La Belgique héroïque et martyre - Various 2 стр.


Si dans l'immense malheur qui s'étend sur nous, il peut nous rester à côté de l'indéfectible espoir, quelque motif de haute exaltation et même de joie, c'est de songer que notre courage, notre ferveur et notre acharnement ont servi la plus grande des causes humaines. Disons encore que pendant ces heures tragiques des premiers jours d'août, nous avons aimé, haï, voulu, crié, chanté, pleuré, avec une intensité telle que toute notre existence nationale passée ne vaut pas cette minute soudaine et superbe vécue sous la foudre. Étions-nous vraiment un peuple, avant cet instant magnifique? Nous nous dépensions en minimes querelles; nous n'étions guère aimantés vers les hautes réalités; nous nous complaisions à nous reprocher nos origines, soit flamandes, soit wallonnes; nous tâchions d'être avocats, boutiquiers, fonctionnaires, avant d'être des citoyens. Le péril a rassemblé nos forces éparses en un seul et lumineux faisceau. Nous le dressons sur nos villes détruites, sur nos plaines rasées, sur l'immense champ de bataille qu'est aujourd'hui notre terre et, avec déjà de la victoire dans le cœur, nous attendons.

Émile Verhaeren.

LIÉGE

Liége et Dînant, notre brave petite France de Meuse (Michelet).

ELLE est la gardienne. L'éperon de ses collines verdoyantes ferme la grande plaine des batailles, à l'ouest, et son fleuve dresse une barrière presqu'infranchissable de l'autre côté. Sa vieille citadelle, aujourd'hui démantelée, résume une défensive séculaire; ses forts, éventrés par les obus allemands, ont tenu pendant douze jours contre la plus puissante armée du monde. En brisant net l'élan germanique, ils nous ont peut-être sauvés de la barbarie.

Les journées d'août resteront inoubliables. Dans quelle fièvre vivions-nous, comptant les heures, anxieux des nouvelles que la presse du matin, de midi et du soir nous dispensait avec une parcimonie obligée! Ç'avait d'abord été la surprise de l'attaque brusquée, puis le sursaut joyeux de l'échec humiliant infligé à nos ennemis; puis l'espoir d'une intervention française; puis encore l'abandon des intervalles, livrant la cité sans ses forts, qui tenaient, tenaient bon. Enfin l'accalmie se fit; l'occupation devint calme et régulière; on respira, faiblement sans doute; on vécut. Au moment où je trace ces lignes, Liége, morne et muette, garde toute sa fierté et tous ses espoirs; elle n'ignore rien de notre avance et de la démoralisation progressive de l'ennemi; une haine vengeresse couve dans sa banlieue ouvrière et jusqu'au plus humble de ses foyers.

La vieille cité a connu, plus d'une fois, de telles amertumes. Son histoire porte plus d'un crêpe. Aucune invasion ne l'a épargnée. Elle n'était qu'une médiocre bourgade avant Charlemagne; déjà les Normands la ravagèrent. Puis ce fut le tour des vassaux turbulents que la féodalité émancipa sur les rives de la Meuse comme sur celles du Rhin. Notker fut le premier prince qui affermit chez elle une autorité régulière et victorieuse. Après lui elle goûta des jours de paix et de grandeur civique, jours troublés par les luttes intestines, par la jalousie de ses voisins, par le contre-coup de conflits plus vastes où elle se vit impliquée. Au XVe siècle elle entendra le claquement des étendards de Charles le Téméraire, elle subira le châtiment le plus terrible pour avoir résisté à ce prince, qui la traita comme les Allemands ont, en août et septembre passés, traité Louvain. L'écho des guerres de religion parviendra jusqu'à elle au siècle suivant, et plus tard, le piaffement des coursiers de Mansfeld jettera la terreur dans ses faubourgs. Enfin, dans la crise révolutionnaire, sous Napoléon et à la veille de Waterloo, aucune douleur ne lui fut épargnée. Nos grands-pères y chantaient encore, il y a vingt ans, les couplets d'une satire où les Prussiens étaient comparés à l'animal impur dont se nourrissent leurs petits-fils.

Tout cela est de l'histoire Et pourtant jamais les Liégeois ne s'avouèrent vaincus. Jamais ils ne perdirent cette belle humeur qui est faite de confiance, de bravoure et de fierté. D'une ténacité sans égale, impatients de n'importe quel joug, juste assez insouciants pour ignorer les longs abattements, mais point oublieux de leurs devoirs, de leurs droits, des iniquités subies et des revanches possibles, on les vit sans cesse relever le front après la tempête; leur silence obligé était ironique; il n'était ni accablé ni obséquieux. Comme nos ouvriers d'usine refusent le travail aux Allemands de 1915, leurs ancêtres refusaient le salut à leurs maîtres occasionnels et verrouillaient leurs portes. Si leur logis était abattu, ils se réfugiaient dans la forêt prochaine, et puis ils profitaient de la moindre éclaircie pour rebâtir leur toit, reprendre l'outil, revendiquer leurs franchises. O l'admirable peuple, et combien les maîtres actuels de la vieille cité s'illusionnent s'ils croient l'avoir matée en quelques mois! Malheur à eux, comme aux tyrannies d'antan, si un retour de fortune rendait leur occupation précaire! Ils sentiraient tôt le souffle de haine qu'exhalent les milliers de bouches scellées maintenant; des mains pesantes s'abattraient sur des nuques devenues débiles; les pics des mineurs achèveraient la besogne des marteaux de nos forgerons et des limes de nos armuriers.

Mais regardez donc cette ville! Elle semble créée pour être l'asile de toutes les libertés. On n'y arrive qu'en traversant la puissante ceinture de ses fumées industrielles. Cent cheminées lancent des gaz plus asphyxiants que ceux dont la malignité prussienne inonde nos tranchées; cent hauts-fourneaux crachent, dans la nuit, des spirales de feu qui sont comme l'expectoration effroyable d'un monstre infernal; on dirait du cercle magique que le héros de la légende essaie en vain de franchir. Le fleuve qui serpente à travers sa vallée est assez large, si on le délestait de ses ponts, pour couper toute retraite. Dans les plis de ses vallons que d'embuscades meurtrières!

Voilà les aspects redoutables de la vieille cité. Et maintenant, voici son sourire. Le cercle franchi, derrière ce rideau sinistre, dans la paix d'un crépuscule heureux, elle apparaît, telle une enchanteresse. C'est d'abord l'ensemble charmeur de ses collines aux lignes molles et capricieuses. C'est la dégringolade de ses maisons blanches jusqu'à cette Meuse française, qui roule ses eaux claires sur un fin gravier. C'est le son des cloches, qui anime et rend bavardes les tours de ses églises romanes et gothiques, tandis que le carillon de son vieux palais épiscopal mêle sa note joyeuse quasi égrillarde à ce pieux concert. Ainsi allait-il dans le passé, où les chanoines tréfonciers de la cathédrale fredonnaient parfois, devant une table bien servie, des refrains de danse populaire. C'est, enfin, l'animation surprenante des rues, digne d'une plus grande cité, et la jovialité des promeneurs qui, vrais Méridionaux du Nord, échangent des saluts, des sourires et des quolibets d'un trottoir à l'autre. Terrible et plaisant, le caractère liégeois n'a guère varié depuis les Eburons de César jusqu'aujourd'hui, et ma petite patrie restera, dans la Belgique de demain, comme une république aimable, d'un loyalisme parfait.

Maurice Wilmotte,Professeur à l'Université de Liége, agréé à l'Université de Paris.

Villes et Villages saccagés par les Vandales

DINANT, MALINES, TERMONDE, etc., etc

ON ne flétrira jamais assez énergiquement la destruction de tant de monuments du passé, de tant de souvenirs d'art et d'histoire ordonnés, généralement sans aucune nécessité militaire, par les chefs de l'armée allemande partout où ils ont passé. Mais à côté de ce vandalisme éclatant, il est des ruines qui paraîtront tout aussi douloureuses à ceux qui aiment leur pays: ce sont les ruines de tant de villages, et de tant de petites villes sans gloire mais charmantes.

Villes et Villages saccagés par les Vandales

DINANT, MALINES, TERMONDE, etc., etc

ON ne flétrira jamais assez énergiquement la destruction de tant de monuments du passé, de tant de souvenirs d'art et d'histoire ordonnés, généralement sans aucune nécessité militaire, par les chefs de l'armée allemande partout où ils ont passé. Mais à côté de ce vandalisme éclatant, il est des ruines qui paraîtront tout aussi douloureuses à ceux qui aiment leur pays: ce sont les ruines de tant de villages, et de tant de petites villes sans gloire mais charmantes.

Bien plus encore que la ville, c'est le village en effet qui donne à un pays sa physionomie. Quelles que soient les différences que l'on constate de région à région, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest de la France, les villages, sauf dans les départements où la grande industrie a brusquement modifié l'aspect du pays, ont partout une physionomie qui s'apparente. Bourgs normands perdus dans les arbres, hameaux bretons dont les maisonnettes de pierre grise sont tapies dans une anfractuosité du roc, villages du Valois ou du Parisis, gracieux et champêtres comme une bergerette du XVIIIe siècle ou un conte de Gérard de Nerval, bourgades méridionales aux maisons blanches bien rangées autour du mail, le forum de l'ancien municipe, villages lorrains serrés autour de leurs clochers pointus comme pour mieux résister aux invasions, villages de montagne encadrés dans la combe profonde, villages de la plaine fertile où tout respire l'abondance et la paix, villages forestiers, villages maritimes, tous les villages français racontent avec une discrète éloquence l'histoire intime d'une vieille civilisation agricole et policée, et d'un pays où depuis longtemps, l'homme des champs aussi est un homme libre. Et partout ou presque partout, on y trouve dans la disposition des plus humbles maisons, dans leur architecture, dans un goût traditionnel pour les arbres, les fleurs et les pampres, la preuve du goût instinctif d'une race née pour l'art.

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