Valvèdre - Жорж Санд 8 стр.


Je ne lui passai pas ce mouvement d'impertinence et je rentrai au petit salon, bien décidé à l'en punir. Je me sentis dès lors un aplomb extraordinaire, et, m'approchant d'Alida:

 Savez-vous, madame, lui dis-je, de quoi je m'entretenais avec M.

Moserwald au clair de la lune?

 Du clair de lune, peut-être?

 Non, nous parlions bijouterie. Monsieur prétend que toutes les femmes se connaissent en pierres précieuses parce qu'elles les aiment passionnément, et j'ai promis de m'en rapporter à votre arbitrage.

 Il y a là deux questions, répondit madame de Valvèdre. Je ne peux pas résoudre la première; car, pour mon compte, je n'y entends rien; mais, pour la seconde, je suis forcée de donner raison à M. Moserwald. Je crois que toutes les femmes aiment les bijoux.

 Excepté moi pourtant, dit Paule avec gaieté; je ne m'en soucie pas le moins du monde.

 Oh! vous, ma chère, reprit Alida du même ton, vous êtes une femme supérieure! Il n'est question ici que des simples mortelles.

 Moi, dis-je à mon tour avec une amertume extrême, je croyais qu'en fait de femmes il n'y avait que les courtisanes qui eussent la passion des diamans.

Alida me regarda d'un air très-étonné.

 Voilà une singulière idée! reprit-elle. Chez les créatures dont vous parlez, cette passion-là n'existe pas du tout. Les diamants ne représentent pour elles que des écus. Chez les femmes honnêtes, c'est quelque chose de plus noble: cela représente les dons sacrés de la famille ou les gages durables des affections sérieuses. Cela est si vrai, que, ruinée, une véritable grande dame souffre mille privations plutôt que de vendre son écrin. Elle n'en fait le sacrifice que pour sauver ses enfants ou ses princes.

 Ah! que cela est bien dit et que cela est vrai! s'écria Moserwald enthousiasmé. Entre la femme et le diamant, il y a une attraction surnaturelle! J'en ai vu mille exemples. Le serpent avait, dit une légende, un gros diamant dans la tête; Ève vit ce feu à travers ses yeux et fut fascinée. Elle s'y mira comme dans les glaces d'un palais enchanté

 Voilà de la poésie, ou je ne m'y connais pas, dis-je en l'interrompant. Et vous vous moquez des poëtes, vous!

 Cela vous étonne, mon cher? reprit-il. C'est que je deviens poëte aussi, apparemment, avec les personnes qui m'inspirent!

En parlant ainsi, il lança sur Alida un regard enflammé qu'elle rencontra et soutint avec une impassibilité extraordinaire. C'était le comble du dédain ou de l'effronterie, car son grand oeil interrogateur était toujours plein de mystères. Je ne pus supporter cette situation douteuse, horrible pour elle, si elle n'était pas la dernière des femmes. Je lui demandai à voir encore sa bague de vingt-cinq francs, et, l'ayant regardée:

 Je m'étonne beaucoup, lui dis-je, du peu d'attention que vous avez accordée à une gemme si belle après l'aveu que vous venez de faire de votre goût pour ces sortes de choses. Savez-vous bien, madame, que l'on vous a vendu là une pierre d'un très-grand prix?

 Comment? Quoi? Est-ce possible? dit-elle en reprenant la bague et en la regardant. Est-ce que vous avez des connaissances dans cette partie-là?

 J'ai pour toute connaissance M. Moserwald, ici présent, qui, pas plus tard qu'avant-hier, m'a montré une bague toute pareille, avec des brillants comme ceux-ci, et qui me l'a offerte pour douze mille francs, c'est-à-dire pour rien, selon lui, car elle vaut beaucoup plus.

Devant cette interpellation directe, la figure de Moserwald se décomposa, et le rapide coup d'oeil d'Alida, allant de lui à moi, acheva de le bouleverser.

Madame de Valvèdre ne se troubla pas. Elle garda quelques instants le silence, comme si elle eût voulu résoudre un problème intérieur; puis, me présentant la bague:

 Qu'elle ait ou non de la valeur, dit-elle, je la trouve décidément fort laide. Voulez-vous me faire le plaisir de la jeter par la fenêtre?

 Vraiment? par la fenêtre? s'écria Moserwald incapable de maîtriser son émotion.

 Vous voyez bien, lui répondit Alida, que c'est une chose qui a été perdue, trouvée par votre coreligionnaire de Varallo, et vendue sans qu'il en ait connu la valeur. Eh bien, il faut rendre cette chose à sa destinée, qui est d'être ramassée dans la boue par les personnes qui ne craignent pas de se salir les mains.

Moserwald, poussé à bout, eut beaucoup de sang-froid et de présence d'esprit. Il me pria de lui donner la bague, et, comme je la lui rendais avec l'affectation d'une restitution légitime, il la remit à son doigt en disant:

 Puisqu'elle devait être jetée aux ordures, je la ramasse, moi. Je ne sais d'où elle sort, mais je sais qu'elle a été purifiée à tout jamais en passant une journée au doigt de madame de Valvèdre! Et maintenant, qu'elle vaille vingt-cinq sous ou vingt-cinq mille francs, elle est sans prix pour moi et ne me quittera jamais! Là-dessus, ajouta-t-il en se levant et en me regardant, je pense que ces dames sont fatiguées, et qu'il serait temps

 M. Obernay et M. Valigny ne se retirent pas encore, répondit madame de Valvèdre avec une intention désespérante; mais vous êtes libre, d'autant plus que vous partez demain matin, j'imagine! Quant à la bague, vous ne pouvez pas la garder. Elle est à moi. Je l'ai payée et ne vous l'ai pas donnée Rendez-la moi!

Les gros yeux de Moserwald brillèrent comme des escarboucles. Il crut son triomphe assuré en dépit d'un congé donné pour la forme, et rendit la bague avec un sourire qui signifiait clairement: «Je savais bien qu'on la garderait!» Madame de Valvèdre la prit, et, la jetant hors de sa chambre sur le palier, par la porte ouverte, elle ajouta:

 La ramassera qui voudra! elle ne m'appartient plus; mais celui qui la portera en mémoire de moi pourra se vanter d'avoir là une chose que je méprise profondément.

Moserwald sortit dans un état d'abattement qui me fit peine à voir. Paule n'avait absolument rien compris à cette scène, à laquelle, d'ailleurs, elle avait donné peu d'attention. Quant à Obernay, il avait essayé un instant de comprendre; mais il n'en était pas venu à bout, et, attribuant tout ceci à quelque étrange caprice de madame de Valvèdre, il avait repris tranquillement l'analyse de la saxifraga retusa.

III

J'avais suivi Moserwald sans affectation, pensant bien que, s'il avait du coeur, il me demanderait compte de la manière dont j'avais servi sa cause. Je le vis hésiter à ramasser sa bague, hausser les épaules et la reprendre. Dès qu'il m'aperçut, il m'attira jusque dans sa chambre et me parla avec beaucoup d'amertume, raillant ce qu'il appelait mes préjugés et déclarant mon austérité la chose du monde la plus ridicule. Je le laissai à dessein devenir un peu grossier dans ses reproches, et, quand il en fut là:

 Vous savez, mon cher monsieur, lui dis-je, que, si vous n'êtes pas content, il y a une manière de s'expliquer, et me voici à vos ordres. N'allez pas plus loin en paroles; car je serais forcé de vous demander la réparation que je vous offre.

 Quoi? qu'est-ce à dire? fit-il avec beaucoup de surprise. Vous voulez vous battre? Eh bien, voilà un trait de lumière, un aveu! Vous êtes mon rival, et c'est par jalousie que vous m'avez si brutalement ou si maladroitement trahi! Dites que c'est là votre motif, alors je vous comprends et je vous pardonne.

Je lui déclarai que je n'avais aucun aveu à faire, et que je ne tenais pas à son pardon; mais, comme je ne voulais pas perdre avec lui les précieux instants que je pouvais passer encore auprès de madame de Valvèdre ce soir-là, je le quittai en l'engageant à faire ses réflexions, et en lui disant que dans une heure je serais chez lui.

La galerie de bois découpé faisant extérieurement le tour de la maison, je revins par là à l'appartement de madame de Valvèdre; mais je la trouvai sur cette galerie, et venant à ma rencontre.

 J'ai une question à vous adresser, me dit-elle d'un ton froid et irrité. Asseyez-vous là. Nos amis sont encore plongés dans la botanique. Comme il est au moins inutile de les mettre au courant d'un accident ridicule, nous pouvons échanger ici quelques mots. Vous plaît-il de me dire, monsieur Francis Valigny, quel rôle vous avez joué dans cet incident, et comment vous avez été informé de ce que vous m'avez donné à deviner?

Je lui racontai tout avec la plus entière sincérité.

 C'est bien, dit-elle, vous avez eu bonne intention, et vous m'avez réellement rendu service en m'empêchant de donner un instant de plus dans un piège que je ne veux pas qualifier. Vous auriez pu être moins acerbe dans la forme; mais vous ne me connaissez pas, et, si vous me prenez pour une femme perdue, ce n'est pas plus votre faute que la mienne.

 Moi! m'écriai-je, je vous prends Moi qui!

Je me mis à balbutier d'une manière extravagante.

 Laissez, laissez, reprit-elle. Ne vous défendez pas de vos préventions, je les connais. Elles ont percé trop brutalement, lorsqu'à propos de ma théorie tout impersonnelle sur les diamants, vous avez dit que c'était un goût de courtisane!

 Mais, au nom du ciel, laissez-moi jurer que je n'ai pas dit cela!

 Vous l'avez pensé, et vous avez dit l'équivalent. Écoutez, je viens de recevoir ici, de la part de ce juif et par contre-coup de la vôtre, une mortelle insulte. Ne croyez pas que le dédain qui me préserve de la colère me garantisse d'une réelle et profonde douleur

Je vis, aux rayons de la lune, un ruisseau de larmes briller comme un flot de perles sur les joues pâles de cette charmante femme, et, sans savoir ce que faisais, encore moins ce que je disais, je tombai à ses pieds en lui jurant que je la respectais, que je la plaignais, et que j'étais prêt à la venger. Peut-être en ce moment m'arriva-t-il de lui dire que je l'aimais. Troublés tous deux, moi de sa douleur, elle de ma subite émotion, nous fûmes quelques instants sans nous entendre l'un l'autre et sans nous entendre nous-mêmes.

Elle surmonta ce trouble la première, et, répondant à une parole que je lui répétais pour atténuer ma faute:

 Oui, je le sais, dit-elle, vous êtes un enfant; mais, s'il n'y a rien de généreux comme un enfant qui croit, il n'y a rien de terrible et de cruel comme un enfant qui doute, et vous êtes l'ami, l'alter ego d'un autre enfant bien plus sceptique et bien plus brutal que vous Mais je ne veux me brouiller ni avec l'un ni avec l'autre. Il faut que l'aimable et douce Paule de Valvèdre soit heureuse. Vous êtes déjà son ami, puisque vous êtes celui de son fiancé; ou j'aurais tort contre vous trois, ou, en me donnant raison contre vous deux, Paule souffrirait. Permettez donc que je m'explique avec vous, et que je vous dise un peu qui je suis. Ce sera dit en deux mots. Je suis une personne accablée, finie, inoffensive par conséquent. Henri Obernay m'a présentée à vous, je le sais, comme une plaintive et ennuyeuse créature, mécontente de tout et accusant tout le monde. C'est sa thèse, il l'a soutenue devant moi; car, s'il est mal élevé, il est sincère, et je sais bien que je n'ai pas en lui un ennemi perfide. Dites-lui que je ne me plains de personne, et, ceci établi, fuites-lui part du motif qui m'amenait ici, vous qui savez et devez taire celui qui va dès demain me faire repartir.

 Demain! vous partez demain?

 Oui, si M. Moserwald reste, et je n'ai aucune autorité sur lui.

 Il partira, je vous en réponds!

 Et moi, je vous défends d'épouser ma querelle! De quel droit, s'il vous plaît, prétendriez-vous me compromettre en vous faisant mon chevalier?

 Mais pourquoi donc voulez-vous partir, mon Dieu? Est-ce que les outrages de cet homme vous atteignent?

 Oui, l'outrage atteint toujours une veuve dont le mari est vivant.

 Ah! madame, vous êtes méconnue et délaissée, je le savais bien, moi! mais

 Il n'y a pas de mais. Les choses sont ainsi. M. de Valvèdre est un homme infiniment respectable, qui sait tout, excepté l'art de faire respecter la femme qui porte son nom; mais cette femme sait heureusement ce qu'elle doit à ses enfants, et, pour se faire respecter elle-même, elle n'a qu'un refuge, la retraite et la solitude. Elle y retournera donc, et, puisque vous savez pourquoi elle y rentre, sachez aussi pourquoi elle en était sortie un instant. Il faut que la solitude qu'on lui a choisie soit au moins à elle, et que personne n'ait le droit de l'y troubler. Eh bien, je ne me plains pas; mais, cette fois, je réclame. Mademoiselle Juste de Valvèdre m'est une société antipathique. Mon mari assure qu'il ne l'a pas placée auprès de moi pour me surveiller, mais pour servir de chaperon à Paule, et ne pas me condamner, disait-il, à un rôle qui n'est pas encore de mon âge. Cependant, mademoiselle Juste de Valvèdre s'est faite oppressive et offensante. J'ai supporté cela cinq ans: je suis au bout de mes forces. Le moment logique et naturel d'en finir est venu, puisque le mariage de Paule avec Obernay est résolu, et devait être célébré au commencement de l'année. M. de Valvèdre semble l'avoir oublié, et Henri, comme tous les savants, a beaucoup de patience en amour. Je venais donc dire à mon mari: «Paule s'ennuie, et, moi, je me meurs de lassitude et de dégoût. Mariez Paule, et délivrez-moi de Juste, ou, si Juste doit rester souveraine dans ma maison, permettez-moi de transporter mes enfants et mes pénates auprès de Paule, à Genève, où elle doit demeurer après son mariage. Et, si cela ne convient pas à Obernay, laissez-moi chercher ou fixez-moi une autre retraite, un ermitage dans une thébaïde quelconque, pourvu que je sois délivrée de l'autorité tout à fait illégitime d'une personne que je ne puis aimer.» J'espérais, je croyais trouver M. de Valvèdre ici. Il a pris son vol vers les nuages, où je ne puis l'atteindre. Je ne voulais pas et je ne veux pas écrire: écrire accuse trop les torts des absents. Je ne veux pas non plus m'expliquer directement avec Obernay sur le compte de mademoiselle Juste. Il lui est très attaché et ne manquerait pas de lui donner raison contre moi. Nous nous froisserions mutuellement, comme cela est arrivé déjà. Puisque je ne puis attendre M. de Valvèdre ici, je vous charge au moins d'expliquer à Henri le motif en apparence si inquiétant et si mystérieux de mon voyage. S'il aime Paule, il fera quelque effort pour hâter son mariage et ma délivrance. J'ai dit. Oubliez-moi et portez-vous bien.

En achevant cette explication sur un ton d'enjouement qui refoulait un profond sanglot, elle me tendit la main et se leva pour me quitter.

Je la retins.

 Je vous jure, m'écriai-je, que vous ne partirez pas, que vous attendrez M. de Valvèdre ici, et que vous mènerez à bien un projet qui n'a rien que de légitime et de raisonnable. Je vous jure que Moserwald, s'il ne part pas, n'osera plus lever les yeux sur vous, car Obernay et moi l'en empêcherons. Nous en avons le droit, puisque Obernay va devenir votre beau-frère, et que je suis son alter ego, vous l'avez dit. Notre devoir est donc de vous défendre et de ne pas même souffrir qu'on vous importune. Je vous jure enfin qu'Henri ne prendra pas obstinément le parti d'une autre personne qui vous déplaît et qui ne peut pas avoir raison contre vous. Henri aime ardemment sa fiancée, je ne crois pas à la patience qu'il affecte; de grâce, madame, croyez en nous, croyez en moi: je comprends l'honneur que vous venez de me faire eu me parlant comme à quelqu'un de votre famille, et, dès ce jour, je vous suis dévoué jusqu'à la mort.

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