Teverino - Жорж Санд 2 стр.


 Est-ce là tout?

 N'est-ce pas assez? Le moyen d'entendre dire de pareilles choses sans le railler et le contredire!

 Et qu'arrive-t-il quand vous rompez le silence du dédain?

 Il va souper avec lord H avec sir J avec M. D après quoi il dort vingt-quatre heures.

 L'avez-vous contrarié hier?

 Beaucoup. Je lui ai dit que son cheval anglais avait l'air bête.

 En ce cas, soyez donc tranquille, il dormira jusqu'à ce soir.

 Vous en répondez?

 Je l'ordonne.

 Eh bien, vivat! que ses esprits reposent en paix, et que le mariage lui soit léger! Savez-vous, Léonce, que c'est un joug affreux que celui-là?

 Oui, il y a des maris qui battent leur femme.

 Ce n'est rien; il y en a d'autres qui les font périr d'ennui.

 Est-ce donc là toute la cause de votre spleen? Je ne le crois pas, milady.

 Oh! ne m'appelez pas Milady! Je me figure alors que je suis Anglaise. C'est bien assez qu'on veuille me persuader, quand je suis en Angleterre, que mon mari m'a dénationalisée.

 Mais vous ne répondez à ma question, Sabina?

 Eh! que puis-je répondre? Sais-je la cause de mon mal?

 Voulez-vous que je vous la dise?

 Vous me l'avez dite cent fois, n'y revenons pas inutilement.

 Pardon, pardon, Madame. Vous m'avez traité de docteur subtil, admirable, vous m'avez investi du droit de vous guérir, ne fût-ce que pour un jour

 De me guérir en m'amusant, et ce que vous allez me dire m'ennuiera, je le sais.

 Inutile défaite d'une pudeur qu'un tendre soupirant trouverait charmante, mais que votre grave médecin trouve souverainement puérile!

 Eh bien, si vous êtes cassant et brutal, je vous aime mieux ainsi. Parlez donc.

 L'absence d'amour vous exaspère, votre ennui est l'impatience et non le dégoût de vivre, votre fierté exagérée trahit une faiblesse incroyable. Il faut aimer, Sabina.

 Vous parlez d'aimer comme de boire un verre d'eau. Est-ce ma faute, si personne ne me plaît?

 Oui, c'est votre faute! Votre esprit a pris un mauvais tour, votre caractère s'est aigri, vous avez caressé votre amour-propre, et vous vous estimez si haut désormais que personne ne vous semble digne de vous. Vous trouvez que je vous dis de grandes duretés, n'est-ce pas? Aimeriez-vous mieux des fadeurs?

 Oh! je vous trouve charmant aujourd'hui, au contraire! s'écria en riant lady G sur le beau visage de laquelle un peu d'humeur avait cependant passé. Eh bien, laissez-moi me justifier, et citez-moi quelqu'un qui me donne tort. Je trouve tous les hommes que le monde jette autour de moi ou vains et stupides, ou intelligents et glacés. J'ai pitié des uns, j'ai peur des autres.

 Vous n'avez pas tort. Pourquoi ne cherchez-vous pas hors du monde?

 Est-ce qu'une femme peut chercher? Fi donc!

 Mais on peut se promener quelquefois, rencontrer, et ne pas trop fuir.

 Non, on ne peut pas se promener hors du monde, le monde vous suit partout, quand on est du grand monde. Et puis, qu'y a-t-il hors du monde? des bourgeois, race vulgaire et insolente; du peuple, race abrutie et malpropre; des artistes, race ambitieuse et profondément égoïste. Tout cela ne vaut pas mieux que nous, Léonce. Et puis, si vous voulez que je me confesse, je vous dirai que je crois un peu à l'excellence de notre sang patricien. Si tout n'était pas dégénéré et corrompu dans le genre humain, c'est encore là qu'il faudrait espérer de trouver des types élevés et des natures d'élite. Je ne nie pas les transformations de l'avenir, mais jusqu'ici je vois encore le sceau du vasselage sur tous ces fronts récemment affranchis. Je ne hais ni ne méprise, je ne crains pas non plus cette race qui va, dit-on, nous chasser; j'y consens. Je pourrais avoir de l'estime, du respect et de l'amitié pour certains plébéiens; mais mon amour est une fleur délicate qui ne croît pas dans le premier terrain venu; j'ai des nerfs de marquise; je ne saurais me changer et me maniérer. Plus j'accepte l'égalité future, moins je me sens capable de chérir et de caresser ce que l'inégalité a souillé dans le passé. Voilà toute ma théorie, Léonce, vous n'avez donc pas lieu de me prêcher. Voulez-vous que je me fasse soeur de charité? Je ne demande pas mieux que de surmonter mes dégoûts en vue de la charité; mais vous voulez que je cherche le bonheur de l'amour, là où je ne vois à pratiquer que l'immolation de la pénitence!

 Je ne vous prêcherai rien, Sabina; je ne vaux ni mieux ni moins que vous; seulement, je crois avoir un instinct plus chaud, un désir plus ardent de la dignité de l'homme, et cette ardeur vraie est venue le jour où je me suis senti artiste. Depuis ce jour le genre humain m'est apparu, non pas partagé en castes diverses, mais semé de types supérieurs par eux-mêmes. Je ne crois donc pas l'habitude assez influente sur les âmes, assez destructive du pouvoir divin, pour avoir flétri à jamais la postérité des esclaves. Quand il plaît à Dieu que la Fornarina soit belle, et que Raphaël ait du génie, ils s'aiment sans se demander le nom de leurs aïeux. La beauté de l'âme et du corps, voilà ce qui est noble et respectable; et, pour être sortie d'une ronce, la fleur de l'églantier n'est pas moins suave et moins charmante.

 Oui, mais pour aller la respirer, il faut vous déchirer dans de sauvages buissons. Et puis, Léonce, nous ne pouvons pas voir de même la beauté idéale. Vous êtes homme et artiste, c'est-à-dire que vous avez un sentiment à la fois plus matériel et plus exalté de la forme; votre art est matérialiste. C'est le divin Raphaël épris de la robuste Fornarina. Eh bien, oui! la maîtresse du Titien me parait aussi une belle grosse femme sensuelle, nullement idéaleNous autres patriciennes, nous ne concevons pas Mais, grand Dieu! voici un équipage qui vient à nous, et qui ressemble tout à fait à celui de la marquise!

 Et c'est elle-même avec le jeune docteur!

 Voyez, Léonce, voici une femme plus facile à satisfaire que moi! Nous allons surprendre une intrigue. Elle se faisait passer pour malade, et la voilà qui se promène avec

 Avec son médecin, comme vous avec le vôtre, Madame. Elle s'amuse par ordonnance.

 Oui, mais vous n'êtes que le médecin de mon âme

 Vous êtes cruelle, Sabina! que savez-vous si ce beau jeune homme ne s'adresse pas plutôt à son coeur qu'à ses sens?.. Et si elle pensait aussi mal de vous, ne serait-elle pas profondément injuste, puisque moi, qui suis en tête-à-tête avec vous, je ne m'adresse ni à votre coeur, ni

 Juste ciel! Léonce! vous m'y faites penser. Elle est méchante, elle a besoin de se justifier par l'exemple des autres elle va passer près de nous. Elle est hardie; au lieu de se cacher elle va nous observer, me reconnaître c'est peut-être déjà fait!

 Non, Madame, répondit Léonce, votre voile est baissé, et elle est encore loin; d'ailleurs prends à gauche, le chemin de Sainte-Apollinaire! cria-t-il au jockey qui lui servait de cocher, et qui conduisait avec vitesse et résolution.

Le wurst s'enfonça dans un chemin étroit et couvert, et la calèche de la marquise passa, peu de minutes après, sur la grande route.

 Vous voyez, Madame, dit Léonce, que la Providence veille sur vous aujourd'hui, et qu'elle s'est incarnée en moi. Il faut faire souvent un long trajet dans ces montagnes pour trouver un chemin praticable aux voitures, aboutissant à la rampe, et il s'en est ouvert un comme par miracle au moment où vous avez désiré de fuir.

 C'est si merveilleux, en effet, répondit lady G en souriant, que je pense que vous l'avez ouvert et frayé d'un coup de baguette. Oui, c'est un enchantement! Les belles haies fleuries et les nobles ombrages! J'admire que vous ayez songé à tout, même à nous donner ici l'ombre et les fleurs qui nous manquaient lorsque nous suivions la rampe. Ces châtaigniers centenaires que vous avez plantés là sont magnifiques. On voit bien, Léonce, que vous êtes un grand artiste, et que vous ne pouvez pas créer à demi.

 C'est si merveilleux, en effet, répondit lady G en souriant, que je pense que vous l'avez ouvert et frayé d'un coup de baguette. Oui, c'est un enchantement! Les belles haies fleuries et les nobles ombrages! J'admire que vous ayez songé à tout, même à nous donner ici l'ombre et les fleurs qui nous manquaient lorsque nous suivions la rampe. Ces châtaigniers centenaires que vous avez plantés là sont magnifiques. On voit bien, Léonce, que vous êtes un grand artiste, et que vous ne pouvez pas créer à demi.

 Vous dites des choses charmantes, Sabina, mais vous êtes pâle comme la mort! Quelle crainte vous avez de l'opinion! quelle terreur vous a causée cette rencontre et ce danger d'un soupçon! Je ne me serais jamais douté qu'une personne aussi forte et aussi fière fût aussi timide!

 On ne se connaît qu'à la campagne, disent les gens du monde. Cela veut dire que l'on ne se connaît que dans le tête-à-tête. Ainsi, Léonce, nous allons ce matin nous découvrir mutuellement beaucoup de qualités et beaucoup de défauts que nous n'avions encore jamais aperçus l'un chez l'autre. Ma timidité est vertu ou faiblesse, je l'ignore.

 C'est faiblesse.

 Et vous méprisez cela?

 Je le blâmerai peut-être. J'y trouverai tout au moins l'explication de ce raffinement de goûts, de cette habitude de dédains exquis dont vous me parliez tout à l'heure. Vous ne vous rendez peut-être pas bien compte de vous-même. Vous attribuez peut-être trop à la délicatesse exagérée de vos perceptions aristocratiques ce qui n'est en réalité que la peur du blâme et des railleries de vos pareils.

 Mes pareils sont les vôtres aussi, Léonce; n'avez-vous donc aucun souci de l'opinion? Voudriez-vous que je fisse un choix dont j'eusse à rougir. Ce serait bizarre.

 Ce serait par trop bizarre, et je n'y songe point. Mais une hardiesse d'indépendance plus prononcée me paraîtrait pour vous une ressource précieuse, et je vois que vous ne l'avez pas. Il n'est plus question ici de choisir dans une sphère ou dans l'autre, je dis seulement qu'en général, quelque choix que vous fassiez, vous serez plus occupée du jugement qu'on en portera autour de vous que des jouissances que vous en retirerez pour votre compte personnel.

 Je n'en crois rien, et ceci passe la limite des vérités dures, Léonce; c'est une taquinerie méchante, un système de malveillantes inculpations.

 Voilà que nous commençons à nous quereller, dit Léonce. Tout va bien, si je réussis à vous irriter contre moi; j'aurai au moins écarté l'ennui.

 Si la marquise entendait notre conversation, dit Sabina en reprenant sa gaieté, elle n'y trouverait pas à mordre, je présume?

 Mais comme elle ne l'entend pas et que nous pouvons faire d'autres rencontres, il est bon que nous rompions davantage notre tête-à-tête, et que nous nous entourions de quelques compagnons de voyage.

 Est-ce qu'à votre tour, vous prenez de l'humeur, Léonce?

 Nullement; mais il entre dans mes desseins que vous ayez un chaperon plus respectable que moi; je le vois qui vient à ma rencontre. Le destin l'amène en ce lieu, sinon mon pouvoir magique.

Sur un signe de son maître, le jockey arrêta ses chevaux. Léonce sauta lestement à terre et courut au-devant du curé de Sainte-Apollinaire, qui marchait gravement à l'entrée de son village, un bréviaire à la main.

II.

ADVIENNE QUE POURRA

 Monsieur le curé, dit Léonce, je suis au désespoir de vous déranger. Je sais que quand le prêtre est interrompu dans la lecture de son bréviaire, il est forcé de le recommencer, fût-il à l'avant-dernière page. Mais je vois avec plaisir que vous n'en êtes encore qu'à la seconde, et le motif qui m'amène auprès de vous est d'une telle urgence, que je me recommande à votre charité pour excuser mon indiscrétion.

Le curé fit un soupir, ferma son bréviaire, ôta ses lunettes, et, levant sur Léonce de gros yeux bleus qui ne manquaient pas d'intelligence:

 A qui ai-je l'honneur de parler? dit-il.

 A un jeune homme rempli de sincérité, répondit gravement Léonce, et qui vient vous soumettre un cas fort délicat. Ce matin, j'ai persuadé très-innocemment à une jeune dame, que vous pouvez apercevoir là-bas en voiture découverte, de faire une promenade avec moi dans vos belles montagnes. Nous sommes étrangers tous deux aux usages du pays; nos sentiments l'un pour l'autre sont ceux d'une amitié fraternelle; la dame mérite toute considération et tout respect; mais un scrupule lui est venu en chemin, et j'ai dû m'y soumettre. Elle dit que les habitants de la contrée, à la voir courir seule avec un jeune homme, pourraient gloser sur son compte, et la crainte d'être une cause de scandale est devenue si vive dans son esprit que j'ai regardé comme un coup du ciel l'heureux hasard de votre rencontre. Je me suis donc déterminé à vous demander la faveur de votre société pour une ou deux heures de promenade, ou tout au moins pour la reconduire avec moi à sa demeure. Vous êtes si bon, que vous ne voudrez pas priver une aimable personne d'une partie de plaisir vraiment édifiante, puisqu'il s'agit surtout pour nous de glorifier l'Eternel dans la contemplation de son oeuvre, la belle nature.

 Mais, Monsieur, dit le curé qui montrait un peu de méfiance, et qui regardait attentivement la voiture, vous n'êtes point seul; vous avez avec vous deux autres personnes.

 Ce sont nos domestiques, qu'un sentiment instinctif des convenances nous a engagé à emmener.

 Eh bien, alors, je ne vois pas ce que vous pouvez craindre des méchantes langues. On ne fait point le mal devant des serviteurs.

 La présence des domestiques ne compte pas dans l'esprit des gens du monde.

 C'est par trop de mépris des gens qui sont nos frères.

 Vous parlez dignement, monsieur le curé, et je suis de votre opinion. Mais vous conviendrez que, placés comme les voilà sur le siège de la voiture, on pourrait supposer que je tiens à cette dame des discours trop tendres, que je peux lui prendre et lui baiser la main à la dérobée.

Le curé fit un geste d'effroi, mais c'était pour la forme; son visage ne trahit aucune émotion. Il avait passé l'âge où de brûlantes pensées tourmentent le prêtre. Ou bien possible est qu'il ne se fût pas abstenu toujours au point de haïr la vie et de condamner le bonheur. Léonce se divertit à voir combien ses prétendus scrupules lui semblaient puérils.

 Si ce n'est que cela, repartit le bonhomme, vous pouvez placer la noire dans la voiture entre vous deux. Sa présence mettra en fuite le démon de la médisance.

 Ce n'est guère l'usage, dit le jeune homme embarrassé de la judiciaire du vieux prêtre. Cela semblerait affecté. Le danger est donc bien grand, penseraient les méchants, puisqu'ils sont forcés de mettre entre eux une vilaine négresse? Au lieu que la présence d'un prêtre sanctifie tout. Un digne pasteur comme vous est l'ami naturel de tous les fidèles, et chacun doit comprendre que l'on recherche sa société.

 Vous êtes fort aimable, mon cher Monsieur, et je ne demanderais qu'à vous obliger, répondit le curé, flatté et séduit peu à peu; mais je n'ai pas encore dit ma messe, et voici le premier coup qui sonne. Donnez-moi vingt minutes ou plutôt venez entendre la messe. Ce n'est pas obligatoire dans la semaine, mais cela ne peut jamais faire de mal; après cela vous me permettrez de déjeuner, et nous irons ensuite faire un tour de promenade ensemble si vous le désirez.

 Nous entendrons la messe, répondit Léonce; mais aussitôt après, nous vous emmènerons déjeuner avec nous dans la campagne.

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