Historiettes, Contes Et Fabliaux - de Sade Marquis Alphonse Francois 8 стр.


ÉMILIE DE TOURVILLE ou la cruauté fraternelle

Rien n’est sacré dans une famille comme l’honneur de ses membres, mais si ce trésor vient à se ternir, tout précieux qu’il puisse être, ceux qui sont intéressés à le défendre le doivent-ils au prix de se charger eux-mêmes du rôle humiliant de persécuteur des malheureuses créatures qui les offensent? Ne serait-il pas raisonnable de mettre en compensation les horreurs dont ils tourmentent leur victime, et cette lésion souvent chimérique qu’ils se plaignent d’avoir reçue? Quel est enfin le plus coupable aux yeux de la raison, ou d’une fille faible et trompée, ou d’un parent quelconque qui pour s’ériger en vengeur d’une famille, devient le bourreau de cette infortunée? L’événement que nous allons mettre sous les yeux de nos lecteurs fera peut-être décider la question.

Le comte de Luxeuil, lieutenant général, homme d’environ cinquante-six à cinquante-sept ans, revenait en poste d’une de ses terres de Picardie, lorsqu’en passant dans la forêt de Compiègne, à environ six heures du soir vers la fin de novembre, il entendit des cris de femme qui lui parurent venir du coin d’une des routes, voisine du grand chemin qu’il traversait; il arrête, et ordonne à son valet de chambre qui courait à côté de la chaise d’aller voir ce que c’est. On lui rapporte que c’est une jeune fille de seize à dix-sept ans, noyée dans son sang, sans qu’il soit possible pourtant de distinguer où sont ses blessures et qui demande à être secourue; le comte descend aussitôt lui-même, il vole à cette infortunée, il a de la peine également, à cause de l’obscurité, à discerner d’où peut venir le sang qu’elle perd, mais sur les réponses qu’on lui fait, il voit enfin que c’est de la veine des bras où l’on a coutume de saigner.

– Mademoiselle, dit le comte après avoir soigné cette créature autant qu’il est en lui, je ne suis pas ici en situation de vous demander les causes de vos malheurs, et vous n’êtes guère en état de me les apprendre: montez dans ma voiture, je vous prie, et que nos soins uniques maintenant soient pour vous de vous tranquilliser et pour moi de vous secourir.

En disant cela M. de Luxeuil, aidé de son valet de chambre, porte cette pauvre demoiselle dans la chaise, et l’on part.

A peine cette intéressante personne se vit-elle en sûreté, qu’elle voulut balbutier quelques expressions de reconnaissance, mais le comte la suppliant de ne point parler, lui dit:

– Demain, mademoiselle, demain vous m’apprendrez, j’espère, tout ce qui vous concerne, mais aujourd’hui, par l’autorité que me donnent sur vous et mon âge et le bonheur que j’ai eu de vous être utile, je vous demande avec instance de ne penser qu’à vous calmer.

On arrive; pour éviter l’éclat, 1e comte fait envelopper sa protégée d’un manteau d’homme et la fait conduire par son valet de chambre dans un appartement commode à l’extrémité de son hôtel, où il la vient voir, dès qu’il a reçu les embrassements de sa femme et de son fils qui l’attendaient l’un et l’autre à souper ce soir-là.

Le comte, en venant voir sa malade, amenait avec lui un chirurgien; la jeune personne est visitée, on la trouve dans un abattement inexprimable, la pâleur de son teint semblait presque annoncer qu’il lui restait à peine quelques instants à vivre, cependant elle n’avait aucune blessure; à l’égard de sa faiblesse, elle venait, dit-elle, de l’énorme quantité de sang qu’elle perdait journellement depuis trois mois, et comme elle allait dire au comte la cause surnaturelle de cette perte prodigieuse, elle tomba en faiblesse, et le chirurgien déclara qu’il fallait la laisser tranquille et se contenter de lui administrer des restaurants et des cordiaux.

Notre jeune infortunée passa une assez bonne nuit, mais de six jours elle ne fut en état d’instruire son bienfaiteur des événements qui la concernaient; le septième au soir à la fin, tout le monde ignorant encore dans la maison du comte qu’elle y était cachée, et elle-même, par les précautions prises, ne sachant pas non plus où elle était, elle supplia le comte de l’entendre et de lui accorder surtout son indulgence, quelles que fussent les fautes qu’elle allait avouer. M. de Luxeuil prit un siège, assura sa protégée qu’il ne lui enlèverait jamais l’intérêt qu’elle était faite pour inspirer, et notre belle aventurière commença ainsi le récit de ses malheurs.

Histoire de mademoiselle de Tourville .

Je suis fille, monsieur, du président de Tourville, trop connu et trop distingué dans son état pour être méconnu de vous. Depuis deux ans que je suis sortie du couvent, je n’ai jamais quitté la maison de mon père; ayant perdu ma mère très jeune, lui seul prenait soin de mon éducation, et je puis dire qu’il ne négligeait rien pour me donner toutes les grâces et tous les agréments de mon sexe. Ces attentions, ces projets qu’annonçait mon père de me marier le plus avantageusement qu’il serait possible, peut-être même un peu de prédilection, tout cela, dis-je, éveilla bientôt la jalousie de mes frères, dont l’un, président depuis trois ans, vient d’atteindre sa vingt-sixième année et l’autre, conseiller plus nouvellement, en a bientôt vingt-quatre.

Je ne m’imaginais pas être aussi fortement haïe d’eux que j’ai lieu d’en être aujourd’hui convaincue; n’ayant rien fait pour mériter ces sentiments de leur part, je vivais dans la douce illusion qu’ils me rendaient ceux que mon cœur formait innocemment pour eux. Oh, juste ciel, comme je me trompais! Excepté le moment des soins de mon éducation, je jouissais chez mon père de la plus grande liberté; s’en rapportant de ma conduite à moi seule, il ne me contraignait sur rien, et j’avais même depuis près de dix-huit mois la permission de me promener les matins avec ma femme de chambre, ou sur la terrasse des Tuileries, ou sur le rempart auprès duquel nous demeurons, et de faire de même avec elle, soit en me promenant, soit dans une voiture de mon père, quelque visite chez mes amies et mes parentes, pourvu que ce ne fût pas à des heures où une jeune personne ne peut guère être seule au milieu d’un cercle. Toute la cause de mes malheurs vient de cette funeste liberté, voilà pourquoi je vous en parle, monsieur, plût à Dieu ne l’avoir jamais eue.

Il y a un an que me promenant, comme je viens de vous le dire, avec ma femme de chambre qui se nomme Julie, dans une allée obscure des Tuileries, où je me croyais plus seule que sur la terrasse, et où il me semblait que je respirais un air plus pur, six jeunes étourdis nous abordent, et nous font voir par l’indignité de leurs propos, qu’ils nous prennent l’une et l’autre pour ce qu’on appelle des filles. Horriblement embarrassée d’une telle scène, et ne sachant comment échapper, j’allais chercher mon salut dans la fuite, lorsqu’un jeune homme que j’étais dans l’usage de voir très souvent promener seul à peu près aux mêmes heures que moi, et dont l’extérieur n’annonçait rien que d’honnête, vint à passer comme j’étais dans ce cruel embarras.

– Monsieur, m’écriai-je en l’appelant à moi, je n’ai pas l’honneur d’être connue de vous, mais nous nous rencontrons ici presque tous les matins; ce que vous avez pu voir de moi doit vous avoir convaincu, je me flatte, que je ne suis pas une fille à aventure; je vous demande avec instance de me donner la main pour me ramener chez moi et de me délivrer de ces bandits.

M. de…, vous me permettrez de taire son nom, trop de raisons m’y engagent, accourt aussitôt, il écarte les polissons qui m’entourent, les convainc de leur erreur par l’air de politesse et de respect dont il m’aborde, prend mon bras, et me sort aussitôt du jardin.

– Mademoiselle, me dit-il un peu avant que d’être à notre porte, je crois prudent de vous quitter ici; si je vous conduis jusque chez vous, il faudra en dire le sujet; peut-être naîtra-t-il de là une défense de vous promener seule davantage; cachez donc ce qui vient d’arriver, et continuez de venir comme vous faites dans cette même allée, puisque ça vous amuse et que vos parents vous le permettent. Je ne manquerai pas un seul jour de m’y rendre et vous m’y trouverez toujours prêt à perdre la vie, s’il le faut, pour m’opposer à ce qu’on trouble votre tranquillité.

Une telle précaution, une offre si obligeante, tout cela me fit jeter les yeux sur ce jeune homme, avec un peu plus d’intérêt que je n’avais imaginé de le faire jusqu’alors; le trouvant de deux ou trois ans plus âgé que moi et d’une figure charmante, je rougis en le remerciant, et les traits enflammés de ce dieu séduisant qui fait mon malheur aujourd’hui pénétrèrent jusqu’à mon cœur, avant que j’eusse le temps de m’y opposer. Nous nous séparâmes, mais je crus voir à la manière dont M. de… me quittait, que j’avais fait sur lui la même impression qu’il venait de produire en moi. Je rentrai chez mon père, je me gardai bien de rien dire et revins le lendemain dans la même allée, conduite par un sentiment plus fort que moi, qui m’eût fait braver tous les dangers qui eussent pu s’y rencontrer… que dis-je, qui peut-être me les eût fait désirer, pour avoir le plaisir d’en être délivrée par le même homme… Je vous peins mon âme, monsieur, peut-être avec trop de naïveté, mais vous m’avez promis de l’indulgence et chaque nouveau trait de mon histoire va vous faire voir si j’en ai besoin; ce n’est pas la seule imprudence que vous me verrez faire, ce ne sera pas la seule fois où j’aurai besoin de votre pitié.

M. de… parut dans l’allée six minutes après moi, et m’abordant dès qu’il me vit:

– Oserai-je vous demander, mademoiselle, me dit-il, si l’aventure d’hier n’a fait aucun bruit, et si vous n’en avez éprouvé nulle peine?

Je l’assurai que non, je lui dis que j’avais profité de ses conseils, que je l’en remerciais et que je me flattais que rien ne dérangerait le plaisir que je prenais à venir ainsi respirer le matin.

– Si vous y trouvez quelques charmes, mademoiselle, reprit M. de… avec le ton le plus honnête, ceux qui ont le bonheur de vous y rencontrer en éprouvent de plus vifs sans doute, et si j’ai pris la liberté de vous conseiller hier de ne rien hasarder de ce qui pourrait déranger vos promenades, en vérité vous ne m’en devez point de reconnaissance: j’ose vous assurer, mademoiselle, que j’ai moins travaillé pour vous que pour moi.

Et ses regards, en disant cela, se tournaient vers les miens avec tant d’expression… oh monsieur, fallait-il que ce fût à cet homme si doux que je dusse un jour mes malheurs! Je répondis honnêtement à son propos, la conversation s’engagea, nous fîmes deux tours ensemble et M. de… ne me quitta point sans me conjurer de lui apprendre à qui il était assez heureux pour avoir rendu service la veille; je ne crus pas devoir le lui cacher, il me dit de même qui il était et nous nous séparâmes. Pendant près d’un mois, monsieur, nous n’avons cessé de nous voir ainsi presque tous les jours, et ce mois, comme vous l’imaginez aisément ne se passa point sans que nous ne nous fussions avoué l’un à l’autre les sentiments que nous éprouvions, et sans que nous ne nous fussions juré de les ressentir sans cesse.

Enfin M. de… me supplia de lui permettre de me voir dans un endroit moins gêné qu’un jardin public.

– Je n’ose me présenter chez M. votre père, belle Émilie, me dit-il; n’ayant jamais eu l’honneur de le connaître, il soupçonnerait bientôt le motif qui m’attirerait chez lui, et au lieu que cette démarche dût étayer nos projets, peut-être leur nuirait-elle beaucoup; mais si réellement vous êtes assez bonne, assez compatissante pour ne vouloir pas me laisser mourir du chagrin de ne plus me voir accorder ce que j’ose exiger de vous, je vous indiquerai des moyens.

Je refusai d’abord de les entendre, et fus bientôt assez faible pour les lui demander. Ces moyens, monsieur, étaient de nous voir trois fois la semaine chez une Mme Berceil, marchande de modes rue des Arcis, de la prudence et de l’honnêteté de laquelle M. de… me répondait comme de sa mère même.

– Puisqu’on vous permet de voir Mme votre tante qui demeure, m’avez-vous dit, assez près de là, il faudra faire semblant d’aller chez cette tante, lui faire effectivement de courtes visites, et venir passer le reste du temps que vous lui auriez donné chez la femme que je vous indique; votre tante interrogée répondra qu’elle vous reçoit effectivement au jour où vous aurez dit que vous allez la voir, il ne s’agit donc plus que de mesurer le temps des visites, et c’est ce que vous pouvez être bien sûre qu’on ne s’avisera jamais de faire, dès qu’on a de la confiance en vous.

Je ne vous dirai point, monsieur, tout ce que j’objectai à M. de… pour le détourner de ce projet et pour lui en faire sentir les inconvénients; à quoi servirait-il que je vous fisse part de mes résistances, puisque je finis par succomber? Je promis à M. de… tout ce qu’il voulut, vingt louis qu’il donna à Julie sans que je le susse mirent cette fille entièrement dans ses intérêts, et je ne travaillai plus qu’à ma perte. Pour la rendre encore plus complète, pour m’enivrer plus longtemps et plus à loisir du doux poison qui coulait sur mon cœur, je fis une fausse confidence à ma tante, je lui dis qu’une jeune dame de mes amies (à qui j’avais donné le mot et qui devait répondre en conséquence) voulait bien avoir pour moi la bonté de me conduire trois fois la semaine dans sa loge aux Français, que je n’osais pas en faire part à mon père de peur qu’il ne s’y opposât, mais que je dirais que je venais chez elle, et que je la suppliais de le certifier; après un peu de peine, ma tante ne put résister à mes instances, nous convînmes que Julie viendrait à ma place, et qu’en revenant du spectacle je la prendrais en passant pour rentrer ensemble à la maison. J’embrassai mille fois ma tante: fatal aveuglement des passions, je la remerciais de ce qu’elle se prêtait à ma perte, de ce qu’elle ouvrait la porte aux égarements qui allaient me mettre aux bords du tombeau!

Nos rendez-vous commencèrent enfin chez la Berceil; son magasin était superbe, sa maison fort décente, et elle-même une femme d’environ quarante ans à laquelle je crus qu’on pouvait accorder toute confiance. Hélas, je n’en eus que trop et pour elle et pour mon amant… le perfide, il est temps de vous l’avouer, monsieur… à la sixième fois que je le vis dans cette fatale maison, il prit un tel empire sur moi, il sut me séduire à tel point qu’il abusa de ma faiblesse et que je devins dans ses bras l’idole de sa passion et la victime de la mienne. Cruels plaisirs, que vous m’avez déjà coûté de pleurs, et de combien de remords vous déchirerez encore mon âme jusqu’au dernier instant de ma vie!

Un an se passa dans cette funeste illusion, monsieur, je venais d’atteindre ma dix-septième année; mon père me parlait chaque jour d’un établissement, et vous jugez si je frémissais de ces propositions, lorsqu’une fatale aventure vint enfin me précipiter dans l’abîme éternel où je me suis plongée. Triste permission de la Providence sans doute, qui a voulu qu’une chose où je n’avais aucun tort fût celle qui dût servir à me punir de mes fautes réelles, afin de faire voir que nous ne lui échappons jamais, qu’elle suit partout celui qui s’égare, et que c’est de l’événement qu’il soupçonne le moins, qu’elle fait naître insensiblement celui qui doit servir à la venger.

M. de… m’avait prévenue un jour que quelque affaire indispensable le priverait du plaisir de m’entretenir les trois heures entières que nous avions coutume d’être ensemble, qu’il viendrait pourtant quelques minutes avant la fin de notre rendez-vous, encore que pour ne rien déranger à notre marche ordinaire, je vinsse toujours passer chez la Berceil le temps que j’avais coutume d’y être, qu’au fait, pour une heure ou deux, je m’amuserais toujours plus avec cette marchande et ses filles que je ne ferais toute seule chez mon père; je croyais être assez sûre de cette femme pour n’éprouver aucun obstacle à ce que me proposait mon amant; je promis donc que je viendrais en le suppliant de ne se point faire trop attendre. Il m’assura qu’il se débarrasserait le plus tôt possible, et j’arrivai; ô jour affreux pour moi!

La Berceil me reçut à l’entrée de sa boutique, sans me permettre de monter chez elle comme elle avait coutume de faire.

– Mademoiselle, me dit-elle dès qu’elle me vit, je suis enchantée que M. de… ne puisse se rendre ce soir ici de bonne heure, j’ai quelque chose à vous confier que je n’ose lui dire, quelque chose qui exige que nous sortions toutes deux bien vite un instant, ce que nous n’aurions pu faire s’il était ici.

– Et de quoi s’agit-il donc, madame, dis-je un peu effrayée de ce début.

– D’un rien, mademoiselle, d’un rien, continua la Berceil, commencez par vous calmer, c’est la chose du monde la plus simple; ma mère s’est aperçue de votre intrigue, c’est une vieille mégère scrupuleuse comme un confesseur et que je ménage à cause de ses écus, elle ne veut décidément plus que je vous reçoive, je n’ose le dire à M. de…, mais voici ce que j’ai imaginé. Je vais vous mener promptement chez une de mes compagnes, femme de mon âge et tout aussi sûre que moi, je vous ferai faire connaissance avec elle; si elle vous plaît, vous avouerez à M. de… que je vous y ai menée, que c’est une femme honnête et que vous trouvez très bon que vos rendez-vous se passent là; si elle vous déplaît, ce que je suis bien loin de craindre, comme nous n’aurons été qu’un instant, vous lui cacherez notre démarche; alors je prendrai sur moi de lui avouer que je ne peux plus lui prêter ma maison et vous aviserez de concert à trouver quelques autres moyens de vous voir.

Ce que cette femme me disait était si simple, l’air et le ton qu’elle employait si naturels, ma confiance si entière et ma candeur si parfaite, que je ne trouvai pas la plus petite difficulté à lui accorder ce qu’elle demandait; il ne me vint que des regrets sur l’impossibilité où elle était, disait-elle, de nous continuer ses services, je les lui témoignai de tout mon cœur, et nous sortîmes. La maison où l’on me conduisait était dans la même rue, à soixante ou quatre-vingts pas de distance au plus de celle de la Berceil; rien ne me déplut à l’extérieur, une porte cochère, de belles croisées sur la rue, un air de décence et de propreté partout; cependant une voix secrète semblait crier au fond de mon cœur, que quelque événement singulier m’attendait dans cette fatale maison; j’éprouvais une sorte de répugnance à chaque degré que je montais, tout semblait me dire: Où vas-tu, malheureuse, éloigne-toi de ces lieux perfides… Nous arrivâmes pourtant, nous entrâmes dans une assez belle antichambre où nous ne trouvâmes personne et de là dans un salon qui se referma aussitôt sur nous, comme s’il y eût eu quelqu’un de caché derrière la porte… Je frémis, il faisait très sombre dans ce salon, à peine y voyait-on à se conduire; nous n’y eûmes pas fait trois pas, que je me sentis saisie par deux femmes, alors un cabinet s’ouvrit et j’y vis un homme d’environ cinquante ans au milieu de deux autres femmes qui crièrent à celles qui m’avaient saisie: Déshabillez-la, déshabillez-la et ne l’amenez ici que toute nue. Revenue du trouble où j’étais quand ces femmes avaient mis la main sur moi, et voyant que mon salut dépendait plutôt de mes cris que de mes frayeurs, j’en poussai d’épouvantables. La Berceil fit tout ce qu’elle put pour me calmer.

– C’est l’affaire d’une minute, mademoiselle, disait-elle, un peu de complaisance, je vous en conjure, et vous me faites gagner cinquante louis.

– Mégère infâme, m’écriai-je, n’imagine pas trafiquer ainsi de mon honneur, je vais m’élancer par les fenêtres si tu ne me fais sortir d’ici à l’instant.

– Vous n’iriez que dans une cour à nous où vous seriez bientôt reprise, mon enfant, dit une de ces scélérates, en arrachant mes habits, ainsi croyez-moi, votre plus court est de vous laisser faire…

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