Discours par Maximilien Robespierre 5 Fevrier 1791-11 Janvier 1792 - Maximilien Robespierre 5 стр.


Attendrai-je des preuves juridiques de la conjuration de Catilina, et n'oserai-je la dénoncer au moment où il faudrait déjà l'avoir étouffée? Comment oserai-je dévoiler les desseins perfides de tous ces chefs de parti, qui s'apprêtent à déchirer le sein de la république, qui tous se couvrent du voile du bien public et de l'intérêt du peuple, et qui ne cherchent qu'à l'asservir et le vendre au despotisme? Comment vous développerai-je la politique ténébreuse de Tibère? Comment les avertirai-je que ces pompeux dehors de vertus, dont il s'est tout à coup revêtu, ne cachent que le dessein de consommer plus sûrement cette terrible conspiration qu'il trame depuis longtemps contre le salut de Rome? Eh! devant quel tribunal voulez-vous que je lutte contre lui? Sera-ce devant le Préteur? Mais s'il est enchaîné par la crainte, ou séduit par l'intérêt? Sera-ce devant les Ediles? Mais s'ils sont soumis à son autorité, s'ils sont à la fois ses esclaves et ses complices? Sera-ce devant le Sénat? Mais si le Sénat lui-même est trompé ou asservi? Enfin, si le salut de la patrie exige que j'ouvre les yeux à mes concitoyens sur la conduite même du Sénat, du Préteur et des Ediles, qui jugera entre eux et moi?

Mais une autre raison sans réplique semble achever de mettre cette vérité dans tout son jour. Rendre les citoyens responsables de ce qu'ils peuvent écrire contre les personnes publiques, ce serait nécessairement supposer qu'il ne leur serait pas permis de les blâmer, sans pouvoir appuyer leurs inculpations par des preuves juridiques. Or, qui ne voit pas combien une pareille supposition répugne à la nature même de la chose, et aux premiers principes de l'intérêt social? Qui ne sait combien il est difficile de se procurer de pareilles preuves; combien il est facile au contraire à ceux qui gouvernent d'envelopper leurs projets ambitieux des voiles du mystère, de les couvrir même du prétexte spécieux du bien public? N'est-ce pas même là la politique ordinaire des plus dangereux ennemis de la patrie? Ainsi ce seraient ceux qu'il importerait le plus de surveiller, qui échapperaient à la surveillance de leurs concitoyens. Tandis que l'on chercherait les preuves exigées pour avertir de leurs funestes machinations, elles seraient déjà exécutées, et l'Etat périrait avant que l'on eût osé dire qu'il était en péril. Non, dans tout Etat libre, chaque citoyen est une sentinelle de la liberté, qui doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la menace. Tous les peuples qui l'ont connue n'ont-ils pas craint pour elle jusqu'à l'ascendant même de la vertu?

Aristide, banni par l'ostracisme, n'accusait pas cette jalousie ombrageuse qui l'envoyait à un glorieux exil. Il n'eût point voulu que le peuple athénien fût privé du pouvoir de lui faire une injustice. Il savait que la même loi qui eût mis le magistrat vertueux à couvert d'une téméraire accusation aurait protégé l'adroite tyrannie de la foule des magistrats corrompus. Ce ne sont pas ces hommes incorruptibles, qui n'ont d'autre passion que celle de faire le bonheur et la gloire de leur patrie, qui redoutent l'expression publique des sentiments de leurs concitoyens. Ils sentent bien qu'il n'est pas si facile de perdre leur estime, lorsqu'on peut opposer à la calomnie une vie irréprochable et les preuves d'un zèle pur et désintéressé; s'ils éprouvent quelquefois une persécution passagère, elle est pour eux le sceau de leur gloire et le témoignage éclatant de leur vertu; ils se reposent, avec une douce confiance, sur le suffrage d'une conscience pure, et sur la force de la vérité qui leur ramène bientôt ceux de leurs concitoyens.

Qui sont ceux qui déclament sans cesse contre la licence de la presse, et qui demandent des lois pour la captiver? Ce sont ces personnages équivoques, dont la réputation éphémère, fondée sur les succès du charlatanisme, est ébranlée par le moindre choc de la contradiction; ce sont ceux qui, voulant à la fois plaire au peuple et servir ses tyrans, combattus entre le désir de conserver la gloire acquise en défendant la cause publique, et les honteux avantages que l'ambition peut obtenir en l'abandonnant, qui, substituant la fausseté au courage, l'intrigue au génie, tous les petits manèges des cours aux grands ressorts des révolutions, tremblent sans cesse que la voix d'un homme libre vienne révéler le secret de leur nullité ou de leur corruption, qui sentent que pour tromper ou pour asservir leur patrie il faut, avant tout, réduire au silence les écrivains courageux qui peuvent la réveiller de sa funeste léthargie, à peu près comme on égorge les sentinelles avancées pour surprendre le camp ennemi; ce sont tous ceux enfin qui veulent être impunément faibles, ignorants, traîtres ou corrompus. Je n'ai jamais ouï dire que Caton, traduit cent fois en justice, ait poursuivi ses accusateurs; mais l'histoire m'apprend que les décemvirs à Rome firent des lois terribles contre les libelles.

C'est en effet uniquement aux hommes que je viens de peindre, qu'il appartient d'envisager avec effroi la liberté de la presse; car ce serait une grande erreur de penser que dans un ordre de choses paisible, où elle est solidement établie, toutes les réputations soient en proie au premier qui veut les détruire.

Que sous la verge du despotisme, où l'on est accoutumé à entendre traiter de libelles les justes réclamations de l'innocence outragée et les plaintes les plus modérées de l'humanité opprimée, un libelle même digne de ce nom soit adopté avec empressement et cru avec facilité, qui pourrait en être surpris? Les crimes du despotisme et la corruption des moeurs rendent toutes les inculpations si vraisemblables! Il est si naturel d'accueillir comme une vérité un écrit qui ne parvient à vous qu'en échappant aux inquisitions des tyrans! Mais sous le régime de la liberté, croyez-vous que l'opinion publique, accoutumée à la voir s'exercer en tout sens, décide en dernier ressort de l'honneur des citoyens, sur un seul écrit, sans peser ni les circonstances, ni les faits, ni le caractère de l'accusateur, ni celui de l'accusé? Elle juge en général et jugera surtout alors avec équité: souvent même les libelles seront des titres de gloire pour ceux qui en seront les objets, tandis que certains éloges ne seront à ses yeux qu'un opprobre: et, en dernier résultat, la liberté de la presse ne sera que le fléau du vice et de l'imposture, et le triomphe de la vertu et de la vérité.

Maximilien Robespierre

Discours par Maximilien Robespierre 5 Fevrier 1791-11 Janvier 1792

Principes de réorganisation des jurés et réfutation du système proposé par M, Duport au nom des Comités de judicature et de constitution, par Maximilien Robespierre, député du Pas-de-Calais à l'Assemblée nationale (5 février 1791)

Messieurs,

Le mot de Jurés semble réveiller l'idée de l'une des institutions sociales les plus précieuses à l'humanité: mais la chose qu'il exprime est loin d'être universellement connue, et clairement définie; ou plutôt, il est clair que, sous ce nom, on peut établir des choses essentiellement différentes par leur nature et par leurs effets. La plupart des Français n'y attachent guère aujourd'hui qu'une certaine idée vague du système anglais, qui ne leur est point parfaitement connu. Au reste, il nous importe bien moins de savoir ce qu'on fait ailleurs, que de trouver ce qu'il nous convient d'établir chez nous. Les Comités de constitution et de judicature pourraient même avoir calqué exactement une partie du plan qu'ils vous proposent sur les Jurés connus en Angleterre, et n'avoir encore rien fait pour le bien de la nation; car les avantages et les vices d'une institution dépendent presque toujours de leurs rapports avec les autres parties de la législation, avec les usages, les moeurs d'un pays, et une foule d'autres circonstances locales et particulières. On pourrait de plus les avoir modifiés de telle manière, et attachés à de telles circonstances, qu'au lieu des fruits heureux que les Anglais en auraient recueillis, les Jurés ne produisissent chez nous que des poisons mortels pour la liberté. Attachons-nous donc à la nature même de la chose, au principe de toute bonne constitution judiciaire, et de l'institution des Jurés.

Son caractère essentiel, c'est que les citoyens soient jugés par leurs pairs; son objet, est que les citoyens soient jugés avec plus de justice et d'impartialité; que leurs droits soient à l'abri des coups du despotisme judiciaire. Comparons d'abord avec ces principes le système des Comités. C'est pour avoir de véritables jurés, que je vais prouver qu'ils ne nous en présentent que le masque et le fantôme.

Dans l'étendue d'un département, deux cents citoyens seront pris, seulement, parmi ceux qui paient la contribution exigée pour être éligibles aux places administratives. Ces deux cents éligibles seront choisis par le procureur-général syndic de l'administration du département. Sur ces deux cents, douze seront tirés au sort; ce sont ces douze qui, sous le titre de jurés de jugement, décideront si le crime a été commis, si l'accusé est coupable. Il faut observer seulement que, sur les deux cents éligibles qui formaient la liste des jurés, l'accusateur public et l'accusé ont également la faculté d'en récuser chacun vingt.

Maintenant, pour embrasser l'ensemble du système, pour en saisir l'esprit, et en calculer les effets, il faut rapprocher de cette organisation des jurés celle du tribunal qui doit intervenir dans les procès criminels et prononcer la peine.

Un tribunal criminel, unique par chaque département, composé de juges pris à tour de rôle, et tous les trois mois, parmi les membres du tribunal de district que renfermera le département.

A la tête de ce tribunal, un magistrat permanent, un président, nommé pour l'espace de douze années, qui, indépendamment des fonctions de juge, est seul revêtu d'une autorité infiniment étendue, que nous ferons connaître dans la suite.

Contentons-nous maintenant de développer les vices cachés, pour ainsi dire, dans la combinaison des dispositions que nous venons d'annoncer.

Quels sont-ils, ces jurés, ces hommes appelés à décider de la condamnation ou du salut des accusés? Deux cents citoyens choisis par le procureur-syndic du département. Voilà donc un seul homme, un officier d'administration maître de donner au peuple les juges qu'il lui plaît. Voilà tout ce que le génie de la législation pouvait inventer pour garantir les droits les plus effacés de l'homme et du citoyen, qui aboutit à la sagesse, à la volonté, au caprice d'un procureur-syndic. Je sais bien que, sur ces deux cents, douze seront tirés au sort, et que l'accusé pourra en récuser vingt: mais le sort ne pourra jamais s'exercer que sur deux cents hommes choisis par le procureur-syndic; mais, après les récusations, il ne restera jamais que des hommes dont le choix ne prouvera, tout au plus, que la confiance du procureur-syndic; mais, en dernière analyse, il demeure certain que vous abandonnez au procureur-syndic une influence aussi étrange que redoutable sur l'honneur, sur la liberté, sur la vie, peut-être, des citoyens. J'aurais pu observer aussi que l'effet de la faculté de récuser, que vous donnez à l'accusé, est anéanti ou compensé par celle que vous accordez à l'accusateur public, puisque, si d'un côté il peut écarter les vingt jurés qui pourraient lui être les plus suspects, son adversaire peut lui ravir, de l'autre, le même nombre de ceux en qui il aurait le plus de confiance.

Si un pareil pouvoir donné au procureur-syndic est, en soi, un abus extrême, que sera-ce si nous considérons les circonstances particulières à notre nation et à notre Révolution, les seules sans doute qui doivent fixer nos regards!

Dans un temps où la nation est divisée par tant d'intérêts, par tant de factions, où elle est surtout partagée en deux grandes sections, la majorité des citoyens, les citoyens les moins puissants, les moins caressés par la fortune et par l'ancien gouvernement, ces citoyens que l'on appelle peuple, que j'appelle ainsi, parce qu'il faut que je parle la langue de mes adversaires, parce que ce nom me paraît à la fois auguste et touchant; dans le temps, dis-je, où l'Etat est comme partagé entre le peuple et la foule innombrable de ces hommes qui veulent, ou rappeler les anciens abus, ou en créer de nouveaux au profit de leur ambition et aux dépens de la liberté; dans le temps où les plus dangereux de ses ennemis ne sont pas ceux qui se montrent à découvert, mais ceux qui cachent leurs sinistres dispositions sous le masque du civisme, et sous les formes de la Constitution nouvelle, n'est-il pas possible, n'est-il pas même inévitable et conforme à l'expérience, que l'intrigue et l'erreur portent souvent aux premières places de l'administration des citoyens de ce caractère? Or, de tels procureurs-syndics ne seraient-ils pas naturellement enclins à appeler aux fonctions de jurés des hommes qui auraient adopté les mêmes principes, et qui suivraient le même parti? Ne pourraient-ils pas même, sans nuire à leurs vues, les entremêler, pour ainsi dire, d'un certain nombre de ces hommes nuls et insignifiants qui appartiennent au plus adroit et au plus puissant; et, s'ils le voulaient, ne le pourraient-ils pas facilement? Seraient-ils réduits à chercher longtemps deux cents de ces hommes-là dans toute l'étendue du département? Et dès lors ne voilà-t-il pas le peuple, les patriotes les plus zélés surtout, livrés à des juges partiaux et ennemis? Je n'en conclurai pas qu'on se hâtera d'abord de déployer l'appareil des jugements criminels contre ceux qui, sur un grand théâtre, auront défendu avec éclat les droits de la nation et de l'humanité; mais je vois les citoyens faibles et sans appui, suspects d'un trop grand attachement à la cause populaire, persécutés au nom des lois et de l'ordre public; je vois des réclamations vigoureuses, des actes de résistance provoqués par de longs outrages, ou, si l'on veut, les actes d'un patriotisme sincère, mais non encore éclairé par la connaissance des lois nouvelles, punis comme des actes de rébellion et comme des attentats à la sûreté publique. Je vois, dans toutes les accusations qui auront le moindre trait aux calomnies que les ennemis de la liberté n'ont cessé de répandre contre le peuple, les meilleurs citoyens abandonnés à toutes les préventions, à toute la malignité hypocrite des faux patriotes, à toutes les vengeances de l'aristocratie soupçonneuse et irritée.

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