Les Infortunes De La Vertu - de Sade Marquis Alphonse Francois 2 стр.


– Ma foi, monsieur, répondit l’alguazil, on l’accuse de trois ou quatre crimes énormes, il s’agit de vol, de meurtre et d’incendie, mais je vous avoue que mon camarade et moi n’avons jamais conduit de criminel avec autant de répugnance; c’est la créature la plus douce et qui paraît la plus honnête…

– Ah, ah, dit M. de Corville, ne pourrait-il pas y avoir là quelqu’une de ces bévues ordinaires aux tribunaux subalternes? Et où s’est commis le délit?

– Dans une auberge à trois lieues de Lyon, c’est Lyon qui l’a jugée, elle va à Paris pour la confirmation de la sentence, et reviendra pour être exécutée à Lyon.

Mme de Lorsange qui s’était approchée et qui entendait le récit, témoigna tout bas à M. de Corville le désir qu’elle aurait d’entendre de la bouche de cette fille l’histoire de ses malheurs et M. de Corville qui concevait aussi le même désir en fit part aux conducteurs de cette fille, en se faisant connaître à eux; ceux-ci ne s’y opposèrent point, on décida qu’il fallait passer la nuit à Montargis, on demanda un appartement commode auprès duquel il y en eût un pour les cavaliers, M. de Corville répondit de la prisonnière, on la délia, elle passa dans l’appartement de M. de Corville et de Mme de Lorsange, les gardes soupèrent et couchèrent auprès, et quand on eut fait prendre un peu de nourriture à cette malheureuse, Mme de Lorsange qui ne pouvait s’empêcher de prendre à elle le plus vif intérêt, et qui sans doute se disait à elle-même: «Cette misérable créature peut-être innocente est traitée comme une criminelle, tandis que tout prospère autour de moi – de moi qui la suis sûrement bien plus qu’elle» – Mme de Lorsange, dis-je, dès qu’elle vit cette jeune fille un peu remise, un peu consolée des caresses qu’on lui faisait et de l’intérêt qu’on paraissait prendre à elle, l’engagea de raconter par quel événement avec un air aussi honnête et aussi sage elle se trouvait dans une aussi funeste circonstance.

– Vous raconter l’histoire de ma vie, madame, dit cette belle infortunée en s’adressant à la comtesse, est vous offrir l’exemple le plus frappant des malheurs de l’innocence. C’est accuser la providence, c’est s’en plaindre, c’est une espèce de crime et je ne l’ose pas…

Des pleurs coulèrent alors avec abondance des yeux de cette pauvre fille, et après leur avoir donné cours un instant elle commença son récit dans ces termes.

– Vous me permettrez de cacher mon nom et ma naissance, madame, sans être illustre, elle est honnête, et je n’étais pas destinée à l’humiliation, d’où la plus grande partie de mes malheurs sont nés. Je perdis mes parents fort jeune, je crus avec le peu de secours qu’ils m’avaient laissé pouvoir attendre une place honnête et refusant constamment toutes celles qui ne l’étaient pas, je mangeai sans m’en apercevoir le peu qui m’était échu; plus je devenais pauvre, plus j’étais méprisée; plus j’avais besoin de secours, moins j’espérais d’en obtenir ou plus il m’en était offert d’indignes et d’ignominieux. De toutes les duretés que j’éprouvai dans cette malheureuse situation, de tous les propos horribles qui me furent tenus, je ne vous citerai que ce qui m’arriva chez M. Dubourg, l’un des plus riches traitants de la capitale. On m’avait adressée à lui comme à un des hommes dont le crédit et la richesse pouvaient le plus sûrement adoucir mon sort, mais ceux qui m’avaient donné ce conseil, ou voulaient me tromper, ou ne connaissaient pas la dureté de l’âme de cet homme et la dépravation de ses mœurs. Après avoir attendu deux heures dans son antichambre, on m’introduisit enfin; M. Dubourg, âgé d’environ quarante-cinq ans, venait de sortir de son lit, entortillé dans une robe flottante qui cachait à peine son désordre; on s’apprêtait à le coiffer, il fit retirer son valet de chambre et me demanda ce que je lui voulais.

– Hélas, monsieur, lui répondis-je, je suis une pauvre orpheline qui n’ai pas encore atteint l’âge de quatorze ans et qui connais déjà toutes les nuances de l’infortune. Alors je lui détaillai mes revers, la difficulté de rencontrer une place, le malheur que j’avais eu de manger le peu que je possédais pour en chercher, les refus éprouvés, la peine même que j’avais à trouver de l’ouvrage ou en boutique ou dans ma chambre, et l’espoir où j’étais qu’il me faciliterait les moyens de vivre.

Après m’avoir écoutée avec assez d’attention, M. Dubourg me demanda si j’avais toujours été sage.

– Je ne serais ni si pauvre, ni si embarrassée, monsieur, lui dis-je, si j’avais voulu cesser de l’être.

– Mon enfant, me dit-il à cela, et à quel titre prétendez-vous que l’opulence vous soulage quand vous ne lui servirez à rien?

– Servir, monsieur, je ne demande que cela.

– Les services d’une enfant comme vous sont peu utiles dans une maison, ce n’est pas ceux-là que j’entends, vous n’êtes ni d’âge, ni de tournure à vous placer comme vous le demandez, mais vous pouvez avec un rigorisme moins ridicule prétendre à un sort honnête chez tous les libertins. Et ce n’est que là où vous devez tendre; cette vertu dont vous faites tant étalage, ne sert à rien dans le monde, vous aurez beau en faire parade, vous ne trouverez pas un verre d’eau dessus. Des gens comme nous qui faisons tant que de faire l’aumône, c’est-à-dire une des choses où nous nous livrons le moins et qui nous répugne le plus, veulent être dédommagés de l’argent qu’ils sortent de leur poche, et qu’est-ce qu’une petite fille comme vous peut donner en acquittement de ces secours, si ce n’est l’abandon le plus entier de tout ce qu’on veut bien exiger d’elle?

– Oh monsieur, il n’y a donc plus ni bienfaisance, ni sentiments honnêtes dans le cœur des hommes?

– Fort peu, mon enfant, fort peu, on est revenu de cette manie d’obliger gratuitement les autres; l’orgueil peut-être en était un instant flatté, mais comme il n’y a rien de si chimérique et de sitôt dissipé que ses jouissances, on en a voulu de plus réelles, et on a senti qu’avec une petite fille comme vous par exemple il valait infiniment mieux retirer pour finit de ses avances tous les plaisirs que le libertinage peut donner que de s’enorgueillir de lui avoir fait l’aumône.

La réputation d’un homme libéral, aumônier, généreux, ne vaut pas pour moi la plus légère sensation des plaisirs que vous pouvez me donner, moyen en quoi d’accord sur cela avec presque tous les gens de mes goûts et de mon âge, vous trouverez bon, mon enfant, que je ne vous secoure qu’en raison de votre obéissance à tout ce qu’il me plaira d’exiger de vous.

– Quelle dureté, monsieur, quelle dureté! Croyez-vous que le ciel ne vous en punira pas?

– Apprends, petite novice, que le ciel est la chose du monde qui nous intéresse le moins; que ce que nous faisons sur la terre lui plaise ou non, c’est la chose du monde qui nous inquiète le moins; trop certains de son peu de pouvoir sur les hommes, nous le bravons journellement sans frémir et nos passions n’ont vraiment de charme que quand elles transgressent le mieux ses intentions ou du moins ce que des sots nous assurent être tel, mais qui n’est dans le fond que la chaîne illusoire dont l’imposture a voulu captiver le plus fort.

– Eh monsieur, avec de tels principes, il faut donc que l’infortune périsse.

– Qu’importe? il y a plus de sujets qu’il n’en faut en France; le gouvernement qui voit tout en grand s’embarrasse fort peu des individus, pourvu que la machine se conserve.

– Mais croyez-vous que des enfants respectent leur père quand ils en sont maltraités?

– Que fait à un père qui a trop d’enfants l’amour de ceux qui ne lui sont d’aucun secours?

– Il vaudrait mieux qu’on nous eût étouffés en naissant.

– A peu près, mais laissons cette politique où tu ne dois rien comprendre. Pourquoi se plaindre du sort qu’il ne dépend que de soi de maîtriser?

– A quel prix, juste ciel!

– A celui d’une chimère, d’une chose qui n’a de valeur que celle que votre orgueil y met… mais laissons encore là cette thèse et ne nous occupons que de ce qui nous regarde ici tous les deux. vous faites grand cas de cette chimère, n’est-ce pas, et moi fort peu, moyen en quoi je vous l’abandonne; les devoirs que je vous imposerai, et pour lesquels vous recevrez une rétribution honnête, sans être excessive, seront d’un tout autre genre. Je vous mettrai auprès de ma gouvernante, vous la servirez et tous les matins devant moi, tantôt cette femme et tantôt mon valet de chambre vous soumettront…

Oh madame, comment vous rendre cette exécrable proposition? trop humiliée de me l’entendre faire, m’étourdissant pour ainsi dire, à l’instant qu’on en prononçait les mots… trop honteuse de les redire, votre bonté voudra bien y suppléer… Le cruel, il m’avait nommé les grands prêtres, et je devais servir de victime…

– Voilà tout ce que je puis pour vous, mon enfant, continua ce vilain homme en se levant avec indécence, et encore ne vous promets-je pour cette cérémonie toujours fort longue et fort épineuse, qu’un entretien de deux ans. vous en avez quatorze; à seize il vous sera libre de chercher fortune ailleurs, et jusque-là vous serez vêtue, nourrie et recevrez un louis par mois. C’est bien honnête, je n’en donnais pas tant à celle que vous remplacerez; il est vrai qu’elle n’avait pas comme vous cette intacte vertu dont vous faites tant de cas, et que je prise comme vous le voyez, environ cinquante écus par an, somme excédante de celle que touchait votre devancière. Réfléchissez-y donc bien, pensez surtout à l’état de misère où je vous prends, songez que dans le malheureux pays où vous êtes, il faut que ceux qui n’ont pas de quoi vivre souffrent pour en gagner, qu’à leur exemple vous souffrirez, j’en conviens, mais que vous gagnerez beaucoup davantage que la plus grande partie d’entre eux.

Les indignes propos de ce monstre avaient enflammé ses passions, il me saisit brutalement par le collet de ma robe et me dit qu’il allait pour cette première fois, me faire voir lui-même de quoi il s’agissait… Mais mon malheur me prêta du courage et des forces, je parvins à me dégager, et m’élançant vers la porte:

– Homme odieux, lui dis-je en m’échappant, puisse le ciel que tu offenses aussi cruellement te punir un jour comme tu le mérites de ton odieuse barbarie, tu n’es digne ni de ces richesses dont tu fais un si vil usage, ni de l’air même que tu respires dans un monde que souillent tes férocités.

Je retournais tristement chez moi absorbée dans ces réflexions tristes et sombres que font nécessairement naître la cruauté et la corruption des hommes, lorsqu’un rayon de prospérité sembla luire un instant à mes yeux. La femme chez qui je logeais, et qui connaissait mes malheurs, vint me dire qu’elle avait enfin trouvé une maison où l’on me recevrait avec plaisir pourvu que je m’y comportasse bien.

– Oh ciel, madame, lui dis-je en l’embrassant avec transport, cette condition est celle que je mettrais moi-même, jugez si je l’accepte avec plaisir.

L’homme que je devais servir était un vieil usurier qui, disait-on, s’était enrichi, non seulement en prêtant sur gages, mais même en volant impunément tout le monde chaque fois qu’il avait cru le pouvoir faire en sûreté. Il demeurait rue Quincampoix, à un premier étage, avec une vieille maîtresse qu’il appelait sa femme et pour le moins aussi méchante que lui.

– Sophie, me dit cet avare, à Sophie, c’était le nom que je m’étais donné pour cacher le mien, la première vertu qu’il faut dans ma maison, c’est la probité… si jamais vous détourniez d’ici la dixième partie d’un denier, je vous ferais pendre, voyez-vous, Sophie, mais pendre jusqu’à ce que vous n’en puissiez plus revenir. Si ma femme et moi jouissons de quelques douceurs dans notre vieillesse, c’est le finit de nos travaux immenses et de notre profonde sobriété… Mangez vous beaucoup, mon enfant?

– Quelques onces de pain par jour, monsieur, lui répondis-je, de l’eau, et un peu de soupe quand je suis assez heureuse pour en avoir.

– De la soupe, morbleu, de la soupe… regardez, ma mie, dit le vieil avare à sa femme, gémissez des progrès du luxe.

Depuis un an ça cherche condition, ça meurt de faim depuis un an et ça veut manger de la soupe. A peine le faisons-nous, une fois tous les dimanches, nous qui travaillons comme des forçats depuis quarante ans. vous aurez trois onces de pain par jour, ma fille, une demi-bouteille d’eau de rivière, une vieille robe de ma femme tous les dix-huit mois pour vous faire des jupons et trois écus de gages au bout de l’année si nous sommes contents de vos services, si votre économie répond à la nôtre et si vous faites enfin, par de l’ordre et de l’arrangement, un peu prospérer la maison. Notre service est peu de chose, vous êtes seule, il s’agit de frotter et de nettoyer trois fois la semaine cet appartement de six pièces, de faire le lit de ma femme et le mien, de répondre à la porte, de poudrer ma perruque, de coiffer ma femme, de soigner le chien, le chat et le perroquet, de veiller à la cuisine, d’en nettoyer les ustensiles qu’ils servent ou non, d’aider à ma femme quand elle nous fait un morceau à manger, et d’employer le reste du jour à faire du linge, des bas, des bonnets et autres petits meubles de ménage. vous voyez que ce n’est rien, Sophie, il vous restera bien du temps à vous, nous vous permettrons de l’employer pour votre compte et de faire également pour votre usage le linge et les vêtements dont vous pourrez avoir besoin.

Vous imaginez aisément, madame, qu’il fallait se trouver dans l’état de misère où j’étais pour accepter une telle place; non seulement il y avait infiniment plus d’ouvrage que mon âge et mes forces ne me permettaient d’entreprendre, mais pouvais-je vivre avec ce qu’on m’offrait? Je me gardai pourtant bien de faire la difficile, et je fus installée dès le même soir.

Si la cruelle position dans laquelle je me trouve, madame, me permettait de songer à vous amuser un instant quand je ne dois penser qu’à émouvoir votre âme en ma faveur, j’ose croire que je vous égaierais en vous racontant tous les traits d’avarice dont je fus témoin dans cette maison, mais une catastrophe si terrible pour moi m’y attendait dès la deuxième année, qu’il m’est bien difficile quand j’y réfléchis, de vous offrir quelques détails agréables avant que de vous entretenir de ce revers. vous saurez cependant, madame, qu’on n’usait jamais de lumière dans cette maison; l’appartement du maître et de la maîtresse, heureusement tourné en face du réverbère de la rue, les dispensait d’avoir besoin d’autre secours et jamais autre clarté ne leur servait pour se mettre au lit. Pour du linge ils n’en usaient point, il y avait aux manches de la veste de monsieur, ainsi qu’à celles de la robe de madame, une vieille paire de manchettes cousue après l’étoffe et que je lavais tous les samedis au soir afin qu’elle fût en état le dimanche; point de draps, point de serviettes et tout cela pour éviter le blanchissage, objet très cher dans une maison, prétendait M. Du Harpin, mon respectable maître. On ne buvait jamais de vin chez lui, l’eau claire était, disait Mme Du Harpin, la boisson naturelle dont les premiers hommes se servirent, et la seule que nous indique la nature; toutes les fois qu’on coupait le pain, il se plaçait une corbeille dessous afin de recueillir ce qui tombait, on y joignait avec exactitude toutes les miettes qui pouvaient se faire aux repas, et tout cela frit le dimanche avec un peu de beurre rance composait le plat de festin de ce jour de repos. Jamais il ne fallait battre les habits ni les meubles, de peur de les user, mais les housser légèrement avec un plumeau; les souliers de monsieur et de madame étaient doublés de fer et l’un et l’autre époux gardaient encore avec vénération ceux qui leur avaient servi le jour de leurs noces; mais une pratique beaucoup plus bizarre était celle qu’on me faisait exercer régulièrement une fois dans la semaine. Il y avait dans l’appartement un assez grand cabinet dont les murs n’étaient point tapissés; il fallait qu’avec un couteau j’allasse râper une certaine quantité du plâtre de ces murs, que je passais ensuite dans un tamis fin, et ce qui résultait de cette opération devenait la poudre de toilette dont j’ornais chaque matin et la perruque de monsieur et le chignon de madame. Plût à Dieu que ces turpides eussent été les seules où se fussent livrées ces vilaines gens; rien de plus naturel que le désir de conserver son bien, mais ce qui ne l’est pas autant, c’est l’envie de le doubler avec celui d’autrui et je ne fus pas longtemps à m’apercevoir que ce n’était que de cette façon que M. Du Harpin devenait si riche. Il y avait au-dessus de nous un particulier fort à son aise, possédant d’assez jolis bijoux et dont les effets, soit à cause du voisinage, soit pour lui avoir peut-être passé par les mains, étaient très connus de mon maître. Je lui entendais souvent regretter avec sa femme une certaine boîte d’or de trente à quarante louis qui lui serait infailliblement restée, disait-il, si son procureur avait eu un peu plus d’intelligence; pour se consoler enfin d’avoir rendu cette boîte, l’honnête M. Du Harpin projeta de la voler et ce fut moi qu’on chargea de la négociation.

Après m’avoir fait un grand discours sur l’indifférence du vol, sur l’utilité même dont il était dans la société puisqu’il rétablissait une sorte d’équilibre que dérangeait totalement l’inégalité des richesses, M. Du Harpin me remit une fausse clé, m’assura qu’elle ouvrirait l’appartement du voisin, que je trouverais la boîte dans un secrétaire qu’on ne fermait point, que je l’apporterais sans aucun danger et que pour un service aussi essentiel je recevrais pendant deux ans un écu de plus sur mes gages.

– Oh monsieur, m’écriai-je, est-il possible qu’un maître ose corrompre ainsi son domestique? qui m’empêche de faire tourner contre vous les armes que vous me mettez à la main et qu’aurez-vous à m’objecter de raisonnable si je vous vole d’après vos principes?

M. Du Harpin très étonné de ma réponse, n’osant insister davantage, mais me gardant une rancune secrète, me dit que ce qu’il en faisait était pour m’éprouver, que j’étais bien heureuse d’avoir résisté à cette offre insidieuse de sa part et que j’eusse été une fille pendue si j’avais succombé. Je me payai de cette réponse, mais je sentis dès lors et les malheurs qui me menaçaient par une telle proposition, et le tort que j’avais eu de répondre aussi fermement. Il n’y avait pourtant point eu de milieu, ou il eût fallu que je commisse le crime dont on me parlait, ou il devenait nécessaire que j’en rejetasse aussi durement la proposition; avec un peu plus d’expérience j’aurais quitté la maison dès l’instant, mais il était déjà écrit sur la page de mes destins que chacun des mouvements honnêtes où mon caractère me porterait, devait être payé d’un malheur, il me fallait donc subir mon sort sans qu’il me fût possible d’échapper.

M. Du Harpin laissa couler près d’un mois, c’est-à-dire à peu près jusqu’à l’époque de la révolution de la seconde année de mon séjour chez lui, sans dire un mot, et sans témoigner le plus léger ressentiment du refus que je lui avais fait, lorsqu’un soir, ma besogne finie, venant de me retirer dans ma chambre pour y goûter quelques heures de repos, j’entendis tout à coup jeter ma porte en dedans et vis non sans effroi M. Du Harpin conduisant un commissaire et quatre soldats du guet auprès de mon lit.

– Faites votre devoir, monsieur, dit-il à l’homme de justice, cette malheureuse m’a volé un diamant de mille écus, vous le trouverez dans sa chambre ou sur elle, le fait est inévitable.

– Moi vous avoir volé, monsieur, dis-je en me jetant toute troublée au bas de mon lit, moi, monsieur, ah qui sait mieux que vous combien une telle action me répugne et l’impossibilité qu’il y a que je l’aie commise!

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