Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I - Чарльз Диккенс 3 стр.


M. Winkle s'approcha de M. Pickwick et lui dit quelques paroles à l'oreille. Un chuchotement passa de M. Pickwick à M. Snodgrass, de M. Snodgrass à M. Tupman, et des signes d'assentiment ayant été échangés, M. Pickwick s'adressa ainsi à l'étranger.

«Vous nous avez rendu ce matin un important service, monsieur. Permettez-moi de vous offrir une légère marque de notre reconnaissance, en vous priant de nous faire l'honneur de dîner avec nous.

 Grand plaisir. Ne me permettrai pas de dire mon goût; volaille rôtie et champignons, excellente chose; quelle heure?

 Voyons, répondit M. Pickwick, en tirant sa montre. Il est maintenant près de trois heures. A cinq heures, si vous voulez.

 Convient parfaitement; cinq heures précises, jusqu'alors prenez soin de vous.»

Ainsi parla l'étranger, et il souleva de quelques pouces son chapeau à bords retroussés, le replaça négligemment sur le coin de l'oreille, traversa la cour d'un air délibéré, et tourna dans la grande rue, ayant toujours hors de sa poche la moitié du paquet de papier gris.

«Évidemment un grand voyageur dans divers climats et un profond observateur des hommes et des choses, dit M. Pickwick.

 J'aimerais à voir son poëme, reprit M. Snodgrass.

 Et moi je voudrais avoir vu son chien,» ajouta M. Winkle.

M. Tupman ne parla point, mais il pensa a doña Christina, à l'acide prussique, à la fontaine, et ses yeux se remplirent de larmes.

Après avoir retenu une salle à manger particulière, examiné les lits, commandé le dîner, nos voyageurs sortirent pour observer la ville et les environs.

Nous avons lu soigneusement les notes de M. Pickwick sur les quatre villes de Stroud, Rochester, Chatham et Brompton, et nous n'avons pas trouvé que ses opinions différassent matériellement de celles des autres savants qui ont parcouru les mêmes lieux. On peut résumer ainsi sa description.

Les principales productions de ces villes paraissent être des soldats, des matelote, des juifs, de la craie, des crevettes, des officiers et des employés de la marine. Les principales marchandises étalées dans les rues sont des denrées pour la marine, du caramel, des pommes, des poissons plats et des huîtres. Les rues ont un air vivant et animé, qui provient principalement de la bonne humeur des militaires. Quand ces vaillants hommes, sous l'influence d'un excès de gaieté et de spiritueux, font, en chantant, des zigzags dans les rues, ils offrent un spectacle vraiment délicieux pour un esprit philanthropique, surtout si nous considérons quel amusement innocent et peu cher ils fournissent à tous les enfants de la ville, qui les suivent en plaisantent avec eux. Rien (ajouta M. Pickwick), rien n'égale leur bonne humeur. La veille de mon arrivée, l'un d'eux avait été grossièrement insulté dans une auberge. La fille avait refusé de le laisser boire davantage. Sur quoi, et par pur badinage, le soldat tira sa baïonnette et blessa la servante à l'épaule: cependant, le lendemain, ce brave garçon se rendit dès le matin à l'auberge, et fut le premier à promettre de ne conserver aucun ressentiment, et d'oublier ce qui s'était passé.

«La consommation de tabac doit être très-grande dans cette ville, continue M. Pickwick; et l'odeur de ce végétal, répandue dans toutes les rues, doit être étonnamment délicieuse pour ceux qui aiment à fumer. Un voyageur superficiel critiquerait peut-être les boues qui caractérisent leur viabilité, mais elles offrent, au contraire, un véritable sujet de jouissance à ceux qui y découvrent un indice de mouvement et de prospérité commerciale.»

Cinq heures précises amenèrent à la fois le dîner et l'étranger. Il s'était débarrassé de son paquet de papier gris, mais il n'avait fait aucun changement dans son costume et déployait toujours sa loquacité accoutumée.

«Qu'est-ce que cela? demanda-t-il, comme le garçon ôtait une des cloches d'argent. Des soles! ha! fameux poisson; toutes soles viennent de Londres. Les entrepreneurs de diligences poussent aux dîners politiques pour avoir le transport des soles; des paniers par douzaines; ils savent bien ce qu'ils font. Eh! eh! Un verre de vin avec moi, monsieur.

 Avec plaisir,» répondit M. Pickwick. Et l'étranger prit du vin, d'abord avec lui, puis avec M. Snodgrass, puis avec M. Tupman, puis avec M. Winkle, puis enfin avec la société collectivement; et le tout sans cesser un seul instant de discourir.

«Diable de bacchanale sur l'escalier! Banquettes qu'on monte, charpentiers qui descendent, lampes, verres, harpe. Qu'y a-t-il donc, garçon?

 Un bal, monsieur.

 Un bal par souscription?

 Non, monsieur. Monsieur, un bal public au bénéfice des pauvres, monsieur.

 Monsieur, dit M. Tupman avec un vif intérêt, savez-vous si les femmes sont bien dans cette ville?

 Superbes, magnifiques. Kent, monsieur; tout le monde connaît le comté de Kent, célèbre pour ses pommes, ses cerises, son houblon et ses femmes. Un verre de vin, monsieur?

 Avec grand plaisir, répondit M. Tupman; et l'étranger emplit son verre, et le vida.

 J'aimerais beaucoup aller à ce bal, reprit M. Tupman, beaucoup.

 Nous avons des billets au comptoir, monsieur. Une demi-guinée chaque, monsieur, dit le garçon.»

M. Tupman exprima de nouveau le désir d'être présent à cette fête; mais ne rencontrant aucune réponse dans l'œil obscurci de M. Snodgrass, ni dans le regard distrait de M. Pickwick, il se rejeta, avec un nouvel intérêt, sur le vin de Porto et sur le dessert qu'on venait d'apporter. Le garçon se retira, et nos cinq voyageurs continuèrent à savourer les deux heures d'abandon qui suivent le dîner.

«Pardon, monsieur, dit l'étranger, la bouteille dort, faites-lui faire le tour comme le soleil, par la soute au pain, rubis sur l'ongle,» et il vida son verre qu'il avait rempli deux minutes auparavant, et s'en versa un autre avec l'aplomb d'un homme accoutumé à ce manège.

Le vin fut bu, et l'on en demanda d'autre: le visiteur parla, les pickwickiens écoutèrent; M. Tupman se sentait à chaque instant plus de disposition pour le bal; la figure de M. Pickwick brillait d'une expression de philanthropie universelle; MM. Winkle et Snodgrass étaient tombés dans un profond sommeil.

«Ils commencent là haut, dit l'étranger; écoutez, on accorde les violons, maintenant la harpe; les voilà partis.»

En effet, les sons variés qui descendaient le long de l'escalier annonçaient le commencement du premier quadrille.

«J'aimerais beaucoup aller à ce bal, répéta M. Tupman.

 Moi aussi; maudit bagage; bateau en retard: rien à mettre; drôle, hein?»

Une bienveillance générale était le trait caractéristique des pickwickiens, et M. Tupman en était doué plus qu'aucun autre. En feuilletant les procès-verbaux du club, on est étonné de voir combien de fois cet excellent homme envoya chez les autres membres de l'Association les infortunés qui s'adressaient à lui, pour en obtenir de vieux vêtements ou des secours pécuniaires.

«Je serais heureux de vous prêter un habit pour cette occasion, dit-il à l'étranger; mais vous êtes assez mince, et je suis

 Assez gros. Bacchus sur le retour, descendu de son tonneau, les pampres au diable, portant des culottes. Ah! ah! Passez le vin.»

Nous ne saurions dire si M. Tupman fut indigné du ton péremptoire avec lequel l'étranger l'engageait à passer le vin, qui passait en effet si vite par son gosier, ou s'il était justement scandalisé de voir un membre influent de Pickwick-Club comparé ignominieusement à un Bacchus démonté; mais, après avoir passé le vin, il toussa deux fois et regarda l'étranger, durant quelques secondes, avec une fixité sévère. Cependant, cet individu étant demeuré parfaitement calme et serein sous son regard scrutateur, il en diminua par degrés l'intensité et recommença à parler du bal.

«J'étais sur le point d'observer, monsieur, lui dit-il, que si mes vêtements doivent vous être trop larges, ceux de mon ami, M. Winkle, pourraient peut-être vous aller mieux.»

L'étranger prit d'un coup d'œil la mesure de M. Winkle et s'écria avec satisfaction: «Justement ce qu'il me faut!»

M. Tupman regarda autour de lui. Le vin, qui avait exercé son influence somnifère sur MM. Snodgrass et Winkle, avait aussi appesanti les sens de M. Pickwick. Ce gentleman avait parcouru successivement les diverses phases qui précèdent la léthargie produite par le dîner et par le vin. Il avait subi les phases ordinaires depuis l'excès de la gaieté jusqu'à l'abîme de la tristesse. Comme un bec de gaz, dans une rue, lorsque le vent a pénétré dans le tuyau, il avait déployé par moments, une clarté extraordinaire, puis il était tombé si bas qu'on pouvait à peine l'apercevoir; après un court intervalle il avait fait jaillir de nouveau une éblouissante lumière, puis il avait oscillé rapidement, et il s'était éteint tout à fait. Sa tête était penchée sur sa poitrine, et un ronflement perpétuel, accompagné parfois d'un sourd grognement, étaient les seules preuves auriculaires qui pussent attester encore la présence de ce grand homme.

M. Tupman était violemment tenté d'aller au bal, pour porter son jugement sur les beautés du comté de Kent; il était également tenté d'emmener avec lui l'étranger; car il l'entendait parler des habitants et de la ville comme s'il y avait vécu depuis sa naissance, tandis que lui-même se trouvait entièrement dépaysé. M. Winkle dormait profondément, et M. Tupman avait assez d'expérience de l'état où il le voyait pour savoir que, suivant le cours ordinaire de la nature, son ami ne songerait point à autre chose, en s'éveillant, qu'à se traîner pesamment vers son lit. Cependant il restait encore dans l'indécision.

«Remplissez votre verre, et passez le vin;» dit l'infatigable visiteur.

M. Tupman fit comme il lui était demandé, et le stimulant additionnel du dernier verre le détermina.

«La chambre à coucher de Winkle, dit-il à l'étranger, ouvre dans la mienne; si je l'éveillais maintenant je ne pourrais pas lui faire comprendre ce que je désire: mais je sais qu'il a un costume complet dans son sac de nuit. Supposez que vous le mettiez pour aller au bal et que vous l'ôtiez en rentrant, je pourrais le replacer facilement, sans déranger notre ami le moins du monde.

 Admirable! répondit l'étranger; fameux plan! Damnée position, bizarre, quatorze habits dans ma malle et obligé de mettre celui d'un autre. Très-drôle! vraiment.

 Il faut prendre nos billets, dit M. Tupman.

 Pas la peine de changer une guinée. Jouons qui payera les deux, jetez une pièce en l'air, moi je nomme, allez. Femme, femme, femme enchanteresse! et le souverain étant tombé laissa voir sur sa face supérieure le dragon, appelé par courtoisie, une femme. Condamné par le sort, M. Tupman tira la sonnette, prit les billets et demanda de la lumière. Au bout d'un quart d'heure l'étranger était complétement paré des dépouilles de M. Nathaniel Winkle.

 C'est un habit neuf, dit M. Tupman, tandis que l'étranger se mirait avec complaisance: c'est le premier qui soit orné des boutons de notre club;» et il fit remarquer à son compagnon les larges boutons dorés, sur lesquels on voyait les lettres P.C. de chaque côté du buste de M. Pickwick.

«P.C. répéta l'étranger; drôle de devise, le portrait du vieux bonhomme, avec P.C. Qu'est-ce que P.C. signifie, portrait curieux, hein?»

M. Tupman, avec une grande importance et une indignation mal comprimée, expliqua le symbole mystique du Pickwick-Club, tandis que l'étranger se tordait pour apercevoir dans la glace le derrière de l'habit dont la taille lui montait au milieu du dos.

«Un peu court de taille, n'est-ce pas? Comme les vestes des facteurs: drôles d'habits, ceux-là, faits à l'entreprise, sans mesures: voies mystérieuses de la providence, à tous les petits hommes, de longs habits; à tous les grands, des habits courts.»

En babillant de cette manière, le nouveau compagnon de M. Tupman acheva d'ajuster son costume, ou plutôt celui de M. Winkle, et, bientôt après, les deux amateurs de fêtes montèrent ensemble l'escalier.

«Quels noms, messieurs? dit l'homme qui se tenait à la porte. M. Tupman s'avançait pour énoncer ses titres et qualités, quand l'étranger l'arrêta en disant:

 Pas de nom du tout; et il murmura à l'oreille de M. Tupman: «Les noms ne valent rien; inconnus, excellents noms dans leur genre, mais pas illustres; fameux noms dans une petite réunion, mais qui ne feraient pas d'effet dans une grande assemblée. Incognito, voilà la chose. Gentlemen de Londres, nobles étrangers, n'importe quoi.»

La porte s'ouvrit à ces derniers mots prononcés à voix haute, et M. Tupman entra dans la salle de bal avec l'étranger.

C'était une longue chambre garnie de banquettes cramoisies, et éclairée par des bougies, placées dans des lustres de cristal. Les musiciens étaient soigneusement retranchés sur une haute estrade, et trois ou quatre quadrilles se mêlaient et se démêlaient d'une manière scientifique. Dans une pièce voisine on apercevait deux tables à jouer, sur lesquelles quatre vieilles dames, avec un pareil nombre de gros messieurs, exécutaient gravement leur whist.

La finale terminée, les danseurs se promenèrent dans la salle, et nos deux compagnons se plantèrent dans un coin pour observer la compagnie.

«Charmantes femmes! soupira M. Tupman.

 Attendez un instant. Vous allez voir tout à l'heure. Les gros bonnets pas encore venus. Drôle d'endroit. Les employés supérieurs de la marine ne parlent pas aux petits employés, les petits employés ne parlent pas à la bourgeoisie, la bourgeoisie ne parle pas aux marchands, le commissaire du gouvernement ne parle à personne.

 Quel est ce petit garçon aux cheveux blonds, aux yeux rouges, avec un habit de fantaisie?

 Silence, s'il vous plaît! yeux rouges, habit de fantaisie, petit garçon, allons donc! Chut! chut! c'est un enseigne du 97e, l'honorable Wilmot-Bécasse. Grande famille, les Bécasses, famille nombreuse.

 Sir Thomas Clubber, lady Clubber et Mlles Clubber! cria d'une voix de stentor l'homme qui annonçait.»

Une profonde sensation se propagea dans toute la salle, à l'entrée d'un énorme gentleman, en habit bleu, avec des boutons brillants; d'une vaste lady en satin bleu, et de deux jeunes ladies taillées sur le même patron et parées de robes élégantes de la même couleur.

«Commissaire du gouvernement, chef de la marine, grand homme, remarquablement grand! dit tout bas l'étranger à M. Tupman, pendant que les commissaires du bal conduisaient sir Thomas Clubber et sa famille jusqu'au haut bout de la salle. L'honorable Wilmot-Bécasse et les meneurs de distinction s'empressèrent de présenter leurs hommages aux demoiselles Clubber, et sir Thomas Clubber, droit comme un i, contemplait majestueusement l'assemblée du haut de sa cravate noire.»

M. Smithie, Mme Smithie et mesdemoiselles Smithie, furent annoncés immédiatement après.

«Qu'est-ce que M. Smithie? demanda M. Tupman.

 Quelque chose de la marine,» répondit l'étranger.

M. Smithie s'inclina avec déférence devant sir Thomas Clubber, et sir Thomas Clubber lui rendit son salut avec une condescendance marquée. Lady Clubber examina à travers son lorgnon Mme Smithie et sa famille; et à son tour Mme Smithie regarda du haut en bas madame je ne sais qui, dont le mari n'était pas dans la marine.

«Colonel Bulder, Mme Bulder et miss Bulder!

 Chef de la garnison,» dit l'étranger, en réponse à un coup d'œil interrogateur de M. Tupman.

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