Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Сувестр Пьер 2 стр.


 Mais Daniel ne voulait pas quitter ses jouets. Et les magasins ouverts allaient ne plus l’être, si elle tardait. Après une seconde d’hésitation, Françoise décida :

— Daniel ne bougera pas, et moi en me dépêchant, je n’en aurai que pour quelques minutes…

Françoise Lemercier embrassa tendrement son enfant :

— Sois sage, dit-elle, maman revient tout de suite !

Puis, d’un coup d’œil, elle s’assurait que rien ne se trouvait à proximité qui pût permettre au bébé de se blesser. Les portes, la fenêtre étaient fermées :

— Sois sage ! répéta Françoise Lemercier, comme elle s’en allait…

Une demi-heure environ après le départ de Françoise Lemercier, un promeneur, pénétrait dans Jewin Street absolument déserte.

C’était Jérôme Fandor…

Le journaliste qui s’avançait lentement au milieu de la rue examinait les maisons comme quelqu’un qui cherche un immeuble dont il ne sait pas le numéro.

Le journaliste venait voir quelqu’un qu’il savait habiter Jewin Street : ce quelqu’un n’était autre que Françoise Lemercier…

Après deux ou trois démarches infructueuses, Jérôme Fandor parvint enfin à découvrir la demeure de la chanteuse.

Il pénétra dans le couloir et, s’adressant à la première personne qu’il rencontrait, une vieille femme, le journaliste demanda :

— M meFrançoise Lemercier, est-ce ici ?

La vieille femme paraissait tout alarmée, elle balbutiait des mots incompréhensibles.

Fandor, ayant posé sa question à nouveau, son interlocutrice répondit :

— Oui, c’est ici ! ah ! la pauvre dame ! Savez-vous quelque chose, monsieur ?… apportez-vous des nouvelles ?…

— Quoi, fit Fandor, il lui est arrivé un accident ?…

Le journaliste interloqué allait préciser sa question. La personne à laquelle il s’adressait ne lui en laissa pas le temps…

— Le petit Daniel, interrogea-t-elle, savez-vous où est le petit Daniel ?

Fandor comprenait de moins en moins, car il ignorait totalement que Françoise Lemercier eût un enfant et que cet enfant s’appelât Daniel.

Il connaissait l’actrice pour l’avoir rencontrée une fois ou deux dans des milieux français et si le journaliste en venant chez elle avait un but, ce n’était assurément pas celui de s’enquérir de sa progéniture.

— C’est vrai, monsieur, sans doute que vous l’ignorez… en effet, vous ne pouvez pas le savoir… Cela s’est produit si subitement et il y a si peu de temps… Ah ! la pauvre dame ! elle est comme folle en ce moment, et je vous jure qu’il y a de quoi…

— Je vous en prie, qu’est-il arrivé à M meFrançoise Lemercier ?

Françoise Lemercier, lui disait en substance la bonne femme, venait de descendre une demi-heure auparavant pour s’en aller faire ses provisions. Elle laissait dans son appartement, son enfant, le petit Daniel, elle le laissait tout seul dans le salon en train de jouer, or, voici que remontant chez elle, au bout de dix minutes, l’appartement était vide.

Le petit Daniel avait disparu.

Par où ? Comment ?

On n’en savait rien… L’enfant ne s’était pas caché, la pièce dans laquelle il se trouvait, lors du départ de sa mère, ne présentait aucun désordre. Qui avait enlevé l’enfant ? car c’était cela, sûrement qui s’était passé…

Nul ne pouvait le dire !

— Vous allez monter la voir, déclarait la vieille femme, en essuyant les larmes qui perlaient à ses yeux, peut-être que vous pourrez l’aider ?…

Mais Fandor hésitait. Était-ce bien le moment ?

Jérôme Fandor monta donc chez la chanteuse.

Le journaliste ne s’attarda pas auprès d’elle. Il n’y avait rien à tirer de la malheureuse. Françoise Lemercier, au surplus était entourée de voisines et de commères devant lesquelles Fandor, de toute façon, n’aurait pas voulu parler.

Jérôme Fandor, dans la rue arpentait le trottoir, soucieux, il se répétait machinalement :

— L’enfant de la chanteuse a disparu… Comment ?… Pourquoi ?… Comment ? comment cet enfant a-t-il disparu ?… Je n’en sais rien et je m’en moque, mais ce qui m’intéresse beaucoup plus, c’est de savoir pourquoi il a disparu, et ce pourquoi, je vais peut-être y répondre… Oh ! oui, poursuivait -il, je vais y répondre par l’affirmative, car cette fois j’ai la ferme conviction que je tiens la solution du problème. Juve, mon ami Juve, il se passera fort peu de temps que vous n’ayez de mes nouvelles… à votre télégramme m’annonçant que vous avez découvert lady Beltham, je répondrai par une dépêche vous informant que moi, j’ai découvert…

***

Le soir et particulièrement le dimanche soir, Whitechapel est désert.

Magasins et bureaux sont fermés depuis le samedi après-midi, et tous ceux qui ont pu s’éloigner de cette vision de misère et de travail l’ont fait.

La nuit tombait embrumée, lourde d’orage sur la capitale, et sur Whitechapel pesait un grand silence.

Nini Guinon, l’épouse légitime de lord Duncan, habitait un bouge infâme de Whitechapel, une vieille maison mal famée de Belmont Street.

Tous les étages de cet immeuble étaient occupés par une population misérable et malfaisante, et certes, si les voisins de Nini Guinon avaient pu savoir que la jeune Française était l’épouse légitime d’un membre du Parlement anglais, ils en auraient été fort surpris, mais nul ne le soupçonnait, hormis toutefois deux ou trois apaches, français comme Nini Guinon et qui, depuis longtemps déjà, avaient cru nécessaire de mettre entre eux et la police parisienne la rassurante barrière de la Manche et de la Mer du Nord.

Parmi eux, le Bedeau, ce souteneur de Ménilmontant qui avait connu Nini dès son enfance, et Beaumôme, un habile pickpocket, quelques autres encore.

Ils formaient une bande équivoque et redoutable dont Nini Guinon s’était instituée la reine, malgré les efforts de son mari qui n’avait pu l’en arracher.

Et pourtant, Nini avait besoin de lord Duncan, non seulement de ses libéralités, dont elle vivait, mais encore de son appui, de son influence dans le Royaume.

Or, Nini venait de perdre le talisman qui lui assurait l’impunité.

Le petit Jack était mort.

D’abord elle n’avait pas voulu y croire.

Ivre, elle rentrait chez elle, et dans le berceau, le petit corps froid de son fils.

La veille, il avait été malade.

— C’est de la mauvaise graine, avait dit Nini, ça ne craint rien.

Le froid l’avait achevé. Nini en était encore étonnée.

Ce n’était pas le sentiment maternel, mais Jack, une fois mort et enterré, son mari n’hésiterait pas à demander le divorce, à se débarrasser d’elle.

Puis il y avait eu l’entrevue avec lord Duncan, la voix mystérieuse qui lui ordonnait chez Duncan même de taire la mort de son fils.

Cela, c’était samedi.

À présent, ce dimanche soir, Nini Guinon, de plus en plus perplexe, attendait, dans son logement, au milieu du silence.

Les apaches, ses voisins étaient partis faire la bombe et avaient laissé Nini Guinon seule avec son enfant, car Nini Guinon, subtile et méfiante n’avait informé personne du décès du petit Jack, survenu l’avant-veille…

Nini Guinon, qui, machinalement, allait et venait dans la pièce, tressaillit en entendant sonner dix heures.

— Il devrait être là, murmura-t-elle…

La jeune femme, le matin même avait reçu par la poste un billet ainsi conçu :

«  Serai avec Jack, chez toi, ce soir avant dix heures. »

Billet étrange en vérité, car le texte qui semblait écrit à l’encre, au bout de deux heures avait disparu et il n’était resté entre les mains de Nini qu’une feuille de papier blanc…

Le mystérieux billet était signé Fantômas, et elle se rappelait le mariage avec Ascott, puis la mort du père et du frère d’Ascott.

Oui, Fantômas.

Nini Guinon en était là de ses réflexions, lorsqu’un craquement se fit entendre à la porte de son logement :

Dominant ses nerfs, surmontant ses appréhensions, Nini Guinon fut à l’entrée du logis, et à travers la porte demanda :

— Qu’est-ce que c’est ?

Du dehors, une voix :

— Fantômas… Nini Guinon, ouvrez…

Elle ouvrit.

Fantômas se présenta à elle, mais Fantômas comme elle ne l’avait jamais vu encore. Le Fantômas de la légende qui, désormais, devenait pour elle celui de la réalité.

Manteau noir. Chapeau noir. Les traits dissimulés sous une cagoule, noire aussi. Il referma la porte derrière lui.

— Sotte, dit-il, avouer que Jack est mort, est-ce une chose à faire ? Le dire à Duncan que tu tiens uniquement parce qu’il se croit des devoirs de père envers cet enfant, c’est stupide. Heureusement que j’étais là. Jack est mort, vive Jack ! Tiens, prends-le.

Fantômas déroula des linges, et de ces linges émergea un joli bambin rose, robuste, bien bâti qui, innocemment sourit à la jeune femme, la considérant de ses grands yeux interrogateurs.

Nini Guinon était mère, après tout.

Les larmes lui montèrent aux yeux : elle songea soudain en voyant ce petit enfant, si joli, si vivant, si plein de santé, qu’à quelques pas de là, dans la pièce voisine, dissimulé sous les couvertures du berceau, gisait le petit cadavre…

— Nini, ordonna Fantômas, à partir de ce soir ce gamin-là qui s’appelait jusqu’à présent Daniel s’appelle Jack et c’est ton fils. Mercredi prochain tu montreras à lord Duncan l’être qui est né de tes entrailles… Tu lui feras voir Daniel, je veux dire Jack… car désormais il n’est plus de Daniel au monde ! Entends-tu ? est-ce compris ?…

— C’est compris, dit-elle, mais je me demande…

— Ne te demande rien, sotte, et obéis. Voilà ton fils… ne retiens que cela. Songe que sans moi tu étais perdue… Grâce à moi, tu es sauvée… ou est l’autre ?…

— L’autre ?

Mais Fantômas insistait :

— L’autre te dis-je ?…

Nini Guinon, avec des gestes d’automate, passa dans la pièce voisine.

Elle découvrit le berceau.

Sans délicatesse, mais sans brusquerie, Fantômas, avec l’allure d’un homme décidé s’empara du cadavre, l’enveloppa dans les mêmes linges qui lui avaient servi à apporter quelques instants auparavant le petit Daniel…

— Eh bien, quoi ? interrogeait-il, qu’attends-tu ?

Nini Guinon allait formuler quelques explications. Lorsqu’elle s’arrêta de parler, Fantômas lui-même écoutait.

De la première pièce du logement s’élevait un vagissement. C’était le petit Daniel que l’on avait laissé seul dans la pièce et qui pleurait :

— Maman !

Fantômas, de la main qui lui restait libre, empoigna Nini Guinon par la nuque, qui demeurait immobile, presque prostrée au pied du berceau vide :

— Eh bien, grogna-t-il, qu’attends-tu donc ?

Il ajouta avec un ricanement sardonique :

— Tu n’entends donc pas qu’il t’appelle ?… Nini Guinon, va t’occuper de ton fils… de ton fils Jack.

La jeune femme, affolée, revenait à peine de sa surprise, de son émotion qu’elle entendait claquer la porte…

Fantômas avait disparu. Avec lui s’en allait pour toujours le cadavre du petit Jack.

— Maman… criait le petit Daniel.

3 – L’OTAGE

— Bigre ! cela fait du bien de s’asseoir !…

Jérôme Fandor alluma sa lampe qu’il posa sur la table, puis se jeta sur son lit.

Jérôme Fandor paraissait accablé de fatigue…

— Passer une nuit, ce n’est rien, monologuait-il, mais la passer dans les conditions où je viens de passer la dernière, en découvrant des choses ahurissantes, en conduisant des enquêtes invraisemblables, cela mérite du repos… je suis rompu… D’ailleurs la journée que je viens de vivre y est bien aussi pour quelque chose… j’ai couru, trotté, enquêté de tous les côtés… Vrai ! j’ai bien le droit d’être un peu tranquille…

Le journaliste n’acheva pas sa phrase : il bondit de son lit et se mit à se promener à grands pas dans sa chambre…

— Quelle tête va faire Juve, pensa le jeune journaliste, quand il va recevoir mon télégramme. Pas explicite du tout mon télégramme !… Je lui dis seulement que j’ai retrouvé Fantômas, cela en réponse à sa propre dépêche m’avertissant qu’il sait où est lady Beltham… Il y a de quoi l’estomaquer…

Ah ! Juve, certes, serait surpris, au reçu de la dépêche que lui envoyait Fandor…

— Il va venir me rejoindre à Londres, songeait encore le journaliste… C’est notre bonne vie de luttes et de dangers qui reprend, c’est la guerre qui recommence après une longue trêve… Mais ce n’est pas tout ça, au travail. J’ai promis à Juve de lui envoyer des explications.

Jérôme Fandor qui, tout à l’heure, parlait de se reposer retrouvait son activité coutumière. Il s’assit devant son bureau, tira de son sous-main une large feuille de papier à lettre, et de son écriture bizarre, indéchiffrable presque, commença la lettre suivante :

Mon bon Juve,

Vous avez dû sauter de joie en recevant ma dépêche, mais, tel que je vous connais, après un instant de réflexion, vous avez dû, aussi, douter de mes affirmations, douter de la vérité, ne pas croire que j’avais réellement rencontré Fantômas. Je ne vais pas m’amuser à vous faire languir. Je ne vais pas accumuler des phrases pour exciter votre curiosité. D’abord je tombe de sommeil, et puis j’ai pitié de vous. Voici donc les faits dans toute leur éloquence…

Mais Fandor s’interrompit, et jetant son porte-plume :

— Au diable l’inventeur du faux-col, sacra-t-il, le mien me scie le cou. Ma foi, comme je suis seul dans ma chambre, au diable l’élégance…

Le journaliste déboutonna sa veste, se libéra le cou.

Plus libre, il revint à sa table de travail où, par habitude il posa à côté de lui, bien à portée de main, son revolver…

Mon bon Juve,poursuivit Fandor, qui avait repris la plume , j’ai découvert un filon extraordinaire. C’est d’abord qu’un riche lord, lord Duncan, n’est autre que notre vieil ami Ascott. Ascott était le nom de ce cadet de lord Duncan. Lord Duncan père est mort, le frère aîné d’Ascott est mort. Ascott est devenu lord Duncan. Sachant cela, je me suis attaché à la piste de ce dit lord Duncan. Était-il toujours marié avec l’infâme Nini Guinon ? Était-il toujours victime de l’extraordinaire chantage qu’avait réussi sur lui Fantômas, sous les apparences du père Moche ? J’ai retrouvé Nini Guinon dans la pègre, où elle mène une existence lamentable de noce, de débauche, de tout ce que vous voudrez… J’ai retrouvé Nini Guinon mère d’un enfant de lord Duncan, un enfant qui s’appelait Jack. Mais j’ai retrouvé Nini précisément au moment où le petit Jack venait de mourir. Ne me demandez pas s’il est mort de mort naturelle ou s’il a péri victime de manœuvres criminelles, je n’en sais rien… Tout ce que je sais, c’est que sa mort pouvait avoir de terribles conséquences pour Nini et pour Fantômas. Comment Nini, en effet « tenait-elle », c’est l’expression consacrée, son illustre époux, lord Duncan ? Par l’enfant, tant que l’enfant vivait. Lord Duncan ne pouvait rien contre Nini, l’enfant mort, il était évidemment bien libre de rompre avec la mère indigne, et comme j’imagine d’autre part que si Fantômas s’était donné le mal de marier Nini avec celui qui devait devenir lord Duncan, ce n’était pas sans motifs, il dû être fort ennuyé de la mort du petit Jack… l’enfant lui étant nécessaire pour faire chanter le père. Mais qu’est devenu Fantômas ?

Mon cher Juve, à grand-peine, nous avons, il y a près de deux ans, identifié Fantômas avec le policier Tom Bob. Nous avons été les seuls, en somme avec M. Havard, avec, peut-être, quelques agents de la Sûreté, à savoir que Tom Bob c’était Fantômas. La personnalité de Tom Bob n’a donc jamais été brûlée, officiellement… Quelle n’a pas été ma surprise, mon admiration, même, pour le génie, pour la superbe audace du monstre, quand je me suis aperçu que profitant de cela Fantômas était resté Tom Bob… Comprenez-moi bien : il y a en ce moment un policier à Scotland Yard, un policier réputé, membre du Conseil des Cinq, chef de tous les détectives, qui est Tom Bob, qui est Fantômas ! Je l’ai vu, je l’ai reconnu…

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