Les Contemplations - Hugo Victor 6 стр.


Une feuille de vigne à l’astre dans l’azur?

Le flot, conque d’amour, est-il d’un goût peu sûr?

Ô Virgile, Pindare, Orphée! est-ce qu’on gaze,

Comme une obscénité, les ailes de Pégase,

Qui semble, les ouvrant au haut du mont béni,

L’immense papillon du baiser infini?

Est-ce que le soleil splendide est un cynique?

La fleur a-t-elle tort d’écarter sa tunique?

Calliope, planant derrière un pan des cieux,

Fait donc mal de montrer à Dante soucieux

Ses seins éblouissants à travers les étoiles?

Vous êtes un ancien d’hier. Libre et sans voiles,

Le grand Olympe nu vous ferait dire: Fi!

Vous mettez une jupe au Cupidon bouffi;

Au clinquant, aux neuf sœurs en atours, au Parnasse

De Titon du Tillet, votre goût est tenace;

Les Ménades pour vous danseraient le cancan;

Apollon vous ferait l’effet d’un Mohican;

Vous prendriez Vénus pour une sauvagesse.

L’âge – c’est là souvent toute notre sagesse -

A beau vous bougonner tout bas: «Vous avez tort,

«Vous vous ferez tousser si vous criez si fort;

«Pour quelques nouveautés sauvages et fortuites,

«Monsieur, ne troublez pas la paix de vos pituites.

«Ces gens-ci vont leur train; qu’est-ce que ça vous fait?

«Ils ne trouvent que cendre au feu qui vous chauffait.

«Pourquoi déclarez-vous la guerre à leur tapage?

«Ce siècle est libéral comme vous fûtes page.

«Fermez bien vos volets, tirez bien vos rideaux,

«Soufflez votre chandelle, et tournez-lui le dos!

«Qu’est l’âme du vrai sage? Une sourde-muette.

«Que vous importe, à vous, que tel ou tel poëte,

«Comme l’oiseau des cieux, veuille avoir sa chanson;

«Et que tel garnement du Pinde, nourrisson

«Des Muses, au milieu d’un bruit de corybante,

«Marmot sombre, ait mordu leur gorge un peu tombante?»

Vous n’en tenez nul compte, et vous n’écoutez rien.

Voltaire, en vain, grand homme et peu voltairien,

Vous murmure à l’oreille: «Ami, tu nous assommes!»

– Vous écumez! – partant de ceci: que nous, hommes

De ce temps d’anarchie et d’enfer, nous donnons

L’assaut au grand Louis juché sur vingt grands noms;

Vous dites qu’après tout nous perdons notre peine,

Que haute est l’escalade et courte notre haleine;

Que c’est dit, que jamais nous ne réussirons;

Que Batteux nous regarde avec ses gros yeux ronds,

Que Tancrède est de bronze et qu’Hamlet est de sable.

Vous déclarez Boileau perruque indéfrisable;

Et, coiffé de lauriers, d’un coup d’œil de travers,

Vous indiquez le tas d’ordures de nos vers,

Fumier où la laideur de ce siècle se guinde

Au pauvre vieux bon goût, ce balayeur du Pinde;

Et même, allant plus loin, vaillant, vous nous criez:

«Je vais vous balayer moi-même!»

Balayez.

Paris, novembre 1834.

XXVII .

Oui, je suis le rêveur; je suis le camarade

Des petites fleurs d’or du mur qui se dégrade,

Et l’interlocuteur des arbres et du vent.

Tout cela me connaît, voyez-vous. J’ai souvent,

En mai, quand de parfums les branches sont gonflées,

Des conversations avec les giroflées;

Je reçois des conseils du lierre et du bleuet.

L’être mystérieux, que vous croyez muet,

Sur moi se penche, et vient avec ma plume écrire.

J’entends ce qu’entendit Rabelais; je vois rire

Et pleurer; et j’entends ce qu’Orphée entendit.

Ne vous étonnez pas de tout ce que me dit

La nature aux soupirs ineffables. Je cause

Avec toutes les voix de la métempsycose.

Avant de commencer le grand concert sacré,

Le moineau, le buisson, l’eau vive dans le pré,

La forêt, basse énorme, et l’aile et la corolle,

Tous ces doux instruments, m’adressent la parole;

Je suis l’habitué de l’orchestre divin;

Si je n’étais songeur, j’aurais été sylvain.

J’ai fini, grâce au calme en qui je me recueille,

À force de parler doucement à la feuille,

À la goutte de pluie, à la plume, au rayon,

Par descendre à ce point dans la création,

Cet abîme où frissonne un tremblement farouche,

Que je ne fais plus même envoler une mouche!

Le brin d’herbe, vibrant d’un éternel émoi,

S’apprivoise et devient familier avec moi,

Et, sans s’apercevoir que je suis là, les roses

Font avec les bourdons toutes sortes de choses;

Quelquefois, à travers les doux rameaux bénis,

J’avance largement ma face sur les nids,

Et le petit oiseau, mère inquiète et sainte,

N’a pas plus peur de moi que nous n’aurions de crainte,

Nous, si l’œil du bon Dieu regardait dans nos trous;

Le lis prude me voit approcher sans courroux,

Quand il s’ouvre aux baisers du jour; la violette

La plus pudique fait devant moi sa toilette;

Je suis pour ces beautés l’ami discret et sûr;

Et le frais papillon, libertin de l’azur,

Qui chiffonne gaîment une fleur demi-nue,

Si je viens à passer dans l’ombre, continue,

Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon,

Il lui dit: «Es-tu bête! Il est de la maison.»

Les Roches, août 1835.

XXVIII .

Il faut que le poëte, épris d’ombre et d’azur,

Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,

Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,

Chanteur mystérieux qu’en tressaillant écoutent

Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,

Devienne formidable à de certains moments.

Parfois, lorsqu’on se met à rêver sur son livre,

Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,

Où l’âme, à chaque pas, trouve à faire son miel,

Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel;

Au milieu de cette humble et haute poésie,

Dans cette paix sacrée où croît la fleur choisie,

Où l’on entend couler les sources et les pleurs,

Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,

Volent chantant l’amour, l’espérance et la joie;

Il faut que, par instants, on frissonne, et qu’on voie

Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,

Un vers fauve sortir de l’ombre en rugissant!

Il faut que le poëte, aux semences fécondes,

Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,

Pleines de chants, amour du vent et du rayon,

Charmantes, où, soudain, l’on rencontre un lion.

Paris, mai 1842.

XXIX. Halte en marchant

Une brume couvrait l’horizon; maintenant,

Voici le clair midi qui surgit rayonnant;

Le brouillard se dissout en perles sur les branches,

Et brille, diamant, au collier des pervenches.

Le vent souffle à travers les arbres, sur les toits

Du hameau noir cachant ses chaumes dans les bois;

Et l’on voit tressaillir, épars dans les ramées,

Le vague arrachement des tremblantes fumées;

Un ruisseau court dans l’herbe, entre deux hauts talus,

Sous l’agitation des saules chevelus;

Un orme, un hêtre, anciens du vallon, arbres frères

Qui se donnent la main des deux rives contraires,

Semblent, sous le ciel bleu, dire: À la bonne foi!

L’oiseau chante son chant plein d’amour et d’effroi,

Et du frémissement des feuilles et des ailes;

L’étang luit sous le vol des vertes demoiselles.

Un bouge est là, montrant, dans la sauge et le thym,

Un vieux saint souriant parmi des brocs d’étain,

Avec tant de rayons et de fleurs sur la berge,

Que c’est peut-être un temple ou peut-être une auberge.

Que notre bouche ait soif, ou que ce soit le cœur,

Gloire au Dieu bon qui tend la coupe au voyageur!

Nous entrons. «Qu’avez-vous? – Des œufs frais, de l’eau fraîche.»

On croit voir l’humble toit effondré d’une crèche.

À la source du pré, qu’abrite un vert rideau,

Une enfant blonde alla remplir sa jarre d’eau,

Joyeuse et soulevant son jupon de futaine.

Pendant qu’elle plongeait sa cruche à la fontaine,

L’eau semblait admirer, gazouillant doucement,

Cette belle petite aux yeux de firmament.

Et moi, près du grand lit drapé de vieilles serges,

Pensif, je regardais un Christ battu de verges.

Eh! qu’importe l’outrage aux martyrs éclatants,

Affront de tous les lieux, crachat de tous les temps,

Vaine clameur d’aveugle, éternelle huée

Où la foule toujours s’est follement ruée!

Plus tard, le vagabond flagellé devient Dieu.

Ce front noir et saignant semble fait de ciel bleu,

Et, dans l’ombre, éclairant palais, temple, masure,

Le crucifix blanchit et Jésus-Christ s’azure.

La foule un jour suivra vos pas; allez, saignez,

Souffrez, penseurs, des pleurs de vos bourreaux baignés!

Le deuil sacre les saints, les sages, les génies;

La tremblante auréole éclôt aux gémonies,

Et, sur ce vil marais, flotte, lueur du ciel,

Du cloaque de sang feu follet éternel.

Toujours au même but le même sort ramène:

Il est, au plus profond de notre histoire humaine,

Une sorte de gouffre, où viennent, tour à tour,

Tomber tous ceux qui sont de la vie et du jour,

Les bons, les purs, les grands, les divins, les célèbres,

Flambeaux échevelés au souffle des ténèbres;

Là se sont engloutis les Dantes disparus,

Socrate, Scipion, Milton, Thomas Morus,

Eschyle, ayant aux mains des palmes frissonnantes.

Nuit d’où l’on voit sortir leurs mémoires planantes!

Car ils ne sont complets qu’après qu’ils sont déchus.

De l’exil d’Aristide au bûcher de Jean Huss,

Le genre humain pensif – c’est ainsi que nous sommes -

Rêve ébloui devant l’abîme des grands hommes.

Ils sont, telle est la loi des hauts destins penchant,

Tes semblables, soleil! leur gloire est leur couchant;

Et, fier Niagara dont le flot gronde et lutte,

Tes pareils: ce qu’ils ont de plus beau, c’est leur chute.

Un de ceux qui liaient Jésus-Christ au poteau,

Et qui, sur son dos nu, jetaient un vil manteau,

Arracha de ce front tranquille une poignée

De cheveux qu’inondait la sueur résignée,

Et dit: «Je vais montrer à Caïphe cela!»

Et, crispant son poing noir, cet homme s’en alla.

La nuit était venue et la rue était sombre;

L’homme marchait; soudain, il s’arrêta dans l’ombre,

Stupéfait, pâle, et comme en proie aux visions,

Frémissant! – Il avait dans la main des rayons.

Forêt de Compiègne, juin 1837.

LIVRE DEUXIÈME. L’ÂME EN FLEUR

I. Premier Mai

Tout conjugue le verbe aimer. Voici les roses.

Je ne suis pas en train de parler d’autres choses;

Premier mai! l’amour gai, triste, brûlant, jaloux,

Fait soupirer les bois, les nids, les fleurs, les loups;

L’arbre où j’ai, l’autre automne, écrit une devise,

La redit pour son compte, et croit qu’il l’improvise;

Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,

Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en cœur;

L’atmosphère, embaumée et tendre, semble pleine

Des déclarations qu’au Printemps fait la plaine,

Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant.

À chaque pas du jour dans le bleu firmament,

La campagne éperdue, et toujours plus éprise,

Prodigue les senteurs, et, dans la tiède brise,

Envoie au renouveau ses baisers odorants;

Tous ses bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,

Dont l’haleine s’envole en murmurant: Je t’aime!

Sur le ravin, l’étang, le pré, le sillon même,

Font des taches partout de toutes les couleurs;

Et, donnant les parfums, elle a gardé les fleurs;

Comme si ses soupirs et ses tendres missives

Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,

Et tous les billets doux de son amour bavard,

Avaient laissé leur trace aux pages du buvard!

Les oiseaux dans les bois, molles voix étouffées,

Chantent des triolets et des rondeaux aux fées;

Tout semble confier à l’ombre un doux secret;

Tout aime, et tout l’avoue à voix basse; on dirait

Qu’au nord, au sud brûlant, au couchant, à l’aurore,

La haie en fleur, le lierre et la source sonore,

Les monts, les champs, les lacs et les chênes mouvants,

Répètent un quatrain fait par les quatre vents.

Saint-Germain, 1er mai 18…

II .

Mes vers fuiraient, doux et frêles,

Vers votre jardin si beau,

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’oiseau.

Ils voleraient, étincelles,

Vers votre foyer qui rit,

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’esprit.

Près de vous, purs et fidèles,

Ils accourraient nuit et jour,

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’amour.

Paris, mars 18…

III. Le rouet d’Omphale

Il est dans l’atrium, le beau rouet d’ivoire.

La roue agile est blanche, et la quenouille est noire;

La quenouille est d’ébène incrusté de lapis.

Il est dans l’atrium sur un riche tapis.

Un ouvrier d’Égine a sculpté sur la plinthe

Europe, dont un dieu n’écoute pas la plainte.

Le taureau blanc l’emporte. Europe, sans espoir,

Crie, et baissant les yeux, s’épouvante de voir

L’Océan monstrueux qui baise ses pieds roses.

Des aiguilles, du fil, des boîtes demi-closes,

Les laines de Milet, peintes de pourpre et d’or,

Emplissent un panier près du rouet qui dort.

Cependant, odieux, effroyables, énormes,

Dans le fond du palais, vingt fantômes difformes,

Vingt monstres tout sanglants, qu’on ne voit qu’à demi,

Errent en foule autour du rouet endormi:

Le lion néméen, l’hydre affreuse de Lerne,

Cacus, le noir brigand de la noire caverne,

Le triple Géryon, et les typhons des eaux,

Qui, le soir, à grand bruit, soufflent dans les roseaux;

De la massue au front tous ont l’empreinte horrible

Et tous, sans approcher, rôdant d’un air terrible,

Sur le rouet, où pend un fil souple et lié,

Fixent de loin, dans l’ombre, un œil humilié.

Juin, 18…

IV. Chanson

Si vous n’avez rien à me dire,

Pourquoi venir auprès de moi?

Pourquoi me faire ce sourire

Qui tournerait la tête au roi?

Si vous n’avez rien à me dire,

Pourquoi venir auprès de moi?

Si vous n’avez rien à m’apprendre,

Pourquoi me pressez-vous la main?

Sur le rêve angélique et tendre,

Auquel vous songez en chemin,

Si vous n’avez rien à m’apprendre,

Pourquoi me pressez-vous la main?

Si vous voulez que je m’en aille,

Pourquoi passez-vous par ici?

Lorsque je vous vois, je tressaille:

C’est ma joie et c’est mon souci.

Si vous voulez que je m’en aille,

Pourquoi passez-vous par ici?

Mai, 18…

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