La Dame de Monsoreau Tome III - Dumas Alexandre 3 стр.


– Allez, mon fils, dit tranquillement la Florentine, et que l'esprit de Dieu soit avec ces conseillers, car ils en auront bien besoin pour vous tirer d'embarras.

Et elle le laissa s'éloigner sans faire un geste, sans dire un mot pour le retenir.

– Adieu, madame, répéta Henri. Mais, près de la porte, il s'arrêta.

– Henri, adieu, dit la reine; seulement encore un mot. Je ne prétends pas vous donner un conseil, mon fils; vous n'avez pas besoin de moi, je le sais; mais priez vos conseillers de bien réfléchir avant d'émettre leur avis, et de bien réfléchir encore avant de mettre cet avis à exécution.

– Oh! oui, dit Henri, se rattachant à ce mot de sa mère et en profitant pour ne pas aller plus loin, car la circonstance est difficile, n'est-ce pas, madame?

– Grave, dit lentement Catherine en levant les yeux et les mains au ciel, bien grave, Henri.

Le roi, frappé de cette expression de terreur qu'il croyait lire dans les yeux de sa mère, revint près d'elle.

– Quels sont ceux qui l'ont enlevé? en avez-vous quelque idée, ma mère?

Catherine ne répondit point.

– Moi, dit Henri, je pense que ce sont les Angevins.

Catherine sourit avec cette finesse qui montrait toujours en elle un esprit supérieur veillant pour terrasser et confondre l'esprit d'autrui.

– Les Angevins? répéta-t-elle.

– Vous ne le croyez pas, dit Henri, tout le monde le croit.

Catherine fit encore un mouvement d'épaules.

– Que les autres croient cela, bien, dit-elle; mais vous, mon fils, enfin!

– Quoi donc! madame!… Que voulez-vous dire?… Expliquez-vous, je vous en supplie.

– À quoi bon m'expliquer?

– Votre explication m'éclairera.

– Vous éclairera! Allons donc! Henri, je ne suis qu'une femme vieille et radoteuse; ma seule influence est dans mon repentir et dans mes prières.

– Non, parlez, parlez, ma mère, je vous écoute. Oh! vous êtes encore, vous serez toujours notre âme à nous tous. Parlez.

– Inutile; je n'ai que des idées de l'autre siècle, et la défiance fait tout l'esprit des vieillards. La vieille Catherine! donner, à son âge, un conseil qui vaille encore quelque chose! Allons donc! mon fils, impossible!

– Eh bien! soit, ma mère, dit Henri; refusez-moi votre secours, privez-moi de votre aide. Mais, dans une heure, voyez-vous, que ce soit votre avis ou non, et je le saurai alors, j'aurai fait pendre tous les Angevins qui sont à Paris.

– Faire pendre tous les Angevins! s'écria Catherine avec cet étonnement qu'éprouvent les esprits supérieurs lorsqu'on dit devant eux quelque énormité.

– Oui, oui, pendre, massacrer, assassiner, brûler. À l'heure qu'il est, mes amis courent déjà la ville pour rompre les os à ces maudits, à ces brigands, à ces rebelles!…

– Qu'ils s'en gardent, malheureux, s'écria Catherine emportée par le sérieux de la situation; ils se perdraient eux-mêmes, ce qui ne serait rien; mais ils vous perdraient avec eux.

– Comment cela?

– Aveugle! murmura Catherine; les rois auront donc éternellement des jeux pour ne pas voir!

Et elle joignit les mains.

– Les rois ne sont rois qu'à la condition qu'ils vengeront les injures qu'on leur fait, car alors leur vengeance est une justice, et, dans ce cas surtout, tout mon royaume se lèvera pour me défendre.

– Fou, insensé, enfant, murmura la Florentine.

– Mais pourquoi cela, comment cela?

– Pensez-vous qu'on égorgera, qu'on brûlera, qu'on pendra des hommes comme Bussy, comme Antraguet, comme Livarot, comme Ribérac, sans faire couler des flots de sang?

– Qu'importe! pourvu qu'on les égorge.

– Oui, sans doute, si on les égorge; montrez-les-moi morts, et, par Notre-Dame! je vous dirai que vous avez bien fait. Mais on ne les égorgera pas; mais on aura levé pour eux l'étendard de la révolte; mais on leur aura mis nue à la main l'épée qu'ils n'eussent jamais osé tirer du fourreau pour un maître comme François. Tandis qu'au contraire, dans ce cas-là, par votre imprudence, ils dégaineront pour défendre leur vie; et votre royaume se soulèvera, non pas pour vous, mais contre vous.

– Mais, si je ne me venge pas, j'ai peur, je recule, s'écria Henri.

– A-t-on jamais dit que j'avais peur? dit Catherine en fronçant le sourcil et en pressant ses dents de ses lèvres minces et rougies avec du carmin.

– Cependant, si c'étaient les Angevins, ils mériteraient une punition, ma mère.

– Oui, si c'étaient eux, mais ce ne sont pas eux.

– Qui est-ce donc, si ce ne sont pas les amis de mon frère?

– Ce ne sont pas les amis de votre frère, car votre frère n'a pas d'amis.

– Mais qui est-ce donc?

– Ce sont vos ennemis à vous, ou plutôt votre ennemi.

– Quel ennemi?

– Eh! mon fils, vous savez bien que vous n'en avez jamais eu qu'un, comme votre frère Charles n'en a jamais eu qu'un, comme moi-même je n'en ai jamais eu qu'un, le même toujours, incessamment.

– Henri de Navarre, vous voulez dire?

– Eh! oui, Henri de Navarre.

– Il n'est pas à Paris!

– Eh! savez-vous qui est à Paris ou qui n'y est pas? savez-vous quelque chose? avez-vous des yeux et des oreilles? avez-vous autour de vous des gens qui voient et qui entendent? Non, vous êtes tous sourds, vous êtes tous aveugles.

– Henri de Navarre! répéta Henri.

– Mon fils, à chaque désappointement qui vous arrivera, à chaque malheur qui vous arrivera, à chaque catastrophe qui vous arrivera et dont l'auteur vous restera inconnu, ne cherchez pas, n'hésitez pas, ne vous enquérez pas, c'est inutile. Écriez-vous, Henri: «C'est Henri de Navarre,» et vous serez sûr d'avoir dit vrai… Frappez du côté où il sera, et vous serez sûr d'avoir frappé juste… Oh! cet homme!… cet homme! voyez-vous, c'est l'épée que Dieu a suspendue au-dessus de la maison de Valois.

– Vous êtes donc d'avis que je donne contre-ordre à l'endroit des Angevins?

– À l'instant même, s'écria Catherine, sans perdre une minute, sans perdre une seconde. Hâtez-vous, peut-être est-il déjà trop tard; courez, révoquez ces ordres; allez, ou vous êtes perdu.

Et, saisissant son fils par le bras, elle le poussa vers la porte avec une force et une énergie incroyables. Henri s'élança hors du Louvre, cherchant à rallier ses amis.

Mais il ne trouva que Chicot, assis sur une pierre et dessinant des figures géographiques sur le sable.

III Comment Chicot et la reine mère se trouvant être du même avis, le roi se rangea à l'avis de Chicot et de la reine mère.

Henri s'assura que c'était bien le Gascon, qui, non moins attentif qu'Archimède, ne paraissait pas décidé à se retourner, Paris fût-il pris d'assaut.

– Ah! malheureux, s'écria-t-il d'une voix tonnante, voilà donc comme tu défends ton roi?

– Je le défends à ma manière, et je crois que c'est la bonne.

– La bonne! s'écria le roi, la bonne, paresseux!

– Je le maintiens et je le prouve.

– Je suis curieux de voir cette preuve.

– C'est facile: d'abord, nous avons fait une grande bêtise, mon roi; nous avons fait une immense bêtise.

– En quoi faisant?

– En faisant ce que nous avons fait.

– Ah! ah! fit Henri frappé de la corrélation de ces deux esprits éminemment subtils, et qui n'avaient pu se concerter pour en venir au même résultat.

– Oui, répondit Chicot, tes amis, en criant par la ville: Mort aux Angevins! et, maintenant que j'y réfléchis, il ne m'est pas bien prouvé que ce soient les Angevins qui aient fait le coup; tes amis, dis-je, en criant par la ville: Mort aux Angevins! font tout simplement cette petite guerre civile que MM. de Guise n'ont pas pu faire, et dont ils ont si grand besoin; et, vois-tu, à l'heure qu'il est, Henri, ou tes amis sont parfaitement morts, ce qui ne me déplairait pas, je l'avoue, mais ce qui t'affligerait, toi; ou ils ont chassé les Angevins de la ville, ce qui te déplairait fort, à toi, mais ce qui, en échange, réjouirait énormément ce cher M. d'Anjou.

– Mordieu! s'écria le roi, crois-tu donc que les choses sont déjà si avancées que tu dis là?

– Si elles ne le sont pas davantage.

– Mais tout cela ne m'explique pas ce que tu fais assis sur cette pierre.

– Je fais une besogne excessivement pressée, mon fils.

– Laquelle?

– Je trace la configuration des provinces que ton frère va faire révolter contre nous, et je suppute le nombre d'hommes que chacune d'elles pourra fournir à la révolte.

– Chicot! Chicot! s'écria le roi, je n'ai donc autour de moi que des oiseaux de mauvais augure!

– Le hibou chante pendant la nuit, mon fils, répondit Chicot, car il chante à son heure. Or le temps est sombre, Henriquet, si sombre, en vérité, qu'on peut prendre le jour pour la nuit, et je te chante ce que tu dois entendre. Regarde!

– Quoi!

– Regarde ma carte géographique, et juge. Voici d'abord l'Anjou, qui ressemble assez à une tartelette; tu vois? c'est là que ton frère s'est réfugié; aussi je lui ai donné la première place, hum! L'Anjou, bien mené, bien conduit, comme vont le mener et le conduire ton grand veneur Monsoreau et ton ami Bussy, l'Anjou, à lui seul, peut nous fournir, quand je dis nous, c'est à ton frère, l'Anjou peut fournir à ton frère dix mille combattants.

– Tu crois?

– C'est le minimum. Passons à la Guyenne. La Guyenne, tu la vois, n'est ce pas? la voici: c'est cette figure qui ressemble à un veau marchant sur une patte. Ah! dame! la Guyenne, il ne faut pas t'étonner de trouver là quelques mécontents; c'est un vieux foyer de révolte, et à peine les Anglais en sont-ils partis. La Guyenne sera donc enchantée de se soulever, non pas contre toi, mais contre la France. Il faut compter sur la Guyenne pour huit mille soldats. C'est peu! mais ils seront bien aguerris, bien éprouvés, sois tranquille. Puis, à gauche de la Guyenne, nous avons le Béarn et la Navarre, tu vois? ces deux compartiments qui ressemblent à un singe sur le dos d'un éléphant. On a fort rogné la Navarre, sans doute; mais, avec le Béarn, il lui reste encore une population de trois ou quatre cent mille hommes. Suppose que le Béarn et la Navarre, très pressés, bien poussés, bien pressurés par Henriot, fournissent à la Ligue cinq du cent de la population, c'est seize mille hommes. Récapitulons donc: dix mille pour l'Anjou.

Et Chicot continua de tracer des figures sur le sable avec sa baguette.

Ci. 10, 000

Huit mille pour la Guyenne, ci. 8, 000

Seize mille pour le Béarn et la Navarre, ci. 16, 000

Total 34, 000

– Tu crois donc, dit Henri, que le roi de Navarre fera alliance avec mon frère?

– Pardieu!

– Tu crois donc qu'il est pour quelque chose dans sa fuite?

Chicot regarda Henri fixement.

– Henriquet, dit-il, voilà une idée qui n'est pas de toi.

– Pourquoi cela?

– Parce qu'elle est trop forte, mon fils.

– N'importe de qui elle est; je t'interroge, réponds. Crois-tu que Henri de Navarre soit pour quelque chose dans la fuite de mon frère?

– Eh! fit Chicot, j'ai entendu du côté de la rue de la Ferronnerie un Ventre-saint-gris! qui, aujourd'hui que j'y pense, me paraît assez concluant.

– Tu as entendu un Ventre-saint-gris! s'écria le roi.

– Ma foi, oui, répondit Chicot, je m'en souviens aujourd'hui seulement.

– Il était donc à Paris?

– Je le crois.

– Et qui peut te le faire croire!

– Mes yeux.

– Tu as vu Henri de Navarre?

– Oui.

– Et tu n'es pas venu me dire que mon ennemi était venu me braver jusque dans ma capitale!

– On est gentilhomme ou on ne l'est pas, fit Chicot.

– Après?

– Eh bien! si l'on est gentilhomme, on n'est pas espion, voilà tout.

Henri demeura pensif.

– Ainsi, dit-il, l'Anjou et le Béarn! mon frère François et mon cousin Henri!

– Sans compter les trois Guise, bien entendu.

– Comment! tu crois qu'ils feront alliance ensemble?

– Trente-quatre mille hommes d'une part, dit Chicot en comptant sur ses doigts: dix mille pour l'Anjou, huit mille pour la Guyenne, seize mille pour le Béarn; plus vingt ou vingt-cinq mille sous les ordres de M. de Guise, comme lieutenant général de les armées; total, cinquante-neuf mille hommes; réduisons-les à cinquante mille, à cause des gouttes, des rhumatismes, des sciatiques et autres maladies. C'est encore, comme tu le vois, mon fils, un assez joli total.

– Mais Henri de Navarre et le duc de Guise sont ennemis.

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