’avoir peur… Il faut que nous soyons braves, au contraire… Il faut que nous regardions la vérité en face… Nous allons être à nouveau aux prises avec Fantômas. Voilà une certitude…

De moins en moins convaincu, Fandor eut à l’intention de Juve le même petit ricanement que le policier avait eu pour lui quelques instants auparavant.

— Marotte, Juve, dit-il à son tour… Il n’y a pas de Fantômas là-dedans. Votre affirmation m’avait troublé tout à l’heure, elle me laisse sceptique à présent… Vos raisons ne sont pas des raisons, vos déductions ne sont que des hypothèses… Non, voyez-vous, nous sommes bien en face d’une affaire grave, je suis d’accord en cela avec vous, mais s’est tout uniquement une affaire d’espionnage…

Et se levant, le journaliste ajouta :

— Tenez, Juve, voilà même ce que je m’en vais faire… après tout je suis en vacances et j’ai bien le droit de prendre quelques jours de congé… Ce soir même, je publierai dans La Capitaleun grand papier où, sans nommer le capitaine Brocq, évidemment, je ferai quelques rapprochements avec lui, où surtout j’expliquerai ce que sont exactement les espions, leur véritable rôle, que l’on a tort de les considérer toujours comme des lâches, qu’ils doivent, au contraire, pour les besoins de leur profession sinistre, faire preuve et très souvent, d’une exceptionnelle bravoure, où je dirai enfin…

Juve haussait les épaules, et interrompant son ami, un peu vexé, quoi qu’il en eût, de ne point avoir pu le convaincre :

— Où tu diras des bêtises, petit, et voilà… enfin tu es libre !…

Fandor se levait :

— C’est vrai, disait-il, je suis libre, Juve, libre d’aller passer quinze jours au pays du soleil, où je serai d’ici quelques heures !… parce qu’après tout… zut !… lisez toujours mon article dans La Capitale, je vous annonce que je vais le soigner tout particulièrement. Et puis, à dans quinze jours… Ne rêvez pas trop de Fantômas, hein ?

6 – LE CAPORAL VINSON

Un genou appuyé sur sa valise, Jérôme Fandor, de toute la force de ses bras vigoureux, tirait sur les courroies qu’il ne parvenait pas à boucler.

C’était le dimanche treize novembre, à cinq heures du soir ; l’appartement du journaliste était brillamment illuminé : le gaz brûlait dans toutes les pièces où régnait le plus grand désordre.

Fandor partait en vacances et pour être sûr de ne pas manquer son train, le jeune homme se disposait à aller dîner à la gare de Lyon.

— Ouf ! s’écria-t-il lorsqu’il eut enfin réussi à comprimer l’amoncellement de ses vêtements et à fermer sa valise.

Fandor poussa un soupir de satisfaction. Cette fois il ne pouvait plus douter de son départ, la chose était certaine. Fandor jetait un dernier coup d’oeil dans son logis lorsqu’il s’arrêta net au milieu du couloir.

Le timbre de la sonnerie avait retenti. Quelqu’un sollicitait l’ouverture de la porte d’entrée.

— Ils ne vont pas me refaire le coup ? dit le jeune journaliste.

Et il ouvrit la porte de l’appartement. Sur le palier, un militaire.

— Monsieur Fandor ? demanda ce dernier d’une voix douce, un peu enrouée.

— C’est ici, c’est moi, que désirez-vous ?

Le militaire avança un pas, puis, comme faisant un effort sur lui-même, il articula péniblement :

— Voulez-vous me permettre d’entrer ? je serais désireux de vous dire quelque chose.

Fandor, silencieusement, invita d’un geste de la main l’importun à pénétrer dans l’appartement.

C’était un tout jeune garçon qui portait l’uniforme de l’infanterie de ligne. Sur la manche de sa capote les galons de caporal.

Ses cheveux étaient bruns et ses yeux assez clairs contrastaient étrangement avec le reste de son visage aux tonalités foncées. Une légère moustache noire ombrait sa lèvre.

— À qui ai-je l’honneur de parler ? demanda Fandor.

— Je suis le caporal Vinson. Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, monsieur, mais moi je vous connais bien, par vos articles… Et j’ai bien besoin de vous parler…

— Encore un raseur, se dit Fandor, qui vient me demander une recommandation.

Le journaliste bouillait d’impatience à l’idée qu’il perdait des minutes précieuses, et qu’il lui faudrait singulièrement écourter son dîner s’il ne voulait pas manquer le rapide.

Néanmoins, désireux d’être poli :

— Veuillez vous asseoir, monsieur, dit-il, je vous écoute.

Le caporal Vinson parut très ému.

— Ah ! monsieur, commença-t-il, excusez-moi d’être venu vous déranger, mais je tenais à vous dire… à vous connaître… à vous exprimer… combien j’apprécie votre talent, votre façon d’écrire… comme j’aime les idées que vous exprimez dans le journal !… Ainsi, votre dernier article, si juste, si… charitable…

— Vous êtes bien aimable, monsieur, interrompit Fandor et je vous remercie ; mais si cela ne vous fait rien, nous pourrions prendre rendez-vous pour un autre jour car je suis très pressé et…

— Ah, monsieur, ne me chassez pas ! Si je me tais aujourd’hui, je n’aurai plus le courage de parler… et pourtant il le faut…

— Eh bien, monsieur, causons.

— Monsieur Fandor… hurla alors Vinson, je suis un traître !

Encore qu’il fût loin de s’attendre à cette déclaration, aussi brutale que surprenante, Fandor ne broncha pas ; il avait l’habitude de ces cas bizarres où les coupables éprouvent le besoin de faire leur profession de foi devant des gens qu’ils n’ont jamais vus, alors qu’ils se garderaient rigoureusement de révéler quoi que ce soit à des intimes.

Fandor se leva lentement de la chaise qu’il occupait, s’approcha du militaire, et lui mit cordialement les mains sur les épaules, l’obligea à s’installer de nouveau dans le fauteuil dont il venait de sortir :

— Remettez-vous, monsieur, je vous en prie, dit-il.

Une réaction se produisait, de grosses larmes coulaient sur les joues hâlées du caporal, et Fandor le considéra, ne sachant quelle consolation apporter.

— Oui monsieur, c’est à cause d’une femme… et puis vous comprenez cela… vous qui écrivez des articles où vous dites qu’il faut prendre en pitié les malheureux comme moi… car on est malheureux lorsqu’une femme vous tient et qu’on manque d’argent… Et puis, avec ces gens-là… lorsqu’on est embarqué dans leurs affaires, on est foutu… il faut obéir… et toujours ils en demandent plus… Ah ! monsieur, quel épouvantable désastre que la mort du capitaine Brocq… voyez-vous, moi… si je suis devenu traître… c’est de leur faute… Ah ! monsieur, vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir pour maîtresse une femme comme… celle que j’aime, une femme comme…

Fandor articula :

— Comme Bobi…

Mais il n’acheva pas. Vinson le regardait interloqué, ces premières syllabes ne le frappaient point et il semblait fort surpris, à la façon de quelqu’un qui les aurait entendues prononcer pour la première fois.

Fandor, pour dissimuler son embarras, se gratta la gorge, puis, très vite reprit :

— Je vous demande pardon de vous avoir interrompu, vous disiez donc… une femme comme ?…

— Une femme comme Nichoune !… Nichoune !… ma maîtresse !… ah ! monsieur, tout Châlons sait ce qu’elle vaut. On connaît la méchanceté de cette rosse, et cependant… il n’y a pas un homme qui n’ait voulu…

— Mais mon brave caporal, pourquoi diable me racontez-vous tout cela ?

— Mais, monsieur, parce que… parce que… parce que j’ai juré de tout vous dire avant de mourir !

— Fichtre ! observa Fandor, que comptez-vous donc faire ?

Le caporal, sur un ton de fermeté qui contrastait avec son attitude affolée jusqu’alors, répondit simplement :

— Je compte me tuer.

Désormais, c’était Fandor qui, loin de vouloir aller prendre son train, insistait près du militaire pour obtenir de lui des détails complémentaires sur l’existence de Vinson.

Le caporal Vinson se trouvait depuis quinze mois au service. Fils d’une veuve qui tenait une petite librairie à Levallois-Perret, il avait été des premiers conscrits que touchait la nouvelle loi de deux ans et le recrutement l’avait envoyé au 214 ede ligne, en garnison à Châlons.

Ses classes terminées, il avait obtenu les galons de caporal, et, vu sa belle écriture, eu égard également à la protection d’un commandant, il avait passé dans les bureaux de la Place, en qualité de secrétaire. Vinson était fort satisfait de sa nouvelle situation, car le jeune homme, élevé dans les jupes de sa mère et dont toute l’adolescence s’était passée pour ainsi dire derrière le comptoir de la librairie, avait beaucoup plus le tempérament d’un bureaucrate que celui d’un homme actif. Le seul sport qu’il pratiquait avec plaisir, c’était la bicyclette et le seul luxe qu’il se permettait, c’était la photographie.

Un dimanche soir, entraîné par ses camarades, il était allé au Café-Concert de Châlons.

Vinson fréquentait quelques sous-officiers un peu plus riches que lui… Sans être des prodigues, ces jeunes gens avaient la dépense assez facile, et à maintes reprises déjà, Vinson, pour ne pas être en reste avec eux, avait sollicité et obtenu de sa mère des envois d’argent.

Ce soir-là, après le concert, on avait invité quelques chanteuses de l’établissement à venir souper en cabinet particulier et Vinson, au cours de la fête, s’était trouvé attiré, séduit par une grande fille aux cheveux teints, aux joues émaciées, aux yeux brillants et dont l’allure faubourienne et parigote l’avait subjugué.

Vinson, de son côté, visiblement ne faisait pas une mauvaise impression sur la chanteuse. La conversation s’était prolongée fort avant. Vers quatre heures du matin, le caporal et la chanteuse se retrouvaient la tête surchauffée, légèrement grisés par les alcools, sur le boulevard désert de Châlons, alors que le jour pointait. La permission de Vinson n’expirait que le lendemain soir ; Nichoune lui avait offert l’hospitalité de sa chambre meublée… Ensuite ils avaient vécu l’aventure classique et lamentable de ces amants et maîtresses unis dans la débauche par le hasard, et qui se croient liés l’un à l’autre par une chaîne indissoluble.

La chanteuse avait harcelé le caporal de ses demandes d’argent.

Peu à peu, la mère de Vinson avait mis le holà aux dépenses et le caporal, incapable de rompre avec Nichoune, commença à s’endetter dans la ville…

— Il m’arrivait quelquefois, lorsque, à la suite d’une dispute, j’avais momentanément quitté Nichoune, ou lorsque je savais qu’elle recevait un amant, de partir la rage au cœur. Un certain samedi, enfourchant ma fidèle bécane pour abattre des kilomètres sur la grande route poudreuse qui longe le camp, je fis une course rapide, puis m’étant assis à l’ombre d’un arbre, le long d’un fossé, je commençais à m’endormir. Un cycliste, dont le pneumatique était crevé, me demanda de lui prêter ma trousse pour le réparer, et tandis que la dissolution séchait, nous causâmes. C’était un homme d’une trentaine d’années, élégamment habillé. À la façon dont il s’exprimait, on sentait que l’on avait affaire à un homme du monde.

« Il voyageait, me disait-il, en touriste, et visitait précisément les environs de Reims et de Châlons…

« — Pas bien pittoresque le pays ! lui dis-je…

« — C’est intéressant… dit-il, par exemple les routes sont compliquées !…

« Je me mis à rire, et comme il insistait sur la difficulté qu’il éprouvait à se diriger dans la région, je lui offris de regarder avec moi la carte d’État-Major dont j’avais un exemplaire dans ma vareuse… Ah ! monsieur… comme Alfred jouait bien la comédie ! je ne vous ai pas encore dit qu’il s’appelait Alfred ou, du moins, qu’on le désignait sous ce nom-là ? le seul que j’aie d’ailleurs jamais connu… ah, monsieur !

« Il parut absolument stupéfié à la vue de cette carte, cependant très ordinaire et prétendit me l’acheter à toute force. Moi je ne voulais pas, il m’en proposa cinq francs. Comme je m’étonnais qu’il n’attendît point d’être à Châlons, où il pourrait se procurer la même moyennant vingt sous, Alfred me déclara :

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