Tamaris - Жорж Санд 7 стр.


»Eh bien, mon cher ami, je fus très-fort, et je suis encore étonné d'avoir pu résister à l'emportement de ma nature. Non-seulement je lui refusai un baiser, non-seulement je m'acharnai à lui faire comprendre mon devoir et le danger de sa confiance, mais encore je la quittai brusquement sans lui dire: Je t'aime. Je l'aimais pourtant diablement dans ce moment-là.

»Le lendemain, je n'étais pas dégrisé. Croyez-moi si vous voulez, j'ai passé plusieurs nuits sans fermer l'œil. Je voyais toujours cette belle fille chaste et même froide me regarder d'un air de reproche et se jeter dans le sein de sa négresse en disant:

» Il ne veut pas m'aimer!

»Je ne l'ai donc jamais trompée! Non, pas un instant! mais elle m'a vu ému malgré moi. Elle n'a pas compris l'espèce de combat dont je voulais triompher. Elle ne sait pas la différence qui existe entre le cœur et l'imagination. Elle n'y comprendra jamais rien. Elle croit que je l'aime, mais qu'un autre engagement me défend de le lui dire. Elle espère toujours. Elle croit que mes rares et courtes visites sont aussi un engagement que j'ai contracté avec elle. Elle me dispute à une rivale imaginaire. Elle est malade et abattue quand elle ne me voit pas; elle préfère mes duretés et ma froideur à mon absence. Je l'ai revue encore une ou deux fois. Aujourd'hui, elle m'a dit qu'elle ne se marierait jamais qu'avec moi, et qu'elle se tuerait si j'en épousais une autre. Il n'y a rien de plus stupide qu'un homme qui croit à ces menaces-là et qui les raconte: pourtant voyez la situation exceptionnelle de cette fille! Songez à la fin horrible de son père, à l'hérédité possible de certaines affections du cerveau, à l'abominable influence de la bastide Roque Voilà où j'en suis; dites-moi ce que vous feriez à ma place

 Je ne sais pas, répondis-je.

 Comment, vous ne savez pas?

 Non, il m'est impossible de me mettre à votre place, précisément parce que je ne m'y serais pas mis. Je ne serais pas retourné chez mademoiselle Roque, si je m'étais senti inflammable comme vous l'êtes!

 Mais ce n'est pas moi qui suis inflammable, c'est elle qui a pris feu comme l'éther!

 On s'enflamme pour vous parce que le feu vous sort par les yeux. Ces aventures-là n'arrivent qu'à certains hommes. Voyons, vous n'êtes pas plus laid ni plus sot qu'un autre, je le sais bien; mais vous n'êtes pas un dieu, et vous ne faites pas boire de philtres à vos clientes! D'où vient donc que vous avez partout des amourettes et que vous passez pour un homme à bonnes fortunes? C'est que cela vous plaît, allez! et que vos regards, vos manières, vos paroles trahissent, même malgré vous, cette inquiétude fiévreuse que vous avez de dépenser toute votre vie dans un jour!

En parlant ainsi à la Florade, j'étais irrité, j'étais cent fois plus fou que lui; je me disais qu'avec son fluide électro-magnétique et la naïveté de ses émotions, aussi vives à vingt-huit ans, après une vie orageuse, que celles d'un jeune écolier, il pourrait bien plaire à la marquise, si elle venait à le rencontrer. J'étais donc jaloux de cette femme, dont il ne savait pas le nom et qu'il n'avait pas encore vue.

Ma vivacité le fit rire. Il prétendit que j'étais épris de mademoiselle Roque. Je me souciais vraiment bien de mademoiselle Roque!

 Enfin, mon ami, me dit-il, «tire-moi du danger, tu feras après ta harangue.»

 C'est juste; voyons!  Eh bien, il ne faut jamais remettre les pieds chez elle, ou il faut l'épouser. Quoi que vous en disiez, vous y avez songé, puisque vous eussiez voulu pouvoir acheter pour elle le sot et aride terrain que j'ai sur les bras.

 Vous n'avez pas daigné le regarder, ce terrain, reprit la Florade en riant. Moi, je l'ai contemplé ce matin, et vous pouvez, je crois, le voir d'ici. Oui, c'est cette bande de terre humide, là-bas, tout en bas; regardez.

 Qu'est-ce que ça? des artichauts?

 Eh! oui, mon cher. Un champ d'artichauts de cette vigueur-là représente de la terre à cinq pour cent. Vous avez le meilleur lot; mais ça ne fait pas que je doive épouser une bayadère. Si vos artichauts eussent été des lentisques ou des genêts épineux, si, avec deux ou trois mille francs, j'eusse pu assurer le sort de cette pauvre fille, je me serais payé cette satisfaction-là, afin de ne plus avoir à y penser; mais endetter toute ma vie pour elle en réparation de quoi? je vous le demande.  Pourtant si vous pensez que ma conscience y soit engagée car enfin voilà qu'on sait mes visites et qu'on jase je ferai ce que vous conseillerez. Je ne vous consulte pas pour n'agir qu'à ma guise.

 Vous voilà bien, cœur d'or et folle tête! Non, je ne vous conseille pas cela. Tâchez de décider mademoiselle Roque à quitter cette maison où elle deviendra folle, et à s'en aller vivre ailleurs où elle n'espérera plus vous voir. Décidez-la aussi à vendre quelques bijoux inutiles, Pasquali m'a dit qu'elle en avait pour une certaine valeur; alors, qu'elle vende ou non la bastide, elle pourra échapper aux propos qui ne font que d'éclore, et trouver, à deux ou trois lieues d'ici, dans un coin où vous aurez soin de ne jamais passer, un bon paysan riche ou un rude marin qui l'épousera sans lui demander compte de quelques battements de cœur apaisés et oubliés.

 Fort bien; mais, pour lui persuader cela, il faut que je retourne la voir, et j'ai juré que ce serait aujourd'hui la dernière fois, car chaque visite ramène ses illusions. Voulez-vous vous charger de lui faire entendre raison?

 Elle m'a défendu, à cause de vous, de revenir.

 Mais si je vous en prie!

 Mon cher, cette maison me fait un mal horrible. Moi aussi, je déteste le suicide, et je ne peux pas oublier que ce malheureux Roque était le proche parent de ma mère. Et puis je suis jeune, et mes visites feront jaser. Il faut employer Aubanel.

 Elle ne veut pas entendre parler de lui.

 Pourquoi?

 Parce que son chien a voulu dévorer le sien.

 Voilà une belle raison!

 Nama est de cette force-là. N'oubliez pas qu'à beaucoup d'égards nous avons affaire à un enfant de six ans.

 Eh bien, M. Pasquali n'a pas de chien. Chargez-le de parler à votre place, et, pour qu'il y mette le zèle d'un ami, dites-lui la vérité.

 Vous avez raison, je la lui dirai demain.

 Demain! m'écriai-je, saisi de nouveau d'une risible épouvante à l'idée que, le lendemain, il repasserait à Tamaris.

 Eh bien, oui, demain, reprit-il. Faut-il ajourner ce qui est décidé? Venez-y avec moi à neuf heures du matin. Je ne peux plus m'absenter le soir d'ici à une semaine; voilà pourquoi, voulant en finir aujourd'hui avec la maison maudite, j'y étais retourné en plein jour.

J'aurais préféré qu'il allât chez Pasquali le soir: à peine la nuit venue, je savais que la marquise ne sortait plus de sa maison; mais il fallait bien céder à la nécessité. D'ailleurs, la Florade ne me fournissait-il pas un prétexte pour la revoir moi-même le lendemain? Nous convînmes de nous rendre en canot à la bastide Pasquali sans passer par la Seyne.

II

Le lendemain donc, à neuf heures, nous touchions le rivage.

 Montez dans ma barque, nous dit Pasquali, puisque vous avez à me parler de choses sérieuses. Je vous entendrai mieux dehors.

 C'est-à-dire, répondit la Florade, que vous n'écouterez pas du tout. Vous aurez toujours quelque araignée de mer à guetter.

 Non; je n'emporte rien pour les prendre, tu vois.

Nous allions passer de notre embarcation dans la sienne, quand Nicolas, descendant l'escalier de la villa Tamaris, nous héla de tous ses poumons. Nicolas, c'était un jeune garçon de la Seyne que la marquise d'Elmeval avait pris à son service pour fendre le bois, soigner l'âne et faire les commissions. Nous l'attendîmes. Madame Martin priait le docteur de venir voir le doigt de M. Paul, qui était très-enflé.

 Non; je n'emporte rien pour les prendre, tu vois.

Nous allions passer de notre embarcation dans la sienne, quand Nicolas, descendant l'escalier de la villa Tamaris, nous héla de tous ses poumons. Nicolas, c'était un jeune garçon de la Seyne que la marquise d'Elmeval avait pris à son service pour fendre le bois, soigner l'âne et faire les commissions. Nous l'attendîmes. Madame Martin priait le docteur de venir voir le doigt de M. Paul, qui était très-enflé.

Jamais collégien muni de son exeat au moment où il redoutait une retenue ne s'élança vers la liberté avec plus de joie que je n'en ressentis en sautant sur la grève.

 Allez sans moi, dis-je à mes compagnons. Vous n'avez que faire de mon avis, puisque je le maintiens; d'ailleurs, je reviens dans un quart d'heure.

Le doigt de mon petit Paul n'était nullement compromis. Je fis faire un cataplasme. J'annonçai à la marquise que, la veille au soir, j'avais écrit quatre lettres, criant aux quatre coins de l'horizon pour avoir un professeur. Elle me remercia comme si ce n'eût pas été à moi de la remercier, moi si heureux de m'occuper d'elle!

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