145
Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées qui font voir par contrecoup en ceux que nous louons des défauts que nous n'osons découvrir d'une autre sorte.
146
On ne loue d'ordinaire que pour être loué.
147
Peu de gens sont assez sages pour préférer le blâme qui leur est utile à la louange qui les trahit.
148
Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui médisent.
149
Le refus des louanges est un désir d'être loué deux fois.
150
Le désir de mériter les louanges qu'on nous donne fortifie notre vertu; et celles que l'on donne à l'esprit, à la valeur, et à la beauté contribuent à les augmenter.
151
Il est plus difficile de s'empêcher d'être gouverné que de gouverner les autres.
152
Si nous ne nous flattions point nous-mêmes, la flatterie des autres ne nous pourrait nuire.
153
La nature fait le mérite, et la fortune le met en œuvre.
154
La fortune nous corrige de plusieurs défauts que la raison ne saurait corriger.
155
Il y a des gens dégoûtants avec du mérite, et d'autres qui plaisent avec des défauts.
156
Il y a des gens dont tout le mérite consiste à dire et à faire des sottises utilement, et qui gâteraient tout s'ils changeaient de conduite.
157
La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux moyens dont ils se sont servis pour l'acquérir.
158
La flatterie est une fausse monnaie qui n'a de cours que par notre vanité.
159
Ce n'est pas assez d'avoir de grandes qualités; il en faut avoir l'économie.
160
Quelque éclatante que soit une action, elle ne doit pas passer pour grande lorsqu'elle n'est pas l'effet d'un grand dessein.
161
Il doit y avoir une certaine proportion entre les actions et les desseins si on en veut tirer tous les effets qu'elles peuvent produire.
162
L'art de savoir bien mettre en œuvre de médiocres qualités dérobe l'estime et donne souvent plus de réputation que le véritable mérite.
163
Il y a une infinité de conduites qui paraissent ridicules, et dont les raisons cachées sont très sages et très solides.
164
Il est plus facile de paraître digne des emplois qu'on n'a pas que de ceux que l'on exerce.
165
Notre mérite nous attire l'estime des honnêtes gens, et notre étoile celle du public.
166
Le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même.
167
L'avarice est plus opposée à l'économie que la libéralité.
168
L'espérance, toute trompeuse qu'elle est, sert au moins à nous mener à la fin de la vie par un chemin agréable.
169
Pendant que la paresse et la timidité nous retiennent dans notre devoir, notre vertu en a souvent tout l'honneur.
170
Il est difficile de juger si un procédé net, sincère et honnête est un effet de probité ou d'habileté.
171
Les vertus se perdent dans l'intérêt, comme les fleuves se perdent dans la mer.
172
Si on examine bien les divers effets de l'ennui, on trouvera qu'il fait manquer à plus de devoirs que l'intérêt.
173
Il y a diverses sortes de curiosité: l'une d'intérêt, qui nous porte à désirer d'apprendre ce qui nous peut être utile, et l'autre d'orgueil, qui vient du désir de savoir ce que les autres ignorent.
174
Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu'à prévoir celles qui nous peuvent arriver.
175
La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre cœur s'attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons, donnant tantôt la préférence à l'une, tantôt à l'autre; de sorte que cette constance n'est qu'une inconstance arrêtée et renfermée dans un même sujet.
176
Il y a deux sortes de constance en amour: l'une vient de ce que l'on trouve sans cesse dans la personne que l'on aime de nouveaux sujets d'aimer, et l'autre vient de ce que l'on se fait un honneur d'être constant.
177
La persévérance n'est digne ni de blâme ni de louange, parce qu'elle n'est que la durée des goûts et des sentiments, qu'on ne s'ôte et qu'on ne se donne point.
178
Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances n'est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles ou le plaisir de changer, que le dégoût de n'être pas assez admirés de ceux qui nous connaissent trop, et l'espérance de l'être davantage de ceux qui ne nous connaissent pas tant.
179
Nous nous plaignons quelquefois légèrement de nos amis pour justifier par avance notre légèreté.
180
Notre repentir n'est pas tant un regret du mal que nous avons fait, qu'une crainte de celui qui nous en peut arriver.
181
Il y a une inconstance qui vient de la légèreté de l'esprit ou de sa faiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d'autrui, et il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dégoût des choses.
182
Les vices entrent dans la composition des vertus comme les poisons entrent dans la composition des remèdes. La prudence les assemble et les tempère, et elle s'en sert utilement contre les maux de la vie.
183
Il faut demeurer d'accord à l'honneur de la vertu que les plus grands malheurs des hommes sont ceux où ils tombent par les crimes.
184
Nous avouons nos défauts pour réparer par notre sincérité le tort qu'ils nous font dans l'esprit des autres.
185
Il y a des héros en mal comme en bien.
186
On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices; mais on méprise tous ceux qui n'ont aucune vertu.
187
Le nom de la vertu sert à l'intérêt aussi utilement que les vices.
188
La santé de l'âme n'est pas plus assurée que celle du corps; et quoique l'on paraisse éloigné des passions, on n'est pas moins en danger de s'y laisser emporter que de tomber malade quand on se porte bien.
189
Il semble que la nature ait prescrit à chaque homme dès sa naissance des bornes pour les vertus et pour les vices.
190
Il n'appartient qu'aux grands hommes d'avoir de grands défauts.
191
On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la vie comme des hôtes chez qui il faut successivement loger; et je doute que l'expérience nous les fît éviter s'il nous était permis de faire deux fois le même chemin.
192
Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la créance que c'est nous qui les quittons.
193
Il y a des rechutes dans les maladies de l'âme, comme dans celles du corps. Ce que nous prenons pour notre guérison n'est le plus souvent qu'un relâche ou un changement de mal.
194
Les défauts de l'âme sont comme les blessures du corps: quelque soin qu'on prenne de les guérir, la cicatrice paraît toujours, et elles sont à tout moment en danger de se rouvrir.
195
Ce qui nous empêche souvent de nous abandonner à un seul vice est que nous en avons plusieurs.
196
Nous oublions aisément nos fautes lorsqu'elles ne sont sues que de nous.
197
Il y a des gens de qui l'on peut ne jamais croire du mal sans l'avoir vu; mais il n'y en a point en qui il nous doive surprendre en le voyant.
198
Nous élevons la gloire des uns pour abaisser celle des autres. Et quelquefois on louerait moins Monsieur le Prince et M. de Turenne si on ne les voulait point blâmer tous deux.
199
Le désir de paraître habile empêche souvent de le devenir.
200
La vertu n'irait pas si loin si la vanité ne lui tenait compagnie.
201
Celui qui croit pouvoir trouver en soi-même de quoi se passer de tout le monde se trompe fort; mais celui qui croit qu'on ne peut se passer de lui se trompe encore davantage.
202
Les faux honnêtes gens sont ceux qui déguisent leurs défauts aux autres et à eux-mêmes. Les vrais honnêtes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent.
203
Le vrai honnête homme est celui qui ne se pique de rien.
204
La sévérité des femmes est un ajustement et un fard qu'elles ajoutent à leur beauté.
205
L'honnêteté des femmes est souvent l'amour de leur réputation et de leur repos.
206
C'est être véritablement honnête homme que de vouloir être toujours exposé à la vue des honnêtes gens.
207
La folie nous suit dans tous les temps de la vie. Si quelqu'un paraît sage, c'est seulement parce que ses folies sont proportionnées à son âge et à sa fortune.
208
Il y a des gens niais qui se connaissent, et qui emploient habilement leur niaiserie.
209
Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit.
210
En vieillissant on devient plus fou, et plus sage.
211
Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, qu'on ne chante qu'un certain temps.
212
La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue qu'ils ont, ou par leur fortune.
213
L'amour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein de faire fortune, le désir de rendre notre vie commode et agréable, et l'envie d'abaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur si célèbre parmi les hommes.
214
La valeur est dans les simples soldats un métier périlleux qu'ils ont pris pour gagner leur vie.
215
La parfaite valeur et la poltronnerie complète sont deux extrémités où l'on arrive rarement. L'espace qui est entre-deux est vaste, et contient toutes les autres espèces de courage: il n'y a pas moins de différence entre elles qu'entre les visages et les humeurs. Il y a des hommes qui s'exposent volontiers au commencement d'une action, et qui se relâchent et se rebutent aisément par sa durée. Il y en a qui sont contents quand ils ont satisfait à l'honneur du monde, et qui font fort peu de chose au-delà. On en voit qui ne sont pas toujours également maîtres de leur peur. D'autres se laissent quelquefois entraîner à des terreurs générales. D'autres vont à la charge parce qu'ils n'osent demeurer dans leurs postes. Il s'en trouve à qui l'habitude des moindres périls affermit le courage et les prépare à s'exposer à de plus grands. Il y en a qui sont braves à coups d'épée, et qui craignent les coups de mousquet; d'autres sont assurés aux coups de mousquet, et appréhendent de se battre à coups d'épée. Tous ces courages de différentes espèces conviennent en ce que la nuit augmentant la crainte et cachant les bonnes et les mauvaises actions, elle donne la liberté de se ménager. Il y a encore un autre ménagement plus général; car on ne voit point d'homme qui fasse tout ce qu'il serait capable de faire dans une occasion s'il était assuré d'en revenir. De sorte qu'il est visible que la crainte de la mort ôte quelque chose de la valeur.
216
La parfaite valeur est de faire sans témoins ce qu'on serait capable de faire devant tout le monde.