La vita Italiana nel Risorgimento (1815-1831), parte II - Various 2 стр.


Pouvait-il rien être pour faire un plus étrange contraste avec ce qui se passait partout ailleurs, en Italie? À Milan, le comte Porro fondait le Conciliatore, et voyait accourir autour de lui, comme accourent vers le phare, les barques en détresse, Romagnosi le jurisconsulte, Gioja l'économiste, Monti le poète, Silvio Pellico, Manzoni, Confalonieri. Partout, aussitôt, sous leur patronage, et sous le patronage de Byron, de Schlegel, de Lord Brougham, se fondaient des groupes d'enseignement, tandis qu'à l'étranger, Ugo Foscolo, Gino Capponi, Berchet se faisaient les enthousiastes apôtres de l'avenir italien.

Vagues encore, il est vrai, les aspirations de l'Italie ne tendaient qu'à l'expulsion de l'Autrichien. Mais c'était précisément la simplicité du programme qui en faisait le danger. Ce programme ralliait toutes les nuances de l'opposition et ne pouvait, en ce qui concernait Charles-Albert, que faire vibrer les nobles instincts de sa race.

À vingt ans, on ne marche à la conquête du vrai que par bonds aventureux!

Lorsque jadis Savonarola gémissait dans ses merveilleux canzoni, sur les maux de son siècle, il croyait entendre une voix lui dire:

«Pleure et tais-toi»

Comment cette voix, même s'il l'avait entendue, eût-elle arrêté un Prince jeune, patriote et malheureux? Malheureux est un mot excessif, peut-être, mieux vaut dire meurtri. Meurtri dans son amour-propre, meurtri dans ses affections intimes! Charles-Albert a épousé une archiduchesse Autrichienne. On donne à sa femme le pas sur lui, dans toutes les cérémonies. Encore, s'il l'aimait? mais non, il ne l'aime pas, il ne peut l'aimer. Le Prince souffre de la médiocrité de sa femme, comme il souffre de la médiocrité du roi, comme il souffre de celle du gouvernement, comme il souffre de tout ce qui l'entoure et l'étouffe.

Quand on n'est pas heureux, on accueille la plainte d'autrui avec une sorte de volupté. Il semble que ce soit un soulagement d'entendre gémir. Charles-Albert en est là. Il voit triste, si je puis ainsi dire, et ne s'attache qu'aux gens qui voient comme lui. Hélas! il ne laisse que trop deviner ses intimes sentiments à ceux qui, autour de lui, ont intérêt à le desservir ou à le compromettre.

Aussi, quand éclate la révolution, le Prince de Carignan en devient, aux yeux du plus grand nombre, l'éditeur responsable.

Je n'ai pas à vous rappeler l'échauffourée de 1821. Le trône, un instant ébranlé, se raffermit bien vite. Charles-Félix succède au débonnaire Victor-Emmanuel. Il continue les errements de son frère avec plus de fermeté, et le Prince de Carignan, après avoir été l'éditeur responsable de la Révolution, en devient, pardonnez-moi le mot, le bouc émissaire.

Il n'est pas, en histoire, d'épopée sans quelqu'épisode de deuil!

Le 2 avril de cette année 1821, le Prince, banni de son pays, arrivait à Florence, et pouvait répéter cette plainte du Dante:

«Je m'en vais dans le pays de notre langue, étranger et presque mendiant et j'ai paru misérable à bien des gens qui m'avaient imaginé sous une autre forme»

Oui, on l'avait imaginé sous une autre forme, celui qu'on appelait à Turin, le Prince de la jeunesse. On l'avait acclamé comme une espérance. On ne voyait plus en lui qu'un vaincu, quelques-uns même ne voyaient en lui qu'un coupable; et cet enfant de 25 ans tombait écrasé sous la plus cruelle douleur qui existe ici-bas, la douleur d'être méconnu.

Cette douleur frappait le Prince de Carignan en plein cœur, en pleine vie, en pleine illusion.

Si l'étude que je poursuis devant vous était une étude purement historique, j'aurais à vous raconter ce qui s'était passé à Turin, ce qui se passa à Florence, ce qui allait se passer à Vérone.

Mais je n'ai ici, qu'un médiocre souci des faits. C'est l'âme de mon malheureux prince, comme disait le vieux Costa qui avait eu l'honneur de l'accompagner à Florence, c'est cette âme mystérieuse que je veux continuer à interroger.

«Le désespoir de mon prince, écrivait le fidèle écuyer, frise la folie.»

Quelques-uns pourtant n'ont voulu voir dans ce désespoir qu'une ambition déçue. Mais pour être ambitieux, il faut croire à la vie. Charles-Albert ne semblait plus croire à grand chose de ce qu'elle promettait.

Sans crainte d'exagérer, je puis dire que la vie lui était à charge, et qu'une étrange rupture s'était faite entre les ambitions humaines, et son âme endolorie.

Le mysticisme qui n'avait fait jusque-là qu'effleurer le Prince, était en quelque sorte devenu le seul flambeau qui guidât ses pas, «dans la forêt sombre où il entrait au milieu de sa vie.»

Ce fut à la lueur de ce flambeau que Charles-Albert poursuivit dès lors sa marche, interprétant à son gré l'éternelle vérité et adaptant le dogme, quelques fois la morale, aux passions de son cœur et aux rêves de son patriotisme.

Le mysticisme est l'exagération du sentiment religieux.

Comme toute exagération, il défigure ce qu'il prétend grandir, et compromet ce qu'il croit épurer. Vivant dans un surnaturel de convention, l'âme estime tout permis, croyant purifier jusqu'à ses fautes.

«La guenille,» comme disait Henri IV, «ne perd jamais ses droits, et il arrive parfois à l'ange de faire la bête.»

Peut-être la chose arriva-t-elle à Florence, quand le Prince associait le scapulaire à l'échelle de soie, le balcon de Juliette à la cellule de Savonarole, et envoyait dans un missel ses messages d'amour.

Que voulez-vous?

Trovai l'amor nel mezzo della via
Con abito leggier di peregrino.

Les défauts chez l'homme sont la fumée sans laquelle il n'est pas de flamme.

Et ne retrouvez-vous pas cette flamme qui, douloureusement, consumait l'existence du Prince de Carignan, dans ce qui aurait dû l'embellir et la charmer?.. Ne la retrouvez-vous pas dans ce mot si désolé: «Je ne suis sûr de moi, ni en politique, ni en amour»?

Mais si le temps peu à peu embaumait ses souffrances d'amour, les souffrances politiques, patriotiques (devrais-je dire) du prince, demeuraient sans remède.

Il voyait, malgré les efforts d'une impitoyable réaction, le vieux monde s'abîmer, et il sentait sous ses pieds les frémissements du monde nouveau.

«Eppur si muove,» disait Galilée.

Eppur si muove, répétait celui dont une aveugle politique menaçait de paralyser à jamais l'élan et la clairvoyance.

Tout cela date d'hier, et cependant, ne dirait-on pas Charles-Albert le héros de quelqu'une de ces chroniques qui se perdent dans les brumes du moyen-âge? Et ce roi Charles-Félix ne vous apparaît-il pas comme un type de souverain emprunté à quelque légende? et ce petit royaume qu'il gouvernait si sagement, ne vous rappelle-t-il pas quelqu'une de ces chapelles où les moines, jadis, chantaient éternellement l'office des morts?

Que reste-t-il des répressions à outrance de 1821, des mœurs patriarcales du Piémont, du gouvernement paternel du bon Charles-Félix?

On ne tue pas son successeur.

Le successeur, c'est la réaction fatale. C'est l'explosion de la force comprimée. C'est la découverte qui bouleverse la routine. C'est l'idée nouvelle qui rompt avec la tradition.

Et c'est toujours à la théorie par laquelle j'ai commencé cette étude qu'il faut revenir. C'est la souffrance qu'il faut donner pour point d'appui, ou plutôt pour compagne à tout grand effort «sur ce chemin de halage où,» comme dit Châteaubriand, «les hommes sacrifiés traînent le vieux monde vers un monde inconnu.»

La souffrance devait frapper dans le prince de Carignan, le vieil or de Savoie à une effigie nouvelle, ne lui laissant de l'ancienne effigie que ses lauriers.

La souffrance devait frapper dans le prince de Carignan, le vieil or de Savoie à une effigie nouvelle, ne lui laissant de l'ancienne effigie que ses lauriers.

Vous vous souvenez de cette fière devise du héros de Saint-Quentin: «Spoliatis arma supersunt

Rien n'est désespéré pour un prince de Savoie quand on lui laisse son épée.

C'est l'épée à la main qu'Emmanuel-Philibert a retrouvé la route de ses Etats.

C'est au Trocadéro que Charles-Albert a reconquis son trône.

Au premier coup de canon, l'âme héroïque de Savoie rentra dans ce corps alangui, mourant, et le fit revivre.

«Mon prince est fou à lier,» écrivait le fidèle Costa. «Mais cette fois, il est fou de joie. Il nous faut des princes de cœur et de main, comme disait Henri IV; le mien est de ceux là.»

Le descendant du Prince Eugène se battit à côté du petit fils de Louis XIV; on vit Charles-Albert montant à l'assaut, s'envelopper dans les plis du drapeau blanc avec le même amour que s'il eût été le sien, et l'on entendit l'armée française acclamer le prince italien. L'écho de ces acclamations se prolonge, Messieurs, et de l'autre côté des Alpes, les épaulettes rouges du Trocadéro se confondent encore dans un même souvenir avec les galons de laine de Palestro.

Les chevaliers au moyen-âge avaient cette héroïque coutume de donner un nom à l'épée qui personnifiait leur bravoure.

Il y avait, dit le poète, deux grandes épées,
Dont les lames d'un flot divin furent trempées.
L'une a pour nom Joyeuse, et l'autre Durandal.
Sœurs jumelles de gloire, héroïnes d'acier,
En qui du fer vivait l'âme mystérieuse,
Que pour son œuvre, Dieu voulut s'associer

Messieurs, vous savez quelles sont ces épées, laissons donc l'allégorie aux poètes.

L'épée d'Italie et l'épée de France ont trop souvent besogné les mêmes besognes, ainsi qu'on le disait jadis, pour qu'elles ne se souviennent pas toujours qu'elles ont été trempées du même flot divin, et qu'elles sont sœurs comme Joyeuse et Durandal.

II

Comme tant d'autres de vos grands hommes qui rentrèrent dans leur patrie amnistiés par les acclamations de l'étranger, le prince de Carignan revient en Piémont le front entouré d'une auréole. Il reprend officiellement son rang d'héritier présomptif, mais les défiances, quand même n'ont pas désarmé autour de lui. Tout, jusqu'à ses longues moustaches, est prétexte aux récriminations de la Cour.

Il vit seul à Racconis. À peine ose-t-on s'avouer son ami. Il ne sait rien des affaires du pays sur lequel cependant, il doit régner. Charles-Félix expire sans l'avoir fait appeler à son lit de mort.

C'est sans illusion comme sans joie que Charles-Albert gravit, en 1831, les marches du trône qu'on lui a si longtemps et si âprement disputé.

Le malheur s'est à ce point incrusté en lui, que le roi continue le prince de Carignan. Pendant les premières années de son règne qui semblent heureuses, il vit, se défiant de chacun, se défiant de lui-même, se défiant des mirages de l'absolue puissance. À cette âme si rudement façonnée par l'adversité, pas plus la gloire que les satisfactions d'une royauté banale ne peuvent suffire. Il a placé plus haut son rêve.

«Que le roi se fasse le chef des Italiens» avait dit Joseph de Maistre en 1812 Et si je rappelle ici ce mot du grand inspiré, c'est pour préciser le rôle de Charles-Albert.

Car, quoiqu'on ait pu dire, jamais le roi n'a confondu ces deux choses: la révolution et le patriotisme.

Certaines préventions qui traînent encore sur sa mémoire, se dissiperont le jour où l'on aura enfin compris que le grand souffle qui passa sur l'Italie, de 1831 à 1848, fut, aux yeux de Charles-Albert, un souffle patriotique et non pas un souffle révolutionnaire.

Lentement, progressivement, le roi suit le conseil de Joseph de Maistre. Il se fait le chef des Italiens. Mais au prix de quel effort, à travers quels déboires, au milieu de quelles calomnies!

L'Europe admire la sagesse de son administration et ne croit pas en lui. Le mal intime qui le ronge n'a pas désarmé.

Voilà quinze ans que Charles-Albert règne. Entrez dans son oratoire. Le roi s'est levé avant le jour. Voyez son visage défait, amaigri, ses traits flétris, sa haute taille vacillante Voyez ses cheveux blancs, et il n'a pas quarante ans. Vous le diriez un vieillard si son œil ne trouvait, dans le contraste, un nouvel éclat. Nierez-vous qu'il y ait là un mystère de douleur dont ce crucifix, devant lequel vous trouvez le roi prosterné, reçoit la sinistre confidence?

On raconte que le plus illustre des Scaliger, le fidèle ami de Dante, voulant faire de son palais un asile attrayant pour tous les grands hommes, avait fait représenter dans les divers appartements qui leur étaient réservés, des symboles analogues à leurs destinées.

Pour les poètes, c'étaient les muses. Mercure tendait les bras aux artistes. Le Paradis ouvrait ses portes devant les moines. Mais l'image de l'inconstante fortune planait sur toutes ces allégories!

L'Italie, Messieurs, ne ressemblait-elle pas, en 1847, au palais de Scaliger?

Tandis que le roi était aux pieds de son crucifix, le pape entrevoyait le paradis dans la liberté de ses peuples, les poètes faisaient appel aux Muses pour chanter la délivrance de la patrie; les révolutionnaires invoquaient d'autres dieux.

Et tous, du Nord au Midi de la Péninsule, saluaient l'aube prochaine sans voir que l'inconstante fortune planait aussi par dessous leurs rêves.

Je ne sache pas dans l'histoire de votre pays, une période plus dramatique, plus émouvante que celle qui allait s'ouvrir.

Rien ne devait manquer à l'épopée, ni la grandeur du sujet,  la guerre de l'indépendance italienne,  ni le caractère saisissant du décor: l'Europe en feu de 1848, ni surtout l'illustration des personnages qui allaient entrer en scène.

Au premier rang, le pape Pie IX, un pape comme on n'en reverra plus, réformateur, patriote et libéral. Le Prince de Metternich représentant vieilli de la Sainte Alliance, qui allait être emporté par la tourmente. L'abbé Gioberti, l'auteur, un instant célèbre, du Primato. Mazzini, le plus grand agitateur de son siècle; Manin, le noble défenseur de Venise; et enfin, le feld-maréchal Radetzky, tenant, dans ce drame politique et militaire, le double rôle de la force et du destin.

Et puis, émergeant de l'ombre, faisant leurs premières armes ou leur apprentissage politique, le duc de Savoie, le duc de Gênes, Cavour, Urbain Rattazzi, La Marmora, Cialdini

Mais je n'ai pas nommé tous les acteurs.

Il en manque un, celui qui, dans la tragédie, va jouer le rôle masqué du traître, je veux dire la révolution.

Son rôle primera tous les autres, celui du Roi, celui du Pape.

C'est elle qui parlera, commandera, agitera. C'est elle qui créera les popularités, qui les portera aux nues, qui les foulera aux pieds, qui défera le lendemain l'ouvrage de la veille, toujours criant, hurlant, pour acclamer, comme pour maudire.

Oui, vraiment, la Providence divine et la liberté humaine, ces deux puissances dont le concours explique l'histoire, semblent s'être mises d'accord, en 1847, pour changer en Italie, la direction des choses, et Charles-Albert sent le poids des responsabilités écrasantes que lui créent Dieu et les hommes!

Il aborde ces temps terribles où Machiavel disait qu'il faut être tour à tour Renard et Lion, car les nécessités du jour sont sans cesse contredites par les nécessités du lendemain.

Et quels échos ces contradictions n'éveillent-elles pas dans la conscience endolorie du roi!

Назад Дальше