Les Maîtres sonneurs - Жорж Санд 8 стр.


 S'il en est ainsi, répondis-je, pourquoi ne lui as-tu point dit d'entrer chez nous, où il se serait reposé et rafraîchi d'un bon coup de vin? Je lui aurais fait bonne fête pour t'avoir si honnêtement tenu parole.

 Oh! pour ce qui est de ça, dit Joseph, c'est un homme qui ne se comporte pas toujours comme les autres. Il a ses coutumes, ses idées et ses raisons. Ne m'en demande pas plus que je ne peux t'en dire.

 C'est donc qu'il se cache des honnêtes gens? fit Brulette. Ça me paraît pire que d'être sorcier. C'est quelqu'un qui a fait du mal, puisqu'il ne roule que de nuit, et que tu ne peux point le nommer à tes amis.

 Je vous dirai ça demain, répondit Joseph en souriant de nos craintes. Pour ce soir, pensez comme vous voudrez, je ne vous dirai rien de plus. Allons, Brulette, voilà que le coucou marque minuit. Je vas te reconduire, et je mettrai chez toi ma cornemuse en garde et en cache; car ce n'est point dans tout le pays d'alentour que je peux m'y essayer, et le temps de me faire connaître n'est point encore venu.

Brulette me fit son adieu bien gentiment, en mettant sa main dans la mienne. Mais quand je vis qu'elle mettait tout son bras sous celui de Joseph, pour s'en aller, la jalousie me galopant encore une fois, je les laissai partir par le chemin, et, coupant droit par le côté de la chènevière, je traversai le petit pré et me postai sous la haie pour les voir passer ensemble. Le temps s'était éclairci un peu, et, comme il avait tombé de l'eau, je vis Brulette quitter le bras de Joseph pour relever sa robe plus commodément, en lui disant: Tiens, ça n'est pas aisé de marcher deux de front. Passe devant moi.

À la place de Joset, j'eusse offert de la porter dans le mauvais chemin, ou, si je n'eusse point osé la prendre dans mes bras, à tout le moins j'aurais resté derrière elle pour regarder tout mon soûl sa jolie jambe. Mais Joset n'en fit rien; il ne s'embarrassait d'aucune chose au monde que de sa musette, et, en le voyant la plier avec soin et la regarder avec amour, je connus bien qu'il n'avait point d'autre amoureuse pour le moment.

Je rentrai chez moi plus tranquille de toutes façons, et me mis au lit, un peu fatigué de mon corps et de mon esprit.

Mais je n'y fus pas un quart d'heure sans être éveillé par monsieur Parpluche, qui, s'étant amusé avec les chiens de l'homme étranger, revenait chercher son maître, et qui grattait à ma porte. Je me levai pour le faire entrer, et m'avisai alors d'un bruit dans mon avoine, laquelle poussait verte et drue derrière la maison, et qui me semblait tondue à belles dents et labourée à quatre pieds par quelque bête à qui je n'avais point vendu mon grain en herbe.

J'y courus, armé du premier bâton qui me tomba sous la main et en sifflant Parpluche, qui ne m'obéit point et s'en fut chercher son maître, après avoir flairé dans la maison.

Entrant donc dans mon petit champ, j'y vis quelque chose qui se roulait sur le dos, les pattes en l'air, écrasant à droite et à gauche, se relevant, sautant, broutant, et prenant du tout bien à son aise. Je fus un moment sans oser courir dessus, ne connaissant pas quelle bête c'était. Je n'en distinguais bien que les oreilles, qui étaient trop longues pour appartenir à un cheval; mais le corps était trop noir et trop gros pour être celui d'un âne. Je m'en approchai doucement; la bête ne paraissait ni méchante, ni farouche, et je connus alors que c'était un mulet, encore que je n'en eusse pas vu souvent, car on n'en élève point dans nos pays, et les muletiers n'y passent guère. Je m'apprêtais à le prendre et le tenais déjà aux crins, quand, levant de l'arrière-train et lâchant une douzaine de ruades dont je n'eus que le temps de me garer, il sauta comme un lièvre par-dessus le fossé et s'ensauva si vite, qu'en un moment je l'eus perdu de vue.

Ne me souciant point d'avoir mon avoine gâtée par le retour de cette bête, je renonçai à dormir avant d'en avoir le cœur net. Je rentrai à la maison pour prendre ma veste et mes souliers, et, fermant bien les portes, je descendis par les prés vers le côté où j'avais vu courir la mule. J'avais bien une doutance que ça faisait partie de la bande à l'homme noir, ami de Joseph; justement, Joseph m'avait conseillé de n'y rien voir; mais depuis que j'avais touché une bête vivante, je ne me sentais plus aucune crainte. On n'aime pas les fantômes; mais quand on est sûr d'avoir affaire à du solide, c'est autre chose, et du moment que l'homme noir était un homme, si fort fût-il et si barbouillé lui plût-il de se montrer, je ne m'en embarrassais non plus que d'une belette.

Vous n'êtes pas sans avoir ouï dire que j'étais un des plus forts du pays dans mon jeune temps, puisque, tel que me voilà, je ne crains encore personne.

Avec ça, j'étais vif comme un gardon, et je savais qu'en un danger au-dessus du pouvoir d'un seul, il aurait fallu être un oiseau ailé pour m'attraper à la course. M'étant donc précautionné d'une corde, et armé de mon fusil, à moi, qui n'avait point de balles bénites, mais qui portait plus juste que celui de mon père, je me mis à la recherche.

Je n'avais pas fait deux cents pas, que je vis trois autres bêtes pareilles, dans la marsèche à mon beau-frère, lesquelles s'y comportaient aussi malhonnêtement que possible. Comme la première, elles se laissèrent bien approcher, mais, tout aussitôt, prirent leur course et se sauvèrent dans un autre héritage qui dépendait du domaine de l'Aulnières, et où s'ébattait une troupe d'autres mules, toutes bien en point, réveillées comme souris et gambillant à la lune levante en vraie chasse à baudet, qui est, comme vous savez, la danse des bourriques du diable, quand les follets et les fades galopent dessus à travers les nuées.

Il n'y avait pourtant point là de magie, mais bien une grande fraude de pâture et un ravage abominable. La récolte n'était pas mienne, et j'aurais pu me dire que cela ne me regardait point; mais je me sentais écoléré d'avoir couru pour rien après ces méchantes bêtes, et on ne peut voir saccager du beau froment du bon Dieu sans y avoir regret.

Je m'avançai donc dans cette grande pièce de blé sans voir âme chrétienne, mais voyant bien foisonner les mulets, et songeant d'en attraper quelqu'un qui pût me servir de témoignage, quand je viendrais à porter plainte du mal commis sur ma terre.

J'en avisai un qui me paraissait plus raisonnable que les autres, et quand je fus auprès, je vis que ce n'était point le même gibier, mais bien le petit cheval maigre qui avait une clochette au cou, laquelle clochette, comme j'ai su plus tard, s'appelle clairin, en pays bourbonnais, et donne le nom au cheval qui la porte. Ne sachant rien des usances du monde où je me trouvais, ce fut par grand hasard que je pris le bon moyen, qui fut de m'emparer du clairin et de l'emmener, sauf à accrocher un mulet ou deux ensuite, si je pouvais y aboutir.

La petite bête, qui paraissait mignonne et bien privée, se laissa caresser et emmener sans souci de rien; mais, dès qu'elle se mit à marcher, son clairin se mettant à sonner, grande fut ma surprise de voir accourir toutes les mules, éparses emmi les blés, lesquelles volèrent après moi comme les abeilles après leur reine. Par là je vis qu'elles étaient dressées à suivre le clairin, et qu'elles en connaissaient la sonnerie comme bons moines connaissent la cloche de matines.

Sixième veillée

Je ne me demandai pas longtemps ce que j'allais faire de cette bande malfaisante. Je tirai droit sur le domaine de l'Aulnières, pensant, avec raison, qu'il me serait aisé d'ouvrir la barrière de la cour, d'y faire entrer tout mon monde, après quoi, j'éveillerais les métayers, lesquels, avertis du dommage, agiraient comme bon leur semblerait.

Sixième veillée

Je ne me demandai pas longtemps ce que j'allais faire de cette bande malfaisante. Je tirai droit sur le domaine de l'Aulnières, pensant, avec raison, qu'il me serait aisé d'ouvrir la barrière de la cour, d'y faire entrer tout mon monde, après quoi, j'éveillerais les métayers, lesquels, avertis du dommage, agiraient comme bon leur semblerait.

J'approchais du domaine, lorsque, par aventure, il me parut voir, sur le chemin, un homme qui accourait derrière moi. J'armai mon fusil, songeant que si c'était le maître des mulets, j'aurais maille à partir avec lui.

Mais c'était Joseph, qui revenait de conduire Brulette au bourg, et qui retournait à l'Aulnières.

 Que fais-tu là, Tiennet? me dit-il, en me rejoignant au plus vite qu'il put courir; ne t'avais-je point averti de ne pas sortir de chez toi? Tu te mets-là en danger de mort: lâche ce cheval et ne te soucie de ces bêtes. Ce qu'on ne peut empêcher, il vaut mieux le souffrir que chercher un pire mal.

 Merci, mon camarade, que je lui répondis: tu as des amis bien aimables, qui viennent faire pâturer leur cavalerie dans mon bien, et je ne soufflerai mot? C'est bon, c'est bon! passe ton chemin si tu as peur; moi, j'irai jusqu'au bout, et me ferai raison par justice ou par force.

Comme je disais cela, m'étant arrêté avec les bêtes pour lui répondre, nous entendîmes japper au loin, et Joset, prenant vivement la corde qui me servait à mener le cheval, me dit: Alerte, Tiennet! voilà les chiens du muletier! si tu ne veux être dévoré, lâche le clairin; aussi bien, le voilà qui reconnaît la voix de ses gardiens et tu n'en aurais pas bon marché maintenant.

Il disait vrai; le clairin avait dressé les oreilles en avant pour écouter, puis, les couchant en arrière, ce qui est une grande marque de dépit, il se mit à hennir, à se cabrer, à ruer, ce qui mit toutes les mules en danse autour de nous, si bien que nous n'eûmes que le temps de nous en retirer, laissant partir le tout, bride avalée, du côté des chiens.

Je n'étais guère content de céder, et comme les chiens, après avoir rassemblé leur troupeau enragé, faisaient mine de venir sur nous pour nous demander nos comptes, je fis celle d'abattre d'un coup de fusil le premier des deux qui me porterait la parole.

Mais Joset alla au-devant de lui et s'en fit reconnaître.  Ah! Satan, lui dit-il, vous êtes en faute. Vous vous êtes amusé à courir quelque lièvre dans les blés, au lieu de garder vos bêtes, et quand votre maître se réveillera, vous serez corrigé si vous n'êtes pas à votre poste, avec Louveteau et le clairin.

Le chien Satan, connaissant qu'on lui faisait reproche de sa conduite, obéit à Joset, qui l'appela vers une grande friche, où les mules pouvaient pâturer sans faire de dommage, et où Joseph me dit qu'il resterait à les garder jusqu'au retour de leur maître.

 C'est égal, Joset, lui dis-je, ça ne se passera pas si tranquillement que tu crois, et si tu ne veux me dire où est caché le maître de ces mulets, je resterai là à l'attendre aussi, pour lui dire son fait, et demander réparation du tort qu'il m'a causé.

 Je vois bien, reprit Joseph, que tu ne sais pas la vie des muletiers, puisque tu crois si commode d'en avoir raison; et, de vrai, c'est, je crois, la première fois qu'il en passe par ici. Ce n'est point leur chemin, puisque, d'ordinaire, ils descendent des bois du Bourbonnais par ceux de Meillant et de l'Épinasse, pour passer dans ceux de Cheurre. C'est par aventure que je me suis trouvé en rencontrer dans la forêt de Saint-Chartier, où ils faisaient halte, pour gagner Saint-Août, et du nombre était celui-ci, qui s'appelle Huriel, et qui est demandé, à présent, aux forges d'Ardentes, pour porter du charbon et du minerai. Il a bien voulu se détemcer d'une couple d'heures pour m'obliger. Il s'en suit qu'ayant quitté ses compagnons et les pays de brandes, qui se trouvent sur le chemin fréquenté de ceux de son état, et où les mules peuvent pâturer sans nuire à personne, il a peut-être cru pouvoir se donner même licence dans nos pays de grain; et encore qu'il ait grand tort, il serait mal commode de lui faire entendre qu'il n'y a pas droit.

 Et si, faudra-t-il bien qu'il l'entende de moi, répondis-je, car je sais maintenant de quoi il retourne. Oh! oh! des muletiers! on sait ce que c'est, et tu me donnes souvenance de ce que j'en ai ouï raconter à mon parrain Gervais, le forestier. Ce sont gens sauvages, méchants et mal appris, qui vous tuent un homme dans un bois, avec aussi peu de conscience qu'un lapin; qui se prétendent le droit de ne nourrir leurs bêtes qu'aux dépens du paysan, et qui, si on le trouve malséant, et qu'ils ne soient pas les plus forts pour résister, reviennent plus tard ou envoient leurs compagnons faire périr vos bœufs par maléfice, brûler vos bâtiments, ou pis encore; car ils se soutiennent comme larrons en foire.

 Puisque tu as ouï parler de ces choses, dit Joseph, tu vois que nous aurions tort, pour un petit dommage, d'en attirer un plus grand aux métayers mes maîtres, et à ta famille. Je suis loin de trouver bon ce qui s'est passé, et quand maître Huriel m'a dit qu'il allait faire pâturer par ici, et faire sa couchée à la belle étoile, comme ils font en tout temps et en tout lieu, je lui avais enseigné cette chaume, et recommandé de ne pas laisser promener ses mulets dans les terres ensemencées. Il me l'avait promis, car il n'est pas méchant; mais il a les sens bien vifs et ne reculerait pas devant une bande de monde qui lui tomberait sur le corps. Sans doute, il pourrait bien demeurer sur la place; mais je te demande, Tiennet, si un dommage de dix ou douze boisseaux de grain (je mets tout au pis), mérite mort d'homme et tout ce qui s'ensuit pour ceux qui auraient fait ce mauvais coup. Retourne donc à ton bien, vire les mauvaises bêtes, mais ne cherche querelle à personne; si on te questionne demain, dis que tu n'as rien vu, car de témoigner en justice contre un muletier, c'est quasiment aussi mauvais que de témoigner contre un seigneur.

Joseph avait raison; je m'y rendis, et repris le chemin de chez nous; mais je n'en étais pas plus content pour ça, car de reculer devant la crainte d'un défi, c'est sagesse pour les vieux et dépit pour les jeunes.

J'approchais de ma maison, bien décidé à ne me point coucher, quand il me parut y voir de la clarté. Je redoublai des jambes, et, trouvant grande ouverte la porte que j'avais laissée fermée au loquetoir, j'avançai sans froidir, et vis un homme dans ma cheminée, allumant sa pipe à une flambée qu'il s'était faite. Il se retourna pour me regarder, aussi tranquillement que si j'entrais chez lui, et je reconnus l'homme encharbonné que Joseph nommait Huriel.

Alors la colère me revint, et, fermant la porte derrière moi: C'est bien! que je fis en m'avançant sur lui; je suis content que vous veniez dans la gueule du loup. Nous allons nous dire deux mots, à cette heure.

 Trois, si vous voulez, fit-il en s'asseyant sur ses talons et en tirant le feu de sa pipe, dont le tabac était humide et ne prenait pas. Et il ajouta, comme en se moquant:  Il n'y a pas seulement chez vous une mauvaise pincette pour prendre la braise!

 Non, que je répondis; mais il y a une bonne trique pour rabattre vos coutures.

 Pourquoi donc ça, s'il vous plaît? fit-il encore sans perdre une miette de son assurance. Vous êtes fâché que j'entre chez vous sans permission? Pourquoi n'y étiez-vous point? J'ai frappé à la porte, j'ai demandé du feu, ça ne se refuse jamais. Qui ne répond consent, j'ai poussé le loquet. Pourquoi n'avez-vous point de serrure, si vous craignez les voleurs? J'ai regardé vers les lits, j'ai trouvé maison vide; j'ai allumé ma pipe, et me voilà. Qu'est-ce que vous avez à dire?

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