La Reine Margot Tome I - Dumas Alexandre 2 стр.


– Ipse attuli.

Ce qui voulait dire:

«Je l’ai apporté, ou apporté moi-même

Marguerite rendit sa révérence au jeune duc, et, en se relevant, laissa tomber cette réponse:

– Noctu pro more. Ce qui signifiait: «Cette nuit comme d’habitude.» Ces douces paroles, absorbées par l’énorme collet goudronné de la princesse comme par l’enroulement d’un porte-voix, ne furent entendues que de la personne à laquelle on les adressait; mais si court qu’eût été le dialogue, sans doute il embrassait tout ce que les deux jeunes gens avaient à se dire, car après cet échange de deux mots contre trois, ils se séparèrent, Marguerite le front plus rêveur, et le duc le front plus radieux qu’avant qu’ils se fussent rapprochés. Cette petite scène avait eu lieu sans que l’homme le plus intéressé à la remarquer eût paru y faire la moindre attention, car, de son côté, le roi de Navarre n’avait d’yeux que pour une seule personne qui rassemblait autour d’elle une cour presque aussi nombreuse que Marguerite de Valois, cette personne était la belle madame de Sauve.

Charlotte de Beaune-Semblançay, petite-fille du malheureux Semblançay et femme de Simon de Fizes, baron de Sauve, était une des dames d’atours de Catherine de Médicis, et l’une des plus redoutables auxiliaires de cette reine, qui versait à ses ennemis le philtre de l’amour quand elle n’osait leur verser le poison florentin; petite, blonde, tour à tour pétillante de vivacité ou languissante de mélancolie, toujours prête à l’amour et à l’intrigue, les deux grandes affaires qui, depuis cinquante ans, occupaient la cour des trois rois qui s’étaient succédé; femme dans toute l’acception du mot et dans tout le charme de la chose, depuis l’œil bleu languissant ou brillant de flammes jusqu’aux petits pieds mutins et cambrés dans leurs mules de velours, madame de Sauve s’était, depuis quelques mois déjà, emparée de toutes les facultés du roi de Navarre, qui débutait alors dans la carrière amoureuse comme dans la carrière politique; si bien que Marguerite de Navarre, beauté magnifique et royale, n’avait même plus trouvé l’admiration au fond du cœur de son époux; et, chose étrange et qui étonnait tout le monde, même de la part de cette âme pleine de ténèbres et de mystères, c’est que Catherine de Médicis, tout en poursuivant son projet d’union entre sa fille et le roi de Navarre, n’avait pas discontinué de favoriser presque ouvertement les amours de celui-ci avec madame de Sauve. Mais malgré cette aide puissante et en dépit des mœurs faciles de l’époque, la belle Charlotte avait résisté jusque-là; et de cette résistance inconnue, incroyable, inouïe, plus encore que de la beauté et de l’esprit de celle qui résistait, était née dans le cœur du Béarnais une passion qui, ne pouvant se satisfaire, s’était repliée sur elle-même et avait dévoré dans le cœur du jeune roi la timidité, l’orgueil et jusqu’à cette insouciance, moitié philosophique, moitié paresseuse, qui faisait le fond de son caractère.

Madame de Sauve venait d’entrer depuis quelques minutes seulement dans la salle de bal: soit dépit, soit douleur, elle avait résolu d’abord de ne point assister au triomphe de sa rivale, et, sous le prétexte d’une indisposition, elle avait laissé son mari, secrétaire d’État depuis cinq ans, venir seul au Louvre. Mais en apercevant le baron de Sauve sans sa femme, Catherine de Médicis s’était informée des causes qui tenaient sa bien-aimée Charlotte éloignée; et, apprenant que ce n’était qu’une légère indisposition, elle lui avait écrit quelques mots d’appel, auxquels la jeune femme s’était empressée d’obéir. Henri, tout attristé qu’il avait été d’abord de son absence, avait cependant respiré plus librement lorsqu’il avait vu M. de Sauve entrer seul; mais au moment où, ne s’attendant aucunement à cette apparition, il allait en soupirant se rapprocher de l’aimable créature qu’il était condamné, sinon à aimer, du moins à traiter en épouse, il avait vu au bout de la galerie surgir madame de Sauve; alors il était demeuré cloué à sa place, les yeux fixés sur cette Circé qui l’enchaînait à elle comme un lien magique, et, au lieu de continuer sa marche vers sa femme, par un mouvement d’hésitation qui tenait bien plus à l’étonnement qu’à la crainte, il s’avança vers madame de Sauve.

De leur côté les courtisans, voyant que le roi de Navarre, dont on connaissait déjà le cœur inflammable, se rapprochait de la belle Charlotte, n’eurent point le courage de s’opposer à leur réunion; ils s’éloignèrent complaisamment, de sorte qu’au même instant où Marguerite de Valois et M. de Guise échangeaient les quelques mots latins que nous avons rapportés, Henri, arrivé près de madame de Sauve, entamait avec elle en français fort intelligible, quoique saupoudré d’accent gascon, une conversation beaucoup moins mystérieuse.

– Ah! ma mie! lui dit-il, vous voilà donc revenue au moment où l’on m’avait dit que vous étiez malade et où j’avais perdu l’espérance de vous voir?

– Votre Majesté, répondit madame de Sauve, aurait-elle la prétention de me faire croire que cette espérance lui avait beaucoup coûté à perdre?

– Sang-diou! je crois bien, reprit le Béarnais; ne savez-vous point que vous êtes mon soleil pendant le jour et mon étoile pendant la nuit? En vérité je me croyais dans l’obscurité la plus profonde, lorsque vous avez paru tout à l’heure et avez soudain tout éclairé.

– C’est un mauvais tour que je vous joue alors, Monseigneur.

– Que voulez-vous dire, ma mie? demanda Henri.

– Je veux dire que lorsqu’on est maître de la plus belle femme de France, la seule chose qu’on doive désirer, c’est que la lumière disparaisse pour faire place à l’obscurité, car c’est dans l’obscurité que nous attend le bonheur.

– Ce bonheur, mauvaise, vous savez bien qu’il est aux mains d’une seule personne, et que cette personne se rit et se joue du pauvre Henri.

– Oh! reprit la baronne, j’aurais cru, au contraire, moi, que c’était cette personne qui était le jouet et la risée du roi de Navarre.

Henri fut effrayé de cette attitude hostile, et cependant il réfléchit qu’elle trahissait le dépit, et que le dépit n’est que le masque de l’amour.

– En vérité, dit-il, chère Charlotte, vous me faites là un injuste reproche, et je ne comprends pas qu’une si jolie bouche soit en même temps si cruelle. Croyez-vous donc que ce soit moi qui me marie? Eh! non, ventre saint gris! ce n’est pas moi!

– C’est moi, peut-être! reprit aigrement la baronne, si jamais peut paraître aigre la voix de la femme qui nous aime et qui nous reproche de ne pas l’aimer.

– Avec vos beaux yeux n’avez-vous pas vu plus loin, baronne? Non, non, ce n’est pas Henri de Navarre qui épouse Marguerite de Valois.

– Et qui est-ce donc alors?

– Eh, sang-diou! c’est la religion réformée qui épouse le pape, voilà tout.

– Nenni, nenni, Monseigneur, et je ne me laisse pas prendre à vos jeux d’esprit, moi: Votre Majesté aime madame Marguerite, et je ne vous en fais pas un reproche, Dieu m’en garde! elle est assez belle pour être aimée.

Henri réfléchit un instant, et tandis qu’il réfléchissait, un bon sourire retroussa le coin de ses lèvres.

– Baronne, dit-il, vous me cherchez querelle, ce me semble, et cependant vous n’en avez pas le droit; qu’avez-vous fait, voyons! pour m’empêcher d’épouser madame Marguerite? Rien; au contraire, vous m’avez toujours désespéré.

– Et bien m’en a pris, Monseigneur! répondit madame de Sauve.

– Comment cela?

– Sans doute, puisque aujourd’hui vous en épousez une autre.

– Ah! je l’épouse parce que vous ne m’aimez pas.

– Si je vous eusse aimé, Sire, il me faudrait donc mourir dans une heure!

– Dans une heure! Que voulez-vous dire, et de quelle mort seriez-vous morte?

– De jalousie… car dans une heure la reine de Navarre renverra ses femmes, et Votre Majesté ses gentilshommes.

– Est-ce là véritablement la pensée qui vous préoccupe, ma mie?

– Je ne dis pas cela. Je dis que, si je vous aimais, elle me préoccuperait horriblement.

– Eh bien, s’écria Henri au comble de la joie d’entendre cet aveu, le premier qu’il eût reçu, si le roi de Navarre ne renvoyait pas ses gentilshommes ce soir?

– Sire, dit madame de Sauve, regardant le roi avec un étonnement qui cette fois n’était pas joué, vous dites là des choses impossibles et surtout incroyables.

– Pour que vous le croyiez, que faut-il donc faire?

– Il faudrait m’en donner la preuve, et cette preuve, vous ne pouvez me la donner.

– Si fait, baronne, si fait. Par saint Henri! je vous la donnerai, au contraire, s’écria le roi en dévorant la jeune femme d’un regard embrasé d’amour.

– Ô Votre Majesté! … murmura la belle Charlotte en baissant la voix et les yeux. Je ne comprends pas… Non, non! il est impossible que vous échappiez au bonheur qui vous attend.

– Il y a quatre Henri dans cette salle, mon adorée! reprit le roi: Henri de France, Henri de Condé, Henri de Guise, mais il n’y a qu’un Henri de Navarre.

– Eh bien?

– Eh bien, si vous avez ce Henri de Navarre près de vous toute cette nuit…

– Toute cette nuit?

– Oui; serez-vous certaine qu’il ne sera pas près d’une autre?

– Ah! si vous faites cela, Sire, s’écria à son tour la dame de Sauve.

– Foi de gentilhomme, je le ferai. Madame de Sauve leva ses grands yeux humides de voluptueuses promesses et sourit au roi, dont le cœur s’emplit d’une joie enivrante.

– Voyons, reprit Henri, en ce cas, que direz-vous?

– Oh! en ce cas, répondit Charlotte, en ce cas je dirai que je suis véritablement aimée de Votre Majesté.

– Ventre-saint-gris! vous le direz donc, car cela est, baronne.

– Mais comment faire? murmura madame de Sauve.

– Oh! par Dieu! baronne, il n’est point que vous n’ayez autour de vous quelque camérière, quelque suivante, quelque fille dont vous soyez sûre?

– Oh! j’ai Dariole, qui m’est si dévouée qu’elle se ferait couper en morceaux pour moi: un véritable trésor.

– Sang-diou! baronne, dites à cette fille que je ferai sa fortune quand je serai roi de France, comme me le prédisent les astrologues.

Charlotte sourit; car dès cette époque la réputation gasconne du Béarnais était déjà établie à l’endroit de ses promesses.

– Eh bien, dit-elle, que désirez-vous de Dariole?

– Bien peu de chose pour elle, tout pour moi.

– Enfin?

– Votre appartement est au-dessus du mien?

– Oui.

– Qu’elle attende derrière la porte. Je frapperai doucement trois coups; elle ouvrira, et vous aurez la preuve que je vous ai offerte.

Madame de Sauve garda le silence pendant quelques secondes; puis, comme si elle eût regardé autour d’elle pour n’être pas entendue, elle fixa un instant la vue sur le groupe où se tenait la reine mère; mais si court que fut cet instant, il suffit pour que Catherine et sa dame d’atours échangeassent chacune un regard.

– Oh! si je voulais, dit madame de Sauve avec un accent de sirène qui eût fait fondre la cire dans les oreilles d’Ulysse, si je voulais prendre Votre Majesté en mensonge.

– Essayez, ma mie, essayez…

– Ah! ma foi! j’avoue que j’en combats l’envie.

– Laissez-vous vaincre: les femmes ne sont jamais si fortes qu’après leur défaite.

– Sire, je retiens votre promesse pour Dariole le jour où vous serez roi de France. Henri jeta un cri de joie.

C’était juste au moment où ce cri s’échappait de la bouche du Béarnais que la reine de Navarre répondait au duc de Guise:

«Noctu pro more: Cette nuit comme d’habitude.»

Alors Henri s’éloigna de madame de Sauve aussi heureux que l’était le duc de Guise en s’éloignant lui-même de Marguerite de Valois.

Une heure après cette double scène que nous venons de raconter, le roi Charles et la reine mère se retirèrent dans leurs appartements; presque aussitôt les salles commencèrent à se dépeupler, les galeries laissèrent voir la base de leurs colonnes de marbre. L’amiral et le prince de Condé furent reconduits par quatre cents gentilshommes huguenots au milieu de la foule qui grondait sur leur passage. Puis Henri de Guise, avec les seigneurs lorrains et les catholiques, sortirent à leur tour, escortés des cris de joie et des applaudissements du peuple.

Quant à Marguerite de Valois, à Henri de Navarre et à madame de Sauve, on sait qu’ils demeuraient au Louvre même.

II. La chambre de la reine de Navarre

Le duc de Guise reconduisit sa belle-sœur, la duchesse de Nevers, en son hôtel qui était situé rue du Chaume, en face de la rue de Brac, et après l’avoir remise à ses femmes, passa dans son appartement pour changer de costume, prendre un manteau de nuit et s’armer d’un de ces poignards courts et aigus qu’on appelait une foi de gentilhomme, lesquels se portaient sans l’épée; mais au moment où il le prenait sur la table où il était déposé, il aperçut un petit billet serré entre la lame et le fourreau.

Il l’ouvrit et lut ce qui suit:

«J’espère bien que M. de Guise ne retournera pas cette nuit au Louvre, ou, s’il y retourne, qu’il prendra au moins la précaution de s’armer d’une bonne cotte de mailles et d’une bonne épée.»

– Ah! ah! dit le duc en se retournant vers son valet de chambre, voici un singulier avertissement, maître Robin. Maintenant faites-moi le plaisir de me dire quelles sont les personnes qui ont pénétré ici pendant mon absence.

– Une seule, Monseigneur.

– Laquelle?

– M. du Gast.

– Ah! ah! En effet, il me semblait bien reconnaître l’écriture. Et tu es sûr que du Gast est venu, tu l’as vu?

– J’ai fait plus, Monseigneur, je lui ai parlé.

– Bon; alors je suivrai le conseil. Ma jaquette et mon épée.

Le valet de chambre, habitué à ces mutations de costumes, apporta l’une et l’autre. Le duc alors revêtit sa jaquette, qui était en chaînons de mailles si souples que la trame d’acier n’était guère plus épaisse que du velours; puis il passa par-dessus son jaque des chausses et un pourpoint gris et argent, qui étaient ses couleurs favorites, tira de longues bottes qui montaient jusqu’au milieu de ses cuisses, se coiffa d’un toquet de velours noir sans plume ni pierreries, s’enveloppa d’un manteau de couleur sombre, passa un poignard à sa ceinture, et, mettant son épée aux mains d’un page, seule escorte dont il voulût se faire accompagner, il prit le chemin du Louvre.

Comme il posait le pied sur le seuil de l’hôtel, le veilleur de Saint-Germain-l’Auxerrois venait d’annoncer une heure du matin.

Si avancée que fût la nuit et si peu sûres que fussent les rues à cette époque, aucun accident n’arriva à l’aventureux prince par le chemin, et il arriva sain et sauf devant la masse colossale du vieux Louvre, dont toute les lumières s’étaient successivement éteintes, et qui se dressait, à cette heure, formidable de silence et d’obscurité.

En avant du château royal s’étendait un fossé profond, sur lequel donnaient la plupart des chambres des princes logés au palais. L’appartement de Marguerite était situé au premier étage.

Mais ce premier étage, accessible s’il n’y eût point eu de fossé, se trouvait, grâce au retranchement, élevé de près de trente pieds, et, par conséquent, hors de l’atteinte des amants et des voleurs, ce qui n’empêcha point M. le duc de Guise de descendre résolument dans le fossé.

Au même instant, on entendit le bruit d’une fenêtre du rez-de-chaussée qui s’ouvrait. Cette fenêtre était grillée; mais une main parut, souleva un des barreaux descellés d’avance, et laissa pendre, par cette ouverture, un lacet de soie.

– Est-ce vous, Gillonne? demanda le duc à voix basse.

– Oui, Monseigneur, répondit une voix de femme d’un accent plus bas encore.

– Et Marguerite?

– Elle vous attend.

– Bien. À ces mots le duc fit signe à son page, qui, ouvrant son manteau, déroula une petite échelle de corde. Le prince attacha l’une des extrémités de l’échelle au lacet qui pendait. Gillonne tira l’échelle à elle, l’assujettit solidement; et le prince, après avoir bouclé son épée à son ceinturon, commença l’escalade, qu’il acheva sans accident. Derrière lui, le barreau reprit sa place, la fenêtre se referma, et le page, après avoir vu entrer paisiblement son seigneur dans le Louvre, aux fenêtres duquel il l’avait accompagné vingt fois de la même façon, s’alla coucher, enveloppé dans son manteau, sur l’herbe du fossé et à l’ombre de la muraille. Il faisait une nuit sombre, et quelques gouttes d’eau tombaient tièdes et larges des nuages chargés de soufre et d’électricité.

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