La disparition de Fandor (Исчезновение Фандора) - Сувестр Пьер 25 стр.


Lorsqu’il avait été en possession des morceaux de la lettre déchirée par Timoléon Fargeaux, la lumière s’était faite en son esprit :

— Parbleu, s’était dit Juve, tout cela doit vouloir dire ceci : on offre à Timoléon Fargeaux de lui restituer quelque chose, moyennant vingt-cinq mille francs s’il veut se rendre au milieu de la chaussée de la rue Christine.

Juve alors s’était immédiatement rendu, malgré l’heure tardive de la nuit, dans la petite rue Christine. Avec son habituelle perspicacité, Juve n’avait pas été long à remarquer qu’à proximité de l’endroit désigné se trouvait une bouche d’égout :

— Hé, hé, s’était alors dit Juve, est-ce qu’un maître chanteur ingénieux ne pourrait pas avoir eu cette idée : convoquer sa victime dans une rue déserte, lui dire : « Nous échangerons là, argent contre documents… » et en réalité faire cet échange en se rendant au rendez-vous par l’égout ? Il est bien évident que le maître chanteur qui aurait l’idée d’opérer ainsi serait merveilleusement garanti, même si sa victime prévenait la police, la police serait impuissante à la protéger. Il faudrait, bon gré, mal gré que la victime « chantât », c’est-à-dire donnât l’argent, car le maître chanteur étant à l’intérieur de l’égout, échapperait facilement à la poigne du plus fin limier.

Le procédé qu’inventa Juve était en effet nouveau et véritablement surprenant. Si réellement il s’agissait d’un chantage, le chantage s’annonçait d’une façon intéressante : on disait à Timoléon Fargeaux, en prenant des formes mystérieuses : « Venez au milieu de la rue Christine, apportez vingt-cinq mille francs et l’on vous rendra ce que vous avez perdu. »

Juve n’avait pas hésité à conclure que l’on ne pouvait offrir ainsi au grainetier que les document qui lui avaient été soustraits dans le vol de l’ Impérial Hôtel.

Et tout naturellement Juve s’était dit :

— Qui donc peut offrir de restituer ces papiers, si ce n’est le voleur ?

C’était donc avec l’espoir de s’emparer de l’audacieux malfaiteur qui avait cambriolé l’ Impérial Hôtel, c’est-à-dire de Fantômas, car Juve était persuadé que Fantômas était le coupable, que Juve se rendait dans l’égout. Malheureusement, ce n’était pas Fantômas. Juve n’avait même pas le temps de reconnaître les traits de l’individu qui se présentait. Était-ce un lieutenant de Fantômas ? Était-ce au contraire un quelconque criminel ? Allez savoir.

Il savait encore moins, tout d’abord, ce que pouvait signifier le contenu du paquet qu’il retrouvait dans l’égout.

Que diable pouvait vouloir dire, en effet, cet éclat d’obus taché de sang ?

Juve, brusquement avait changé d’avis : ce que Timoléon Fargeaux avait payé vingt-cinq mille francs, ces vingt-cinq mille francs qu’il avait dans sa poche, c’était précisément ce morceau d’obus.

— Donc, concluait Juve, Timoléon Fargeaux estime que ce morceau d’obus vaut, pour lui, vingt-cinq mille francs. Si Timoléon Fargeaux paye vingt-cinq mille francs un morceau d’obus taché de sang, se disait Juve, c’est que cet obus taché de sang a pour lui une grande importance. Or, Timoléon Fargeaux a peut-être tué son beau-frère, Martial Altarès, retrouvé dans son château de Garros, la poitrine défoncée, écrasée. Exactement comme s’il avait été tué par un boulet de canon.

Juve, en sortant de l’égout, en prenant le chemin des quartiers luxueux de Biarritz, réfléchissait à l’étonnante découverte qu’il venait de faire :

— Parbleu, se disait le policier, c’est stupide évidemment d’aller inventer que Martial Altarès a été tué d’un coup de canon. Que diable, on ne tire pas le canon en France sans que cela se sache. Et cependant, étant données les circonstances, sait-on jamais.

***

La main sur le bec-de-cane de la porte du commissariat, Juve ouvrait la bouche pour demander à parler au magistrat, lorsque, n’étant pas encore rentré tout à fait dans la salle commune, il s’arrêta, immobile, muet de stupéfaction :

Au centre de cette salle commune, discutant avec le brigadier, il y avait un homme : Timoléon Fargeaux, très pâle, qui agitait dans sa main le morceau d’obus taché de sang que Juve venait de lui vendre subrepticement.

— Ah ça, hurla le policier, bondissant vers Timoléon, qu’est-ce que vous faites ici. Monsieur ? comment êtes-vous là ? et qu’est-ce que c’est que ce morceau d’obus ?

Or, si Juve était stupéfait, Timoléon Fargeaux apparaissait tout aussi ahuri. Le beau-frère du spahi ne connaissait pas Juve. Le brigadier non plus. Aucun des agents qui se trouvaient dans le poste de Biarritz n’avaient jamais eu affaire à l’inspecteur de la Sûreté de Paris. Juve devint le centre d’un groupe de gens abasourdis, tous les yeux le fixèrent, cependant que Timoléon Fargeaux bégayait :

— Ce que je fais ici ? mais je me plains. Je porte plainte pour un chantage épouvantable dont je viens d’être victime. Je suis déshonoré. Monsieur, je suis ruiné, Monsieur, on m’a volé des papiers qui me sont indispensables, une lettre anonyme m’a offert leur restitution, moyennant vingt-cinq mille francs, j’ai donné ces vingt-cinq mille francs tout à l’heure, et voilà ce que l’on m’a remis : ce morceau d’obus où il y a du sang.

Timoléon Fargeaux paraissait parler avec une entière bonne foi. Juve, cependant en l’écoutant, se demandait :

— Est-ce qu’il ment, ce bonhomme-là ? est-ce qu’il joue une effroyable comédie ? Pourtant c’est bien volontairement qu’il est venu au poste, et pourtant aussi je ne peux pas douter qu’il venait à l’égout pour acheter réellement ce morceau d’obus.

À brûle-pourpoint, Juve annonçait :

— Monsieur Fargeaux, votre beau-frère, Martial Altarès est mort, assassiné. On l’a tué chez vous d’un boulet de canon.

Timoléon Fargeaux, blême, s’évanouit presque.

Juve l’empoigna par le bras. Il exhiba au brigadier anéanti sa carte d’agent de la Sûreté. Il entraîna le grainetier hors du poste :

— Monsieur Fargeaux, répétait Juve, c’est le morceau du boulet que vous avez dans votre poche qui a tué votre beau-frère. Venez. Nous avons à causer.

20 – LE CABARET DE JOSÉ FARINA

José Farina, Basque de naissance, Espagnol par ses ancêtres et Français d’inclination, tient une auberge dans la rue Basse qui mène au port Vieux.

Dans cette auberge, qui est à la fois une hôtellerie et un cabaret, on trouve des chambres pour se loger et y dormir la nuit, mais si on le préfère, on peut, lorsqu’on y pénètre le soir, y attendre le lever du jour dans la salle commune où l’on fume et où l’on boit. Car l’hôtellerie de José Farina ne ferme jamais, pour les intimes du moins.

Certes, en apparence, et pour satisfaire aux exigences de la police, on a l’habitude, lorsque approche minuit, de mettre sur la devanture du cabaret d’épais volets de bois renforcés de barres de fer, mais cela ne signifie point qu’à l’intérieur ait sonné le couvre-feu ; bien au contraire, c’est surtout lorsque l’établissement est assuré par ces clôtures de la discrétion forcée des passants, que ses habitués se réunissent et s’y tiennent avec le plus de plaisir.

Se l’autre côté de la rue, l’auberge de José Farina s’ouvre sur un jardin assez vaste entouré de hauts murs. Il embaume l’été, car il y pousse des plantes quasi-tropicales, qui émettent des senteurs violentes, mais agréables. Même au plein cœur de l’hiver il n’y fait pas froid. Les palmiers y croissent sans difficulté et les plantes grasses rapportées d’Afrique s’y épanouissent sans souffrance.

Le jardin comporte un jeu de boules, que l’on fréquente beaucoup le dimanche après-midi ou encore, en été, le soir de six à huit heures.

Il se passe, d’ailleurs, toutes sortes de choses dans la maison de José Farina.

Tandis que les uns jouent aux boules, au fond du jardin, dans la salle du cabaret, on taquine volontiers la dame de pique, cependant qu’à certaines tables ceux qui méprisent ces sortes de jeux concluent d’importants paris en consultant des programmes multicolores. Ceux-là sont les amateurs de corrida qui risquent leur argent sur les chances de tel ou tel toréador.

José Farina, en homme prudent et avisé, a fait établir dans sa maison deux ou trois issues peu connues du public, parmi lequel se mêlent toujours des bavards et des espions. Il lui est arrivé à plusieurs reprises et dans des circonstances graves, de faire disparaître ceux que la police veut à toute force appréhender et cela si habilement que les agents ne peuvent accuser José Farina de s’être fait le complice des malfaiteurs poursuivis. Une seule fois seulement on a soupçonné Farina d’avoir aidé à la fuite d’un voleur, en lui ouvrant un piano dans lequel le malfaiteur s’était dissimulé tout le temps que la police le recherchait.

L’auberge de José Farina, comporte enfin, toujours au rez-de-chaussée et à côté de la salle commune, une petite pièce, surnommée « le salon » et qui, assurément, doit servir, soit de refuge aux gens qui redoutent de se montrer, soit d’abri discret aux amoureux qui ne veulent pas se faire voir. La pièce est meublée fort simplement d’une table, de quelques chaises, d’un grand canapé, mais elle a ceci de particulier que ses murs sont tendus d’épaisses étoffes et que l’on peut merveilleusement calfeutrer la fenêtre, à tel point que les gens, dans la rue, même en prêtant l’oreille, seraient parfaitement incapables d’entendre le moindre bruit venant de l’intérieur de ce salon.

Ce jour-là, le salon de José Farina était occupé. Un homme et une femme que le patron de l’auberge ne connaissait point mais qui certainement devaient connaître la maison, avaient demandé à ce qu’on leur réservât cette pièce pour la soirée et peut-être même pour toute la nuit. Ils avaient bonne apparence et comme l’homme avait donné un acompte important à José Farina, en promettant de ne point réclamer la monnaie, même si ses dépenses n’atteignaient pas la somme versée, le patron de l’auberge avait conçu pour ce client une respectueuse estime.

Tout en apportant quelques petits gâteaux et une bouteille de vin d’Espagne, qui devait constituer l’apéritif du dîner que ses clients avaient commandé, José Farina les avait dévisagés rapidement d’un coup d’œil, en homme exercé à vivre, à juger les gens et à déterminer leur condition sociale à première vue.

Ce couple paraissait un couple de braves paysans, de gens aisés, probablement venus de la montagne, gens d’apparence modeste mais vraisemblablement cossus.

Toutefois, en regardant plus minutieusement et particulièrement en considérant leurs mains qui étaient fines, élégantes et nullement déformées, José Farina s’était dit : « Non, ce ne sont pas des gens de la montagne, mais plutôt des gens de la ville, et peut-être des grands seigneurs. »

L’hôtelier était même un instant resté en contemplation admirative devant la bague de la femme. Celle-ci était grande, mince, élégante, elle pouvait avoir un peu plus de trente ans et, malgré le grand manteau de laine peu seyant qu’elle avait jeté sur ses épaules et dont le capuchon dissimulait sa chevelure, elle ne manquait pas d’allure.

L’homme drapé également dans un manteau à l’espagnole, coiffé d’un feutre sombre qu’il rabaissait, avait également grand air. Cependant, il s’apercevait de l’examen dont sa compagne et lui étaient l’objet de la part de José Farina :

— Imbécile, grommela l’homme, quand tu auras fini de bailler en nous regardant, tu as reçu nos ordres, laisse-nous.

José Farina balbutia quelques excuses inintelligibles et après avoir, pour la forme, changé de place deux ou trois assiettes, il s’éclipsa.

Il s’entendit soudain rappeler :

— Oh là, fit l’homme, reviens ici.

José Farina rebroussant chemin, alla se mettre à la disposition du client :

— Je vous écoute, patron ?

— Tout à l’heure, dans dix minutes, une heure peut-être, je ne puis te préciser, un homme d’assez médiocre apparence entrera dans ton cabaret, il sera seul et s’installera à une table. Pendant qu’il commandera quelque chose à boire, il ajoutera à mi-voix : « Je viens de sous terre. »

— Pardon, interrompit José Farina, qu’est-ce qu’il dira ?

L’homme tapa du pied :

— Fais donc attention à ce que je te dis et tu comprendras mieux. Je répète : cet individu murmurera : « Je viens de sous terre ». Il me semble que c’est fort clair.

— En effet, patron. Et alors que se passera-t-il ?

— Il se passera, José Farina, qu’il faudra t’arranger pour l’entendre et dès que tu l’auras entendu, tu l’amèneras ici.

— Compris. Et ensuite que faudra-t-il faire ?

— Ensuite tu t’en iras, plus vite encore que tu ne seras venu.

— C’est tout ?

— Oui, c’est tout.

L’hôtelier tourna les talons mais son mystérieux client le rappelait encore :

— José Farina, il y a une porte secrète dans ce petit salon ?

— Hum, fit l’hôtelier en hésitant, c’est-à-dire que l’on fait courir ce bruit mais je ne sais pas bien.

— Allons, allons, dépêche-toi. Dis-moi où elle se trouve et comment on fait manœuvrer son loquet.

Résigné, l’aubergiste montra à son client un bouton de porte dissimulé dans la moulure de la muraille. Il fit jouer le pêne, expliqua comment l’on pouvait sortir de la pièce et gagner la ruelle qui longeait la maison, ruelle sombre, étroite, qui conduisait d’un côté dans la rue, de l’autre au port.

Le mystérieux client de José Farina écoutait avec attention ces explications. Lorsqu’il fut renseigné, il renvoya définitivement l’aubergiste.

Le couple était désormais seul dans le petit salon. L’homme et la femme enlevèrent leurs manteaux, se montrèrent l’un à l’autre sous la lumière crue de l’électricité ; c’étaient deux tragiques figures que celles de ces deux êtres : l’homme était Fantômas et la femme, lady Beltham, sa maîtresse.

Fantômas avait au front un pli soucieux.

— Madame, dit-il enfin, je ne comprends rien à votre attitude : vous savez que, pour le moment, j’ai besoin d’argent, nous avions une excellente occasion de nous en procurer et c’est pourquoi j’ai, au péril de ma vie, cambriolé le coffre-fort de l’ Impérial Hôtel. Vous étiez à ce moment voyageuse, c’est-à-dire cliente de cet hôtel, vous auriez dû faire comme les autres, prétendre que les bijoux que vous aviez confiés à la caisse étaient d’une grande valeur, vous en auriez obtenu le remboursement, ces gens-là consentent à tout, préfèrent tout au scandale.

— Non, s’il est entre nous des liens d’amour et de sang qui font que nous sommes indissolublement liés, unis l’un à l’autre, il ne s’ensuit pas que je doive me faire la complice de vos crimes. Jamais vous ne me contraindrez à commettre des ignominies telles que celles que vous me conseillez encore, que vous déplorez que je n’aie point commises. Non, non, voler, mentir, ce sont là des choses au-dessus de mes forces, je suis d’un sang, d’une race…

— Soit, n’en parlons plus.

Il grommelait d’ailleurs, avec un énigmatique sourire :

— Vous pensez bien que je ne comptais pas sur votre collaboration et que j’ai pris mes précautions. L’argent que je veux, je l’aurai, je vais même l’avoir dans un instant. Si seulement vous aviez voulu, murmura-t-il, être non seulement la maîtresse exquise, idéale, charmante que vous êtes, mais encore l’associée, la collaboratrice que j’aurais tant voulu vous voir devenir, nous aurions accompli ensemble des exploits surprenants.

— N’insistez pas, murmura lady Beltham, vous savez bien que malgré tout l’amour que j’éprouve pour vous, hélas, amour dont j’ai maintes fois cherché à me guérir, je ne puis passer outre à mes remords.

— En somme, vous ne serez jamais digne de moi, lady Beltham.

— Dites, qu’il me serait difficile, impossible de m’abaisser jusqu’à vous.

— Madame, déclara-t-il, je sais que vous êtes la femme des grands dévouements, c’est pourquoi j’ai compté sur vous pour rendre service cette nuit, non pas tant à votre amant dont le sort vous intéresse peu, mais à l’humanité, à une grande portion tout au moins de l’humanité, je veux dire aux navigateurs.

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