Le pendu de Londres (Лондонская виселица) - Сувестр Пьер 21 стр.


— Du moment que vous n’avez rien vu, c’est tout ce que je demande, moi… Au revoir, madame… Bien du plaisir… Tout de même vous n’êtes pas reconnaissante, car je vous ai rendu un fameux service… Mais du diable si je m’en doutais…

Et Beaumôme, pirouettant sur ses talons, s’éloigna de lady Beltham, descendit dans le rouf, alla tout tranquillement se mettre à l’abri…

— Parbleu, pensa-t-il, je fais un drôle de métier, voilà que je veux travailler pour Nini, et c’est surtout M meGarrick que j’oblige… Tout çà, c’est pas très clair, mais zut pour la fanfare. Qu’ils se débrouillent entre eux…

Dix minutes après Beaumôme dormait du sommeil des innocents.

***

Vingt-quatre heures plus tard, à Londres, sur ces mêmes quais de la Tamise où l’assassinat de French avait été décidé, Beaumôme attendait Nini.

Et Beaumôme avait préparé toute une série de mensonges.

La fille, cette fois, n’était pas en retard. La femme de lord Ascott se précipita, haletante, vers Beaumôme :

— Eh bien ? demanda-t-elle…

— Eh bien ? c’est de l’ouvrage fait. French est refroidi et, à moins qu’il n’ait nagé jusqu’ici…

Mais Nini n’avait pas envie de plaisanter :

— Tu l’as foutu à l’eau ?

— Oui…

— Facilement ?

Beaumôme hésita…

Fallait-il avouer combien, en lui-même, le meurtre avait été aisé à accomplir ?

— Facilement ? non ! mais enfin il est dans le jus tout de même !… dame, tu sais, Nini, je ne suis pas un bonhomme à me laisser épater, moi…

— Il a crié ? il s’est débattu ? est-ce qu’on te soupçonne ?

— Plus souvent, quand je remets un type à zéro, ça se fait en silence… non, Nini, tu peux te caler sur les deux oreilles, personne ne se doutera jamais de rien. Mais tu sais ce que tu m’as dit, hein ? nous deux, maintenant ?…

— Bas les pattes ! cria Nini en se dégageant… bas les pattes. Je t’ai promis ce que je t’ai promis, c’est vrai… mais quand je serai tranquille… et je ne le suis pas.

Du coup Beaumôme fronça les sourcils :

— Quoi ? il y a encore quelque chose qui te gêne ?

— Oui…

— Et c’est ?

— Une bonne femme…

Beaumôme tressaillit, il eut peur :

— Une bonne femme ?

— Une policière… la Davis…

Beaumôme respira !

Il aimait infiniment mieux entendre parler de mistress Davis que de lady Beltham.

— Bon… si tu veux ?… celle-là aussi… hein ? qu’en dis-tu ? On l’épure, la police ?

17 – UN NÈGRE AMOUREUX

— Vous devez être en bénéfices, monsieur Sigissimons ?

— Véritablement, mademoiselle Daisy, vous me surprenez ?…

— En bénéfices, oui, la photographie d’art jointe au reportage photographique, constitue, assurément, une profession lucrative… ce commerce vous est éminemment favorable, et si j’en crois la comptabilité de votre maison, les recettes ont surpassé les dépenses d’une jolie quantité de livres sterling…

— En vérité, mademoiselle Daisy, je vous admire d’avoir pu obtenir en l’espace de quelques heures ce précieux renseignement… et je me demande ce qui vous empêche de devenir de la façon la plus régulière directrice de la comptabilité de ma maison. Souvent, j’ai entendu prétendre que l’on faisait dire aux chiffres absolument ce que l’on voulait… je suis fort heureux de voir que, par votre intermédiaire, ils accusent à mon égard des résultats favorables, mademoiselle Daisy, voulez-vous faire définitivement partie de la maison Sigissimons ?

— Vous êtes bien aimable, monsieur, mais j’ai peur de ne pouvoir rester longtemps chez vous…

— Cela vous irait cependant mieux de faire tranquillement des écritures, confortablement installée à un superbe bureau, que de vous livrer à des investigations policières… Moi, c’est tout le contraire, je suis commerçant par nécessité, photographe par destination, et il me semble que j’adorerais être détective…

— Monsieur Sigissimons, qui vous a dit que j’étais de la police ?

— Mais vous-même, mademoiselle Daisy, une dame de votre apparence, présentant tous les caractères d’honorabilité que vous présentez, et qui vient, comme ça, demander à travailler gratis dans un bureau, qui se donne un mal de chien pour connaître les opérations de la maison, qui fournit quatre fois plus de travail que les employés les mieux payés, ce n’est pas naturel… vous l’avouerez… au contraire, c’est très louche !… voyons, mademoiselle Daisy, n’essayez pas de me raconter des boniments, bien que photographe par métier, je ne suis pas un imbécile… vous êtes venue faire une enquête ?…

— Monsieur Sigissimons, autant vous l’avouer, puisque vous l’avez deviné. C’est vrai, j’appartiens à la police, je suis détective, mon nom n’est pas M lleDaisy, je m’appelle M meDavis…

— Que venez-vous chercher chez moi ?

— Un renseignement, monsieur Sigissimons, un renseignement ainsi que vous l’avez d’ailleurs compris : j’ai besoin de découvrir quelle est la personne qui est venue, il y a quelques semaines, faire photographier dans votre atelier un enfant de dix-huit mois à deux ans environ, que d’ores et déjà j’ai identifié : c’est un petit garçon nommé Daniel, et dont la mère n’est autre que Françoise Lemercier, la maîtresse de ce pauvre Garrick.

— …De ce pauvre Garrick que la Cour d’Assises vient de condamner à être pendu ?… Oui, je suis au courant de cette affaire, madame Davis…

— Ne m’appelez pas M meDavis…

— Pourquoi, puisque c’est votre nom ?

— Précisément parce que c’est mon nom. Je vous ai révélé ma qualité, à vous le directeur de la maison, mais il est inutile que tout le personnel sache ce que je viens faire dans votre administration…

— C’est juste, madame Davis, pardon, mademoiselle Daisy… mais qu’y a-t-il ?

La porte du bureau dans lequel le photographe Sigissimons et M meDavis, la femme détective, membre du Conseil des Cinq, s’entretenaient ainsi, venait de s’ouvrir subitement, livrant passage à un nègre du plus beau noir, à la haute stature, aux épaules carrées. Vêtu d’une grande houppelande verte garnie de boutons brillants et de galons d’argent, il portait sur la poitrine des aiguillettes d’or, sur sa chevelure crépue se dressait une immense casquette à la visière vernie ; les pieds du personnage étaient chaussés de larges souliers jaunes, cependant que ses mains étaient dissimulées sous d’immenses gants blancs aux doigts trop longs…

Ce nègre était le « chasseur » de la Photographie Sigissimons.

— Moussié, dit le serviteur en s’adressant à son patron, dans son jargon, moi venu ici pour te dire qu’il y a en bas quelqu’un venu pour faire son portrait… Veux-tu que je lui dise de monter devant grosse machine qui imite les fiacres ?…

M. Sigissimons, tout en considérant M meDavis, demeurée impassible, réprimait une forte envie de rire.

Il réexpédia le noir à son poste officiel, c’est-à-dire devant la porte d’entrée, où il avait charge de constituer une réclame vivante.

— Job, déclara-t-il, ce n’est pas à vous de venir faire ces commissions. Vous ne devez pas quitter le hall, je vous paie pour qu’on vous voie, et fichtre, vous en valez la peine…

— Bon… bon… moussié, répondit le nègre, toi pas fâché… moi descendre sur le trottoir, moi dire à bonne femme de t’attendre dans le salon…

M meDavis et Sigissimons reprirent leur entretien.

— D’où connaissez-vous ce nègre, cher monsieur ?

— Mais je ne le connais pas du tout, je l’ai embauché voici huit jours sur sa bonne mine, sa belle couleur et sur la foi également d’une petite annonce du Times.

M meDavis hocha la tête :

— Ce n’est pas très prudent de prendre n’importe qui…

Sigissimons haussait les épaules :

— Tenez, madame Davis, rien qu’à votre attitude perpétuellement soupçonneuse, j’aurais deviné que vous apparteniez à la police… les moindres choses paraissent compliquées aux gens de votre profession, et vous voyez toujours des faits mystérieux là où il n’y a rien…

— Oh !… commença M meDavis…

Mais Sigissimons lui coupa la parole :

— Croyez-moi, madame Davis, il ne faut rien exagérer… tenez ce brave Job est certainement un honnête garçon. Il y a deux raisons à ça. Primo, il est complètement idiot, et secundo il est amoureux.

— Amoureux ?

— Parbleu oui… et amoureux de vous, madame Davis : pour être détective vous n’en êtes pas moins femme… et j’aime à croire que vous vous êtes aperçue des regards passionnés que vous jette ce superbe noir, à chaque fois qu’il a l’occasion de vous rencontrer sur son passage…

— Mon pauvre monsieur Sigissimons, vous vous faites des illusions et vous oubliez que je ne suis plus d’âge à déchaîner des passions, même des passions de nègre…

Sigissimons allait répondre quand un blanc fit son entrée dans le bureau.

Il était porteur d’une grande valise qu’il déposa sur le plancher…

— Voilà, patron, déclara-t-il, s’adressant à Sigissimons, il y a quelques pièces qui m’ont paru intéressantes et que j’ai acquises à la criée…

Sigissimons jeta un rapide coup d’œil sur les objets apportés par son employé. C’étaient des accessoires de photographie, des appareils, des magasins à plaques, des produits chimiques qui, évidemment, provenaient de ventes privées ou publiques, ventes judiciaires ou de Mont-de-Piété.

Sigissimons avait l’habitude de faire de semblables emplettes, et fréquemment, il trouvait chez les détaillants, les bric-à-brac ou même les revendeurs, des occasions tout à fait avantageuses.

— C’est bien, Charley, déclara Sigissimons, c’est bien… voici des appareils qui me semblent en parfait état, n’avez-vous pas payé ce lot trop cher ?

— Presque rien, patron…

L’employé allait énumérer à Sigissimons le détail avantageux de ses achats, lorsque soudain le patron d’un bref monosyllabe, invita son employé à sortir.

Il avait pris cette décision à la suite d’un coup d’œil significatif que lui avait lancé M meDavis…

Lorsque Charley se fut retiré et que les deux interlocuteurs se trouvèrent à nouveau seuls, Sigissimons interrogea :

— Qu’y a-t-il, madame Davis ? pourquoi m’avez-vous fait renvoyer mon commis ?

Sigissimons considéra à ce moment M meDavis avec stupeur.

La femme détective n’avait plus son air enjoué et cordialement railleur de l’instant précédent.

Sa physionomie avait changé du tout au tout.

M meDavis paraissait surprise, inquiète, bouleversée. Sans souci de la respectabilité ni de la correction de sa tenue, elle s’était jetée sur le plancher, fouillant fiévreusement dans la valise apportée par Charley.

Elle en retira un minuscule appareil, un kodak. Elle ajustait son binocle, s’efforçant de découvrir, sur un coin de l’appareil, les initiales qui s’y trouvaient gravées.

Impossible.

Fébrilement, elle passa l’appareil à Sigissimons :

— Je vous en prie, dit-elle, lisez-moi ce qu’il y a d’écrit là ?

Le photographe obéit :

Après un attentif examen, il épela les initiales :

— S… Y… puis… attendez… madame Davis, je vois encore une lettre… ou du moins, un chiffre, le chiffre 4… oui, c’est bien cela…

M meDavis semblait au comble de l’émotion.

— C’est bien cela… vous avez dit : S… Y… 4… ?

— Oui, madame Davis ?

— Monsieur Sigissimons, combien me vendez-vous cet appareil ?

— Je ne vous le vends pas, madame, mais je vous le prête, tant qu’il vous plaira.

— Merci, monsieur…

M meDavis se précipita sur le kodak, elle allait l’ouvrir… soudain, elle se ravisa…

— Monsieur Sigissimons ?

— Madame Davis…

— Monsieur Sigissimons, pouvez-vous me dire si cet appareil contient des pellicules, si on a pris des photos ?

Un rapide coup d’œil suffit à l’homme de l’art :

— Oui, madame, fit Sigissimons…

La femme détective dès lors, toute tremblante, sollicita encore du photographe :

— Je vous en prie, mettez immédiatement votre cabinet noir à ma disposition, il faut que je développe ces pellicules, ne vous occupez de rien, je sais comment on fait…

Sigissimons, sans chercher à comprendre, s’inclina. Il appuya sur un timbre. Charley apparut.

— Voulez-vous préparer la lanterne rouge dans le cabinet noir…

Charley s’inclina, puis disparut. Sigissimons se retourna vers MM Davis :

— La pièce en question sera dans quelques secondes à votre disposition, madame…

M meDavis, comme la généralité des détectives, avait été initiée, lors de son apprentissage, au maniement des appareils photographiques de toutes sortes.

La photographie instantanée rentre en effet dans les procédés de travail des policiers modernes, ainsi d’ailleurs que le téléphone, l’électricité… et aussi le tir au revolver…

Pourquoi M meDavis avait-elle été intriguée, puis émue, en apercevant le lots des appareils d’occasion achetés pour le compte de Sigissimons par son employé ? C’était parce qu’elle avait reconnu au nombre de ceux-ci un Kodak d’un modèle tout particulier qu’elle connaissait fort bien.

Cet appareil était, en effet, du type adopté par la police anglaise.

Or, M meDavis avait eu le pressentiment qu’il s’agissait là de l’appareil d’un de ses collègues, et cela l’étonnait au suprême degré, les détectives n’ayant pas pour habitude de les vendre.

S… Y… signifiaient Scotland Yard.

L’appareil provenait donc à n’en pas douter de l’attirail professionnel d’un policier.

Le chiffre 4 qui suivait les initiales et ne voulait rien dire en apparence, signifiait pour elle quelque chose de très précis…

4 c’était le numéro matricule de son collègue et ami, le détective French, quatrième membre du conseil des cinq.

Comment se faisait-il que, par le plus grand des hasards, l’appareil photographique de French était tombé en la possession de Sigissimons, après avoir été vendu en vente publique ou clandestine ?

Et cela, précisément, peu de jours après la disparition encore inexpliquée du détective, parti à la recherche de M meGarrick ?

M meDavis avait aussitôt flairé un mystère, sa curiosité s’était aiguisée du fait qu’aux dires de Sigissimons il y avait dans le Kodak des photographies dignes, assurément, d’attirer son attention.

M meDavis avait alors demandé à développer ces clichés, afin de savoir ce dont il s’agissait.

***

Elle était à présent installée dans le cabinet noir et médiocrement éclairée par la lanterne rouge dont les reflets donnaient à la pièce un aspect sinistre. M meDavis développait, pour employer le mot technique, les « pellicules » extraites du Kodak.

Du Kodak ayant appartenu au détective French ?…

De cela il n’y avait pas lieu de douter.

C’était certainement de l’appareil de French que M meDavis retirait les diverses pellicules dont elle demandait aux bains révélateurs de montrer l’image.

La femme détective était absorbée dans ce travail et il y avait de quoi.

Un premier cliché, évidemment pris au magnésium, c’est-à-dire de nuit, lui avait en effet montré le pont d’un navire… d’un navire qui sortait d’un port.

M meDavis, à l’examen des détails de ce port, n’hésitait pas longtemps à le reconnaître, à l’identifier, il s’agissait du port de Dieppe.

Au premier plan d’ailleurs se trouvait une bouée de sauvetage qui portait ce mot : Écosse.

Or, Écossec’était le nom d’un des steamers faisant la traversée de Dieppe à Newhaven.

— Par exemple ! monologua M meDavis, voilà qui est surprenant… Il semble bien, par ces photographies, que French se soit trouvé à bord de ce navire.

La femme-détective examinait plus attentivement encore le document que désormais, après avoir lavé dans l’eau, elle plongeait dans le bain de fixage.

— Même, se disait-elle, voici des personnages dont les tournures ne me sont pas inconnues. Cette espèce de voyou, cette grande dame…

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