Historiettes, Contes Et Fabliaux - de Sade Marquis Alphonse Francois 21 стр.


– Oui en vérité, une très jolie personne, je veux vous la faire connaître.

– Monsieur, ce m’est bien de l’honneur.

– Oh! point de façons, monsieur, nous voilà au port, je vous laisse libre ce soir à cause de vos affaires, mais demain sans faute je vous attends à souper à l’adresse ci-jointe.

Et Raneville a soin d’en donner une fausse, dont il prévient sur-le-champ chez lui, afin que ceux qui viendront le demander sous le nom qu’il donne puissent le trouver facilement.

Le lendemain, M. Dutour ne manque point au rendez-vous, et les précautions étant prises de manière que quoique sous un nom supposé, il pût trouver Raneville au logis, il entre sans difficulté. Les premiers compliments faits, Dutour paraît inquiet de ne pas voir encore la divinité sur laquelle il compte.

– Homme impatient, lui dit Raneville, je vois d’ici ce que cherchent vos yeux… on vous a promis une jolie femme, vous voudriez déjà voltiger autour d’elle; accoutumé à déshonorer le front des maris d’Orléans, vous voudriez, j’en suis bien sûr, traiter de même les amants de Paris: je gage que vous seriez fort aise de me caser au même rang que ce malheureux Raneville dont vous m’entretîntes si plaisamment hier.

Dutour répond en homme à bonnes fortunes, en fat et conséquemment en sot, la conversation s’égaie un instant et Raneville, prenant son ami par la main:

– Venez, lui dit-il, homme cruel, venez dans le temple même où la divinité vous attend.

En disant cela, il fait entrer Dutour dans un cabinet voluptueux, où la maîtresse de Raneville préparée à la plaisanterie et en ayant le mot, se trouvait dans le déshabillé le plus élégant sur une ottomane de velours, mais voilée: rien ne cachait l’élégance et la richesse de sa taille, il n’y avait que son visage qu’il était impossible de voir.

– Voilà une fort belle personne, s’écrie Dutour, mais pourquoi me priver du plaisir d’admirer ses traits, sommes-nous donc ici dans le sérail du grand Seigneur?

– Non, pas un mot, c’est affaire de pudeur.

– Comment de pudeur?

– Assurément, croyez-vous que je veuille m’en tenir à vous montrer seulement la taille ou la robe de ma maîtresse, mon triomphe serait-il complet si, en dérobant tous ces voiles, je ne vous convainquais pas combien je dois être heureux de la possession de tant de charmes. Comme cette jeune femme est singulièrement modeste, elle rougirait de ces détails; elle a bien voulu y consentir, mais sous la clause expresse d’être voilée. Vous savez ce que c’est que la pudeur et les délicatesses des femmes, M. Dutour, ce n’est pas à un homme élégant et à la mode comme vous qu’on en impose sur ces choses-là!

– Comment, d’honneur, vous allez me montrer?

– Tout, je vous l’ai dit, personne n’a moins de jalousie que moi, le bonheur qu’on goûte seul me paraît insipide, je ne trouve de délices qu’à celui qui se partage.

Et pour persuader ses maximes, Raneville commence par enlever un mouchoir de gaze qui met à découvert à l’instant la plus belle gorge qu’il soit possible de voir… Dutour s’enflamme.

– Hein, dit Raneville, comment trouvez-vous ceci?

– Ce sont les appas de Vénus même.

– Croyez-vous que des tétons si blancs et si fermes soient faits pour allumer des feux… touchez, touchez, mon camarade, les yeux nous trompent quelquefois, mon avis est qu’en volupté, il faut employer tous les sens.

Dutour approche une main tremblante, il palpe avec extase le plus beau sein du monde, et ne peut revenir de l’incroyable complaisance de son ami.

– Allons plus bas, dit Raneville en relevant jusqu’au milieu du corps une jupe de taffetas légère, sans que rien ne s’oppose à cette incursion, eh bien, que dites-vous de ces cuisses, croyez-vous que le temple de l’amour soit soutenu par de plus belles colonnes?

Et le cher Dutour palpant toujours tout ce que développait Raneville:

– Fripon, je vous devine, continue le complaisant ami, ce temple délicat que les Grâces mêmes ont couvert d’une mousse légère… vous brûlez de l’entrouvrir, n’est-ce pas? que dis-je, d’y cueillir un baiser, je le gage.

Et Dutour, aveuglé… balbutiant… ne répondait plus que par la violence des sensations dont ses yeux étaient les organes; on l’encourage… ses doigts libertins caressent les portiques du temple que la volupté même entrouvre à ses désirs: ce baiser divin qu’on permet, il le donne et le savoure une heure.

– Ami, dit-il, je n’y tiens plus, ou chassez-moi de chez vous, ou permettez que j’aille plus loin.

– Comment, plus loin, et où diable voulez-vous aller, je vous prie?

– Hélas, ne m’entendez-vous point, je suis ivre d’amour, je ne peux plus me contenir.

– Et si cette femme est laide?

– Il est impossible de l’être avec des attraits si divins.

– Si elle est…

– Qu’elle soit tout ce qu’elle voudra, je vous le dis, mon cher, je ne peux plus y résister.

– Allons donc, terrible ami, allons donc, satisfaites-vous puisqu’il le faut: me saurez-vous au moins gré de ma complaisance?

– Ah! le plus grand sans doute.

Et Dutour repoussait doucement son ami de la main comme pour l’engager à le laisser seul avec cette femme.

– Oh! pour vous quitter, non, je ne le puis, dit Raneville, mais êtes-vous donc si scrupuleux que vous ne puissiez vous contenter en ma présence? entre hommes on ne fait point de ces façons-là: au reste ce sont mes clauses, ou devant moi, ou point.

– Fût-ce devant le diable, dit Dutour, ne se contenant plus et se précipitant au sanctuaire où son encens va se brûler, vous le voulez, je consens à tout…

– Eh bien, disait flegmatiquement Raneville, les apparences vous ont-elles trompé, et les douceurs promises par autant de charmes sont-elles illusoires ou réelles… ah! jamais, jamais, je ne vis rien de si voluptueux.

– Mais ce maudit voile, ami, ce voile perfide, ne me sera-t-il pas permis de l’enlever?

– Si fait… au dernier moment, à ce moment si délectable, où, tous nos sens séduits par l’ivresse des dieux, elle sait nous rendre aussi fortunés qu’eux-mêmes, et souvent bien supérieurs. Cette surprise doublera votre extase: au charme de jouir du corps de Vénus même, vous ajouterez les inexprimables délices de contempler les traits de Flore, et tout se réunissant pour accroître votre félicité, vous vous plongerez bien mieux dans cet océan de plaisirs, où l’homme trouve avec tant de douceurs la consolation de son existence… Vous me ferez signe…

– Oh! vous vous en douterez bien, dit Dutour, je m’emporte à ce moment-là.

– Oui, je le vois, vous êtes fougueux.

– Mais fougueux à un point… oh mon ami, j’y touche à cet instant céleste, arrachez, arrachez ces voiles, que je contemple le ciel même.

– Le voilà, dit Raneville en faisant disparaître la gaze, mais gare qu’il n’y ait peut-être un peu près de ce paradis à l’enfer!

– Oh juste ciel , s’écrie Dutour en reconnaissant sa femme… quoi, c’est vous madame … monsieur, quelle bizarre plaisanterie, vous mériteriez… cette scélérate…

– Un moment, un moment, homme fougueux, c’est vous qui méritez tout, apprenez, mon ami, qu’il faut être un peu plus circonspect avec les gens qu’on ne connaît pas, que vous ne le fûtes hier avec moi. Ce malheureux Raneville que vous avez traité si mal à Orléans… c’est moi-même, monsieur; vous voyez que je vous le rends à Paris; au reste, vous voilà bien plus avancé que vous ne le croyiez, vous vous imaginiez n’avoir fait cocu que moi et vous venez de vous le faire vous-même.

Dutour sentit la leçon, il tendit la main à son ami, et convint qu’il n’avait que ce qu’il méritait.

– Mais cette perfide…

– Eh bien, ne vous imite-t-elle pas, quelle est la loi barbare qui enchaîne inhumainement ce sexe en nous accordant à nous toute liberté, est-elle équitable? et par quel droit de la nature, enfermerez-vous votre femme à Sainte-Aure, pendant qu’à Paris et à Orléans vous faites des époux cocus? Mon ami, cela n’est pas juste, cette charmante créature dont vous n’avez pas su connaître le prix, est venue chercher d’autres conquêtes: elle a eu raison, elle m’a trouvé; je fais son bonheur, faites celui de Mme de Raneville, j’y consens, vivons tous les quatre heureux, et que les victimes du sort ne deviennent pas celles des hommes.

Dutour trouva que son ami avait raison, mais par une fatalité inconcevable, il redevint amoureux comme un fou de son épouse; Raneville, tout caustique qu’il était, avait l’âme trop belle pour résister aux instances de Dutour pour ravoir sa femme, la jeune personne y consentit, et l’on eut dans cet événement unique sans doute un exemple bien singulier des coups du sort et des caprices de l’amour.

IL Y A PLACE POUR DEUX

Une très jolie bourgeoise de la rue Saint-Honoré, d’environ vingt-deux ans, grasse, potelée, les chairs les plus fraîches et les plus appétissantes, toutes les formes moulées quoique un peu remplies, et qui joignait à tant d’appas de la présence d’esprit, de la vivacité, et le goût le plus vif pour tous les plaisirs que lui interdisaient les lois rigoureuses de l’hymen, s’était décidée depuis environ un an à donner deux aides à son mari qui, vieux et laid, lui déplaisait non seulement beaucoup, mais s’acquittait même aussi mal que rarement des devoirs qui peut-être un peu mieux remplis eussent pu calmer l’exigeante Dolmène, ainsi s’appelait notre jolie bourgeoise. Rien de mieux arrangé que les rendez-vous qu’on indiquait à ces deux amants: Des-Roues, jeune militaire, avait communément de quatre à cinq heures du soir, et de cinq et demie à sept arrivait Dolbreuse, jeune négociant de la plus jolie figure qu’il fût possible de voir. Il était impossible de fixer d’autres instants, c’était les seuls où Mme Dolmène fût tranquille: le matin il fallait être à la boutique, le soir il fallait quelquefois y paraître de même, ou bien le mari revenait, et il fallait parler de ses affaires. D’ailleurs Mme Dolmène avait confié à une de ses amies qu’elle aimait assez que les instants de plaisirs se succédassent ainsi de fort près: les feux de l’imagination ne s’éteignaient pas, prétendait-elle, de cette manière, rien de si doux que de passer d’un plaisir à l’autre, on n’avait pas la peine de se remettre en train; car Mme Dolmène était une charmante créature qui calculait au mieux toutes les sensations de l’amour, fort peu de femmes les analysaient comme elle et c’était en raison de ses talents qu’elle avait reconnu que, toute réflexion faite, deux amants valaient beaucoup mieux qu’un; relativement à la réputation cela devenait presque égal, l’un couvrait l’autre, on pouvait se tromper, ce pouvait être toujours le même qui allait et revenait plusieurs fois dans le jour, et relativement au plaisir quelle différence! Mme Dolmène qui craignait singulièrement les grossesses, bien sûre que son mari ne ferait jamais avec elle la folie de lui gâter la taille, avait également calculé qu’avec deux amants, il y avait beaucoup moins de risque pour ce qu’elle redoutait qu’avec un, parce que, disait-elle en assez bonne anatomiste, les deux fruits se détruisaient mutuellement.

Un certain jour, l’ordre établi dans les rendez-vous vint à se troubler, et nos deux amants qui ne s’étaient jamais vus, firent comme on va le voir connaissance assez plaisamment. Des-Roues était le premier mais il était venu trop tard, et comme si le diable s’en fût mêlé, Dolbreuse qui était le second, arriva un peu plus tôt.

Le lecteur plein d’intelligence voit tout de suite que de la combinaison de ces deux petits torts devait naître malheureusement une rencontre infaillible: aussi eut-elle lieu. Mais disons comment cela se passa et si nous le pouvons, instruisons-en avec toute la décence et toute la retenue qu’exige une pareille matière déjà très licencieuse par elle-même.

Par un effet de caprice assez bizarre – mais on en voit tant chez les hommes – notre jeune militaire las du rôle d’amant, voulut jouer un instant celui de maîtresse; au lieu d’être amoureusement contenu dans les bras de sa divinité, il voulut la contenir à son tour: en un mot ce qui est dessous, il le mit dessus, et par ce revirement de partie, penchée sur l’autel où s’offrait ordinairement le sacrifice, c’était Mme Dolmène qui nue comme la Vénus callipyge, se trouvant étendue sur son amant, présentait en face de la porte de la chambre où se célébraient les mystères, ce que les Grecs adoraient dévotement dans la statue dont nous venons de parler, cette partie assez belle en un mot, qui sans aller chercher des exemples si loin, trouve tant d’adorateurs à Paris. Telle était l’attitude, quand Dolbreuse accoutumé à pénétrer sans résistance, arrive en fredonnant, et voit pour perspective ce qu’une femme vraiment honnête ne doit, dit-on, jamais montrer.

Ce qui aurait fait grand plaisir à beaucoup de gens, fit reculer Dolbreuse.

– Que vois-je, s’écria-t-il… traîtresse… est-ce donc là ce que tu me réserves?

Mme Dolmène qui dans ce moment-là se trouvait dans une de ces crises où une femme agit infiniment mieux qu’elle ne raisonne, se résolvant à payer d’effronterie:

– Que diable as-tu, dit-elle au second Adonis sans cesser de se livrer à l’autre, je ne vois rien là de trop chagrinant pour toi; ne nous dérange pas, mon ami, et loge-toi dans ce qui te reste; tu le vois bien, il y a place pour deux.

Dolbreuse ne pouvant s’empêcher de rire du sang-froid de sa maîtresse, crut que le plus simple était de suivre son avis, il ne se fit pas prier, et l’on prétend que tous trois y gagnèrent.

Назад Дальше