Césarine Dietrich - Жорж Санд 7 стр.


Le lendemain de ce jour si laborieusement préparé et si magnifiquement réalisé, je demandai à Césarine, pâle encore des fatigues de la veille, si elle était enfin satisfaite.

 Satisfaite de quoi? me dit-elle, d'avoir revu le tumulte dont on avait bercé mon enfance? Croyez-vous, chère amie, que le néant de ces splendeurs soit chose nouvelle pour moi? Me prenez-vous pour une petite ingénue enivrée de son premier bal, ou croyez-vous que le monde ait beaucoup changé depuis trois ans que je l'ai perdu de vue? Non, non, allez! C'est toujours le même vide et décidément je le déteste; mais il faut y vivre ou devenir esclave dans l'isolement. La liberté vaut bien qu'on souffre pour elle. Je suis résolue à souffrir, puisqu'il n'y a pas de milieu à prendre.  À propos, ajouta-t-elle, je voulais vous dire quelque chose. Je ne suis pas assez gardée dans cette foule; mon père est si peu homme du monde qu'il passe tout son temps à causer dans un coin avec ses amis particuliers, tandis que les arrivants, cherchant partout le maître de la maison, viennent, en désespoir de cause, demander à ma tante Helmina de m'être présentés. Ma tante a une manière d'être et de dire, avec son accent allemand et ses préoccupations de ménagère, qui fait qu'on l'aime et qu'on se moque d'elle. La véritable maîtresse de la maison, quant à l'aspect et au maintien, c'est vous, ma chère Pauline, et je ne trouve pas que vous soyez mise assez en relief par votre titre de gouvernante. Il y aurait un détail bien simple pour changer la face des choses, c'est qu'au lieu de nous dire vous, nous fissions acte de tutoiement réciproque une fois pour toutes. Ne riez pas. En me disant toi, vous devenez mon amie de coeur, ma seconde mère, l'autorité, la supériorité que j'accepte. Le vous vous tient à l'état d'associée de second ordre, et le monde, qui est sot, peut croire que je ne dépends de personne.

 N'est-ce pas votre ambition?

 Oui, en fait, mais non en apparence; je suis trop jeune, je serais raillée, mon père serait blâmé. Voyons, portons la question devant lui, je suis sûre qu'il m'approuvera.

En effet, M. Dietrich me pria de tutoyer sa fille et de me laisser tutoyer par elle. L'effet fut magique dans l'intérieur. Les domestiques, dont je n'avais d'ailleurs pas à me plaindre, se courbèrent jusqu'à terre devant moi, les parents et amis regardèrent ce tutoiement comme un traité d'amitié et d'association pour la vie. Je ne sais si le monde y fit grande attention. Quant à moi, en me prêtant à ce prétendu hommage de mon élève, je me doutais bien de ce qui arriverait. Elle ne voulait pas me laisser l'autorité de la fonction, et, en me parant de celle de la famille, elle se constituait le droit de me résister comme elle lui résistait.

Cependant quelqu'un osait lui résister, à elle. Malgré des invitations répétées, M. de Rivonnière, en vue de qui Césarine avait amené son père à faire tant de mouvement et de dépasse, ne profita nullement de l'occasion. Il ne parut ni à la première soirée ni à la seconde. Ses parents le, disaient malade; on envoya chercher de ses nouvelles; il était absent.

Un jour, comme j'étais sortie seule pour quelques emplettes, je le rencontrai. Nous étions à pied, je l'abordai après avoir un peu hésité à le reconnaître; il n'était pas vêtu et cravaté avec la recherche accoutumée. Il avait l'air, sinon triste, du moins fortement préoccupé. Il ne paraissait pas se soucier de répondre à mes questions, et j'allais le quitter lorsque, par un soudain parti-pris, il m'offrit son bras pour traverser, la cour du Louvre.

 Il faut que je vous parle, me dit-il, car il est possible que mademoiselle Dietrich ne dise pas toute la vérité sur notre situation réciproque. Elle ne s'en rend peut-être pas compte à elle-même. Elle ne se croit pas brouillée avec moi, elle ignore peut-être que je suis brouillé avec elle.

Brouillé me paraissait un bien gros mot pour le genre de relations qui avait pu s'établir entre eux: je le lui fis observer.

 Vous pensez avec raison, reprit-il, qu'il est difficile de parler clairement amour et mariage à une jeune personne si bien surveillée par vous; mais, quand on ne peut parler, on écrit, et mademoiselle Dietrich n'a pas refusé de lire mes lettres, elle a même daigné y répondre.

 Dites-vous la vérité? m'écriai-je.

 La preuve, répondit-il, c'est qu'en vous voyant prête à me quitter tout à l'heure, j'ai senti que je devais lui renvoyer ses lettres. Voulez-vous me permettre de les faire porter chez vous dès ce soir?

 Certainement, vous agissez là en galant homme.

 Non, j'agis en homme qui veut guérir. Les lettres de mademoiselle Dietrich pourraient être lues dans une conférence publique, tant elles sont pures et froides. Elle ne me les a pas redemandées. Je ne crois même pas qu'elle y songe. Si le fait d'écrire est une imprudence, la manière d'écrire est chez elle une garantie de sécurité. Cette fille vraiment supérieure peut s'expliquer sur ses propres sentiments et dire toutes ses idées sans donner sur elle le moindre avantage, et sans permettre le moindre blâme à ses victimes.

 Alors pourquoi êtes-vous brouillés?

 Je suis brouillé, moi, avec l'espérance de lui plaire et le courage de le tenter. Un moment je me suis fait illusion en voyant qu'elle travaillait à me faire place dans son intimité. Elle m'offrait d'être son ami, et j'ai été assez fat pour me persuader qu'une personne comme elle n'accorderait pas ce titre à un prétendant destiné à échouer comme un autre. J'ai laissé voir ma sotte confiance, elle m'en a raillé en me disant qu'elle rentrait dans le monde et qu'il ne tenait qu'à moi de l'y rejoindre. Cette fois j'ai eu du chagrin, j'ai eu le coeur blessé, j'ai renoncé à elle, vous pouvez le lui dire.

 Elle ne le croira pas; je ne le crois pas beaucoup non plus.

 Eh bien! sachez que j'ai mis un obstacle, une faute, entre elle et moi. Je me suis jeté dans une aventure stupide coupable même, mais qui m'étourdit, m'absorbe et m'empêche de réfléchir. Cela vaut mieux que de devenir fou ou de s'avilir dans l'esclavage. Voilà ma confession faite; ce soir, vous aurez les lettres. Je m'en retourne de ce pas à la campagne, où je cache mes folles amours, à deux lieues de Paris, tandis que ma famille et mes amis me croient parti pour la Suisse.

Je reçus effectivement le soir même un petit paquet soigneusement cacheté, que j'allai déposer dans le bureau de laque de Césarine. Elle eût été fort blessée de me voir en possession de ce petit secret Elle ne sut pas tout de suite comment la restitution avait été faite.

Elle ne m'en parla pas; mais au bout de quelques jours elle me raconta le fait elle-même, et me demanda si les lettres avaient passé par les mains de son père. Je la rassurai.

 Elles t'auront été rapportées, lui dis-je, par la personne qui servait d'intermédiaire à votre correspondance.

 Il n'y a personne, répondit-elle. Je ne suis pas si folle que de me confier à des valets. Nous échangions nos lettres nous-mêmes à chaque entrevue. Il m'apportait les siennes dans un bouquet. Il trouvait les miennes dans un certain cahier de musique posé sur le piano, et qu'il avait soin de feuilleter d'un air négligent. Il jouait assez bien cette comédie.

 Et cependant tu m'avais priée d'assister à vos entrevues! Pourquoi écrire en cachette, quand tu n'avais qu'à me faire un signe pour m'avertir que tu voulais lui parler en confidence?

 Ah! que veux-tu? ce mystère m'amusait. Et qu'est-ce que mon père eût dit, si je t'eusse fait manquer à ton devoir? Voyons, ne me fais pas de reproches, je m'en fais; explique-moi comment ces lettres sont là. Il faut qu'il ait pris un confident. Si je le croyais!..

 Elles t'auront été rapportées, lui dis-je, par la personne qui servait d'intermédiaire à votre correspondance.

 Il n'y a personne, répondit-elle. Je ne suis pas si folle que de me confier à des valets. Nous échangions nos lettres nous-mêmes à chaque entrevue. Il m'apportait les siennes dans un bouquet. Il trouvait les miennes dans un certain cahier de musique posé sur le piano, et qu'il avait soin de feuilleter d'un air négligent. Il jouait assez bien cette comédie.

 Et cependant tu m'avais priée d'assister à vos entrevues! Pourquoi écrire en cachette, quand tu n'avais qu'à me faire un signe pour m'avertir que tu voulais lui parler en confidence?

 Ah! que veux-tu? ce mystère m'amusait. Et qu'est-ce que mon père eût dit, si je t'eusse fait manquer à ton devoir? Voyons, ne me fais pas de reproches, je m'en fais; explique-moi comment ces lettres sont là. Il faut qu'il ait pris un confident. Si je le croyais!..

 Ne l'accuse pas! Ce confident, c'est moi.

 À la bonne heure! Tu l'as donc vu?

Je racontai tout, sauf le moyen que M. de Rivonnière avait pris pour se guérir. Il est un genre d'explication dont on ne se fait pas faute à présent avec les jeunes filles du monde, et que je n'avais jamais voulu aborder avec Césarine, ni même devant elle. Sa tante n'avait de prudence que sur ce point délicat, et M. Dietrich, chaste dans ses moeurs, l'était également dans son langage. Césarine, malgré sa liberté d'esprit, était donc fort ignorante des détails malséants dont l'appréciation est toujours choquante chez une jeune fille. La petite Irma Dietrich, sa cousine, en savait plus long qu'elle sur le rôle des femmes galantes et des grisettes dans la société. Césarine, qui n'avait jamais montré aucune curiosité malsaine, la faisait taire et la rudoyait.

Elle prit donc le change quand je lui appris que le marquis se jetait, par réaction contre elle, dans une affection. Elle crut qu'il voulait faire un autre mariage, et me parut fort blessée.

 Tu vois! me dit-elle, j'avais bien raison de douter de lui et de ne pas répondre à ses beaux sentimens. Voilà comme les hommes sont sérieux! Il disait qu'il mourrait, si je lui ôtais tout espoir! Je lui en laissais un peu, et le voilà déjà guéri! Tiens! je veux te montrer ses lettres. Relisons-les ensemble. Cela me servira de leçon. C'est une première expérience que je ne veux pas oublier.

Les lettres du marquis étaient bien tournées quoique écrites, avec spontanéité. Je crus y voir l'élan d'un amour très sincère, et je ne pus m'empêcher d'en faire la remarque, Césarine se moqua de moi, prétendant que je ne m'y connaissais pas, que je lisais cela comme un roman, que, quant à elle, elle n'avait jamais été dupe. Quand nous eûmes fini ces lettres, elle fit le mouvement de les jeter au feu avec les siennes; mais elle se ravisa. Elle les réunit, les lia d'un ruban noir, et les mit au fond de son bureau en plaisantant sur ce deuil du premier amour qu'elle avait inspiré; mais je vis une grosse larme de dépit rouler sur sa joue, et je pensai que tout n'était pas fini entre elle et M. de Rivonnière.

L'hiver s'écoula sans qu'il reparût. Dix autres aspirants se présentèrent. Il y en avait pour tous les goûts: variété d'âge, de rang, de caractère, de fortune et d'esprit. Aucun ne fut agréé, bien qu'aucun ne fût absolument découragé, Césarine voulait se constituer une cour ou plutôt un cortège, car elle n'admettait aucun hommage direct dans son intérieur. Elle aimait à se montrer en public avec ses adorateurs, à distance respectueuse; elle se faisait beaucoup suivre, elle se laissait fort peu approcher.

Nous passâmes l'été à Mireval et aux bains de mer. Nous retrouvâmes là M. de Rivonnière, qui reprit sa chaîne comme s'il ne l'eût jamais brisée. Il me demanda si j'avais trahi le secret de sa confession.

 Non, lui dis-je, il n'était pas de nature à être trahi. Pourtant, si vous épousez Césarine, j'exige que vous vous confessiez à elle, car je ne veux pas être votre complice.

 Quoi s'écria-t-il, faudra-t-il que je raconte à une jeune fille dont la pureté m'est sacrée les vilaines ou folles aventures qu'un garçon raconte tout au plus à ses camarades?

 Non certes; mais cette fois-ci vous avez été coupable, m'avez-vous dit

 Raison de plus pour me taire.

 C'est envers Césarine que vous l'avez été, puisque vous voilà revenu à elle avec une souillure que vous n'aviez pas.

 Eh bien! soit, dit-il. Je me confesserai quand il le faudra; mais, pour que j'aie ce courage, il faut que je me voie aimé. Jusque-là, je ne suis obligé à rien. Je suis redevenu libre. Je lui sacrifie un petit amour assez vif: que ne ferait-on pas pour conquérir le sien?

Césarine l'aimait-elle? Au plaisir qu'elle montra de le remettre en servage, on eût pu le croire. Elle avait souffert de son absence. Son orgueil en avait été très-froissé. Elle n'en fit rien paraître et le reçut comme s'il l'eût quittée la veille: c'était son châtiment, il le sentit bien, et, quand il voulut revenir à ses espérances, elle ne lui fit aucun reproche; mais elle le replaça dans la situation où il était l'année précédente: assurances et promesses d'amitié, défense de parler d'amour. Il se consola en reconnaissant qu'il était encore le plus favorisé de ceux qui rendaient hommage à son idole.

Je terminerai ici la longue et froide exposition que j'ai dû faire d'une situation qui se prolongea jusqu'à l'époque où Césarine eût atteint l'âge de sa majorité. Je comptais franchir plus vite les cinq années que je consacrai à son instruction, car j'ai supprimé à dessein le récit de plusieurs voyages, la description des localités qui furent témoins de son existence, et le détail des personnages secondaires qui y furent mêlés Cela m'eût menée trop loin. J'ai hâte maintenant d'arriver aux événements qui troublèrent si sérieusement notre quiétude, et qu'on n'eût pas compris, si je ne me fusse astreinte à l'analyse du caractère exceptionnel dont je surveillais le développement jour par jour.

* * * * *

II

Je reprends mon récit à l'époque où Césarine atteignit sa majorité. Déjà son père l'avait émancipée en quelque sorte en lui remettant la gouverne et la jouissance de la fortune de sa mère, qui était assez considérable.

J'avais consacré déjà six ans à son éducation, et je peux dire que je ne lui avais rien appris, car, en tout, son intelligence avait vite dépassé mon enseignement. Quant à l'éducation morale, j'ignore encore si je dois m'attribuer l'honneur ou porter la responsabilité du bien et du mal qui étaient en elle. Le bien dépassait alors le mal, et j'eus quelquefois à combattre, pour les lui faire distinguer l'un de l'autre. Peut-être au fond se moquait-elle de moi en feignant d'être indécise, mais je ne conseillerai jamais à personne de faire des théories absolues sur l'influence qu'on peut avoir en fait d'enseignement.

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'au bout de ces six années j'aimais Césarine avec une sorte de passion maternelle, bien que je ne me fisse aucune illusion sur le genre d'affection qu'elle me rendait. C'était toute grâce, tout charme, toute séduction de sa part. C'était tout dévouement, toute sollicitude, toute tendresse de la mienne, et il semblait que ce fût pour le mieux, car notre amitié se complétait par ce que chacune de nous y apportait.

Cependant le bonheur qui m'était donné par Césarine et par son père ne remplissait pas tout le voeu de mon coeur. Il y avait une personne, une seule, que je leur préférais, et dont la société constante m'eût été plus douce que toute autre: je veux parler de mon neveu Paul Gilbert. C'est pour lui que j'étais entrée chez les Dietrich, et s'il en eût témoigné le moindre désir, je les eusse quittés pour mettre ma pauvreté en commun avec la sienne, puisqu'il persistait, avec une invincible énergie, à ne profiter en rien de mes bénéfices. Je n'aimais décidément pas le monde, pas plus le groupe nombreux que Césarine appelait son intimité que la foule brillante entassée à de certains jours dans ses salons. Mes heures fortunées, je les passais dans mon appartement avec deux ou trois vieux amis et mon Paul, quand il pouvait arracher une heure à son travail acharné. Je le voyais donc moins que tous les autres, c'était une grande privation pour moi, et souvent je lui parlais de louer un petit entre-sol dans la maison voisine de sa librairie, afin qu'il pût venir au moins dîner tous les jours avec moi.

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