Zazie dans le métro - Raymond E. Feist 7 стр.


– Alors de l'autre.

Comme Mado Ptits-pieds s'éloignait, Gridoux lui demanda:

– Et lui? qu'est-ce qu'il a croûte?

– Comme vous. Gzactement.

Elle courut pour faire les dix mètres qui séparaient l'échoppe de La Cave. Elle répondrait plus amplement tout à l'heure. Gridoux jugeait en effet le renseignement fourni nettement insuffisant, cependant il semble en nourrir sa méditation jusqu'à la présentation d'un fromage morose par la servante revenue.

– Alors? demanda Gridoux. Le type?

– Il termine son café.

– Et qu'est-ce qu'il raconte?

– Toujours rien.

– Il a bien mangé? De bon appétit?

– Plutôt. Il peine pas sur la nourriture.

– Qu'est-ce qu'il a pris pour commencer? La belle sardine ou là salade de tomates?

– Comme vous que jvous dis, gzactement comme vous. Il a rien pris pour commencer.

– Et comme boisson?

– Du rouge.

– Un quart? une demie?

– Une demie. Il l'a vidée.

– Ah ah! fît Gridoux nettement intéressé.

Avant d'attaquer le frome, d'un habile mouvement de succion, il s'extirpa pensivement des filaments de bœuf coincés en plusieurs endroits parmi sa dentition.

– Et du côté vécés? demanda-t-il encore. Il n'est pas allé aux vécés?

– Non.

– Pas même pour pisser?

– Non.

– Pas même pour se laver les pognes?

– Non.

– Quelle gueule il fait maintenant?

– Aucune.

Gridoux entame une vaste tartine de frome qu'il a méthodiquement préparée, en refoulant la croûte vers l'extrémité la plus lointaine, réservant ainsi le meilleur pour la fin.

Mado Ptits-pieds le regarde faire, l'air distrait, plus pressée du tout, et pourtant le service est pas fini, y a des clients qui doivent réclamer leur addition, le type peut-être par exemple. Elle s'appuya contre l'échoppe et, profitant de ce que Gridoux bouffant ne pouvait discourir, elle aborda ses problèmes personnels.

– C'est un type sérieux, qu'elle dit. Un homme qu'a un métier. Un bon métier, car c'est bon, le taxi, pas vrai?

– (geste).

– Pas trop vieux. Pas trop jeune. Bonne santé. Costaud. Sûrement des éconocroques. Il a tout pour lui, Charles. Y a qu'une chose: il est trop romantique.

– Ça, reconnut Gridoux entre deux déglutitions.

– Ce qu'il peut m'agacer quand je le vois en train de décortiquer un courrier du cœur ou la ptite correspondance d'un canard pour dames. Comment que vous pouvez croire, que je lui dis, comment vous pouvez croire que vous allez trouver là-ddans l'oiseau rêvé? S'il était si bien xa l'oiseau, il saurait se faire dénicher tout seul, pas vrai?

– (geste).

Gridoux en est à sa dernière déglutition. Il a fini sa tartine, il écluse posément un verre de vin, range sa bouteille.

– Et Charles? qu'il demande, qu'est-ce qu'il répond à ça?

– Il répond des trucs pas sérieux comme: et ton oiseau à toi, tu te l'es fait dénicher souvent? Des blagues, quoi (soupir). I veut pas mcomprendre.

– Faut te déclarer.

– J'y ai bien pensé, mais ça se présente jamais bien. Par exemple je le rencontre quelquefois dans l'escalier. Alors on tire un coup, sur les marches du palais. Seulement à ce moment-là je peux pas lui parler comme il faut, j'ai pas l'esprit à ça (silence) – à lui parler comme i faut (silence). Faudrait que je l'invite un soir à dîner. Vous croyez qu'il accepterait?

– En tout cas ça serait pas gentil de sa part de refuser.

– Bin voilà, c'est qu'il est pas toujours gentil, Charles.

Gridoux fît un geste de contestation. Sur le pas de sa porte, le patron criait: Mado!

– On arrive! répondit-elle avec la force voulue pour que ses paroles fendissent l'air avec la vitesse et l'intensité souhaitées. En tout cas, ajouta-t-elle pour Gridoux sur un ton plus modéré, ce que je me demande, c'est dans son idée ce qu'elle aurait de mieux que moi la gonzesse qu'il trouverait par le journal: le baba en or ou quoi?

Un nouveau hululement de Turandot ne lui permit pas d'émettre d'autres hypothèses. Elle emmène la vaisselle et Gridoux se retrouve tout seul avec ses godasses et la rue. Il recommence pas tout de suite à travailler. Il roule lentement l'une de ses cinq cigarettes de la journée et il se met à fumer posément. On pourrait presque dire qu'il semblerait qu'il a l'air de réfléchir à quelque chose. Quand la cigarette est à peu près terminée, il éteint le mégot et le range soigneusement dans une boite de Valdas, une habitude de l'occupation. Puis quelqu'un lui demande vous n'auriez pas un lacet de soulier par hasard je viens de péter le mien. Gridoux lève les yeux et il l'aurait parié, c'est le type et qui continue de la sorte:

– Y a rien de plus agaçant, pas vrai?

– Je ne sais pas, répond Gridoux.

– Des jaunes qu'il m'en faut. Des marrons si vous préférez, pas des noirs.

– Je vais voir ce que j'ai, dit Gridoux. Je vous garantis pas que j'en ai de toutes les couleurs que vous me demandez.

Il bouge pas et se contente de regarder son interlocuteur. Celui-ci fait semblant de ne pas s'en apercevoir.

– C'est tout de même pas des irisés que je veux.

– Des quoi?

– Des couleur d'arc-en-ciel.

– Ceux-là, ils me manquent pour le moment. Et des autres teintes j'en ai pus non plus.

– Et là-bas dans cette boîte c'est pas des lacets de soulier?

Gridougrogne:

– Dites donc vous, j'aime pas qu'on fouine comme ça chez moi.

– Vous refuseriez tout de même pas de vendre un lacet de soulier à un homme qui en a besoin. Autant refuser du pain à un affamé.

– Ça va, cherchez pas à m'attendrir.

– Et une paire de souliers? Vous refuseriez de vendre une paire de souliers?

– Ah là! s'esclama Gridoux, là, vous êtes couyonné.

– Et pourquoi ça?

– Je suis cordonnier et pas marchand de chaussures. Ne sutor ultra crepidam, comme disaient les Anciens. Vous comprenez le latin peut-être? Usque non ascendam anch'io son pittore adios amigos amen et toc. Mais c'est vrai, vous pouvez pas apprécier, vous êtes pas curé, vous êtes flic.

– Où vous avez pris ça, s'il vous plaît?

– Flic ou satyre.

Le type haussa tranquillement les épaules et dit sans conviction ni amertume:

– Des insultes, voilà tous les remerciements qu'on reçoit quand on ramène une enfant perdue à ses parents. Des insultes.

Et il ajoute après un gros soupir:

– Mais quels parents.

Gridoux décolla ses fesses de sus sa chaise pour demander d'un air menaçant:

– Et qu'est-ce qu'ils ont de mal, ses parents? qu'est-ce que vous trouvez à leur redire?

– Oh! rien (sourire).

– Mais dites-le, dites-le donc.

– Le tonton est une tata.

– C'est pas vrai, gueula Gridoux, c'est pas vrai, je vous défends de dire ça.

– Vous n'avez rien à me défendre, mon cher, je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous.

– Gabriel, proféra Gridoux solennellement, Gabriel est un honnête citoyen, un honnête et honorable citoyen. D'ailleurs tout le monde l'aime dans le quartier.

– Une séductrice.

– Vous m'emmerdez, vous, à la fin, avec vos airs supérieurs. Je vous répète que Gabriel n'est pas une tante, c'est clair, oui ou non?

– Prouvez-le-moi, dit l'autre.

– Pas difficile, répondit Gridoux. Il est marié.

– Ça prouve rien, dit l'autre. Tenez Henri Trois, par exemple, il était marié.

– Et avec qui? (sourire).

– Louise de Vaudémont.

Gridoux ricane.

– Ça se saurait si cette bonne femme avait été reine de France.

– Ça se sait.

– Vous avez entendu ça à la tévé (grimace). Vous croyez peut-être à tout ce qu'ils racontent?

– N'empêche que ça se trouve dans tous les livres.

– Même dans l'Annuaire du téléphone?

Le type ne sut que répondre.

– Vous voyez, conclut Gridoux avec bonhomie.

Il ajouta ces mots ailés:

– Croyez-moi, faut pas juger les gens trop vite. Gabriel danse dans une boîte de pédales déguisé en Sévillane, dakor. Mais, qu'est-ce que ça prouve, hein? Qu'est-ce que ça prouve. Tenez, donnez-moi votre godasse, je vais vous remettre un lacet.

Le type se déchaussa et, en attendant que l'opération de change fût terminée, se tint à cloche-pied.

– Ça ne prouve rien, continuait Gridoux, sinon que ça amuse les gogos. Un colosse habillé en torero ça fait sourire, mais un colosse habillé en Sévillane, c'est ça alors qui fait marer les gens. D'ailleurs c'est pas tout, il danse aussi La Mort du cygne comme à l'Opéra. En tutu. Là alors, les gens ils sont plies en deux. Vous allez me parler de la bêtise humaine, dakor, mais c'est un métier comme un autre après tout, pas vrai?

– Quel métier, se contenta de dire le type.

– Quel métier, quel métier, répliqua Gridoux en le déganant. Et vous, votre métier, vous en êtes fier?

Le type ne répondit pas. (silence double)

– Là, reprit Gridoux, la voilà votre godasse, avec son lacet tout neuf.

– Je vous dois combien?

– Rien, dit Gridoux.

Il ajouta:

– Tout de même, vous êtes pas très causant.

– C'est injuste de me dire ça, c'est moi qui suis venu vous trouver.

– Oui, mais vous ne répondez pas aux questions qu'on vous pose.

– Lesquelles par exemple?

– Aimez-vous les épinards?

– Avec des petits croûtons je les supporte, mais je ne ferais pas des folies pour.

Gridoux demeura pensif un instant, puis il lâcha une bordée de nomdehieus proférés à basse voix.

– Qu'est-ce qui ne va pas? demanda le type.

– Je donnerais cher pour savoir ce que vous êtes venu faire dans le coinstot.

– Je suis venu reconduire une enfant perdue à ses parents.

– Vous allez finir par me le faire croire.

– Et ça m'a attiré bien des ennuis.

– Oh! dit Gridoux, pas bien graves.

– Je ne parle pas de l'histoire avec le roi de la séguedille et de la princesse des djinns bleus (silence). Y a pire.

Le type avait fini de remettre sa chaussure.

– Ya pire, répéta-t-il.

– Quoi? demanda Gridoux impressionné.

– J'ai ramené la petite à ses parents, mais moi je me suis perdu.

– Oh! ça n'est rien, dit Gridoux rasséréné. Vous tournez dans la rue à gauche et vous trouvez le métro un peu plus bas, c'est pas difficile comme vous voyez.

– S'agit pas de ça. C'est moi, moi, que j'ai perdu.

– Comprends pas, dit Gridoux de nouveau un peu inquiet.

– Posez-moi des questions, posez-moi des questions, vous allez comprendre.

– Mais vous y répondez pas aux questions.

– Quelle injustice! comme si je n'ai pas répondu pour les épinards.

Gridoux se gratta le crâne.

– Eh bien par exemple…

Mais il ne put continuer, fort embarrassé.

– Dites, insistait le type, mais dites donc, (silence)

Gridoux baisse les yeux.

Le type lui vient en aide,

– Vous voulez peut-être savoir mon nom par egzemple?

– Oui, dit Gridoux, c'est ça, vott nom.

– Eh bien je ne le sais pas.

Gridoux leva les yeux.

– C'est malin, ça, dit-il.

– Eh non, je ne le sais pas.

– Comment ça?

– Comment ça? Comme ça. Je ne l'ai pas appris par cœur.

(silence)

– Vous vous foutez de moi, dit Gridoux.

– Et pourquoi ça?

– Est-ce qu'on a besoin d'apprendre son nom par cœur?

– Vous, dit le type, vous vous appelez comment?

– Gridoux, répondit Gridoux sans se méfier.

– Vous voyez bien que vous le savez par cœur votre nom de Gridoux.

– C'est pourtant vrai, murmura Gridoux.

Mais ce qu'il y a de plus fort dans mon cas, reprit le type, c'est que je ne sais pas si j'en avais un avant.

– Un nom?

– Un nom.

– Ce n'est pas possible, murmura Gridoux avec accablement.

– Possible, possible, qu'est-ce que ça veut dire «possible», quand ça est?

– Alors comme ça vous n'avez jamais eu de nom?

– Il semble bien.

– Et ça ne vous a jamais causé d'ennuis?

– Pas de trop. (silence)

Le type répéta:

– Pas de trop, (silence)

– Et votre âge, demanda brusquement Gridoux. Vous ne le savez peut-être pas non plus votre âge?

– Non, répondit le type. Bien sûr que non.

Gridoux examina attentivement la tète de son interlocuteur.

– Vous devez avoir dans les…

Mais il s'interrompit.

– C'est difficile à dire, murmura-t-il.

– N'est-ce pas? Alors, quand vous venez m'interroger sur mon métier, vous comprenez que c'est pas par mauvaise volonté que je ne vous réponds pas.

– Bien sûr, acquiesça Gridoux angoissé.

Un bruit de moteur vaseux fit se retourner le type. Un taxi vieux passa, ayant à bord Gabriel et Zazie.

– Ça va se promener, dit le type.

Gridoux ne fait aucun commentaire. Il voudrait bien que l'autre aille se promener, lui aussi.

– Il ne me reste plus qu'à vous remercier, reprit le type.

– De rien, dit Gridoux.

– Et le métro? Alors, je le trouverai par là?

(geste)

– C'est ça. Par là.

– C'est un renseignement utile, dit le type. Surtout quand y a la grève.

– Vous pourrez toujours consulter le plan, dit Gridoux.

Il se mit à taper très fort sur une semelle et le type s'en va.

VIII

– Ah Paris! s'écria Gabriel avec un enthousiasme gourmand. Tiens, Zazie, ajouta-t-il brusquement en désignant quelque chose très au loin, regarde!! le métro!!!

– Le métro? qu'elle fit.

Elle fronça les sourcils.

– L'aérien, bien sûr, dit Gabriel benoîtement. Avant que Zazie ait eu le temps de râler, il s'esclama de nouveau:

– Et ça! là-bas!! regarde!!! le Panthéon!!!!

– C'est pas le Panthéon, dit Charles, c'est les Invalides.

– Vous allez pas recommencer, dit Zazie.

– Non mais, cria Gabriel, c'est peut-être pas le Panthéon?

– Non, c'est les Invalides, répondit Charles. Gabriel se tourna vers lui et le regarda dans la cornée des œils:

– T'en es sûr, qu'il lui demande, t'en es tellement sûr que ça?

Charles ne répondit pas.

– De quoi que t'es absolument sûr? qu'il insista Gabriel.

– J'ai trouvé, hurle alors Charles, ce truc-là, c'est pas les Invalides, c'est le Sacré-Cœur.

– Et toi, dit Gabriel jovialement, tu ne serais pas par hasard le sacré con?

– Les petits farceurs de votre âge, dit Zazie, ils me font de la peine.

Ils regardèrent alors en silence l'orama, puis Zazie examina ce qui se passait à quelque trois cents mètres plus bas en suivant le fil à plomb.

– C'est pas si haut que ça, remarqua Zazie.

– Tout de même, dit Charles, c'est à peine si on distingue les gens.

– Oui, dit Gabriel en reniflant, on les voit peu, mais on les sent tout de même.

– Moins que dans le métro, dit Charles.

– Tu le prends jamais, dit Gabriel. Moi non plus, d'ailleurs.

Désireuse d'éviter ce sujet pénible, Zazie dit à son oncle:

– Tu regardes pas. Penche-toi donc, c'est quand même marant.

Gabriel fit une tentative pour jeter un coup d'œil sur les profondeurs.

– Merde, qu'il dit en se reculant, ça me fout le vertige.

Il s'épongea le front et embauma.

– Moi, qu'il ajoute, je redescends. Si vous en avez pas assez, je vous attends au rez-de-chaussée.

Il est parti avant que Zazie et Charles aient pu le retenir.

– Ça faisait bien vingt ans que j'y étais pas monté, dit Charles. J'en y ai pourtant conduit des gens.

Zazie s'en fout.

– Vous riez pas souvent, qu'elle lui dit. Quel âge que vous avez?

– Quel âge que tu me donnes?

– Bin, vzêtes pas jeune: trente ans.

– Et quinze de mieux.

– Bin alors vzavez pas l'air trop vieux. Et tonton Gabriel?

– Trente-deux.

– Bin, lui, il paraît plus.

– Lui dis pas surtout, ça le ferait pleurer.

– Pourquoi ça? Parce qu'il pratique l'hormosessualité?

– Où t'as été chercher ça?

– C'est le type qui lui disait ça à tonton Gabriel, le type qui m'a ramenée. Il disait comme ça, le type, qu'on pouvait aller en tôle pour ça, pour l'hormosessualité. Qu'est-ce que c'est?

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