Les épreuves de ma photographie n'ont pas encore très bien réussi chez Nadar; j'y retourne demain. M. Harmant vient pour sûr mercredi. Il m'a envoyé une loge pour ce jour-là; car il faut bien que je connaisse son théâtre. Je voudrais aussi voir Villemer, que je n'ai encore fait qu'apercevoir à moitié. J'ai demandé hier trois places, pas une qui ne soit louée jusqu'à samedi.
DLI
M. GUSTAVE FLAUBERT
Paris, 10 mars 1864.
Cher Flaubert, Je ne sais pas si vous m'avez prêté ou donné le beau livre de M. Taine. Dans le doute, je vous le renvoie; je n'ai eu le temps d'en lire ici qu'une partie, et, à Nohant, je n'aurai que le temps de griffonner pour Buloz; mais, à mon retour, dans deux mois, je vous redemanderai ces excellents volumes d'une si haute et si noble portée.
Je regrette de ne vous avoir pas dit adieu; toutefois, comme je reviens bientôt, j'espère que vous ne m'aurez pas oubliée et que vous me ferez lire aussi quelque chose de vous.
Vous avez été si bon et si sympathique pour moi à la première représentation de Villemer, que je n'admire plus seulement votre admirable talent, je vous aime de tout mon coeur.
GEORGE SAND.
DLII
A M. CHARLES DUVERNET, A NEVERS
Nohant, 24 mars 1864.
Mon cher ami, Nous changeons de place pour quelque temps. Mes enfants ne veulent pas habiter Nohant sans moi; ils ont raison et ils me font plaisir. Nous allons tous nous caser auprès de Paris, afin de pouvoir nous occuper de théâtre et d'autres travaux plus réalisables là où nous serons. Nous organisons Nohant sur un bon pied de conservation, afin de pouvoir, tous les ans, y passer une saison tous ensemble. Voilà. Ce n'est pas un départ ni un abandon du pays, ni une séparation de famille, c'est une installation plus légère à porter et à transporter; car nous avons aussi pour l'année prochaine des projets de voyage. Il me semble que vous faites un peu de même en n'habitant pas le Coudray toute l'année. Espérons que nos loisirs de campagne se rencontreront et que vous ne vous apercevrez guère par conséquent de ce changement.
As-tu reçu signe dévie de Guéroult? Je t'ai écrit que je l'avais vu et qu'il m'avait promis ce que tu désires. Je n'ai pas répondu à ta lettre de félicitations pour Villemer: je comptais te retrouver ici. Je te remercie donc aujourd'hui et j'embrasse toute ta chère famille. Amitiés d'ici.
G. SAND.
DLIII
A MADAME AUGUSTINE DE BERTHOLDI, A DECIZE
Nohant, 31 mars 1864
Ma chère enfant, Puisque Duvernet t'a dit que je quittais Nohant, il aurait pu te dire aussi, puisque je le lui ai écrit, que je ne le quittais pas d'une manière absolue, mais que je prenais seulement des arrangements pour passer, ainsi que Maurice et Lina, une partie de l'année à Paris. Le succès de Villemer me permet de recouvrer un peu de liberté dont j'étais privée tout à fait à Nohant dans ces dernières années, grâce aux bons Berrichons, qui, depuis les gardes champêtres de tout le pays jusqu'aux amis de mes amis, et Dieu sait s'ils en ont! voulaient être placés par mon grand crédit. Je passais ma vie en correspondances inutiles et en complaisances oiseuses. Avec cela les visiteurs qui n'ont jamais voulu comprendre que le soir était mon moment de liberté et le jour mon heure de travail! j'en étais arrivée à n'avoir plus que la nuit pour travailler et je n'en pouvais plus. Et puis trop de dépense à Nohant, à moins de continuer ce travail écrasant. Je change ce genre de vie; je m'en réjouis, et je trouve drôle qu'on me plaigne. Mes enfants s'en trouveront bien aussi, puisqu'ils étaient claquemurés aussi par les visites de Paris et que nous nous arrangerons pour être tout près les uns des autres à Paris, et pour revenir ensemble à Nohant quand il nous plaira d'y passer quelque temps. On a fait sur tout cela je ne sais quels cancans, et on me fait rire quand on me dit: «Vous allez donc nous quitter? Comment ferez-vous pour vivre sans nous?»
Ces bons Berrichons! Il y a assez longtemps qu'ils vivent de moi.
Duvernet sait bien tout cela, et je m'étonne qu'il s'étonne.
DLIV
A M. HIPPOLYTE MAGEN, A MADRID
Nohant, 24 avril 1864.
Une absence de quelques jours m'a empêchée, monsieur, de répondre à votre excellente lettre et de vous dire toute ma gratitude pour les détails que vous me donnez.
Vous adoucissez autant que possible la douleur de l'événement6, en me disant que notre ami n'a pas eu à lutter contre la crise finale, et que les derniers temps de sa vie ont été heureux. La compensation a été bien courte, après une vie de luttes et de souffrances. Mais je suis de ceux qui croient que la mort est la récompense d'une bonne vie, et la vie de ce pauvre ami a été méritante et généreuse. Les regrets sont pour nous, et votre coeur les apprécie noblement.
J'ai envoyé votre lettre à madame Y... soeur de Fulbert, et je lui ai fait le sacrifice, du portrait photographié. S'il vous était possible de m'en envoyer un autre exemplaire, je vous en serais doublement obligée. Madame Y... compte vous écrire pour vous remercier aussi de l'affection délicate que vous portiez à son frère et pour vous confier, je pense, la mission que vous offrez si généreusement de remplir.
Quant aux détails de l'enterrement, j'ignore ce qu'elle en pense. Je la connais fort peu; mais je vous remercie, moi, pour mon compte, de la suprême convenance de votre intervention.
Vous avez fait respecter le voeu qu'il eût exprimé, lui, s'il eût pu vous adresser ses dernières paroles.
Merci, encore, monsieur, et bien à vous.
G. SAND.
DLV
A M. BERTON PÈRE, A PARIS
Nohant, 5 mai 1864.
Mon cher et charmant enfant, Voulez-vous vous charger de négocier avec M. Harmant7 la reprise de Villemer pour le 15 septembre prochain? M. de la Rounat m'écrit que vous consentez à nous assurer cette reprise, car, sans vous, que serait-elle? Il n'y aurait pas à y attacher la moindre importance. Si donc vous ne nous abandonnez pas, et je vous en remercie bien sérieusement, il faut que nous obtenions de M. Harmant qu'il vous laisse avec nous le plus longtemps possible, à la charge exclusive de l'Odéon, bien entendu, jusqu'au moment où il aura effectivement besoin de vous. Il m'a dit n'avoir besoin de vous en effet que pour jouer la pièce que je compte lui faire et où vous avez bien voulu accepter le premier rôle. Que cette pièce soit Christian Waldo8, ou une autre, je me mettrai à ce travail le mois prochain, et je ferai de mon mieux pour arriver en temps utile, c'est-à-dire en janvier, ce qui est bien dans mon intérêt. Jusque-là, quand même vous joueriez encore Villemer, rien ne vous empêcherait de me répéter à la Gaieté. Si vous n'êtes pas effrayé de voir devant vous tant de prose de George Sand, ayez l'obligeance de communiquer ma lettre à M. Harmant en lui offrant tous mes compliments, et de lui demander s'il accepte cet arrangement si simple. Comme, avant tout, il faut que vous l'acceptiez, c'est à vous que je m'adresse pour que nous nous entendions sur toute la ligne et sans perdre de temps. Je ne veux faire une pièce nouvelle qu'autant que vous la jouerez, et il faut que je sois fixée pour y travailler bientôt exclusivement. J'attends donc votre réponse pour cela, et pour dire à M. de la Rounat de traiter de votre rachat avec M. Harmant pour l'automne prochain.
A vous de coeur, mon cher enfant, et toutes les amitiés des miens.
DLVI
A MADEMOISELLE NANCY FLEURY, A PARIS
Nohant, 8 mai 1864.
Chère amie, Je ne savais pas que cette petite feignante de Lina ne vous avait pas répondu. Elle ne s'en est pas vantée. Elle est si absorbée par son poupon, et elle s'en occupe si gentiment et si bien, qu'il faut lui pardonner tout.
Ne soyez pas inquiets de nous: nous nous portons tous bien, et nos petites incertitudes ont cessé. Les chers enfants ne veulent pas gouverner Nohant; ils ont un peu tort dans leur intérêt, ils y mettraient sans doute plus d'économie que moi. Mais ils y portent je ne sais quels scrupules qui sont bons et tendres. Je mets donc Nohant sur le pied d'absence, avec la facilité d'y revenir à tout moment et d'y retrouver Sylvain, régisseur de la réserve; Marie, gouvernante de la maison, et le jardin en bonnes mains. Cela fait, je vole à Palaiseau; car, si Villemer me donne de quoi payer mon arriéré, ce n'est pas une raison pour que j'en recommence un nouveau l'année prochaine, et que je ne puisse jamais me reposer.
Mais, en ce moment, j'achète mon prochain repos par un surcroît de travail. Il faut que je fasse à Buloz, au grand galop, un long roman; et, comme ledit Buloz a été très bien pour moi, je dois le contenter, morte ou vive. Voilà pourquoi je ne trouve pas une heure pour écrire à mes amis. Je me porte bien à présent. Je me suis envolée toute seule quelques jours à Gargilesse, où j'ai travaillé la nuit, mais où j'ai couru le jour. C'est un paradis en cette saison. Mes enfants sont encore un peu aux arrêts forcés à cause de M. Marc9; mais le voilà qui a des dents et qui mange de la viande. Il ne tardera pas à être sevré; après quoi, ses parents doivent le conduire dans le Midi et à Paris, où ils ont envie de faire aussi une petite installation. Moi, je crois qu'ils seraient mieux à Nohant. Nous verrons. Le petit est charmant, gai comme un pinson et pas du tout grognon.
Au revoir et à bientôt, mes bons amis; aimez-vous toujours. Je vous embrasse tous bien tendrement. Lina réparera ses torts en vous écrivant une longue lettre.
G. SAND.
DLVII
A M. OSCAR CASAMAJOU, A CHATELLERAULT
Nohant, mai 1864.
Ne crois donc pas ces bêtises, mon cher enfant. Ce sont les aimables commentaires de la Châtre sur un fait bien simple. Je me rapproche de Paris pour un temps plus long que de coutume, afin de pouvoir faire quelques pièces de théâtre qui, si elles réussissent, même moitié moins que Villemer, me permettront de me reposer dans peu d'années. Maurice aussi est tenté d'en essayer, et, comme il a bien réussi dans le roman, il peut réussir là aussi. Mais, pour cela, il ne faut pas habiter Nohant toute l'année, et, si on s'absente, il ne faut pas y laisser un train de maison qui coûte autant que si l'on y était. En conséquence, nous nous sommes entendus pour réduire nos dépenses ici et pour avoir un pied-à-terre plus complet à Paris. Nous n'aimons la ville ni les uns ni les autres; nous ferons notre pied-à-terre d'une petite campagne à portée d'un chemin de fer. Je compte aller à Paris le mois prochain, Maurice doit aller voir son père avec Lina et Coco, à cette époque. Il me rejoindra à Paris, et Nohant, mis sur un pied plus modeste, mais bien conservé par les soins de Sylvain et de Marie, qui y resteront avec un jardinier, nous reverra tous ensemble quand nous ne serons pas occupés à Paris. A tout cela nous trouverons tous de l'économie, et j'aurai, moi, un travail moins continu. Nous vivons toujours en bonne intelligence, Dieu merci; mais, si les gens de La Châtre n'avaient pas incriminé selon leur coutume, c'est qu'ils auraient été malades.
Je te remercie, cher enfant, du souci que tu en as pris. Mais sois sûr que, si j'avais quelque gros chagrin, tu ne l'apprendrais pas par les autres. Ta femme a envoyé à Lina des amours de robes. Coco a été superbe avec ça, le jour de son baptême, avant-hier. Il est gentil comme tout. Nous vous embrassons tendrement, mes chers enfants.
Quand tu iras à Paris, comme j'ai quitté la rue Racine, dont les quatre étages me fatiguaient trop, tu sauras où je suis, en allant rue des Feuillantines, 97; mets cela sur ton carnet.
Je te disais que, si j'avais un gros chagrin, je te le dirais. J'ai eu, non un chagrin, mais un souci cet hiver. Mon budget s'était trouvé dépassé et je me voyais surchargée de travail pour me remettre au pair. C'est alors que, tous ensemble, nous avons cherché une combinaison d'économie pour Nohant et que nous l'avons trouvée. Quant à l'arriéré, Villemer l'a déjà couvert.
DLVIII
A M. GUILLEMAT, LIBRAIRE, A LA CHÂTRE10
Nohant, 11 juin 1861
Monsieur, Je suis vivement touchée de la lettre collective qui m'a été écrite au nom de plusieurs artisans et commerçants de la Châtre; je vous prie de leur en exprimer ma reconnaissance et de leur dire que je n'oublierai jamais notre bon pays et les sympathies que j'y ai rencontrées. Elles me payent largement des petites persécutions qui m'ont été suscitées en d'autres temps et que j'aurais rencontrées partout ailleurs; car le monde ne comprend pas toujours que l'humanité n'est qu'une seule et même famille, et il faudra encore du temps pour que l'on sache où est le bonheur.
Il serait dans la sainte fraternité et son jour viendra, les poètes n'en peuvent pas douter; car c'est le pressentiment qui les fait vivre.
Nous traversons, en attendant, une époque de civilisation où le travail est anobli dans l'opinion des honnêtes gens et où beaucoup de souffrances et de fatigues ne font rien perdre à l'homme de son indépendance et de sa dignité, quand il sait les comprendre.
Plusieurs comprennent: patience avec ceux qui ne comprennent pas!
Je ne m'absente que pour peu de temps, j'espère; mais, de loin ou de près, croyez bien, messieurs, que mon coeur restera avec vous et que votre belle et bonne lettre sera un de mes plus doux souvenirs.
Recevez-en mes remerciements avec l'expression de mon dévouement sincère.
GEORGE SAND.
DLIX
A MAURICE SAND, A GUILLERY
Palaiseau, 18 juin 1801.
Mon Bouli, J'ai reçu ce matin ta lettre de jeudi soir, et, à l'heure qu'il est, tu es encore à Nohant. Celle-ci (de lettre) te trouvera à Guillery, d'où il me tarde bien d'avoir des nouvelles de votre voyage. Ce brave Cocoton va-t-il être étonné de dormir avec ce tapage de chemin de fer, lui qui ne veut pas que sa mère respire trop fort à côté de lui! Ce sera de quoi le corriger; car il faudra bien qu'il prenne son parti de ce vacarme.
On dit dans les journaux qu'il pleut à verse dans toute la France, si bien que je crains que vous ne trouviez pas le beau temps à Guillery. Mais pourtant le baromètre remonte.
Ici, le mauvais temps est supportable. La maison est si gentille et si bien appropriée à tous mes besoins, je suis si bien installée et outillée pour écrire, que je ne m'impatiente pas d'y rester. Hier, il faisait beau, nous avons fait un tour dans le vallon de la petite rivière. La rivière est trouble en ce moment, mais le pays est délicieux. Les gens de la campagne sont tous cultivateurs, propriétaires, franchement paysans et très gentils à la rencontre. Ils vous disent bonjour comme à Gargilesse.