Micah Clarke Tome I. Les recrues de Monmouth - Конан-Дойль Артур 2 стр.


Quant aux Indépendants, du nombre desquels était mon père, ils étaient également sous le coup de la loi, mais ils se rendaient à l'assemblée d'Elmsworth.

Mes parents et moi, nous y allions à pied, qu'il plût ou qu'il fît beau, chaque dimanche matin.

Ces réunions furent dispersées plus d'une fois, mais la congrégation était formée de gens si inoffensifs, si aimés, si respectés de leurs voisins, qu'au bout d'un certain temps les juges de paix finirent par fermer les yeux, et par les laisser pratiquer leur culte, comme ils l'entendaient.

Il y avait aussi, parmi-nous, des Papistes, qui étaient obligés d'aller jusqu'à Portsmouth pour entendre la messe.

Comme vous le voyez, si petit que fut notre village, il représentait en miniature le pays entier, car nous avions nos sectes et nos factions, et toutes n'en étaient que plus âpres, pour être renfermées dans un espace aussi étroit.

Mon père, Joseph Clarke, était plus connu dans la région sous le nom de Joe Côte-de-fer, car il avait servi, en sa jeunesse, dans la troupe d'Yaxley qui avait formé le fameux régiment de cavalerie d'Olivier Cromwell.

Il avait prêché avec tant d'entrain, il s'était battu avec tant de courage, que le vieux Noll en personne le tira des rangs après la bataille de Dunbar, et l'éleva au grade de cornette.

Mais le hasard fit que quelque temps après, comme il avait engagé une discussion avec un de ses hommes au sujet du mystère de la Trinité, cet individu, qui était un fanatique à moitié fou, frappa mon père à la figure, et celui-ci rendit le compliment avec un coup d'estoc de son sabre, qui envoya son adversaire se rendre compte en personne de la vérité de ses dires.

Dans la plupart des armées, on aurait admis que mon père était dans son droit en punissant séance tenante un acte d'indiscipline aussi scandaleux; mais les soldats de Cromwell se faisaient une si haute idée de leur importance et de leurs privilèges qu'ils s'offenseront de cette justice sommaire accomplie sur leur camarade.

Mon père comparut devant un conseil de guerre, et il est possible qu'il aurait été offert en sacrifice pour apaiser la fureur de la soldatesque, si le Lord Protecteur n'était intervenu et n'avait réduit la punition au renvoi de l'armée.

En conséquence, le cornette Clarke se vit enlever sa cotte de buffle et son casque d'acier.

Il s'en retourna à Havant et s'y établit négociant en cuirs et tanneur, ce qui priva le Parlement du soldat le plus dévoué qui eût jamais porté l'épée à son service.

Voyant qu'il prospérait dans son commerce, il épousa Marie Shopstone, jeune personne attachée à l'Église, et moi, Micah Clarke, je fus le premier gage de leur union.

Mon père, tel que je le trouve dans mes premiers souvenirs, était de stature haute et droite.

Il avait de larges épaules et une puissante poitrine.

Sa figure était accidentée et rude, avec de gros traits durs, des sourcils en broussaille et saillants, le nez fort, large, charnu, de grosses lèvres qui se contractaient et se rentraient quand il était en colère.

Ses yeux gris étaient perçants, de vrais yeux de soldat, et cependant je les ai vu s'éclairer d'un bon sourire, d'un pétillement joyeux.

Sa voix était terrible et propre à inspirer la crainte à un point que je n'ai jamais su m'expliquer.

Je n'ai pas de peine à croire ce que j'ai appris, que quand il chantait le centième Psaume à cheval parmi les bonnets bleus, à Dunbar, sa voix dominait le son des trompettes, le bruit des coups de feu, comme le roulement grave d'une vague contre un brisant.

Mais bien qu'il possédât toutes les qualités nécessaires pour devenir un officier de distinction, il renonça à ses habitudes militaires, en rentrant dans la vie civile.

Grâce à sa prospérité et à la fortune qu'il avait acquise, il aurait fort bien pu porter l'épée.

Au lieu de cela, il avait un petit exemplaire de la Bible logé dans sa ceinture, à l'endroit où les autres suspendent leurs armes.

Il était sobre et mesuré en ses propos, et même au milieu de sa famille, il lui arrivait rarement de parler des scènes auxquelles il avait pris part, où des grands personnages tels que Fleetwood et Harrison, Blake et Ireton, Desborough et Lambert, dont quelques-uns étaient comme lui simples soldats, lorsque les troubles éclatèrent.

Il était frugal dans sa nourriture, fuyant la boisson, et ne s'accordait d'autre plaisir que ses trois pipes quotidiennes de tabac d'Oroonoko, qu'il gardait dans une jarre brune près du grand fauteuil de bois, à gauche de la cheminée.

Et cependant, malgré toute la réserve qu'il s'imposait, il arrivait parfois que l'homme de jadis se fit jour en lui, et éclata en un de ses accès que ses ennemis appelaient du fanatisme, ses amis de la piété, et il faut bien reconnaître que cette piété-là avait tendance à se manifester sous une forme farouche et emportée.

Et quand je remonte dans mes souvenirs, deux ou trois incidents y reparaissent avec un relief si net et si clair que je pourrais les prendre pour des scènes tout récemment vues au théâtre, alors qu'elles datent de mon enfance, d'une soixantaine d'années, et de l'époque où régnait Charles II.

Quand survint le premier incident, j'étais si jeune, que je ne puis me rappeler ni ce qui le précéda, ni ce qui le suivit immédiatement.

Il se planta dans ma mémoire parmi bien des choses qui en ont disparu depuis.

Nous étions tous à la maison, par une lourde soirée d'été, quand nous entendîmes un roulement de timbales, un bruit de fers de chevaux, qui amenèrent sur le seuil mon père et ma mère.

Elle me portait dans ses bras pour que je puisse mieux voir.

C'était un régiment de cavalerie, qui se rendait de Chichester à Portsmouth, drapeau au vent, musique jouant, et c'était le plus attrayant coup d'œil qu'eussent jamais vu mes yeux d'enfant.

J'étais plein d'étonnement, d'admiration en contemplant les chevaux au poil lustré, à l'allure vive, les morions d'acier, les chapeaux à plumes des officiers, les écharpes et les baudriers.

Je ne croyais avoir jamais vu une aussi belle troupe réunie, et dans mon ravissement je battis des mains, je poussai des cris.

Mon père sourit gravement, et me prit des bras de ma mère:

 Hé! dit-il, mon garçon; tu es un fils de soldat, et tu devrais avoir assez de jugement pour ne pas louer une cohue pareille. Est-ce que tout enfant que tu es, tu ne vois pas que leurs armes sont mal fourbies, que leurs éperons de fer sont rouillés, leurs rangs sans ordre ni cohésion? Et ils n'ont pas envoyé en avant d'eux d'éclaireurs ainsi que cela doit se faire, même en temps de paix, et leur arrière-garde a des traînards d'ici à Bedhampton

«Oui, reprit-il en brandissant son long bras dans la direction des soldats, et les interpellant, vous êtes du blé mûr pour la faucille et qui n'attend plus que les moissonneurs.

Plusieurs d'entre eux tirèrent sur les rênes à cette soudaine explosion.

 Jack, un bon coup sur le crâne tondu de ce coquin, cria l'un d'eux, on faisant faire demi-tour à son cheval.

Mais il y avait dans la figure de mon père quelque chose qui fit reculer l'homme, et il rentra dans les rangs sans avoir fait ce qu'il disait.

Le régiment défila à grand fracas sur la route.

Ma mère posa ses mains fines sur le bras de mon père et apaisa par ses gentillesses et ses caresses le démon endormi qui s'était réveillé en lui.

En une autre occasion que je puis me rappeler c'était quand j'avais sept ou huit ans sa colère éclata d'une façon plus dangereuse dans ses effets.

Je jouais autour de lui un après-midi de printemps pendant qu'il travaillait dans la cour de la tannerie, lorsque par la porte ouverte entrèrent, en se dandinant, deux beaux messieurs aux revers d'habit dorés, et des cocardes coquettement fixées sur le côté de leurs tricornes.

En une autre occasion que je puis me rappeler c'était quand j'avais sept ou huit ans sa colère éclata d'une façon plus dangereuse dans ses effets.

Je jouais autour de lui un après-midi de printemps pendant qu'il travaillait dans la cour de la tannerie, lorsque par la porte ouverte entrèrent, en se dandinant, deux beaux messieurs aux revers d'habit dorés, et des cocardes coquettement fixées sur le côté de leurs tricornes.

Ainsi que je l'appris plus tard, c'étaient des officiers de la flotte qui passaient par Havant, et nous voyant occupés dans la cour, ils étaient entrés pour nous demander des renseignements sur leur route.

Le plus jeune des deux aborda mon père, et commença l'entretien par un grand fracas de mots qui étaient pour moi de l'hébreu; mais maintenant je me souviens que c'était une série de ces jurons qui sont communs dans la bouche d'un marin.

Et pourtant que des gens qui sont sans cesse exposés à comparaître devant le Tout-Puissant s'égarassent au point de l'insulter, cela fut toujours un mystère pour moi!

Mon père, d'un ton rude et sévère, l'invita à parler avec plus de respect des choses saintes.

Sur quoi les deux hommes lâchèrent la bride à leur langue, et traitèrent mon père de farceur prédicant, de Jacquot presbytérien à figure de cafard.

Je ne sais ce qu'ils auraient dit encore, car mon père saisit le gros couteau dont il se servait pour lisser les cuirs, et s'élançant sur eux, il l'abattit sur le côté de la tête de l'un deux, avec une telle force que sans la dureté de son chapeau, l'homme eût été hors d'état de lancer désormais des jurons.

En tout cas, il tomba comme une bûche sur les pierres de la cour, pendant que son camarade dégainait vivement sa rapière et portait une botte dangereuse.

Mais mon père, qui avait autant d'agilité que de vigueur, fit un bond de côté, et abattant sa massue sur le bras tendu de l'officier, il le brisa comme il aurait fait d'un tuyau de pipe.

Cette affaire ne fit pas peu de bruit, car elle survint à l'époque ou ces archi-menteurs, Oates, Bedloe et Carstairs troublaient l'esprit public par leurs histoires de complot, et où l'on s'attendait à voir des émeutes d'une façon où de l'autre éclater dans le pays.

Au bout de peu de jours, tout le Hampshire parlait du tanneur séditieux de Havant qui avait cassé la tête et le bras à deux serviteurs de Sa Majesté.

Toutefois une enquête démontra qu'il n'y avait rien dans l'affaire qui ressemblait à de la déloyauté, et les officiers ayant reconnu qu'ils avaient été les premiers à parler, les juges de paix se bornèrent à punir mon père d'une amende et à lui faire prendre l'engagement de rester désormais tranquille pendant une période de six mois.

Je vous conte ces faits pour que vous puissiez vous faire une idée de la piété farouche et grave dont étaient animés non seulement votre ancêtre, mais encore la plupart des hommes qui avaient été formés dans les troupes du Parlement.

Par bien des côtés, ils ressemblaient davantage à ces Sarrasins fanatiques, qui croient à la conversion par le glaive, qu'aux disciples d'une croyance chrétienne.

Mais ils ont ce grand mérite d'avoir mené pour la plupart une vie pure et recommandable, car ils pratiquaient avec rigueur les lois qu'ils auraient volontiers imposées aux autres à la pointe de l'épée.

Sans doute, il y en eut dans ce grand nombre quelques-uns, pour qui la piété n'était que le masque de l'ambition, et d'autres qui pratiquaient en secret ce qu'ils condamnaient en public, mais il n'est point de cause, si bonne qu'elle soit, qui n'ait des parasites hypocrites de cette sorte.

Ce qui prouve que la grande majorité de ces Saints, ainsi qu'ils se qualifiaient eux-mêmes, étaient des gens de vie régulière, craignant Dieu, c'est ce fait qu'après le licenciement de l'armée républicaine, les vieux soldats s'empressèrent de se remettre au travail dans tout le pays, et qu'ils laissèrent leur empreinte partout où ils allèrent, grâce à leur industrie et à leur valeur.

Il existe en Angleterre plus d'une opulente maison de commerce, à l'heure actuelle, qui peut faire remonter son origine à l'économie et à la probité d'un simple piquier d'Ireton ou de Cromwell.

Mais pour mieux nous faire comprendre le caractère de votre arrière grand-père, je vous conterai un incident qui montre combien étaient ardentes et sincères les émotions auxquelles étaient dues les crises violentes que j'ai décrites.

À cette époque, j'avais environ douze ans.

Mes frères, Hosea et Ephraïm, en avaient respectivement neuf et sept; la petite Ruth ne devait pas en avoir plus de quatre.

Le hasard avait amené chez nous un prédicateur ambulant des Indépendants, et ses enseignements religieux avaient rendu mon père sombre et excitable.

Un soir, je m'étais couché comme d'habitude, et je dormais profondément, côte à côte avec mes deux frères, lorsque nous fûmes réveillés et nous reçûmes l'ordre de descendre.

Nous nous habillâmes à la hâte.

Nous suivîmes mon père dans la cuisine, où ma mère, pâle, effarée, était assise, tenant Ruth sur ses genoux.

 Réunissez-vous autour de moi, mes enfants, dit-il d'une voix profonde et solennelle, afin que nous puissions paraître tous ensemble devant le Trône. Le Royaume du Seigneur est proche; oh! tenez-vous prêts à l'accueillir. Cette nuit même, mes bien-aimés, vous Le verrez dans sa splendeur, avec les Anges et les Archanges dans leur puissance et leur gloire. À la troisième heure, il viendra, à cette troisième heure qui s'approche de nous.

 Cher Joe, dit ma mère, d'un ton câlin, tu t'épouvantes toi-même et tu terrifies les enfants hors de propos. S'il est certain que le Fils de l'Homme vient, qu'importe que nous soyons levés ou couchés?

 Silence, femme, répondit-il d'une voix sévère, n'a-t-il pas dit qu'il viendrait dans la nuit comme un larron, et que c'est à nous d'être en attente. Joignez-vous donc à moi en de continuelles prières, pour que nous soyons là en costume de fiançailles. Rendons-lui grâce pour la bonté qu'il nous a témoignée en nous avertissant par la voix de son serviteur. Ô Dieu grand, jette un regard sur ce petit troupeau et conduis-le au bercail. Ne mêle pas le peu de grain au grand amas de paille. Ô père miséricordieux, vois avec clémence mon épouse, et pardonne-lui la faute de l'Érastianisme, vu qu'elle n'est qu'une femme, et peu en état de rompre les chaînes de l'Antéchrist dans lesquelles elle est née. Et ceux-ci, pareillement, mes jeunes enfants, Michée et Hosea, et Ephraïm et Ruth, dont les noms mêmes sont ceux de tes fidèles serviteurs d'autrefois. Oh! place-les cette nuit à ta droite.

C'est ainsi qu'il priait, dans un flot emporté de paroles ardentes ou touchantes, qu'il se tordait prosterné sur le sol, en la véhémence de ces supplications, pendant que nous, pauvres mignons tremblants, nous nous serrions contre les jupes de notre mère, et que nous regardions avec épouvante sa figure bouleversée, à la faible lumière de la modeste lampe à huile.

Soudain retentit la sonnerie de l'horloge toute neuve de l'église, pour nous apprendre que l'heure était venue.

Mon père se releva brusquement, courut à la fenêtre, regarda au dehors, les yeux brillants de l'attente, vers les cieux étoilés.

Évoquait-il une vision à son cerveau excité, ou bien le flot des sensations qui l'assaillirent en voyant que son attente était vaine, était-il trop violent pour lui?

Il leva ses longs bras, jeta un cri rauque et tomba à la renverse, l'écume aux lèvres, les membres agités par des secousses.

Durant une heure et plus, ma pauvre mère et moi, nous fîmes tous nos efforts pour le calmer, pendant que les petits pleurnichaient dans un coin.

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