Le Crime De Sylvestre Bonnard - France Anatole 8 стр.


Il peut sembler étrange qu’une personne haute comme une bouteille et qui aurait disparu dans la poche de ma redingote, s’il n’eût pas été irrévérencieux de l’y mettre, donnât précisément l’idée de la grandeur. Mais il y avait dans les proportions de la dame assise sur la Chronique de Nuremberg une sveltesse si fière, une harmonie si majestueuse, elle gardait une attitude à la fois si aisée et si noble, qu’elle me parut grande. Bien que mon encrier, qu’elle considérait avec une attention moqueuse comme si elle eût pu lire par avance tous les mots qui devaient en sortir au bout de ma plume, fût pour elle un bassin profond où elle eût noirci jusqu’à la jarretière ses bas de soie rose à coins d’or, elle était grande, vous dis-je, et imposante dans son enjouement.

Son costume, approprié à sa physionomie, était d’une extrême magnificence; il consistait en une robe de brocart d’or et d’argent et en un manteau de velours nacarat, doublé de menu vair. La coiffure était une sorte de hennin à deux cornes, que des perles d’un bel orient rendaient clair et lumineux comme le croissant de la lune. Sa petite main blanche tenait une baguette qui attira mon attention d’une manière d’autant plus efficace que mes études archéologiques m’ont disposé à reconnaître avec quelque certitude les insignes par lesquels se distinguent les notables personnes de la légende et de l’histoire. Cette connaissance me fut utile en cette occasion. J’examinai la baguette, et je reconnus qu’elle avait été taillée dans une menue branche de coudrier. C’est, me dis-je, une baguette de fée; conséquemment, la dame qui la tient est une fée.

Heureux de connaître la personne à qui j’avais affaire, j’essayai de rassembler mes idées pour lui adresser un compliment respectueux. J’eusse éprouvé quelque satisfaction, je le confesse, à lui parler doctement du rôle de ses pareilles, tant dans les races saxonne et germanique, que dans l’Occident latin. Une telle dissertation était dans ma pensée une façon ingénieuse de remercier cette dame d’être apparue à un vieil érudit, contrairement à l’usage constant de ses semblables, qui ne se montrent qu’aux enfants naïfs et aux villageois incultes.

«Pour être fée, on n’en est pas moins femme, me disais-je, et puisque madame Récamier, ainsi que je l’ouïs dire à J.-J. Ampère, comptait pour quelque chose l’impression que produisait sa beauté sur les petits ramoneurs, la dame surnaturelle qui est assise sur la Chronique de Nuremberg sera sans doute flattée d’entendre un érudit la traiter doctement comme une médaille, un sceau, une fibule ou un jeton.» Mais cette entreprise, qui coûtait beaucoup à ma timidité, me devint vraiment impossible, quand je vis la dame de la Chronique tirer vivement d’une aumônière, qu’elle portait au côté, des noisettes plus petites que je n’en vis jamais, en briser les coquilles entre ses dents et me les jeter au nez, tandis qu’elle croquait l’amande avec la gravité d’un enfant qui tète.

En une telle conjoncture, je fis ce qu’exigeait la dignité de la science, je me tus. Mais, les coquilles m’ayant causé un chatouillement pénible, je portai la main à mon nez et je constatai alors, à ma grande surprise, que mes lunettes en chevauchaient l’extrémité et que je voyais la dame non à travers, mais par-dessus les verres, chose incompréhensible, puisque mes yeux, usés sur les vieux textes, ne distinguent pas sans besicles un melon d’une carafe, placés tous deux au bout de mon nez.

Ce nez, remarquable par sa masse, sa forme et sa coloration, attira légitimement l’attention de la fée, car elle saisit ma plume d’oie, qui s’élevait comme un panache au-dessus de l’encrier, et elle promena sur mon nez les barbes de cette plume. J’eus parfois, en compagnie, l’occasion de me prêter aux espiègleries innocentes des jeunes demoiselles qui, m’associant à leurs jeux, m’offraient leur joue à baiser à travers un dossier de chaise ou m’invitaient à éteindre une bougie qu’elles élevaient tout à coup hors de la portée de mon souffle. Mais jusque-là aucune personne du sexe ne m’avait soumis à des caprices aussi familiers que de m’agacer les narines avec les barbes de ma propre plume. Je me rappelai heureusement une maxime de feu mon grand-père, qui avait coutume de dire que tout est permis aux dames, et que tout ce qui vient d’elles est grâce et faveur. Je reçus donc comme faveur et grâce les coquilles des noisettes et les barbes de la plume, et j’essayai de sourire. Bien plus! je pris la parole:

– Madame, dis-je avec politesse et dignité, vous accordez l’honneur de votre visite, non à un morveux ni à un rustre, mais bien à un bibliothécaire assez heureux pour vous connaître et qui sait que jadis vous emmêliez dans les crèches les crins de la jument, buviez le lait dans les jattes écumeuses, couliez des graines à gratter dans le dos des aïeules, faisiez pétiller l’âtre aux nez des bonnes gens et, pour tout dire, mettiez le désordre et la gaieté dans la maison. Vous pouvez vous vanter, de plus, d’avoir, le soir, dans les bois, fait les plus jolies peurs du monde aux couples attardés. Mais je vous croyais évanouie à jamais depuis trois siècles au moins. Se peut-il, madame, qu’on vous voie en ce temps de chemins de fer et de télégraphe? Ma concierge, qui fut nourrice en son temps, ne sait pas votre histoire, et mon petit voisin, que sa bonne mouche encore, affirme que vous n’existez point.

– Qu’en dites-vous? s’écria-t-elle d’une voix argentine, en se campant dans sa petite taille royale d’une façon cavalière et en fouettant comme un hippogriffe le dos de la Chronique de Nuremberg .

– Je ne sais, lui répondis-je, en me frottant les yeux.

Cette réponse, empreinte d’un scepticisme profondément scientifique, fit sur mon interlocutrice le plus déplorable effet.

– Monsieur Sylvestre Bonnard, me dit-elle, vous n’êtes qu’un cuistre. Je m’en étais toujours doutée. Le plus petit des marmots qui vont par les chemins avec un pan de chemise à la fente de leur culotte me connaît mieux que tous les gens à lunettes de vos Instituts et de vos Académies. Savoir n’est rien, imaginer est tout. Rien n’existe que ce qu’on imagine. Je suis imaginaire. C’est exister cela, je pense! On me rêve et je parais! Tout n’est que rêve, et, puisque personne ne rêve de vous, Sylvestre Bonnard, c’est vous qui n’existez pas. Je charme le monde; je suis partout, sur un rayon de lune, dans le frisson d’une source cachée, dans le feuillage mouvant qui chante, dans les blanches vapeurs qui montent, chaque matin, du creux des prairies, au milieu des bruyères roses, partout!… On me voit, on m’aime. On soupire, on frissonne sur la trace légère de mes pas qui font chanter les feuilles mortes. Je fais sourire les petits enfants, je donne de l’esprit aux plus épaisses nourrices. Penchée sur les berceaux, je lutine, je console et j’endors, et vous doutez que j’existe! Sylvestre Bonnard, votre chaude douillette recouvre le cuir d’un âne.

Elle se tut; l’indignation gonflait ses fines narines, et, tandis que j’admirais, malgré mon dépit, la colère héroïque de cette petite personne, elle promena ma plume dans l’encrier, comme un aviron dans un lac, et me la jeta au nez le bec en avant.

Je me frottai le visage, que je sentis tout mouillé d’encre. Elle avait disparu. Ma lampe s’était éteinte; un rayon de lune traversait la vitre et descendait sur la Chronique de Nuremberg . Un vent frais, qui s’était élevé sans que je m’en aperçusse, faisait voler plumes, papiers et pains à cacheter. Ma table était toute tachée d’encre. J’avais laissé ma fenêtre entrouverte pendant l’orage. Quelle imprudence!

III

Lusance, 12 août.

J’ai écrit à ma gouvernante, comme je m’y étais engagé, que j’étais sain et sauf. Mais je me suis bien gardé de lui dire que j’eus un rhume de cerveau pour m’être endormi le soir, dans la bibliothèque, pendant que la fenêtre était ouverte, car l’excellente femme ne m’eût pas plus ménagé les remontrances que les parlements aux rois. «À votre âge, monsieur, m’eût-elle dit, être si peu raisonnable!» Elle est assez simple pour croire que la raison augmente avec les années. Je lui semble une exception à cet égard.

N’ayant pas les mêmes motifs de taire mon aventure à madame de Gabry, je lui contai mon rêve tout au long. Je le lui contai comme il est dans ce journal et comme je l’eus en dormant. J’ignore l’art des fictions. Il se peut toutefois qu’en le contant et en l’écrivant j’aie mis çà et là quelques circonstances et quelques paroles qui n’y étaient point d’abord, non certes pour altérer la vérité, mais plutôt par un secret désir d’éclaircir et d’achever ce qui demeurait obscur et confus et en cédant peut-être à ce goût de l’allégorie que, dans mon enfance, j’ai reçu des Grecs.

Madame de Gabry m’écouta sans déplaisir.

– Votre vision, me dit-elle, est charmante, et il faut bien de l’esprit pour en avoir de pareilles.

– C’est donc, lui répondis-je, que j’ai de l’esprit quand je dors.

– Quand vous rêvez, reprit-elle; et vous rêvez toujours!

Je sais bien qu’en parlant ainsi, madame de Gabry n’avait pas d’autre idée que de me faire plaisir, mais cette seule pensée mérite toute ma reconnaissance, et c’est dans un esprit de gratitude et de douce remembrance que je la note en ce cahier, que je relirai jusqu’à ma mort et qui ne sera lu par personne autre que moi.

J’employai les jours qui suivirent à achever l’inventaire des manuscrits de la bibliothèque de Lusance. Quelques mots confidentiels qui échappèrent à M. Paul de Gabry me causèrent une surprise pénible et me déterminèrent à conduire mon travail autrement que je ne l’avais commencé. J’appris de lui que la fortune de M. Honoré de Gabry, mal gérée depuis longtemps et emportée en grande partie par la faillite d’un banquier dont il me tut le nom, n’était transmise aux héritiers de l’ancien pair de France que sous la forme d’immeubles hypothéqués et de créances irrécouvrables.

M. Paul, d’accord avec ses cohéritiers, était décidé à vendre la bibliothèque, et je dus rechercher les moyens d’opérer cette vente le plus avantageusement possible. Étranger comme je le suis à tout négoce et trafic, je résolus de prendre conseil d’un libraire de mes amis. Je lui écrivis de me venir trouver à Lusance et, en attendant sa venue, je pris ma canne et mon chapeau et m’en allai visiter les églises du diocèse, dont quelques-unes renferment des inscriptions funéraires qui n’ont pas encore été relevées correctement.

Je quittai donc mes hôtes et partis en pèlerinage. Explorant tout le jour les églises et les cimetières, visitant les curés et les tabellions de village, soupant à l’auberge avec les colporteurs et les marchands de bestiaux, couchant dans des draps parfumés de lavande, je goûtai pendant une semaine entière un plaisir calme et profond à voir, tout en songeant aux morts, les vivants accomplir leur travail quotidien. Je ne fis, en ce qui concerne l’objet de mes recherches, que des découvertes médiocres qui me causèrent une joie modérée et par cela même salubre et nullement fatigante. Je relevai quelques épitaphes intéressantes et j’ajoutai à ce petit trésor plusieurs recettes de cuisine rustique dont un bon curé voulut bien me faire part.

Ainsi enrichi, je retournai à Lusance et je traversai la cour d’honneur avec l’intime satisfaction d’un bourgeois qui rentre chez lui. C’est là un effet de la bonté de mes hôtes, et l’impression que je ressentis alors sur leur seuil prouve mieux que tous les raisonnements l’excellence de leur hospitalité.

J’entrai jusque dans le grand salon sans rencontrer personne, et le jeune marronnier qui étendait là ses grandes feuilles me fit l’effet d’un ami. Mais ce que je vis ensuite sur la console me causa une telle surprise que je rajustai à deux mains mes besicles sur mon nez et que je me tâtai pour me redonner une notion au moins superficielle de ma propre existence. Il me vint à l’esprit, en une seconde, une vingtaine d’idées dont la plus soutenable fut que j’étais devenu fou. Il me semblait impossible que ce que je voyais existât, et il m’était impossible de ne pas le voir comme une chose existante. Ce qui causait ma surprise reposait, comme j’ai dit, sur la console, que surmontait une glace plombée et piquée.

Je m’aperçus dans cette glace, et je puis dire que j’ai vu une fois en ma vie l’image accomplie de la stupéfaction. Mais je me donnai raison à moi-même et je m’approuvai d’être stupéfait d’une chose stupéfiante.

L’objet, que j’examinais avec un étonnement que la réflexion ne diminuait pas, s’imposait à mon examen dans une entière immobilité. La persistance et la fixité du phénomène excluaient toute idée d’hallucination. Je suis totalement exempt des affections nerveuses qui perturbent le sens de la vue. La cause en est généralement due à des désordres stomacaux, et je suis pourvu, Dieu merci! d’un excellent estomac. D’ailleurs, les illusions de la vue sont accompagnées de circonstances particulières et anormales qui frappent les hallucinés eux-mêmes et leur inspirent une sorte d’effroi. Or, je n’éprouvais rien de semblable, et l’objet que je voyais, bien qu’impossible en soi, m’apparaissait dans toutes les conditions de la réalité naturelle. Je remarquais qu’il avait trois dimensions et des couleurs et qu’il portait ombre. Ah! si je l’examinais! Les larmes m’en vinrent aux yeux, et je dus essuyer les verres de mes lunettes.

Enfin il fallut me rendre à l’évidence et constater que j’avais devant les yeux, la fée, la fée que j’avais rêvée l’autre soir dans la bibliothèque. C’était elle, c’était elle, vous dis-je! Elle avait encore son air de reine enfantine, son attitude souple et fière; elle tenait dans la main sa baguette de coudrier; elle portait le hennin à deux cornes, et la queue de la robe de brocart serpentait autour de ses petits pieds. Même visage, même taille. C’est bien elle, et, pour qu’on ne s’y trompât pas, elle était assise sur le dos d’un vieux et gros bouquin tout semblable à la Chronique de Nuremberg . Son immobilité me rassurait à demi, et je craignis en vérité qu’elle ne tirât encore des noisettes de son aumônière pour m’en jeter les coquilles au visage.

Je restais là, bras ballants et bouche bée, quand la voix de madame de Gabry résonna à mon oreille.

– Vous examinez votre fée, monsieur Bonnard, me dit mon hôtesse; eh bien! la trouvez-vous ressemblante?

Cela fut vite dit; mais, en l’entendant, j’eus le temps de reconnaître que ma fée était une statuette modelée en cires colorées, avec beaucoup de goût et de sentiment, par une main encore inexpérimentée. Le phénomène, ainsi ramené à une interprétation rationnelle, ne laissait pas de me surprendre encore. Comment et par qui la dame de la Chronique était-elle parvenue à une existence matérielle? C’est ce qu’il me tardait d’apprendre.

Me tournant vers madame de Gabry, je m’aperçus qu’elle n’était pas seule. Une jeune fille vêtue de noir se tenait près d’elle. Elle avait des yeux d’un gris aussi doux que le ciel de l’Île-de-France, et d’une expression à la fois intelligente et naïve. Au bout de ses bras un peu grêles se tourmentaient deux mains déliées, mais rouges, comme il convient à des mains de jeune fille. Prise dans sa robe de mérinos, elle était tout d’un jet comme un jeune arbre, et sa grande bouche annonçait la franchise. Je ne puis dire combien cette enfant me plut tout d’abord. Elle n’était pas belle, mais les trois fossettes de ses joues et de son menton riaient, et toute sa personne, qui gardait la gaucherie de l’innocence, avait je ne sais quoi de brave et de bon.

Mes regards allaient de la statuette à la fillette et je vis celle-ci rougir, mais franchement, largement, à flot.

– Eh bien, me dit mon hôtesse, qui, accoutumée à mes distractions, me faisait volontiers deux fois la même question, est-ce là véritablement la dame qui, pour vous voir, entra par la fenêtre que vous aviez laissée ouverte? Elle fut bien effrontée, mais vous bien imprudent. Enfin la reconnaissez-vous?

– C’est elle, répondis-je, et je la revois sur cette console telle que je la vis sur la table de la bibliothèque.

– S’il en est ainsi, répondit madame de Gabry, prenez-vous-en de cette ressemblance à vous d’abord, qui, pour un homme dénué de toute imagination, comme vous dites être, savez peindre vos songes sous de vives couleurs; à moi ensuite, qui retins et sus redire fidèlement votre rêve, et enfin et surtout à mademoiselle Jeanne, qui a, sur mes indications précises, modelé la cire que vous voyez là.

Madame de Gabry avait pris, en parlant, la main de la jeune fille, mais celle-ci s’était dégagée et fuyait déjà dans le parc.

Madame de Gabry la rappela:

– Jeanne!… Peut-on être sauvage à ce point! Venez qu’on vous gronde!

Mais rien ne fit, et l’effarouchée disparut dans le feuillage. Madame de Gabry s’assit dans le seul fauteuil qui restât au salon délabré.

– Je serais bien surprise, me dit-elle, si mon mari ne vous avait pas déjà parlé de Jeanne. Nous l’aimons beaucoup, et c’est une excellente enfant. Dites vrai, comment trouvez-vous sa statuette?

Je répondis que c’était un ouvrage plein d’esprit et de goût, mais qu’il manquait à l’auteur l’étude et la pratique; qu’au reste j’étais touché au possible de ce que de jeunes doigts eussent brodé de la sorte sur le canevas d’un bonhomme et figuré d’une façon si brillante les songeries d’un vieux radoteur.

– Si je vous demande ainsi votre avis, reprit madame de Gabry, c’est que Jeanne est une pauvre orpheline. Croyez-vous qu’elle puisse gagner quelque argent à faire des statuettes comme celle-ci?

– Pour cela, non! répondis-je; et il n’y a pas trop à le regretter. Cette demoiselle est, dites-vous, affectueuse et tendre; je vous en crois et j’en crois son visage. La vie d’artiste a des entraînements qui font sortir de la règle et de la mesure les âmes généreuses. Cette jeune créature est pétrie d’une argile aimante. Mariez-la.

– Mais elle n’a pas de dot! me répondit madame de Gabry.

Puis, baissant un peu la voix:

– À vous, monsieur Bonnard, je puis tout dire. Le père de cette enfant était un financier bien connu. Il montait de grandes affaires. Il avait l’esprit aventureux et séduisant. Ce n’était pas un malhonnête homme: il se trompait lui-même avant de tromper les autres. Et c’est encore là, peut-être, la plus grande habileté. Nous étions en relations fréquentes avec lui. Il nous ensorcela tous, mon mari, mon oncle, mes cousins. Son effondrement fut subit. Dans ce désastre, la fortune de mon oncle – Paul vous l’a dit – sombra aux trois quarts. Nous fûmes beaucoup moins atteints, et, puisque nous n’avons pas d’enfants!… Il mourut peu de temps après sa ruine, ne laissant absolument rien; c’est ce qui me fait dire qu’il était probe. Vous devez connaître son nom, qu’on a vu dans les journaux: Noël Alexandre. Sa femme était fort aimable; je crois qu’elle avait été jolie. Elle aimait un peu trop paraître. Mais elle montra du courage et de la dignité lors de la ruine de son mari. Elle mourut un an après lui, laissant Jeanne seule au monde. Elle n’avait rien pu sauver de sa fortune personnelle, qui était assez belle. Madame Noël Alexandre était une Allier, la fille d’Achille Allier, de Nevers.

– La fille de Clémentine! m’écriai-je. Clémentine est morte et sa fille est morte! L’humanité se compose presque tout entière des morts, tant c’est peu que les vivants au regard de la multitude de ceux qui ont vécu. Qu’est-ce donc que cette vie, plus brève que la brève mémoire des hommes!

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