La vita Italiana nel Risorgimento (1831-1846), parte III - Various 2 стр.


Vous voyez, Messieurs, que si Châteaubriand a siégé avec M. de Metternich au Congrès de Vienne, ces deux hommes d'État ne jugeaient pas de la même façon les affaires de l'Italie.

Ma tâche devient en apparence plus délicate avec Lamartine: car son nom vous rappelle sur le champ quelques paroles un peu vives qui lui valurent tout près d'ici un coup d'épée. J'espère que tout à l'heure vous conviendrez qu'il eût été bien dommage que Gabriele Pepe tuât Lamartine, et cela non seulement parce que, en vérité, le prix des deux existences engagées dans le combat n'était pas tout à fait égal, mais parce que, si un jugement sévère, injuste même, sur une nation signifiait nécessairement qu'on la méprise ou qu'on la déteste, il faudrait effacer Dante, Alfieri, Foscolo et beaucoup d'autres, de la liste des patriotes italiens: peut-être reconnaîtrez-vous dans un instant que Lamartine a fait au moins autant pour l'Italie que son très honorable adversaire.

D'abord, par ses premières lectures, par ses amis de France, surtout par ses fréquents séjours au-delà des Alpes, il avait eu le loisir de la connaître; il en écrivait, il en parlait la langue. M. Mazzatinti a retrouvé une lettre de lui écrite en un italien fort satisfaisant à un Florentin; et j'ai lu, je ne sais plus où, qu'un jour dans sa vieillesse et devant des auditeurs qu'il savait évidemment capables de la comprendre, il feignit de lire une scène de mœurs napolitaines qu'en réalité il improvisait et où des pêcheurs de Mergellina s'exprimaient dans leur dialecte. Il n'avait pas passé douze ans en Italie, comme il lui est échappé un jour de le dire: mais, sans compter de courtes visites, il y avait passé une partie des années 1811 et 1812, de l'année 1820, et trois ans de 1825 à 1828; si les salons italiens avaient été assez lents à s'ouvrir pour lui, il s'était lié avec Niccolini, surtout avec Gino Capponi avec qui, vous le savez, il resta en correspondance, et il avait été mêlé à vos affaires par ses fonctions diplomatiques, à Naples d'abord, puis à Florence.

Lui aussi, ce fut la beauté physique de l'Italie qu'il commença par goûter; nul n'a exprimé avec plus de séduction le charme d'une promenade nocturne sur le golfe de Baia au milieu des chants que se renvoient les pêcheurs et des parfums terrestres dont la brise du soir embaume les eaux. Et, comme, pour la diffusion rapide des idées, la poésie a sur la prose le même avantage que la prose sur le pinceau, les vers de Lamartine décuplèrent chez nous en un moment les adorateurs de la nature italienne. Citons seulement quelques vers:

Maintenant sous le ciel tout repose, ou tout aime;
La vague en ondulant vient dormir sur le bord;
La fleur dort sur sa tige, et la nature même
Sous le dais de la nuit se recueille et s'endort.
Vois: la mousse a pour nous tapissé la vallée;
Le pampre s'y recourbe en replis tortueux,
Et l'haleine de l'onde à l'oranger mêlée
De ses fleurs qu'elle effeuille embaume mes cheveux.
A la molle clarté de la voûte sereine,
Nous chanterons ensemble assis sous le jasmin
Jusqu'à l'heure où la lune, en glissant vers Misène,
Se perd en pâlissant dans les feux du matin.

D'ailleurs Lamartine, comme Châteaubriand, rapporta de l'Italie autre chose que des impressions, il en rapporta une doctrine; il y avait découvert pour son compte ce néant de l'homme que Châteaubriand y avait seulement approfondi. Trop jeune pendant la Révolution française pour en avoir, comme son prédécesseur, ressenti directement la secousse, c'est en contemplant du sein de toutes les joies de la vie les ruines de l'antiquité qu'il avait appris que tout change, tout passe, que nous passons nous mêmes «hélas, sans laisser plus de trace que cette barque où nous glissons sur cette mer où tout s'efface.» Il y avait encore appris, ou plutôt il s'y était enseigné à lui-même par un commentaire vivant du Tasse qui avait été le premier en date de ses poètes préférés, sans doute aussi par une réminiscence de Pétrarque, un nouveau style d'amour. Un a dit en France, et avec raison, que dès avant lui, la poésie spirituellement, sèchement galante qui n'avait que trop fleuri chez nous au XVIIIe siècle n'y régnait déjà plus, que l'amour commençait à y être une passion sincère et, par moments, mélancolique. Mais ce qu'on n'avait pas encore entendu chez nous, c'était l'hymne religieux de l'amour: c'était, non pas l'amour platonique, mais l'amour gravement, pieusement exalté, reconnaissant à la bonté divine qui prête un instant la beauté à la terre pour en sécher les larmes, mais qui la rappellera bientôt à lui pour nous empêcher d'oublier qu'après tout le ciel seul ignore les pleurs. Or ici Lamartine ne procède d'aucun Français, pas même d'André Chénier dont les vers les plus touchants demeurent païens. Certes nos classiques avaient admirablement dépeint les orages du cœur; mais pour eux, la religion était une chose, l'amour en était une autre, et ces deux ordres d'idées n'avaient rien à voir entre eux: dans la tradition française, Dieu ne connaissait que le devoir, il ordonnait la continence aux célibataires, la fidélité aux époux: quant à l'amour honnête, il le permettait, mais il ne s'en occupait pas. Lamartine au contraire procède de l'amant de Laure et du chantre de Tancrède. Il ne les imite pas; il est moins homme de lettres qu'eux dans le bon comme dans le mauvais sens; son élocution est moins travaillée; la nature lui offre autre chose qu'un pré fleuri, une claire fontaine et un chœur d'oiseaux saluant le mois d'avril.

Mais, pour les avoir relus sous le ciel qui les a inspirés, pour avoir respiré le bonheur qu'exhale la terre dont les habitants appellent tout ce qui enchante grazia di Dio, il a, comme eux et plus expressément encore, monté la poésie amoureuse sur le ton des cantiques.

Celui qui, le cœur plein de délire et de flamme,
A cette heure d'amour, sous cet astre enchanté,
Sentirait tout à coup le rêve de son âme
S'animer sous les traits d'une chaste beauté,
Celui qui, sur la mousse, au pied du sycomore,
Au murmure des eaux, sous un dais de saphirs,
Assis à ses genoux de l'une à l'autre aurore
N'aurait pour lui parler que l'accent des soupirs,
Celui qui, respirant son haleine adorée,
Sentirait ses cheveux soulevés par les vents,
Caresser en passant sa paupière effleurée,
Ou rouler sur son front leurs anneaux ondoyants,
Celui qui, suspendant les heures fugitives,
Fixant avec l'amour son âme en ce beau lieu,
Oublierait que le temps coule encor sur ces rives,
Serait-il un mortel ou serait-il un dieu?
Et nous, aux doux penchants de ces verts Elysées,
Sur ces bords où l'Amour eût caché son Eden,
Au murmure plaintif des vagues apaisées,
Aux rayons endormis de l'astre élyséen;
Sous ce ciel où la vie, où le bonheur abonde,
Sur ces rives que l'œil se plaît à parcourir,
Nous avons respiré cet air d'un autre monde,
Elvire!.. et cependant on dit qu'il faut mourir.

Lisez superficiellement les Méditations, vous vous demanderez pourquoi telle ou telle pièce porte pour titre un site napolitain: vous n'y trouverez point de ces descriptions qui mettent les objets sous les yeux; Lamartine regarde beaucoup moins que Victor Hugo, mais il sent davantage; livrez-vous à lui et les émotions qu'il éveillera en vous ranimeront celles que deux de vos poètes vous ont jadis données. Le tour n'est plus le même: il y a déjà un orateur caché sous le poète des Méditations: mais l'accent révèle la parenté du cœur.

De même, cherchez à reconnaître le site de l'abbaye de Vallombrosa dans la pièce où Lamartine l'a chantée: vous n'y réussirez pas. Mais il fallait peut-être la splendeur d'une contrée où la solitude fait à peine sentir son poids, où presque partout, dès qu'on s'élève au-dessus du sol des villes, on aperçoit les deux spectacles les plus sublimes, le mer et la montagne, pour découvrir à un jeune Français déjà répandu dans les salons parisiens les trésors cachés de la vie monastique, cette joie mystérieuse que le vulgaire admire sans la comprendre, pour lui faire goûter ce plaisir du recueillement qui ne suffit point pour vivre parmi le monde, mais qui suffit pour vivre avec le ciel et avec soi-même.

Mais en comprenant, en aimant l'Italie, aurait-il méconnu, dédaigné les Italiens?

Messieurs, une opinion assez répandue de ce côté des Alpes veut que la sympathie de la France pour l'Italie date de 1859, ou même qu'à cette date encore un seul homme, le chef de la nation, il est vrai, ait véritablement souhaité la délivrance de votre nation. Ce qui est exact, c'est que pour que l'Italie entraînât la France avec elle, il fallait qu'elle eût eu le temps de donner à la masse de notre nation la preuve palpable, éclatante de sa volonté et de son héroïsme. Il fallait que le belliqueux Piémont, le premier prêt pour la lutte, eût osé affronter l'Autriche, il fallait que les bourgeois de Milan après une lutte de cinq jours eussent chassé leur garnison, que la jeunesse universitaire, professeurs en tête, se fût fait écraser à Curtatone et à Montanara, il fallait que le grand Manin eût prouvé une fois de plus qu'un homme peut quelque temps tenir tête à un empire, et qu'enfin les plus illustres débris de cette mémorable année, conduits par un instinct sûr, fussent venus porter chez nous le spectacle de leur courageuse pauvreté et de leurs indomptables espérances. Mais, dès l'instant où l'on sut en France que ce n'étaient pas seulement un Pellico, un Confalonieri qui voulaient au prix de ses jours la liberté de l'Italie, dès l'instant où il fut manifeste que toute la nation était disposée à mourir pour son indépendance, la France, qui respirait pourtant à peine de la sanglante guerre de Crimée, fut acquise à votre cause; il put y avoir quelque inquiétude chez certains politiques, mais les ennemis les plus irréconciliables de Napoléon III, les ouvriers de Paris qu'il avait fallu massacrer en décembre 1851 pour leur imposer le coup d'Etat, l'applaudirent avec transport à son départ pour l'armée. Jusque là au contraire, le gros de la nation avait attendu. Rien en effet n'était plus difficile pour un Français de la génération de 1830 que de comprendre pourquoi les révolutions de Naples, de Piémont, des Romagnes avaient été si vite comprimées. Figurez-vous un pays uni, centralisé depuis des siècles, ayant l'habitude de penser, d'agir en commun, et même, depuis cinquante ans, de se lever tout entier à la voix d'une ville qui formait comme les Etats Genéraux en permanence de la nation; figurez-vous ce peuple qui, grâce à cette union, a brisé un trône séculaire, qui a refoulé et puni sous sa première République la plus formidable invasion que le monde moderne eût encore vue, qui, quinze ans après une Restauration imposée pur une invasion plus formidable encore, a chassé à la face de l'Europe la dynastie restaurée, et a, pour coup d'essai de sa liberté reconquise, affranchi la Belgique. Comment comprendrait-il que l'Italie ne peut secouer le joug aussi aisément? Le paysan, l'ouvrier français savent-ils que l'Italie morcelée, humiliée depuis quatorze siècles ne peut tout d'un coup retrouver sa vigueur? Ils voient les Polonais ne succomber que sur des morceaux de drapeaux enlevés aux Russes. Ils ne se disent pas que les Polonais qui se battent si bien à Grochow, à Ostrolenka sont des soldats réguliers aussi aguerris que leurs adversaires; quand ils voient les tentatives des patriotes italiens avorter si vite, ils en concluent, à tort mais sincèrement, qu'à part quelques âmes d'élite, le peuple italien ne désire pas changer de condition.

Mais le langage de Lamartine à la Chambre française va nous montrer comment les penseurs de notre pays, ceux qui avaient vu l'Italie chez elle, préparaient la France à mieux juger des sentiments intimes de leurs voisins. Car non seulement il se déclare personnellement partisan de l'entière indépendance de l'Italie, non seulement il raconte avec fierté avoir été mêlé dans sa jeunesse aux négociations où Louis XVIII lui-même, tout légitimiste qu'il était par métier, et quoique surveillé par la Sainte Alliance, offrait aux libéraux de Naples et de Turin de les soutenir contre l'Autriche, pourvu qu'à la Charte espagnole de 1812 ils préférassent la Charte française de 1814 fort préférable en effet; mais nous allons le voir attaquer de front les préjugés qui rendaient alors la France moins sensible aux malheurs de l'Italie qu'à ceux des autres nations esclaves.

Voici comment, avant les Cinque giornate, à une époque où l'Italie ne s'était pas encore mesurée en bataille rangée avec ses tyrans, il répondait à ceux qui arguaient du calme apparent qui depuis 1815 régnait dans la Péninsule: «Sous ce calme apparent, ne l'oubliez pas, il y avait un abîme, et dans cet abîme couvait la plus incompréhensible de toutes les forces morales et matérielles, la nationalité morcelée, la nationalité comprimée de 26 millions d'hommes Il suffit pour chacun d'entre nous dont l'œil est intelligent, dont le cœur est sympathique d'avoir traversé cette magnifique Italie pour sentir la vie sous la mort apparente, pour sentir cette éternelle protestation de la nationalité qui est la dernière arme d'un peuple Nulle part cette protestation n'est aussi évidente qu'en Italie; nulle part, elle n'a des droits plus sacrés à la sympathie des peuples. Je ne crains pas de le dire, je ne serai démenti par personne: il n'y a pas une race humaine qui ait donné au sol qu'elle habite une consécration plus grande que celle que la race italienne a donnée pendant tant de siècles de gloire, de liberté, de vertu, à ce point géographique de notre globe»6. Puis il montre que l'on ne contentera pas l'Italie par la réforme de quelques abus, par un peu de bien-être. Mais d'autre part il nie que le statu quo y ait seulement pour ennemis les révolutionnaires dont l'Europe s'effrayait. Comme Châteaubriand, il proteste que l'agitation de l'Italie n'est pas le fait de quelques sectaires; mais ce n'est plus dans une dépêche confidentielle qu'il dépose cette protestation; il la produit du haut de la tribune, et il avait en un sens plus de mérite encore que Châteaubriand à ne pas se tromper; car dans l'intervalle Mazzini avait paru, et bien des hommes d'Etat personnifiaient en lui seul les aspirations de l'Italie. «J'affirme ici, s'écriait Lamartine, par la connaissance personnelle qu'une cohabitation de 12 ans m'a donnée, par la connaissance que j'ai du caractère, du génie, du libéralisme italien, que le mot même de radicalisme n'a pas de signification dans la langue, que c'est une injure qui n'est même pas comprise au-delà des Alpes, que le mouvement libéral n'est nullement un mouvement perturbateur mais que c'est un mouvement de l'esprit humain et de l'indépendance des peuples, qui couve dans tous les siècles au cœur de l'Italie»7. Notez, Messieurs, ces derniers mots; ne fallait-il pas à un homme qui n'était point un érudit, un vif et intelligent amour de l'Italie pour deviner en quelque sorte les noms relativement obscurs des Italiens qui entre Pétrarque et Alfieri empêchèrent la prescription du sentiment national? Quant à la génération présente, il prouve son affirmation par l'énergie avec laquelle le pape refuse de céder aux Autrichiens un pavé de Ferrare, par nombre de faits précis empruntés à une brochure parue le matin même et qui semble bien émaner du Père Ventura, par des correspondances particulières qui attestent les espérances que les plus illustres patriotes de l'Italie plaçaient sur notre poète; il en extrait les touchantes anecdotes d'un archevêque, d'un curé de Milan qui protestent chacun à leur manière contre une répression brutale qui vient d'ensanglanter la ville, du comte Borromeo qui dépouille la Toison d'Or souillée du sang de ses compatriotes. Enfin, conjurant Guizot d'appuyer les revendications des peuples italiens, il affirme avec une confiance excessive peut-être mais généreuse la solidité des sympathies entre les peuples: «Les traités ne sont signés que par la main des hommes; mais ces sympathies mutuelles entre les peuples faits pour s'aimer, pour se soutenir, aspirer ensemble à la civilisation et à la liberté, ce ne sont pas des traités d'un jour, ce ne sont pas des traités signés par des diplomates; ce sont des traités préparés par la Providence, signés et contresignés par la main de la nature elle-même, non pas sur des parchemins comme ceux de 1815 qu'on nous a fait signer en tenant la main de la France captive sur un protocole, mais je le répète, de ces traités contresignés par Dieu et par la nature, qui durent autant que les siècles»8. Ces paroles produisaient un effet d'autant plus grand que, depuis dix ans, à force d'éloquence Lamartine avait conquis une grande autorité à la tribune et dans la nation. Personne ne songeait plus à le renvoyer dédaigneusement à la poésie, ou, comme aurait dit Musset, à lui jeter toujours sa lyre au nez. Dès avant que la révolution de 1848 l'élevât au pouvoir, il étonnait le monde politique par la hardiesse tantôt divinatrice tantôt imprudente de ses vues. Louis Philippe à qui l'on avait conseillé de l'appeler dans ses conseils avait répondu: «Lamartine, ce n'est pas un ministre, c'est un ministère; je le réserve.» Il apportait donc à l'Italie l'appui d'un véritable homme d'Etat et non d'un simple poète. D'ailleurs ses sentiments à son égard ne répondaient pas seulement à ceux des hommes qu'on allait appeler les républicains de la veille, mais à ceux des catholiques libéraux de notre nation que Silvio Pellico avait depuis longtemps, pour parler comme Racine, rangé du parti de ses larmes. Espérons qu'un jeune historien se laissera enfin tenter par un beau sujet que j'ai cent fois proposé de vive voix et par écrit chez nous et chez vous, l'histoire des réfugiés italiens en France de 1815 à 1859 et de la transformation de l'opinion des Français, durant cette période, touchant les affaires de l'Italie. J'ose affirmer que rien ne serait plus utile, plus glorieux pour les deux nations.

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