ÉLY. Réveillez le souvenir de ces morts fameux, et que votre bras puissant renouvelle leurs faits d'armes. Vous êtes leur héritier; vous êtes assis sur leur trône; le courage et le sang, qui les a rendus immortels, coule dans vos veines, et mon trois fois redoutable souverain est, dans le printemps de sa jeunesse, mûr pour les exploits de ces vastes entreprises.
EXETER. Vos frères, les rois et les monarques de la terre, attendent tous que vous vous leviez dans votre force, comme ont fait, avant vous, ces lions issus de votre race.
WESTMORELAND. Ils savent que Votre Majesté a, tout à la fois, une cause juste, les moyens et la puissance; et rien n'est plus vrai: jamais roi d'Angleterre n'eut une noblesse plus opulente, et des sujets plus dévoués; et leurs coeurs, laissant pour ainsi dire les corps en Angleterre, ont déjà passé les mers, et sont campés dans les plaines de France.
CANTORBÉRY. O que leurs corps, mon souverain chéri, aillent joindre leurs coeurs, avec le fer et le feu, pour reconquérir vos droits! Pour vous aider dans cette entreprise, nous promettons de lever sur le clergé, et de fournir à Votre Majesté, un puissant subside, tel que jamais l'Église n'en a encore apporté à aucun de vos ancêtres.
LE ROI. Il ne suffit pas que nous armions pour envahir la France: il faut aussi prendre nos mesures, pour défendre le royaume contre l'Écossais, qui viendra fondre sur nous avec toutes sortes d'avantages.
CANTORBÉRY. Les habitants des frontières, mon souverain, seront un rempart suffisant pour défendre l'intérieur de l'État contre les incursions de ces pillards.
LE ROI. Nous ne parlons pas seulement des incursions de quelques pillards: nous craignons une entreprise plus vaste de l'Écossais, qui fut toujours pour nous un voisin remuant. L'histoire vous apprendra que mon illustre aïeul ne passa jamais avec ses forces en France, que l'Écossais ne vînt, comme les flots dans une brèche, se répandre sur son royaume dépourvu, avec le torrent de sa puissance, harcelant de vives et chaudes attaques nos provinces dégarnies, bloquant les châteaux et les villes par des siéges ruineux, au point que l'Angleterre, nue et sans défense, a tremblé et chancelé grâce à ce funeste voisinage.
CANTORBÉRY. Elle a eu plus de peur que de mal, mon souverain; et voyez-en la preuve dans les exemples qu'elle a donnés elle-même. Lorsque tous ses chevaliers étaient passés en France, et qu'elle était comme une veuve en deuil de l'absence de tous ses nobles, non-seulement elle se défendit bien elle-même, mais elle prit et enveloppa, comme un cerf égaré, le roi des Écossais: elle l'envoya en France, décorer de rois captifs la renommée du roi Édouard, et elle enrichit vos chroniques d'autant de louanges, que le sable de la mer est riche en débris précieux de naufrages, et en trésors abîmés sous les eaux.
EXETER. Mais il y a un dicton fort ancien et très-vrai: Si vous voulez conquérir la France, commencez d'abord par l'Écosse; car lorsque l'aigle anglaise est sortie pour chercher proie au dehors, la belette écossaise vient en rampant se glisser dans son nid sans défense, et dévore sa royale couvée; jouant le rat en l'absence du chat, elle détruit et tue plus qu'elle ne peut dévorer.
ÉLY. La conséquence serait donc que le chat doit rester dans ses foyers: et cependant ce n'est là qu'une malheureuse nécessité; car nous avons des serrures pour enfermer nos biens, et de petits piéges pour prendre les petits voleurs. Quand les bras armés combattent au dehors, la tête prudente sait se défendre au dedans; car le gouvernement, quoique formé de parties séparées, du haut, du moyen et du bas ordre, les maintient tous dans un concert et une harmonie naturelle, comme les sons dans la musique 2.
CANTORBÉRY. Cela est vrai: aussi le ciel a divisé l'économie de l'homme en fonctions diverses; toutes ses parties, dans un effort continuel, tendent à un but commun, l'obéissance: ainsi travaillent les abeilles, créatures qui, servant d'exemple dans la nature, enseignent l'art de l'ordre à un royaume peuplé. Elles ont un roi et des officiers de différente espèce: les uns, magistrats, punissent à l'intérieur; d'autres, comme les commerçants, se hasardent au loin; d'autres, comme les soldats, armés de leurs dards, butinent sur les boutons veloutés du printemps, et, chargés de leurs larcins, reviennent d'un pas joyeux à la tente de leur empereur. Lui, dans son active majesté, surveille les maçons bourdonnants qui construisent les lambris d'or, les citoyens qui pétrissent le miel, le peuple d'artisans qui arrivent en foule, et déposent à la porte étroite de l'État leurs précieux fardeaux; et la justice, à l'oeil sévère, au chant maussade, livre aux pâles exécuteurs les paresseux qui bâillent mollement. Voici ma conclusion. Que plusieurs parties qui ont un rapport direct vers un centre commun peuvent agir en sens contraires, comme plusieurs flèches, lancées de points différents, volent vers un seul but, comme plusieurs rues se mêlent dans une ville; comme plusieurs eaux limpides se confondent dans une mer; comme plusieurs lignes se rejoignent dans le centre d'un cadran: de même un millier d'entreprises, toutes sur pied à la fois, peuvent aboutir à une même fin, et marcher toutes de front, sans que l'une souffre de l'autre: ainsi, mon souverain, en France! Partagez votre heureuse nation en quatre portions; prenez-en une pour la France; elle vous suffira pour ébranler toute la Gaule: et nous, si avec les trois autres quarts de nos forces restés dans le sein du royaume nous ne pouvons pas défendre nos portes contre les chiens, puissions-nous être maltraités, et que notre nation perde à jamais sa réputation de courage et de sagesse.
LE ROI. Qu'on introduise les ambassadeurs envoyés de la part du dauphin. (Un seigneur de la suite sort. Le roi monte sur son trône.) Notre résolution est bien prise, et par le secours du ciel et le vôtre, nobles, qui êtes le nerf de notre puissance, la France une fois à nous, ou nous la plierons à notre joug, ou nous la mettrons en pièces: ou bien l'on nous verra, assis sur son trône, gouvernant comme un grand et vaste empire tous ses riches duchés qui valent presque des royaumes, ou bien nous déposerons ces ossements dans une urne sans gloire, privés de sépulture et sans aucun monument qui conserve notre souvenir. Il faut que notre histoire célèbre hautement, à pleine voix, nos exploits, ou que notre tombeau, muet comme l'esclave du sérail, ne nous accorde même pas l'honneur d'une épitaphe de cire. (Entrent les ambassadeurs de France.) Nous voici maintenant disposé à connaître les intentions de notre cher cousin, le dauphin; car nous apprenons que vous nous saluez de sa part, et non de celle du roi.
L'AMBASSADEUR. Votre Majesté veut-elle nous permettre d'exposer librement la commission dont nous sommes chargés? autrement, nous nous bornerons à lui faire entendre, avec réserve et sous des termes enveloppés, l'intention du dauphin et notre ambassade.
LE ROI. Nous ne sommes point un tyran, mais un roi chrétien: nos passions nous obéissent en silence, enchaînées à notre volonté comme les criminels qui sont aux fers dans nos prisons: ainsi déclarez-nous les intentions du dauphin avec une franchise ouverte et sans contrainte.
L'AMBASSADEUR. Les voici en peu de mots. Votre Altesse, par ses députés qu'elle a dernièrement envoyés en France, a revendiqué certains duchés sous prétexte des droits de votre glorieux prédécesseur le roi Édouard III. En réponse à cette prétention, le prince, notre maître, dit que vous vous ressentez trop de votre jeunesse, et il vous avertit de bien songer qu'il n'est en France aucun domaine qu'on puisse conquérir avec une gaillarde 3, et que vous ne pouvez introduire vos fêtes dans ces duchés: en indemnité, il vous envoie, comme un présent plus conforme à vos inclinations, le trésor que contient ce baril; et il demande qu'en reconnaissance de ce don, vous laissiez là les duchés que vous réclamez, et qu'ils n'entendent plus parler de vous. Voilà ce que dit le dauphin.
L'AMBASSADEUR. Les voici en peu de mots. Votre Altesse, par ses députés qu'elle a dernièrement envoyés en France, a revendiqué certains duchés sous prétexte des droits de votre glorieux prédécesseur le roi Édouard III. En réponse à cette prétention, le prince, notre maître, dit que vous vous ressentez trop de votre jeunesse, et il vous avertit de bien songer qu'il n'est en France aucun domaine qu'on puisse conquérir avec une gaillarde 3, et que vous ne pouvez introduire vos fêtes dans ces duchés: en indemnité, il vous envoie, comme un présent plus conforme à vos inclinations, le trésor que contient ce baril; et il demande qu'en reconnaissance de ce don, vous laissiez là les duchés que vous réclamez, et qu'ils n'entendent plus parler de vous. Voilà ce que dit le dauphin.
LE ROI, au duc d'Exeter.-Quel trésor, cher oncle?
EXETER. Des balles de paume, mon souverain!
LE ROI. Nous sommes charmé de trouver le dauphin si plaisant avec nous, et nous vous remercions, et de son présent et de vos peines. Quand une fois nous aurons ajusté nos raquettes à ces balles, nous espérons, avec l'aide de Dieu, jouer en France un jeu à frapper la couronne du roi, son père, et à l'envoyer dans la grille 4. Dites-lui qu'il vient d'engager la partie avec un adversaire tel qu'il lancera ses balles dans toute la France. Nous le comprenons bien quand il fait allusion aux égarements de notre jeunesse, sans examiner l'usage que nous en avons fait. Non, jamais nous n'avons fait cas de ce trône chétif de l'Angleterre; et en conséquence, vivant loin de lui, nous nous sommes abandonné à une licence effrénée, comme il arrive toujours que les hommes sont plus gais quand ils sont hors de chez eux; mais dites au dauphin que je saurai garder ma dignité, que je me conduirai en roi, et que je déploierai toute l'étendue de ma grandeur quand je me réveillerai sur mon trône de France. C'est pour y parvenir que, déposant ici ma majesté, j'ai travaillé comme un pauvre journalier. Mais c'est en France qu'on me verra m'élever avec tant d'éclat que j'éblouirai tous les yeux: oui, le dauphin sera aveuglé en contemplant les rayons de ma gloire. Et dites encore à ce prince si plaisant, que cette plaisanterie de sa façon a changé ses balles de paume en boulets de pierre 5, et que sa conscience restera mortellement chargée de la vengeance meurtrière qu'elles feront voler dans ses États. Cette plaisanterie fera pleurer mille veuves privées de leurs époux, mille mères privées de leurs enfants: elle coûtera la ruine de maint château; des générations qui ne sont pas encore nées auront sujet de maudire l'insultante ironie du dauphin. Mais les événements sont dans la main de Dieu, à qui j'en appelle, et c'est en son nom, annoncez-le au dauphin, que je me mets en marche pour me venger, suivant mon pouvoir, et déployer un bras armé par la justice dans une cause sacrée. Allez, sortez de ces lieux en paix, et dites au dauphin que sa raillerie paraîtra le jeu d'un esprit bien léger et bien indiscret, lorsqu'elle fera verser plus de larmes qu'elle n'a excité de sourires. Conduisez ces députés sous une sûre escorte. Adieu.
(Les ambassadeurs sortent.)EXETER. C'est là vraiment un joyeux message!
LE ROI. Nous espérons bien en faire rougir l'auteur; ainsi, mes lords, ne perdons aucun instant qui puisse accélérer notre expédition; car nous n'avons plus maintenant d'autres pensées que la France, après nos devoirs envers Dieu qui doivent passer avant nos affaires. Rassemblons promptement le nombre de troupes nécessaires pour ces guerres, et méditons sur tous les moyens qui peuvent ajouter, avec une célérité raisonnable, des plumes à nos ailes; car, j'en atteste Dieu, nous châtierons le dauphin aux portes de son père; ainsi que chacun s'occupe des moyens d'entamer promptement cette belle entreprise.
(Tous sortent.)FIN DU PREMIER ACTEACTE DEUXIÈME
LE CHOEURMaintenant toute la jeunesse d'Angleterre brûle du feu des combats, et les parures de soie reposent dans les gardes-robes, les armuriers prospèrent, et l'honneur est la seule pensée qui règne dans tous les coeurs. Ils vendent les prés pour acheter un cheval de bataille, et suivent le miroir de tous les rois chrétiens, des ailes au talon, comme des Mercures anglais. L'Espérance est assise sur les airs, tenant une épée dont le fer, depuis la garde jusqu'à la pointe, est caché sous l'amas de couronnes de toutes grandeurs qui l'entourent; couronnes d'empereur, de rois et de ducs, promises à Henri et aux braves qui le suivent. Les Français, que des avis certains ont instruits de ce redoutable appareil, tremblent et cherchent à détourner par les ruses de la pâle politique les projets de l'Angleterre. O Angleterre! ton étroite enceinte est l'emblème de ta grandeur: un petit corps qui renferme un grand coeur! De combien d'exploits n'enrichirais-tu pas ta gloire, si tous tes enfants avaient pour leur mère la tendresse et les sentiments de la nature! Mais vois ta disgrâce! La France a trouvé dans ton sein un nid de coeurs vides qu'elle remplit de trahisons par ses présents. Elle a trouvé trois hommes corrompus: l'un, Richard comte de Cambridge; le second, le lord Henri Scroop de Marsham; le troisième, Thomas Grey, chevalier de Northumberland; ils ont, pour l'or de la France (ô crime!), scellé une conspiration avec la France alarmée; et c'est de leurs mains que ce roi, l'honneur des rois, doit périr (si l'enfer et la trahison tiennent leurs promesses) à Southampton avant de s'embarquer pour la France. Accordez-nous votre patience et pardonnez l'abus du changement de lieu auquel nous sommes réduits pour resserrer la pièce dans son cadre. La somme est payée, les traîtres sont d'accord. Le roi est parti de Londres, et la scène est maintenant transportée à Southampton; c'est à Southampton que le théâtre s'ouvre en ce moment; c'est là qu'il faut vous asseoir. De ce lieu nous vous ferons passer en France, et nous vous en ramènerons en charmant les mers pour vous procurer un passage heureux et calme: car, autant que nous le pourrons, nous tâcherons que nul de vous n'ait le plus léger malaise pendant tout le spectacle. Mais jusqu'au moment du départ du roi, c'est à Southampton que nous transférons la scène.
(Le choeur sort.)SCÈNE I
Londres; East-Cheap Entrent NYM et BARDOLPHBARDOLPH. Ah! je suis charmé de vous rencontrer, caporal Nym.
NYM. Bonjour, lieutenant Bardolph.
BARDOLPH. Eh bien, le vieux Pistol et vous, êtes-vous toujours amis?
NYM. Pour moi, certes, cela m'est bien égal: je ne fais pas grand bruit; mais quand l'occasion se présentera, on me verra la saisir en souriant. N'importe, il arrivera ce qui pourra. Non, je n'ose pas me battre. Mais je ne veux que donner un coup d'oeil, et puis tenir mon fer devant moi. C'est une simple lame; mais qu'est-ce que cela fait? elle sera bonne pour le chaud et le froid autant qu'épée d'homme vivant; et voilà tout le plaisant de la chose.
BARDOLPH. Je veux vous donner à déjeuner pour vous rapatrier: et nous irons tous trois en France comme de bons frères. Allons, ainsi soit-il, caporal Nym?
NYM. Ma foi, je vivrai tant que j'ai à vivre, voilà ce qu'il y a de sûr; et quand je ne pourrai plus vivre, je ferai comme je pourrai. Voilà ce que j'ai à dire là-dessus, et tout finit là.
BARDOLPH. Ce qu'il y de certain, caporal, c'est qu'il est marié à Hélène Quickly; et il n'est pas douteux qu'elle vous a manqué essentiellement; car enfin elle vous avait donné sa foi.