Le Jour des Rois - Уильям Шекспир 2 стр.


MARIE. Oh! oui, certes, il les possède au naturel; car, outre que c'est un sot, c'est un grand querelleur; et si ce n'est qu'il a le don d'un lâche pour apaiser la fougue qui l'emporte dans une querelle, c'est l'opinion des gens sensés qu'on lui ferait bientôt le don d'un tombeau.

SIR TOBIE. Par cette main, ce sont des bélîtres, des détracteurs, que ceux qui tiennent de lui ces propos.  Qui sont-ils?

MARIE. Ce sont des gens qui ajoutent encore qu'il est ivre toutes les nuits en votre compagnie.

SIR TOBIE. A force de porter des santés à ma nièce: je boirai à sa santé aussi longtemps qu'il y aura un passage dans mon gosier, et du vin en Illyrie. C'est un lâche et un poltron9 que celui qui ne veut pas boire à ma nièce, jusqu'à ce que la cervelle lui tourne comme un sabot de village. Allons, fille, castiliano vulgo10: voici sir André Ague-face.

(Entre sir André Ague-cheek.)

SIR ANDRÉ. Ah! sir Tobie Belch! Comment vous va, sir Tobie Belch?

SIR TOBIE. Ah! mon cher sir André!

SIR ANDRÉ, à Marie. Salut, jolie grondeuse.

MARIE. Salut, monsieur.

SIR TOBIE. Accoste, sir André, accoste.

SIR ANDRÉ. Qu'est-ce que c'est?

SIR TOBIE. La femme de chambre de ma nièce.

SIR ANDRÉ. Belle madame Accoste, je désire faire connaissance avec vous.

MARIE. Mon nom est Marie, monsieur.

SIR ANDRÉ. Belle madame Marie Accoste

SIR TOBIE. Vous vous méprenez, chevalier. Quand je dis accoste, je veux dire envisagez-la, abordez-la, faites-lui votre cour, attaquez-la.

SIR ANDRÉ. Sur ma foi, je ne voudrais pas l'attaquer ainsi en compagnie. Est-ce là le sens du mot accoste?

MARIE. Portez-vous bien, messieurs.

SIR TOBIE. Si tu la laisses partir ainsi, sir André, puisses-tu ne jamais tirer l'épée!

SIR ANDRÉ. Si vous partez ainsi, mademoiselle, je ne veux jamais tirer l'épée. Belle dame, croyez-vous avoir des sots sous la main?

MARIE. Monsieur, je ne vous ai pas sous la main.

SIR ANDRÉ. Par ma foi, vous allez l'avoir tout à l'heure, car voici ma main.

MARIE. Maintenant, monsieur, la pensée est libre. Je vous prie de porter votre main à la baratte au beurre, et laissez-la boire.

SIR ANDRÉ. Pourquoi, mon cher coeur? quelle est votre métaphore?

MARIE. Elle est sèche, monsieur11.

SIR ANDRÉ. Comment donc! je le crois bien; je ne suis pas assez âne pour ne pas tenir ma main sèche. Mais que signifie votre plaisanterie?

MARIE. C'est une plaisanterie toute sèche, monsieur.

SIR ANDRÉ. En avez-vous beaucoup de semblables?

MARIE. Oui, monsieur, je les ai au bout de mes doigts: allons, je laisse aller votre main, je suis desséchée12.

(Marie sort.)

SIR TOBIE. Chevalier, tu as besoin d'une coupe de vin des Canaries; je ne t'ai jamais vu si bien terrassé.

SIR ANDRÉ. Jamais de votre vie, je pense, à moins que vous ne me voyez terrassé par le canarie. Il me semble qu'il y a des jours où je n'ai pas plus d'esprit qu'un chrétien ou qu'un homme ordinaire. Mais je suis un grand mangeur de boeuf, et je crois que cela fait tort à mon esprit.

SIR TOBIE. Il n'y a pas de doute.

SIR ANDRÉ. Si je le croyais, je m'en abstiendrais.  Je retourne chez moi à cheval demain, sir Tobie.

SIR TOBIE. Pourquoi, mon cher chevalier?

SIR ANDRÉ. Que signifie pourquoi13? Le faire ou ne le pas faire? Je voudrais avoir employé à apprendre les langues le temps que j'ai mis à l'escrime, à la danse, à la chasse à l'ours.  Oh! si j'avais suivi les beaux-arts!

SIR TOBIE. Oh! vous auriez eu une superbe chevelure.

SIR ANDRÉ. Quoi, cela aurait-il amendé mes cheveux?

SIR TOBIE. Sans contredit, car vous voyez qu'ils ne frisent pas naturellement.

SIR ANDRÉ. Mais cela me sied assez bien, n'est-il pas vrai?

SIR TOBIE. A merveille. Ils pendent droit comme le lin sur une quenouille, et j'espère un jour voir une ménagère vous prendre entre ses jambes et vous filer.

SIR ANDRÉ. Ma foi, je retourne chez moi demain, sir Tobie. Votre nièce ne veut pas se laisser voir, ou, si elle voit quelqu'un, il y a quatre à parier contre un qu'elle ne voudra pas de moi. Le comte lui-même, qui est ici tout près, lui fait la cour.

SIR TOBIE. Elle ne veut point du comte. Elle ne veut point de mari au-dessus d'elle, ni en fortune, ni en âge, ni en esprit. Je lui en ai entendu faire le serment. Hem! il y a de la résolution là-dedans, ami!

SIR ANDRÉ. Je veux rester un mois de plus. Je suis l'homme du monde qui a les idées les plus drôles: j'aime extrêmement les mascarades et les bals tout à la fois.

SIR TOBIE. Êtes-vous bon pour ces balivernes, chevalier?

SIR ANDRÉ. Autant qu'homme en Illyrie, quel qu'il soit, au-dessous du rang de mes supérieurs; et cependant je ne veux pas me comparer à un vieillard.

SIR TOBIE. Quel est votre talent pour une gaillarde14, chevalier?

SIR ANDRÉ. Hé! je suis en état de faire une cabriole15.

SIR TOBIE. Et moi je sais découper le mouton.

SIR ANDRÉ. Et je me flatte d'avoir le saut en arrière aussi vigoureux qu'aucun homme de l'Illyrie.

SIR TOBIE. Pourquoi donc cacher ces talents? Pourquoi tenir ces dons derrière le rideau? Craignez-vous qu'ils prennent la poussière comme le portrait de madame Mall16? Que n'allez-vous à l'église en dansant une gaillarde, pour revenir chez vous en dansant une courante? Je ne marcherais plus qu'au pas d'une gigue; je ne voudrais même uriner que sur un pas de cinq17. Que prétendez-vous? Le monde est-il fait pour qu'on enfouisse ses talents? Je croyais bien, à voir la merveilleuse constitution de votre jambe, que vous aviez été formé sous l'étoile d'une gaillarde.

SIR ANDRÉ. Oui, elle est fortement constituée, et elle a assez bonne grâce avec un bas de couleur de flamme. Irons-nous à quelques divertissements?

SIR TOBIE. Que ferons-nous de mieux? Ne sommes-nous pas nés sous le Taureau?

SIR ANDRÉ. Le taureau? c'est-à-dire, les flancs et le coeur18.

SIR TOBIE. Non, monsieur, ce sont les jambes et les cuisses. Que je vous voie faire la cabriole. Ah! plus haut: ah! ah! à merveille.

(Ils sortent.)

SCÈNE IV

Appartement du palais du ducVALENTIN ET VIOLA en habit de page

VALENTIN. Si le duc vous continue ses faveurs, vraiment, Césario, vous avez bien l'air de faire une grande fortune: il n'y a encore que trois jours qu'il vous connaît, et vous n'êtes déjà plus un étranger.

VIOLA. Vous craignez donc ou l'inconstance de son humeur, ou ma négligence, pour mettre ainsi en doute la durée de son affection? Est-il inconstant, monsieur, dans ses goûts?

VALENTIN. Non, croyez-moi.

(Entrent le duc et Curio; suite.)

VIOLA, à Valentin. Je vous remercie.  Voici le comte qui vient.

LE DUC. Qui de vous a vu Césario?

VIOLA. Il est à votre suite, seigneur: me voici.

VIOLA. Il est à votre suite, seigneur: me voici.

LE DUC, aux autres. Retirez-vous un moment à l'écart.  Césario, tu es instruit de tout; je t'ai ouvert le livre secret de mon coeur. Ainsi, bon jeune homme, dirige tes pas vers elle. Ne te laisse pas interdire l'entrée: poste-toi à ses portes, et dis-leur que ton pied y prendra racine jusqu'à ce que tu obtiennes une audience.

VIOLA. Sûrement, mon noble duc, si elle est aussi abandonnée à son chagrin qu'on le dit, jamais elle ne voudra me recevoir.

LE DUC. Fais du bruit, brave toutes les bienséances, plutôt que de revenir sans succès.

VIOLA. Admettez que je puisse lui parler, seigneur; que lui dirai-je alors?

LE DUC. Ah! dévoile-lui toute la violence de mon amour; étonne-la du récit de ma tendresse. Il te siéra bien de lui représenter mes souffrances; elle l'écoutera avec plus d'intérêt dans la bouche de ta jeunesse, qu'elle ne ferait dans celle d'un député plus grave.

VIOLA. Je ne le pense pas, seigneur.

LE DUC. Crois-le, cher enfant, car c'est mentir à tes belles années, que de dire que tu es un homme. Les lèvres de Diane ne sont pas plus fraîches, ni plus vermeilles. Ton filet de voix ressemble à l'organe d'une jeune vierge: elle est perçante et sonore; et tout en toi te rend propre à jouer le rôle d'une femme. Je sais que ton étoile te destine à cette négociation.  (Aux autres.) Accompagnez-le, au nombre de quatre ou cinq, tous même si vous voulez; car pour moi, je ne me trouve jamais mieux que quand je suis seul.  (A Viola.) Réussis dans ce message, et tu vivras aussi indépendant que ton maître; sa fortune sera la tienne.

VIOLA. Je ferai donc de mon mieux ma cour à votre maîtresse.  (Le duc sort.) Lutte remplie d'obstacles! Quel que soit mon rôle en lui faisant ma cour, je voudrais, moi, devenir la femme du duc.

(Tous sortent.)

SCÈNE V

Appartement de la maison d'OliviaMARIE et LE BOUFFON

MARIE. Allons, dis-moi où tu as été, ou je n'ouvrirai pas assez mes lèvres pour qu'un crin puisse y entrer, dans le but de t'excuser; ma maîtresse te fera pendre pour t'être absenté.

LE BOUFFON. Eh bien! qu'elle me pende; quiconque est bien pendu dans ce monde n'a plus rien à redouter.

MARIE. Compte là-dessus.

LE BOUFFON. Il ne voit plus personne à craindre.

MARIE. Bonne réponse de carême19! Je puis t'apprendre l'origine de ces mots.

LE BOUFFON. D'où vient-il, bonne dame Marie?

MARIE. De la guerre; et tu peux le dire hardiment dans tes folies.

LE BOUFFON. Eh bien! que Dieu donne la sagesse à ceux qui l'ont, et que ceux qui sont fous fassent usage de leurs talents.

MARIE. Mais tu seras pendu pour être resté si longtemps absent, ou tout au moins renvoyé; n'est-ce pas la même chose pour toi que d'être pendu?

LE BOUFFON. Vraiment, une bonne pendaison prévient un mauvais mariage20. Et quant au malheur d'être renvoyé, l'été y pourvoira21.

MARIE. Tu es donc bien résolu?

LE BOUFFON. Non pas; mais je suis résolu sur deux points.

MARIE. En sorte que si l'un manque, l'autre tiendra; ou si tous les deux viennent à manquer, ton haut-de-chausses tombe par terre.

LE BOUFFON. Juste; en bonne foi, tout juste! Allons, va ton chemin. Si sir Tobie voulait quitter la boisson, tu serais une aussi spirituelle pièce de la chair d'Ève qu'aucune en Illyrie.

MARIE. Tais-toi, faquin; plus de cela: voici ma maîtresse; fais tes excuses sagement, cela vaudra mieux.

(Marie sort.)(Entrent Olivia, Malvolio et suite.)

LE BOUFFON. Esprit, si c'est ton bon plaisir, mets-moi en bonne veine de folies. Les gens d'esprit qui s'imaginent te posséder ne sont souvent que des fous; et moi, qui suis bien sûr de ne pas t'avoir, je pourrais passer pour un homme sensé; car que dit Quinapalus? Un fou spirituel vaut mieux qu'un esprit fou.  Dieu vous bénisse, maîtresse!

OLIVIA. Faites sortir cet imbécile.

LE BOUFFON. Est-ce que vous n'entendez pas, camarades? Emmenez madame.

OLIVIA. Va-t'en; tu es un fou à sec: je ne veux plus de toi; d'ailleurs tu deviens malhonnête.

LE BOUFFON. Deux défauts, madonna, que la boisson et les bons conseils corrigeront; car donnez à boire à un fou à sec, et le fou cessera d'être à sec; recommandez à un homme malhonnête de se corriger, s'il se corrige, il ne sera plus malhonnête, et s'il ne peut se corriger, que le ravaudeur le corrige; tout ce qui dans le monde est corrigé n'est que rapetassé: la vertu qui s'égare n'est que rapetassée de vice, et le vice qui s'amende n'est que rapetassé de vertu. Si ce syllogisme tout simple peut me servir, à la bonne heure; sinon, quel remède? Comme il n'y a point d'homme vraiment déshonoré autre que le misérable, de même la beauté n'est qu'une fleur.  La dame a commandé de faire sortir l'imbécile; en conséquence, je le répète, faites-la sortir.

OLIVIA. Monsieur, je leur ai commandé de vous faire sortir.

LE BOUFFON. Une méprise du plus haut degré! Madame, cuclus non facit monachum22; c'est comme qui dirait, je ne porte pas d'habit de fou dans le cerveau. Bonne madonna, donnez-moi la permission de prouver que vous êtes une folle.

OLIVIA. Peux-tu le prouver?

LE BOUFFON. Très-adroitement, bonne madonna.

OLIVIA. Voyons ta preuve.

LE BOUFFON. Il faut que je vous catéchise pour cela, madame.  Ma bonne petite souris de vertu, répondez-moi.

OLIVIA. Allons, monsieur, à défaut d'autre passe-temps, je vous demanderai votre preuve.

LE BOUFFON. Bonne madame, pourquoi êtes-vous en deuil?

OLIVIA. Mon cher fou, pour la mort de mon frère.

LE BOUFFON. Je crois, madame, que son âme est en enfer.

OLIVIA. Moi, je sais, fou, que son âme est dans le ciel.

LE BOUFFON. Vous n'en êtes que d'autant plus folle, madame, d'être en deuil, de ce que l'âme de votre frère est dans le ciel.  Emmenez la folle, messieurs.

OLIVIA. Que pensez-vous de ce fou, Malvolio? Ne s'amende-t-il pas?

MALVOLIO. Oui, et il continuera ainsi jusqu'à ce que les angoisses de la mort l'ébranlent. L'infirmité qui fait déchoir le sage amende toujours le fou.

LE BOUFFON. Dieu veuille vous envoyer, monsieur, une prompte infirmité, afin d'augmenter votre folie! Sir Tobie jurera que je ne suis pas un renard; mais il ne risquerait pas sa parole sur deux sous, pour gager que vous n'êtes pas fou.

OLIVIA. Que répondez-vous à cela, Malvolio?

MALVOLIO. Je m'étonne que vous, madame, vous puissiez vous amuser des stériles propos d'un pareil coquin; je l'ai vu terrassé l'autre jour par un fou ordinaire qui n'a pas plus de cervelle qu'une pierre. Voyez, il est déjà hors de parade; si vous ne riez pas, et que vous ne lui fournissiez pas matière, le voilà bâillonné. Je proteste que je tiens tous ces hommes sensés, qui rient ainsi de ces sortes de fous, pour n'être eux-mêmes rien de mieux que les bouffons de fous.

OLIVIA. Oh! vous êtes malade à force d'amour-propre, Malvolio, et votre goût en est dépravé. Quiconque est généreux, sans reproche, et d'une humeur franche, gaie, prend pour des flèches d'oiseau ces traits que vous croyez des boulets de canon; il n'y a aucune médisance dans un fou de profession, quoiqu'il ne fasse que railler, et il n'y a point d'amertume dans les railleries d'un homme connu pour sage, quoiqu'il ne fasse que censurer.

Назад Дальше