La guêpe rouge (Красная оса) - Сувестр Пьер 19 стр.


— De ce côté, murmurait-il, je n’ai évidemment rien à tenter. Il y aurait là cinquante argousins prêts à m’empoigner. Voyons par ici.

Évitant de faire du bruit, marchant avec une précaution extrême, Fantômas traversa la remise. Il colla son œil à la serrure, regarda :

— Parfaitement, murmura le bandit, c’est bien ce que j’avais prévu. Cette remise donne sur la petite cour qui se trouve elle-même derrière les bâtiments administratifs, bâtiments devant lesquels est la cour d’honneur puis, enfin, les premiers bâtiments de la prison, la porte cochère, la rue, la liberté.

Il regarda quelques instants encore, par le trou de la serrure, qui lui servait de poste d’observation. Il éclata de rire une fois de plus :

— Peste, dit Fantômas, Juve a bien fait les choses. Ou je me trompe fort, ou voici aux quatre angles de cette courette, quatre individus qui sont quatre agents de la Sûreté. Si je sors par là, je suis sûr de me faire appréhender. Sortir par le fond de la remise est impossible, sortir par le devant est également impossible. Il n’y a rien à tenter contre les murailles que j’ai à droite et à gauche. Sans outils, elles sont infranchissables. Allons, je suis dans une souricière.

Il disait cela avec un grand sang-froid. Avec un sang-froid plus profond encore, il enleva sa veste, et comme s’il eût tout le temps voulu devant lui, comme si aucun danger ne l’eût menacé, avec un soin extrême, il commença à la brosser.

Son vêtement rapproprié, Fantômas qui venait de réfléchir profondément, se mit à sourire d’un sourire indéfinissable.

Il n’hésita plus. Il marcha vers l’automobile, ouvrit le coffre à outils fixé sur le marchepied, prit le tournevis, revint vers la porte de la remise. Le bandit colla à nouveau son œil au trou de la serrure.

— Décidément, murmura-t-il, les hommes postés par Juve sont des serviteurs exemplaires. Rien ne les distrait de leur faction, ils sont là et ils y restent. Ma foi, tant pis.

Fantômas se redressa et, méditant quelque projet évidemment ahurissant, entreprit, avec tranquillité, de défaire les vis qui retenaient la serrure.

***

— Juve, coûte que coûte, il faut que nous ayons cet homme !

— Monsieur le directeur, je suis de votre avis, mais je dois ajouter que si nous voulons obtenir un résultat, il faut fouiller de fond en comble la prison. Or, pour fouiller la prison, il me faut cent agents de plus. Si vous allez au ministère, emmenez-moi et déposez-moi à la Sûreté. Je verrai M. Havard et j’obtiendrai de lui les renforts dont j’ai besoin.

— Venez, en ce cas.

M. Malherbe et Juve, depuis deux heures, cherchaient vainement Fantômas.

Juve avait voulu regarder partout, il avait visité les caves, les greniers, il était même monté sur les toits, et il n’avait rien trouvé.

Juve avait poussé la précaution jusqu’à monter sur l’échelle des maçons qui rebouchaient le mur écroulé. Malheureusement le policier avait été victime des affirmations de ces ouvriers. Ceux-ci ne lui avaient pas dit qu’ils avaient déjà rescellé deux moellons, quand il était venu inspecter leurs travaux, et par conséquent Juve n’avait vu, en fait de brèche, qu’un trou fort petit, par lequel Fantômas n’aurait pas pu s’introduire.

Le policier, en conséquence, n’avait pas insisté.

Juve, d’ailleurs, s’aiguillait sur une fausse piste. À force d’interroger les témoins de l’accident, il avait appris le rôle singulier joué par Fantômas au moment de l’écroulement du mur.

Et Juve, croyant être logique, se disait :

— Si Fantômas a sauvé un gardien en risquant d’être tué, ce n’est évidemment pas par bonté d’âme, c’est en vertu d’une idée préconçue. Il a sauvé le gardien pour quelque chose, pour tirer parti de sa qualité de gardien. Pour aider à l’emporter à l’infirmerie, pour sortir des préaux. Il doit être caché dans la Santé, mais où ? Où, mon Dieu.

Et Juve ne se doutait certes pas qu’à un moment donné, il avait été à quelques centimètres à peine de Fantômas, séparé de lui seulement par les quelques pierres qui constituaient l’un des côtés du mur…

Le policier, cependant, en compagnie de M. Malherbe, se dirigeait vers la remise. Le mécanicien avait été prévenu d’urgence ; il accourait, la clé de la remise en main. M. Malherbe lui ordonna :

— Dépêchez-vous…

Mais au même moment, le serviteur avait reculé, stupéfait :

— Regardez donc, monsieur le directeur.

Ce fut Juve qui répondit :

— C’est par là que Fantômas vient de s’enfuir.

Juve, du premier coup d’œil, en effet, avait deviné ce qui surprenait le mécanicien.

Au moment d’introduire la clé dans la serrure, l’homme s’était aperçu que celle-ci avait été arrachée de l’intérieur, que la remise avait été ouverte.

M. Malherbe protesta :

— Fantômas n’a pas pu s’enfuir, puisque quatre de vos hommes étaient en faction dans la cour.

Mais était-ce bien là un argument méritant d’être pris au sérieux ?

— Si Fantômas n’était point sorti par là, disait Juve, la serrure ne serait pas arrachée.

Sans discuter plus longtemps, d’ailleurs, il poussa d’un coup d’épaule la porte de la remise, entra.

— Tenez, hurla-t-il, regardez donc.

Derrière la voiture, le policier montrait le mur écroulé, les carreaux de plâtre arrachés, encore sur le sol.

Vers cette brèche, Juve se précipita. Il regarda le mur creux, imagina ce qui avait dû se passer.

C’est dans une colère abominable que Juve expliquait à M. Malherbe ce qui s’était passé :

— Parbleu, mais c’est simple comme bonjour, et je suis un imbécile de ne pas y avoir songé ! La machine à imprimer, en tombant, a défoncé le mur, Fantômas s’est glissé à l’intérieur de ce mur, creux, l’a suivi jusqu’à son extrémité, a arraché ces carreaux de plâtre et est sorti par votre remise.

— Malgré vos policiers ?

— Dame, il faut bien le croire.

Un instant plus tard, Juve montrait le coffre à outils ouvert, sur le marchepied de l’automobile.

— Tenez, disait-il, c’est là qu’il s’est approvisionné des outils nécessaires. Eh bien, nous sommes roulés et bien roulés.

Juve parlait avec rage, cependant que M. Malherbe levait les bras en l’air en signe de désespoir.

— Si Fantômas est sorti de cette remise, disait le directeur, nous ne le rattraperons jamais.

Mais M. Malherbe ne connaissait pas la ténacité de Juve :

— Allons donc, c’est enfantin ce que vous dites. Certes, il est évident que Fantômas est sorti de la remise, la serrure arrachée en fait foi, mais il est bien évident aussi qu’il n’a pu aller loin. La prison est fermée, personne ne peut la quitter, donc, il est à l’intérieur de la prison. Mieux même, puisque quatre de mes hommes étaient en faction dans la cour, devant cette remise, il faut bien que nous admettions pour certain que Fantômas n’a pas pu aller loin. Il doit être tout près, à côté de nous. J’imagine qu’à peine sorti d’ici, il s’est jeté dans une autre cachette. C’est la seule explication possible à ce fait ahurissant : la sortie de Fantômas de cette remise sans que mes agents l’aient vu.

Or, tandis que Juve cherchait ainsi le bandit, tandis qu’il décidait qu’il devait être à côté de lui, Fantômas était en effet si près du policier, qu’il devait se mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire.

Fantômas, en effet, ne perdait pas une seule des paroles de Juve, un seul de ses mouvements.

Il entendait M. Malherbe pester et sacrer, il entendait Juve fulminer, il entendait enfin cet ordre :

— Chauffeur, mettez en route, disait Juve, nous partons !

Le moteur se prit à ronfler, un craquement des leviers annonça que le mécanicien embrayait. Lentement, la voiture démarra. Elle sortit de la remise, elle évolua dans la courette, passa sous les bâtiments administratifs, franchit la porte cochère.

Juve, qui était monté à l’intérieur de la voiture, se pencha à la portière :

— Garde, recommandait-il au concierge, nous sortons, M. le directeur et moi, mais il est bien entendu, n’est-ce pas, que nous devons être les seuls à quitter la Santé !

Le directeur ajouta :

— Que personne ne s’éloigne avant notre retour.

M. Malherbe, ces mots dits, ordonna au mécanicien :

— Marchez vite, mon ami, à la Sûreté d’abord.

À ce moment, Fantômas respira profondément, puis gouailla à part soi :

— Il m’est profondément indifférent que personne ne sorte désormais, et je me moque fort des précautions de Juve.

Où donc était le bandit ?

L’automobile accéléra sa marche, elle traversait le trottoir, tournait sur la chaussée, atteignant enfin sa pleine vitesse. Or, la voiture avait à peine avancé d’une centaine de mètres, elle croisait tout juste une autre automobile rangée le long du trottoir, arrêtée là, où elle stationnait d’ailleurs chaque jour depuis près d’une quinzaine, que deux détonations retentissaient. À ce moment deux balles de revolver perçaient le toit de la voiture où se trouvaient Juve et le directeur de la Santé ; les deux hommes, par miracle, n’étaient pas atteints, mais, leur premier émoi passé, ils bondirent aux portières. Hélas ! il était trop tard.

Juve et M. Malherbe avaient tout juste le temps de comprendre ce qui venait de se passer.

Du toit de leur propre automobile, de l’intérieur de la boîte de pneus de rechange, un homme couché au milieu, roulé en boule, échappant naturellement à tous les regards, venait de bondir.

Bien que la voiture fût lancée à toute vitesse, il trouvait moyen, faisant preuve d’une habileté d’acrobate, de sauter sur le sol et de conserver son équilibre.

— Fantômas, Fantômas ! hurla Juve.

Et c’était bien lui, en effet, qui s’échappait définitivement, après avoir réussi la plus extraordinaire des évasions. Fantômas, en effet, avait merveilleusement dupé Juve.

À sa sortie hors du mur, il s’était parfaitement rendu compte qu’il était pris, dans la remise, comme dans une véritable souricière. S’y dissimuler était impossible. Mais Fantômas savait triompher de tous les obstacles.

En regardant autour de lui, il songea à la pile de pneus dressée sur le toit de la limousine.

« Ceci peut me faire une cachette, pensait-il, une cachette d’autant meilleure que, si l’on ne m’y découvre pas, la voiture même de M. Malherbe se chargera de me conduire hors de la Santé. » Et c’était tout simplement pour donner le change, pour éviter que Juve ne pût penser à fouiller la remise que Fantômas avait pris la précaution de dévisser la serrure pour faire croire qu’il était déjà loin.

Juve s’était pris à cet infernal stratagème. Ainsi que l’avait désiré Fantômas, il avait supposé que le bandit n’était plus dans la remise et il payait maintenant la faute qu’il avait commise en ne fouillant point le petit local où, cependant, il avait trouvé des traces du bandit.

À la portière de l’automobile, Juve hurlait :

— Fantômas, Fantômas !

Mais que pouvaient bien ses cris ?

Le bandit, en deux bonds, avait rejoint l’automobile stationnant le long du trottoir.

La voiture appartenait assurément à des complices, elle l’attendait à n’en pas douter. À peine Fantômas avait-il sauté sur la banquette que la voiture démarrait.

Bien avant que Juve et M. Malherbe aient eu le temps de prévenir leur conducteur, bien avant que leur propre automobile ait pu s’arrêter, virer, partir pour donner la chasse, la voiture de Fantômas avait démarré à toute allure, brusquement tourné dans une petite ruelle, tourné encore un peu plus loin.

Où était-elle ? Qu’était-elle devenue ? Nul n’aurait pu le dire.

14 – ON EN PARLERA

Ce matin-là, une activité inhabituelle régnait dans la boutique de Sunds. C’était, d’ailleurs, le désordre le plus complet. De tous les côtés, il y avait de grosses caisses de bois s’échafaudant les unes sur les autres, à demi éventrées et vomissant d’énormes bottes de paille dont les brindilles s’étalaient sur le sol et le plancher.

Un peu partout, il y avait des objets de toute nature, de toutes tailles, soit posés sur des chaises, soit amoncelés sur des étagères, ou même simplement poussés dans les coins. On avait l’impression qu’il s’agissait là d’une liquidation générale ou alors d’un déménagement.

Le Danois déménageait-il ?

Non, mais c’était tout comme, car il mettait sens dessus dessous son intérieur comme s’il avait eu l’intention de le modifier de fond en comble. À ce moment-là, il pouvait être neuf heures du matin, Sunds était tout seul dans son atelier. Quelques instants auparavant, il avait envoyé son jeune camarade Daniel lui acheter une boîte de clous au bazar le plus proche. Et ce jeune homme mystérieux et nonchalant, comme à son ordinaire, tardait évidemment à revenir au gré de Sunds, car celui-ci s’impatientait, grommelait entre ses dents :

— Assommant, insupportable, ce petit Daniel. Jamais là quand on a besoin de lui.

Sunds, d’ailleurs, sincèrement, reconnaissait :

— Il est vrai que, pour ce que je le paie, je ne puis pas exiger grand-chose.

Sunds, en effet, ne donnait à Daniel que son amitié.

De temps à autre, il l’invitait à déjeuner ou à dîner et lui permettait de coucher dans la soupente voisine de l’atelier. En échange, le jeune garçon lui faisait ses courses, l’aidait de temps à autre dans les besognes difficiles. Mais, malgré l’existence intime que menaient l’artiste et son nouveau compagnon, ils étaient toutefois très éloignés l’un de l’autre, et si Sunds, parfois, avait tenté quelques questions indiscrètes sur l’existence antérieure de Daniel, celui-ci, ou ne lui avait pas répondu, ou l’avait rabroué de la belle façon, lui disant que chacun était libre de vivre à sa guise et que lui, particulièrement, très indépendant de sa nature, prétendait ne rendre de comptes à personne.

Sunds, d’ailleurs, n’avait pas insisté.

Ce matin-là, toutefois, le pacifique Danois était fort énervé. À deux ou trois reprises il jura :

— Quel animal ! Il lui en faut, un temps !

La porte s’ouvrit et Sunds poussa un soupir de soulagement :

— Ah sapristi ! ce n’est pas trop tôt, te voilà donc, gamin ?

Mais une voix, qui n’était pas celle de Daniel répliquait :

— Gamin ? je crois que l’on me flatte ici.

Sunds se retourna et partit d’un grand éclat de rire.

L’individu qui venait de pénétrer chez lui était aussi l’un de ses familiers, mais un bonhomme qui n’avait plus rien du charme et de la grâce appartenant à la jeunesse. C’était le père Bouzille, comme on appelait dans le quartier l’ancien chemineau.

Sunds parut enchanté de le voir.

— Tu tombes bien, dit-il, tu vas me donner un coup de main.

— Ça colle.

— À ce propos, poursuivit Sunds, auquel la dernière phrase du chemineau rappelait quelque chose, à propos de colle, j’ai deux mots à te dire. Qu’as-tu fait, l’autre jour, de la colle de pâte que je t’avais confiée pour réparer les papiers du mur ?

— Il n’en reste plus du tout.

— C’est pas possible, fit l’artiste, j’en avais acheté près de deux kilogrammes.

Bouzille se contentait de répéter :

— Il n’en reste plus.

Mais le peintre insistait :

— Je te dis que ça n’est pas possible, tu as juste collé quelques centimètres de papier, je voudrais savoir ce qu’est devenue ma marchandise. Allons, assez plaisanté, Bouzille, rends-la-moi !

Le chemineau, brusquement, éclata de rire :

— Vous la rendre, mais ce n’est pas possible. J’aime autant vous l’avouer, voilà longtemps qu’elle est digérée.

— Digérée ! s’exclama l’artiste, qu’est-ce que cela signifie ?

— Eh bien, ça signifie que je me suis tapé la tête avec. Vous savez, avec un peu de sucre en poudre, c’est pas plus mauvais qu’autre chose.

Sunds était tellement abasourdi par l’aveu du bonhomme qui lui servait parfois de modèle qu’il ne trouva rien à répondre.

Au surplus, le temps passait et il fallait faire vite. Sunds avait de nombreux emballages à terminer et ceux-ci ne pouvaient pas attendre. Il s’agissait pour le Danois de faire conduire le soir même, en plein bois de Boulogne, une série d’objets vrais ou faux qui lui appartenaient ou étaient confiés à sa garde et qu’il fallait faire figurer à l’Exposition de l’Art en plein air organisée au château de Bagatelle. Cette exposition ouvrait le lendemain, et Sunds désormais désigna à Bouzille une grande caisse à claire-voie presque entièrement montée, et lui annonça :

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