La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 17 стр.


— Osez, osez. C’est moi qui vous en prie. Vous savez bien, soupira-t-elle, que vous pouvez avec moi, tout ce qu’il vous plaira.

Mais la porte du salon dans lequel avait lieu ce tête à tête, venait de s’ouvrir. Un homme parut, homme d’un certain âge, à la figure souriante, à la chevelure ébouriffée. Il portait autour de la taille, couvrant son gilet et protégeant sa redingote, un large tablier bleu comme en ont les cuisinières.

M me Olivet l’ayant aperçu, grommela d’un air vexé :

— Bon, encore lui.

Cependant Fandor souriait en s’adressant au nouvel arrivant :

— Bonjour, mon cher Monsieur Olivet. Par exemple, ça me fait plaisir de vous voir. Et comment va la santé ce matin ?

— Mais pas mal, pas mal, Monsieur Fandor, mais c’est à vous qu’il faut demander cela.

Sans attendre de réponse, M. Olivet jeta un regard inquiet et timide du côté de sa femme.

— Ma chère Valentine, fit-il, excusez-moi de vous déranger mais il y a en bas quelqu’un qui vous demande, c’est un client qui vient pour une consultation.

— J’y vais, déclara sèchement M me Olivet, et elle quitta la pièce.

Quelques instants encore, son mari demeurait avec Fandor, s’enquérait à nouveau de sa santé.

— Cette pauvre jambe, murmurait-il, ne se guérit donc pas ?

Puis il ajoutait :

— Excusez-moi, Monsieur Fandor, de vous quitter, mais il faut que je m’occupe du ménage, c’est aujourd’hui lundi, on fait le pot-au-feu et comme vous savez, ça prend du temps à cuire. Pour qu’un pot-au-feu soit bon, il faut le mettre sur le feu dès l’aube.

Fandor étouffa un fou rire tant que M. Olivet ne l’avait pas quitté, mais dès qu’il se trouva seul, le journaliste donna libre cours à sa gaîté :

— Ah, quels types, quels types, s’écria-t-il, véritablement je suis tombé, c’est le cas de le dire, dans une bien drôle de maison. Encore une fois, poursuivit le journaliste, je viens de l’échapper belle avec la captivante M me Olivet. Chaque jour, ma vertu court des risques de plus en plus sérieux et je me demande s’il ne faudra pas qu’à un moment donné ma pudeur ne cède à ses brûlantes invites. Décidément, quelle drôle de maison.

Fandor n’avait pas repris son roman-feuilleton. Le journaliste regardait autour de lui et considéra d’un air distrait l’ameublement élégant, confortable, du petit salon anglais dans lequel il était installé. Cet intérieur était vraiment charmant. Meublé avec goût, il y avait, dans les moindres détails, de la délicatesse et du charme, on retrouvait partout la trace discrète de cette M me Olivet, qui savait donner de l’allure aux moindres choses.

À côté de sa chaise-longue, Fandor avait à portée de la main une petite table, un guéridon laqué blanc, sur lequel était disposé un plateau portant lui-même une carafe avec de l’orangeade. Plus loin, était un élégant étui à cigarettes, puis, sur un fauteuil, à proximité du canapé, encore des livres, des journaux.

Comment Fandor se trouvait-il là ? Pourquoi le journaliste demeurait-il étendu sur cette chaise-longue, immobile ? Était-il blessé ?

Oui, sans doute, Fandor était blessé. Sous son pantalon, sa jambe gauche paraissait rigide et enflée d’une façon anormale. En fait, cette jambe, depuis le genou jusqu’à la cheville, était immobilisée dans un pansement de ouate et de plâtre qui permettait de comprendre à quiconque le voyait que le journaliste était en train de se guérir d’une fracture.

Fandor devait avoir fort envie, ce jour-là, de s’assurer des progrès de sa guérison, car, étant bien certain qu’il était seul désormais dans la pièce, il se souleva de sa chaise-longue et avec mille précautions essaya de poser à terre son pied malade.

La première expérience parut le satisfaire, car, forçant sur son pansement, le journaliste parvint à plier la jambe et à faire remuer l’articulation de sa cheville. Puis, satisfait encore de ce nouvel essai, il se leva. Fandor s’appuya d’abord, avec une instinctive méfiance, sur les meubles qui se trouvaient à sa portée, mais s’enhardissant bientôt, il commençait à marcher sans aucune aide, puis, peu à peu, il laissa peser le poids de son corps sur la jambe malade et constata avec une joie sans bornes, que celle-ci ne paraissait nullement en être affectée.

— Nom d’un chien, jura Fandor, c’est extraordinaire ! Mais j’ai beau faire tous les mouvements défendus, je n’éprouve absolument aucune souffrance. Qu’est-ce qu’elle me raconte que ma jambe doit être extraordinairement affaiblie ? Jamais je ne me suis senti les muscles aussi vigoureux.

Le journaliste fit quelques pas, plia les jarrets, sauta même, alla à cloche-pied.

— Mais, c’est inouï, continua-t-il, de ma vie je n’ai eu autant de souplesse, ni autant de vigueur.

Il ricana :

— Eh bien, ceux qui prétendent que l’on souffre lorsque l’on a la jambe cassée sont de rudes imposteurs, tout au moins d’invraisemblables douillets. En voilà une bonne blague. C’est-à-dire que si on ne vous assurait pas que vous avez une fracture, l’on ne s’en apercevrait point. Voilà quinze jours que je suis immobilisé, et c’est à peine si j’ai souffert pendant deux heures. Bravo, bravo, mais c’est que je vais extraordinairement bien !

Le journaliste sauta en l’air. Retombé lourdement sur le plancher, il s’arrêta net.

— Oh, oh, fit-il, j’entends du bruit, ça doit être cette excellente et redoutable M me Olivet qui revient, allons nous allonger.

Avec une agilité extraordinaire de la part d’un homme que l’on soigne pour une jambe cassée, Fandor bondit jusqu’à la chaise-longue et s’y étendit en l’espace d’une seconde. Il prêta l’oreille :

— Je me suis trompé, fit-il, mais la brave femme ne doit pas être loin, méfions-nous.

En effet, on entendait aller et venir dans la pièce voisine.

Depuis quinze jours, comme il l’avait annoncé, Fandor vivait une existence bizarre. Il recevait les soins assidus de M me Olivet, à la suite d’une mésaventure singulière. Quinze jours auparavant, en effet, Fandor avec son ami Juve, poursuivait leur redoutable adversaire, l’insaisissable Fantômas, dans un restaurant aux allures mystérieuses et louches, de la rue Froidevaux. Le policier et le journaliste s’étaient trouvés dans une salle de cet établissement connu sous le nom de L’Épervier, seuls avec Fantômas et sa bande.

Et leur existence avait été très en péril, fort compromise jusqu’à l’arrivée de la police, dont la venue avait déterminé la fuite des apaches à la tête desquels se trouvait le Maître de l’Effroi.

Bien entendu, Fantômas s’était enfui, mais tandis qu’il disparaissait dans l’ombre de la nuit, Juve s’élançait à sa poursuite.

Fandor, qui méditait de faire de même, était, à ce moment retardé par l’intervention de M. Havard. Le chef de la sûreté, prenant Fandor pour un malfaiteur, l’avait arrêté pour le relâcher aussitôt. Dès lors, Fandor n’avait plus eu qu’une idée : rattraper le temps perdu, courir après Fantômas.

Le journaliste avait vu fuir une silhouette sombre, non point dans la rue Froidevaux, mais bien sur les toitures dont le sommet se trouvait au niveau de la terrasse sur laquelle donnait la salle du restaurant de L’Épervier. Et Fandor, confiant en son agilité, s’était élancé sur les toits, longeant des corniches, contournant des cheminées, enjambant des balcons, se livrant à une poursuite effrénée.

Mais soudain, alors qu’il imaginait s’engager sur une toiture de zinc, le journaliste posait le pied sur un vitrage. Les carreaux se brisaient et Fandor tombait dans un trou sombre, se meurtrissait les membres, éprouvait une telle commotion qu’il en demeurait inerte.

Une heure après, lorsque le journaliste revenait à lui, ses yeux découvrirent avec étonnement l’endroit où il se trouvait.

C’était un salon, élégamment meublé, éclairé par une douce lumière électrique. L’éclat des ampoules était tamisé par de jolis abat-jour aux teintes variées. Une femme au visage sérieux se tenait auprès de Fandor, et, de sa main fraîche, serrait le poignet du jeune homme.

Abasourdi, le journaliste avait jeté les yeux sur cette inconnue et s’apprêtait à lui demander quelques explications sur ce qui venait de lui arriver, mais la jeune femme, d’un geste, lui imposait silence. Toutefois, après avoir compté pendant près d’une bonne minute, la dame murmura :

— Pas la moindre fièvre. Un pouls excellent. C’est parfait.

Elle se penchait vers Fandor, mettait sur son front la paume douce de sa main. Le journaliste, de plus en plus abasourdi, n’y tenant plus, l’interrogea alors :

— Où suis-je ? Que m’est-il arrivé ? Qui êtes-vous, Madame ?

On lui répondit :

— Vous avez fait une chute. Monsieur, pas bien grave, heureusement, mais j’ose dire que vous êtes bien tombé. Vous êtes ici chez M me Olivet, c’est-à-dire chez moi, et je suis docteur en médecine.

— Bon, pensa Fandor, cette excellente femme a raison, pour une fois, je suis bien tombé. Espérons que je vais me relever de même.

Et déjà il s’efforçait de bouger, mais une vive douleur lui arracha un cri.

— C’est à la jambe que vous avez mal ? interrogea la femme-médecin.

— Ma foi oui, reconnut Fandor, j’éprouve comme un élancement dans le mollet gauche.

Sans se départir de son calme, et avec des précautions infinies, M me Olivet avait alors retroussé le pantalon du jeune homme, cependant qu’elle disait à quelqu’un que Fandor n’avait pas encore aperçu :

— Déchaussez-le.

Le journaliste alors avait vu surgir devant lui un gros homme à la figure replète, à la tête ébouriffée, qui, avec des gestes empressés et maladroits, dénouait le lacet de sa bottine. M me Olivet le présenta à son malade :

— C’est M. Olivet, dit-elle, mon mari. Il m’aide de temps en temps, lorsque je n’ai pas de domestique sous la main.

— Bien, songea Fandor, voilà un époux qui m’a tout l’air d’être relégué au sixième dessous dans son ménage.

Mais le journaliste rapidement eut à se préoccuper d’autre chose.

Son docteur lui palpa le mollet d’un air entendu.

— Pas grand-chose, je l’espère, du moins, fit M me Olivet, toutefois, la jambe est encore enflée, et nous ne pourrons être fixés que demain matin.

— Ah, fit Fandor, que craignez-vous donc ?

— Je ne sais pas, dit mystérieusement M me Olivet.

Elle ajouta :

— Vous allez rester étendu sur ce canapé, on va vous mettre des coussins, des couvertures. Je n’ose pas vous faire transporter sur un lit, de peur de quelques complications.

Fandor ne savait comment remercier cette aimable femme qui soignait, en somme, un inconnu, et un inconnu dont l’arrivée chez elle était plus qu’extraordinaire, avec un extrême dévouement, une exquise compassion.

Le journaliste s’en voulut de n’avoir point encore dit qui il était, d’autant qu’à ce moment M me Olivet, qui décidément pensait à tout, venait de lui annoncer :

— Pour que vous ne manquiez de rien, mon mari vous veillera toute la nuit.

Fandor songea : « Il faut que je me présente ». Et, en s’excusant de donner à M. et M me Olivet tout ce trouble, le journaliste dit son nom.

M me Olivet changea de couleur.

— Jérôme Fandor ? s’écria-t-elle, est-ce possible que vous soyez Jérôme Fandor ? Ce journaliste si connu, ce héros si courageux, cet homme admirable ?

Fandor, fort gêné de voir l’estime dans laquelle le tenait cette aimable femme, voulait l’empêcher de continuer, mais M me Olivet était lancée, rien ne l’aurait arrêtée :

— Ah, soupira-t-elle, c’est assurément le ciel qui vous envoie, voilà si longtemps que j’entends parler de vous, de vos aventures, et que je rêve de vous connaître. Vous incarnez à mes yeux l’audace, le courage, la plus sublime témérité.

— Ma chère amie, interrompit à ce moment M. Olivet, tout ce que vous dites est certainement très exact, et même au-dessous de la vérité, mais ne craignez-vous pas de fatiguer votre malade ?

L’excellent homme s’arrêta net, foudroyé par un coup d’œil méprisant et hautain de sa femme :

— Vous, d’abord, déclara-t-elle, mêlez-vous de ce qui vous regarde. Allez vous coucher, c’est moi qui veillerai M. Jérôme Fandor, vous seriez incapable de lui prodiguer des soins éclairés, si besoin en était.

— Madame, protesta le journaliste, qui véritablement se sentait gêné par cet excès de compassion, je vous assure que je n’aurai besoin de rien.

Mais la jolie femme redevenait le médecin pour avoir de l’autorité :

— C’est le Docteur, fit-elle, qui vous parle et le Docteur vous recommande de consentir à ce qu’il veut, sans discussion.

Fandor, après tout, n’était pas plus royaliste que le roi, et comme sa chute, ainsi d’ailleurs que les émotions qu’il avait éprouvées, lui donnaient une profonde envie de dormir, il ne tarda pas, suivant les conseils de M me Olivet, à s’assoupir profondément.

Le lendemain, lorsqu’il se réveilla, l’aimable femme était encore à son chevet. Lorsque Fandor ouvrit les yeux, il vit que ceux de la femme-médecin étaient fixés sur les siens, avec une singulière insistance et qu’ils exprimaient une douceur infinie.

Fandor était loin d’être un fat, néanmoins, il se demandait :

— Ai-je donc fait la conquête de cette femme pour qu’elle me regarde comme elle le fait ?

— Mon pauvre Monsieur Fandor, dit M me Olivet, je suis au regret de vous dire que vous avez la jambe cassée, et que vous voilà condamné au moins à quinze jours d’immobilité.

Fandor était demeuré abasourdi par cette déclaration, et il avait voulu se faire transporter à son domicile. Mais s’il était entêté, M me Olivet lui rendait des points sur ce chapitre, et après deux heures de discussion courtoise et aimable, Fandor devait obtempérer au désir de son hôtesse, à savoir : promettre de rester chez elle tant qu’il ne serait pas complètement rétabli.

— Pourquoi diable veut-elle me garder ? s’était d’abord demandé Fandor, dans sa naïve inconscience.

Il ne tardait pas à l’apprendre. M me Olivet était une excellente femme et vraisemblablement, un docteur très capable. Mais elle était également amoureuse et Fandor ne pouvait plus douter au bout de quelques jours qu’il ne fût, lui, l’objet de cet amour.

Le journaliste s’il était dans une certaine mesure, flatté de cette distinction, en était surtout très ennuyé car Fandor aimait aussi, mais ailleurs. Il avait donné son cœur à Hélène et la fille de Fantômas l’occupait tout entier.

Le journaliste, toutefois, n’était pas d’une pruderie exagérée et s’amusait volontiers à flirter avec l’excellente femme pendant les longues heures qu’ils passaient en tête à tête. Elle aimait sincèrement, M me Olivet, et n’était pas exigeante. Il suffisait que Fandor lui prenne la main dans la sienne et la garde pendant vingt minutes pour qu’elle estimât avoir vécu une heureuse journée.

— Je pourrais, pensait Fandor, lui faire ce plaisir-là tous les jours, sans trahir ma foi.

Mais M me Olivet, peu à peu, menaçait de se montrer plus exigeante et Fandor était d’autant plus gêné qu’il se rendait compte que la moindre privauté constituait une double trahison pour Hélène et pour M. Olivet, pour cet excellent mari qui remplissait dans la maison les fonctions qui incombent, d’ordinaire, à toute femme soucieuse de la bonne organisation de son intérieur.

C’était M. Olivet qui allait au marché, c’était lui qui traitait avec les fournisseurs, comptait le linge avec la blanchisseuse. M me Olivet, docteur en médecine, avait sa clientèle, ses visites, ses malades, mais depuis que Fandor se trouvait chez elle, elle négligeait un peu tout ce monde pour ne s’occuper que de lui.

Voilà pourquoi Fandor, qui en avait, au bout de quinze jours, par-dessus la tête des assiduités de M me Olivet, en était arrivé à douter de la gravité de son état. Madame lui interdisait toujours de poser le pied par terre, sous peine des plus graves complications. Or, depuis quatre jours déjà, Fandor, progressivement, s’assurait de la vigueur et de la souplesse de sa jambe et s’apercevait que celle-ci se comportait merveilleusement.

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